• Gaza :

    nouvelle offensive de l’armée israélienne

    contre l’hôpital al-Chifa

     

    L’armée israélienne a annoncé, dans un communiqué publié lundi 18 avril au matin, avoir de nouveau donné l’assaut contre l’hôpital al-Chifa, le plus grand de la bande de Gaza. Comme en novembre dernier, l’établissement est accusé d’abriter des membres du Hamas.

     
     

    L’hôpital al-Chifa de la ville de Gaza, le plus grand de l’enclave palestinienne, est de nouveau la cible d’une opération israélienne.

    L’armée de Benyamin Netanyahou a annoncé dans un communiqué, publié lundi 18 avril au matin, que des soldats « mènent en ce moment une opération ciblée dans la zone de l’hôpital al-Chifa », reposant « sur des informations indiquant l’utilisation de l’hôpital par des terroristes haut gradés du Hamas ».

    Alors que le premier ministre israélien a réaffirmé dimanche, malgré les pressions internationales, sa détermination à conduire une offensive terrestre à Rafah où plus d’un million de Palestiniens se sont réfugiés, le site visé ce lundi dans le Nord de la bande de Gaza abrite « des dizaines de milliers » de personnes, selon le ministère de la Santé du Hamas.

    Il avait déjà fait l’objet d’un assaut le 15 novembre dernier.

     

    Des affrontements dans un site où se trouvent de nombreux civils

    Sur place, des témoins ont confirmé à l’AFP « des opérations aériennes » sur le quartier d’al-Rimal où se trouve l’hôpital, dans lequel seraient tombés des « éclats d’obus ».

    Des habitants de ce quartier central de la ville de Gaza, auxquels l’armée israélienne s’adresse par haut-parleurs en leur demandant de rester chez eux, ont affirmé que « plus de 45 chars et véhicules blindés de transport de troupes israéliens » étaient entrés.

    Certains rapportent « des combats » autour de l’hôpital et assurent que des « drones tirent sur les personnes dans les rues près de l’hôpital ».

     

    Alors que la pression internationale est montée d’un cran face au nombre de victimes palestiniennes (31 645 morts depuis le 7 octobre, selon le dernier décompte du Hamas), l’armée israélienne affirme que « des instructions sur l’importance d’opérer avec prudence, ainsi que des mesures à prendre pour éviter de blesser les patients, les civils, le personnel médical » ont été communiquées.

    Le ministère de la Santé de Gaza rapporte, de son côté, qu’un des bâtiments de l’établissement de soin est en feu « suite à une frappe aérienne » et que l’assaut aurait déjà provoqué des dizaines de morts.

    L’aide humanitaire toujours bloquée

    L’armée israélienne a également diffusé ce qu’elle présente comme un extrait d’un échange téléphonique ayant eu lieu « ces derniers jours » entre l’administration de coordination et de liaison israélienne (CLA) et un responsable du ministère de la Santé à Gaza, au cours duquel son représentant explique être « prêt » à fournir de l’aide si « les activités terroristes » au sein de l’hôpital cessent.

    « Les hôpitaux sont des bâtiments civils dédiés à la santé, qui n’ont rien fait qui contrevienne à leurs tâches comme elles sont définies par le droit international humanitaire », ont répondu dans un communiqué commun le Hamas et ses alliés, démentant ainsi les affirmations israéliennes.

    Sur tout le territoire palestinien, l’aide humanitaire continue, elle, d’arriver au compte-goutte alors que la famine menace.

    « Malgré sa responsabilité en tant que puissance occupante, les pratiques et décisions d’Israël continuent de bloquer et d’empêcher systématiquement et délibérément toute réponse humanitaire internationale significative dans la bande de Gaza », a dénoncé Oxfam, lundi matin.

     

    L’ONG publie un rapport dans lequel elle fait état de protocoles d’inspection de l’aide « injustement inefficaces », qui créent des délais de « vingt jours en moyenne » pour permettre aux camions d’entrer dans le territoire palestinien, des « attaques contre des personnels humanitaires, des structures d’aide et des convois humanitaires », ou encore le blocage « quotidien » de certains équipements qualifiés d’à « double usage » et pourtant indispensables au travail de ses équipes.


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  • Les tristes clowns...

    veulent se faire passer pour des petits angelots...

    « Il y en a deux qui prennent des risques en télé, c’est moi et Pascal Praud », Cyril Hanouna fait le triste clown à l’Assemblée

    L’animateur de Touche pas à mon poste a réfuté tout agenda politique d’extrême droite lors de son audition par les députés, jeudi. S’il a reconnu quelques « erreurs », il s’est souvent défendu avec morgue, minimisant les dérapages dont il est coutumier.

    Alice Terrier >>>>> L'Humanité >>>>> 15 mars 2024
     
    Interrogé sur les dérapages réguliers commis à l’antenne, qui lui ont valu plusieurs sanctions de la part de l’Arcom, Cyril Hanouna s’est réfugié derrière les aléas du direct avant d’assumer.

     

    Le clown a parfois fait profil bas. Mais il a aussi fait le clown.

    Fidèle à sa personnalité, Cyril Hanouna a souvent répondu avec une dose de mépris et d’arrogance aux parlementaires de la commission d’enquête sur l’attribution des autorisations de diffusion des chaînes de la TNT, jeudi. À croire que l’animateur était aussi là pour créer du contenu pour son émission du soir – qu’il a promis de consacrer à son audition.

    Interrogé sur les dérapages réguliers commis à l’antenne, qui lui ont valu plusieurs sanctions de la part de l’Arcom, Cyril Hanouna s’est réfugié derrière les aléas du direct avant d’assumer : « Il y en a deux qui prennent des risques en télé, c’est moi et Pascal Praud. » Mis face à des fake news diffusées dans son émission, à plusieurs propos misogynes et au canular homophobe qu’il avait organisé, Cyril Hanouna a reconnu quelques « regrets » et plaidé commettre des « erreurs ».

    Tout en assurant que sur 5 000 heures d’antenne, lesdites « erreurs » ne concernent que 0,12 % du temps d’émission. Une façon pour lui de minimiser la gravité des propos tenus, qui ont pourtant coûté plusieurs millions d’euros d’amende à C8. À elles seules, ses productions concernent 23 des 33 sanctions prises contre sa chaîne par l’Arcom.

    Jordan Bardella invité six fois en six mois

    Sommé de s’expliquer sur l’affaire Lola, durant laquelle il avait appelé à une justice expéditive et « en quelques heures et c’est terminé », Cyril Hanouna a reconnu avoir « outrepassé (s) ses droits » en réagissant « en père de famille ». Il a expliqué avoir insulté le député FI Louis Boyard en plateau au motif d’une « amitié trahie », révélant au passage des échanges privés entre le parlementaire et lui. « Avez-vous obtenu le consentement de M. Boyard pour diffuser vos échanges de correspondances privées ? » demande le député David Guiraud. « Non. Donc j’attends son procès », répond du tac au tac Cyril Hanouna.

    Mais l’animateur a surtout été questionné sur un possible agenda politique des chaînes du milliardaire Vincent Bolloré. « Il ne s’est jamais mêlé de mes émissions. Il me laisse une liberté totale », assure Cyril Hanouna. Mais alors, sur la fin de l’année 2021, « comment on en arrive à 53 % du temps d’antenne politique (consacré) à des candidats d’extrême droite ? » lui demande Sophie Taillé-Polian.

    La députée Génération.s lui rappelle que le président du RN, Jordan Bardella, a été invité six fois en six mois. « Vous essayez de faire voter pour quelqu’un en particulier ? » poursuit-elle. « J’ai passé autant de bons moments avec Jordan Bardella qu’avec Jean-Luc Mélenchon », élude Cyril Hanouna, qui dit « inviter tout le monde ». « On a tout de même l’impression qu’il y a une forme de monogamie dans vos invités », affirme alors David Guiraud. Même l’anonyme récemment invité pour critiquer Aya Nakamura s’est révélé être un proche de l’extrême droite.

    Mais loin de faire son autocritique, Cyril Hanouna assure qu’il existe un « lobby (…) s’acharnant » sur lui pour le faire sortir du paysage audiovisuel français.

    « Je souhaite faire évoluer l’émission comme la société évolue », a-t-il également argumenté pour défendre ses émissions qui tiennent du populisme et de la bouffonnerie.

     

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    « CNews raconte la vérité »,

    à l’Assemblée,

    Bolloré joue les saints patrons de la presse libre

     

    Avant Cyril Hanouna, jeudi 14 mars, Vincent Bolloré était entendu mercredi par les députés de la commission d’enquête.

    Face aux parlementaires, le milliardaire s’est défendu de toute entreprise idéologique sur ses chaînes, accusées entre autres de ne pas respecter l’obligation de pluralisme à laquelle doivent se soumettre les chaînes de la TNT.

     
     
    Le milliardaire a ironisé sur sa « réputation d’Attila » des médias et s’est attaché à répéter, sous serment, ne nourrir aucun projet idéologique quant au groupe dont il est le propriétaire.

     

    Vincent Bolloré ne s’est trahi qu’une seule fois, ce 13 mars, à l’Assemblée nationale.

    D’une terrifiante tranquillité face aux députés de la commission d’enquête parlementaire dédiée aux agréments de diffusion pour les canaux télévisés de la TNT, le milliardaire a fini par lâcher : « Si je ne crois pas à quelque chose, je ne vais pas essayer de le mettre sur mes antennes ! »

    Un semi-aveu loin d’être anodin, alors que la commission, lancée à l’initiative du député de la France insoumise Aurélien Saintoul, cherche à établir, entre autres, si CNews est une chaîne d’information ou d’opinion. Et si ces antennes, régulièrement épinglées pour la place démesurée accordée à l’extrême droite, répondent à une entreprise politique menée par Vincent Bolloré.

    Dans ce cas, elles contreviendraient aux règles de l’Arcom, le gendarme de l’audiovisuel, qui doit choisir de renouveler ou non les autorisations de diffusion des chaînes de la TNT en 2025.

    Selon l’Arcom, les chaînes de la TNT doivent en effet s’assurer qu’une « pluralité d’acteurs » soit sélectionnée et que « l’intérêt du spectateur » prime, afin qu’il ait « la plus grande diversité de choix ». CNews ou encore C8 seront-ils bannis des antennes ? C’est la question au cœur de cette commission.

    Après les équipes de la chaîne d’information en continu (dont Pascal Praud, Christine Kelly ou encore Laurence Ferrari) et en attendant l’audition de Cyril Hanouna, ce jeudi, c’était donc au tour du propriétaire du groupe de répondre aux questions de la représentation nationale.

    Un aparté sur l’avortement

    Le milliardaire a ironisé sur sa « réputation d’Attila » des médias et s’est attaché à répéter, sous serment, ne nourrir aucun projet idéologique quant au groupe dont il est le propriétaire. À l’entendre, Vincent Bolloré s’est aventuré dans le secteur médiatique avant tout parce que « c’est le deuxième secteur le plus rentable après le luxe » – rien que dans l’empire Bolloré, ses activités de logistique lui rapportent pourtant davantage.

    Et il ne jouerait aucun rôle dans le choix des contenus de ses chaînes :

    « Je ne suis jamais intervenu dans les contenus, en aucune façon, dans le groupe Canal, je n’ai pas le temps. » Il a aussi affirmé que les chaînes de son groupe respectaient la loi, et ce malgré l’affolante liste de mises en demeure et de sanctions prononcées contre elles – 7,5 millions d’euros d’amende, rien que pour l’émission Touche pas à mon poste, sur C8.

    Interrogé sur En quête d’esprit, l’émission catholique du week-end sur CNews, au cours de laquelle il a été notamment affirmé que l’IVG était « la première cause de mortalité dans le monde », Vincent Bolloré a admis une faute lors de cet épisode, tout en se défendant d’avoir eu son mot à dire dans la création de ce format.

    « Il y a un gros bassin judéo-chrétien en France, qu’il y ait une émission qui parle de cela, cela me paraît normal mais je n’en suis pas à l’origine », affirme le milliardaire. 

    Ce dernier n’a pas pu toutefois s’empêcher de dire un mot de ce qu’il pensait de l’avortement qui, selon lui, oppose « la liberté de disposer de son corps à la liberté des enfants à vivre. Mais chacun est libre de faire ce qu’il veut ».

     

    Chantage économique

    La liberté, justement, est au cœur de la défense de Vincent Bolloré, qui se place en saint patron du pluralisme : « CNews raconte la vérité, est un espace de liberté et reçoit tout le monde, c’est pour ça que ça fonctionne. Parce qu’il y a de la liberté, pas parce qu’il y a de l’idéologie », affirme-t-il.

    « On ne peut pas parler d’espace de liberté quand des invités se font couper la parole toutes les cinq secondes », lui renvoie la députée Génération.s Sophie Taillé-Polian, en référence au comportement agressif de l’animateur Pascal Praud vis-à-vis des invités de gauche.

    Le magnat réactionnaire a alors joué une autre carte, plus retorse : celle du chantage économique.

    Un non-renouvellement de la fréquence de ses chaînes TNT serait, défend-il, un coup porté à l’entièreté du groupe Canal. Donc à un « fleuron français », qui contribue, de plus, grandement au financement du cinéma hexagonal et à l’exception culturelle. Attaquer CNews, ce serait au bout du compte faire le jeu de la concurrence américaine, déroule sans trembler le Breton.

    Vincent Bolloré est d’autant plus à l’aise que la commission d’enquête est fragilisée par le jeu politique propre à l’Hémicycle.

    D’un côté, des députés de gauche chauffés à blanc à l’idée de dénoncer l’entreprise idéologique du milliardaire, voire son affairisme en Afrique, quitte à déborder du cadre de la TNT.

    De l’autre, des macronistes plutôt timorés, voire complaisants, d’abord, et des élus RN, venus eux, vanter la « liberté de ton » du groupe Canal et tacler les supposées velléités de censure de la gauche.

    Pas de doute, Vincent Bolloré compte, à l’Assemblée, plus d’amis que d’adversaires.


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  • Associations féministes

    accusées de complaisance avec le Hamas :

    l’enquête d’Aurore Bergé fait flop

     

    Deux semaines après avoir annoncé sur un ton martial sa volonté de « passer au crible » plusieurs associations féministes accusées de complaisance avec l’attaque perpétrée le 7 octobre par le Hamas, et de leur couper leurs financements, Aurore Bergé a reconnu le 2 mars dans les colonnes du « Parisien » que l’enquête n’a donné aucun résultat. Mais la ministre chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes se défend de toute instrumentalisation…

     
     

    « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose »,

    écrivait le philosophe Francis Bacon dans son Essai sur l’athéisme. 

     

    Les accents martiaux des accusations lancées par Aurore Bergé en offrent une illustration édifiante.

    Pour la ministre chargée de l’Égalité entre les hommes et les femmes, on allait voir ce qu’on allait voir.

    C’est-à-dire… rien.

    Un peu plus de deux semaines après avoir annoncé sa volonté de « passer au crible » les propos jugés « ambigus » de plusieurs associations féministes sur l’attaque perpétrée le 7 octobre par le Hamas, et de leur couper le cas échéant les subventions de l’État, Aurore Bergé a reconnu que cette enquête lancée en grande pompe a fait chou blanc.

     

    En d’autres termes, son ministère n’a trouvé aucune association féministe susceptible d’être accusée de complaisance avec l’organisation islamiste palestinienne ou « d’apologie des crimes terroristes du Hamas », ni d’un manque de solidarité envers les femmes israéliennes, en ne se montrant pas capable de « caractériser ce qui s’est passé » lors de l’attaque du 7 octobre.

    Après examen, l’administration n’a pu mettre au jour « parmi celles qui sont financées par l’État » de propos ambigus, a reconnu l’ancienne ministre des Solidarités dans une interview donnée au Parisien.

     

    Les associations féministes dénoncent une « instrumentalisation »

    Alors, pourquoi tout ce tapage ?

    « Je voulais le garantir. Et je voulais surtout envoyer un message clair », a justifié Aurore Bergé, qui réfute toute « instrumentalisation » à travers cette initiative.

     

    Plusieurs associations féministes, comme Nous Toutes, n’en restent pas moins convaincues de cette « instrumentalisation des crimes du Hamas et de la riposte d’Israël à Gaza pour éviter de prendre ses responsabilités dans le manque de moyens mis sur la table pour lutter contre les violences de genre en France et la complicité du gouvernement dans la persistance de ces violences ».

     

    Rappelant le parcours très à droite de la ministre et notamment son soutien à la proposition du chef des républicains Éric Ciotti interdisant le port du voile pour les accompagnantes lors des sorties scolaires ou encore sa proposition de démanteler l’ONG Amnesty International, Nous Toutes pointe le caractère « très flou » des accusations d’Aurore Bergé, en interrogeant les failles de cette enquête :

    « Qui évalue la force de la dénonciation et l’ambiguïté des propos ? Selon quels critères ? Même son cabinet n’est pas en mesure de répondre à ces questions ou de donner des exemples. »

    Et de pointer le caractère « dangereux » de la démarche :

    « Toute parole qui ne serait pas en alignement avec le gouvernement serait donc sanctionnable : qu’en est-il de la liberté d’expression ? De la liberté d’association ? De la démocratie ? Aurions-nous déjà basculé dans un État où seule l’expression du gouvernement est possible ? »

     

    Pour la sociologue et écrivaine Kaoutar Harchi, peu importe que cette enquête ait abouti à un vide sidéral, l’objectif d’Aurore Bergé est atteint, car « ces enquêtes ne sont pas lancées avec la volonté de discerner le vrai du faux mais plutôt de lancer des rumeurs. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de résultats suite à l’enquête qu’il n’y a pas d’effets dès l’instant où le lancement de l’enquête a été annoncé ».


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  • Les 10 % les plus riches

    font main basse

    sur la moitié du patrimoine français

    Selon une étude de la Banque de France publiée jeudi 29 février, le patrimoine des ménages a fortement augmenté en valeur depuis 2009. Les plus fortunés en profitent le plus grâce à l’augmentation de la valeur du patrimoine immobilier.

      Stéphane Guérard >>>>> L'Humanité 3 mars 2024

     
    Dans son dernier rapport, la Banque de France annonce que le patrimoine net de tous les ménages français s’est envolé ces 15 dernières années, passant de 8 712 milliards d’euros en 2009 à 14 041 milliards d’euros lors du deuxième trimestre 2023.

     

    Au pays du président des riches, les fortunés sont rois.

    La Banque de France le confirme.

    Son Bulletin publié jeudi met en lumière la répartition toujours inégalitaire des 14 041 milliards d’euros de patrimoine total des Français.

    Il y avait pourtant de quoi partager.

    Le patrimoine net total des ménages a augmenté de 5 329 milliards (euros courants) entre fin 2009 et fin 2021, pour se stabiliser à ce niveau jusqu’au deuxième trimestre 2023, inflation oblige.

    En quinze ans, la hausse globale est spectaculaire : +23 % en euros constants.

    Au vu de ces sommes, le patrimoine moyen est flatteur.

    Il a augmenté de 144 000 euros entre fin 2009 (301 000 euros) et le deuxième trimestre 2023 (446 000 euros).

    Soit une augmentation de 13 % en euros constants.

     

    Près de 2,5 millions d’euros en moyenne

    Mais ce patrimoine moyen ne dit rien de qui touche quoi.

    Pour cela, il faut commencer par se pencher sur le patrimoine médian.

    Celui-ci se monte à 185 000 euros (+37 % depuis 2009).

    Autrement dit, 50 % des ménages disposent d’un patrimoine supérieur à cette somme.

     

    Mais la moitié est en dessous de ce niveau.

    Les inégalités de répartition sautent encore plus aux yeux lorsque l’on répartit les ménages selon dix niveaux de richesse.

    • Les 10 % des plus fortunés ont ainsi vu leur patrimoine passer de 4 593 milliards d’euros en 2009 à 7 609 milliards fin 2023.
    • Autrement dit, ils détenaient 52,7 % des richesses de l’ensemble des ménages il y a 15 ans.
    • Aujourd’hui, c’est 54,2 % du total.
    • En moyenne, un ménage ultra-aisé dispose de 2 418 000 euros, constitués « de biens immobiliers (43 %), d’un peu plus d’actifs financiers (34 %), mais surtout de beaucoup plus de patrimoine professionnel (24 %) », note le rapport.
    • Ce dernier souligne que 60 % des ménages les plus fortunés détiennent 99 % du total de l’immobilier net d’emprunts.

    • « Le patrimoine des 40 % des ménages suivants (454 000 euros en moyenne) est relativement homogène et essentiellement composé d’immobilier net d’emprunts immobiliers (71 %), les actifs financiers représentant 27 % », relève ensuite la Banque de France

    • En dessous, les 50 % les moins riches disposent d’un patrimoine moyen de 47 000 euros, à base de dépôts sur des livrets d’épargne (46 %) ou d’assurance-vie (10 %) d’un côté, de la propriété d’un bien immobilier (54 %) de l’autre.
     
     

    Comme l’INSEE, la Banque de France insiste sur le fait que les inégalités de richesse en France sont creusées par la mauvaise répartition du patrimoine.

    Car si l’on prend les revenus (salaires, primes, dividendes…), les 10 % les plus riches « disposent d’un revenu disponible moyen « seulement » trois fois supérieur au revenu médian ».

    C’est près de huit fois plus si l’on prend en compte le patrimoine médian.


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  • Bonheur à tous 

     

    Par Maryse Dumas, syndicaliste

    1er mars 2024 - L'Humanité

    https://www.humanite.fr/social-et-economie/la-chronique-de-maryse-dumas/bonheur-a-tous

     

     

    La panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian et des 23 autres résistants « étrangers, et nos frères pourtant » de l’Affiche rouge, est un acte de justice et de reconnaissance, tardif bien sûr, mais bienvenu surtout.

    « Ce sont bien les résistants étrangers et communistes que le pays célèbre » écrit « Le Monde ».

    Articles, débats, documentaires, livres, apports historiques se sont succédé.

    Ils nous ont permis de renouer avec ce que l’histoire de France a produit de meilleur, même si ce meilleur s’est épanoui dans les conditions épouvantables de la barbarie nazie, de l’Occupation et de la collaboration.

     

    Pendant quelques jours, on a parlé des valeurs de la Résistance, mais aussi de la flamme toujours incandescente de la Révolution de 1789.

    On a parlé engagement antifasciste et communiste, luttes sociales et internationalisme, universalisme, courage et solidarité humaine.

    On a parlé d’une France ouverte au monde à partir de ses valeurs historiques, de ses luttes syndicales et politiques et de son rayonnement culturel porté par sa Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

    C’est pour elle que des milliers de femmes et d’hommes de toutes nationalités ont pris des risques majeurs, jusqu’à trop souvent y perdre la vie.

    C’est elle qui, pendant cette trop courte parenthèse, a imprégné le débat public.

    Pour un temps, un vent de chaleur humaine et de fraternité a semblé l’emporter et rayonner sur notre pays.

    Le vol des corbeaux en a été comme suspendu.

     

    Depuis quand cela ne nous était-il pas arrivé ?

    Pourquoi devrions-nous cacher qu’avec toute l’émotion et la réflexion qu’il génère, ce moment nous fait du bien ?

    « Ils joignaient dans leur cœur l’espoir du temps qui vient/

    Et qui salue même de loin un autre temps. (…)

    Ils n’étaient que quelques-uns/

    Ils furent foule soudain »,

    écrit Paul Eluard, en 1944.

     

    Il ajoute « Ceci est de tous les temps ».

    De tous les temps en effet et du nôtre aussi, dont le principal problème semble être d’avoir perdu «le chemin de la lumière» cher à Missak le poète, perdu cette certitude de beaux lendemains qui faisaient dire à des résistants, juste avant que les balles ne les atteignent :

    « Nous vaincrons quand même. »

     

    Bien sûr, entre eux et nous beaucoup de choses se sont passées,

    pas forcément les meilleures, de la révélation des crimes staliniens aux dégâts provoqués par les cultes des personnalités et les distances souvent considérables entre les discours et les actes.

    S’ensuivirent l’effondrement de l’URSS et des systèmes dits du « socialisme réel » et le désarroi de nombre d’héritiers et d’héritières des valeurs de la Résistance.

    La force et l’unité des combats pour un monde meilleur se sont disloquées.

    « Il faut y voir clair et lutter sans défaut »,

    disait aussi Paul Eluard.

     

    Mais, pour le plus grand nombre, c’est un brouillard épais qui aujourd’hui domine tant sur les causes et mécanismes de ce qui nous arrive que sur les moyens d’y remédier.

    C’est aussi pour cela que le moment que nous venons de vivre est précieux.

    Il met au premier plan les valeurs collectives d’émancipation et de solidarité humaine,

    il valorise l’engagement sans compromission au service de convictions clairement affirmées.

    Il nous parle d’espoir.

    « Bonheur à tous ceux qui nous survivront »,

    écrivait Missak Manouchian, dans sa dernière lettre.

    Rendre le bonheur possible dans le monde d’aujourd’hui,

    c’est ce que nous lui devons

    ainsi qu’aux dizaines de milliers d’autres,

    « Morts pour la France ».


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  • Ukraine :

    après deux ans de guerre,

    le spectre de la défaite

     

    Depuis l’invasion par la Russie, le 24 février 2022, les Ukrainiens ont résisté malgré des pertes considérables. L’année 2023 a été marquée par plusieurs échecs et un enlisement du conflit. Certains observateurs craignent que l’essoufflement conduise à des défaites plus prononcées pour le pays lors de la troisième année de conflit.

     
     
     

    Depuis l’invasion russe, le 24 février 2022,

    729 jours de combats se sont écoulés.

     

    La fatigue et l’usure se font sentir parmi les troupes ukrainiennes et russes.

    Alors que les deux pays se dirigent vers une troisième année de guerre, les pertes – morts, blessés et disparus – dépasseraient le chiffre de 700 000, selon diverses sources de renseignements.

    Un fardeau énorme pour les deux sociétés.

    L’Ukraine, avec ses 40 millions d’habitants dont 10 millions partis en exil, en paie le prix fort.

     

    La fin d’un an de bras de fer

    Sur le terrain, malgré les échecs de la contre-offensive de Kiev au printemps, les gains russes comme à Avdiivka demeurent limités. Si certains anticipent un enlisement sur le long terme, d’autres observateurs, dont le général Olivier Kempf, directeur du cabinet de synthèse stratégique La Vigie, alertent sur un succès révélateur sur l’état des troupes ukrainiennes qui, « dans cette guerre d’usure, semblent davantage touchées par l’attrition que les Russes ».

    Le chercheur associé à Fondation pour la recherche stratégique poursuit : cette bataille « vient clore une année de bras de fer. En février 2023, les Ukrainiens sortaient de la reprise de la rive droite du Dniepr et de la saisie de positions à l’est de l’Oskil. Ils recevaient des matériels occidentaux en nombre et l’état d’esprit était fort optimiste. Chacun croyait à leur victoire. Puis il y eut la contre-offensive en juin, son échec patent dès le mois d’août, puis la reprise de la poussée russe dès octobre. La prise d’Avdiivka conclut donc un cycle qui a inversé les rapports de force et les perceptions ».

    Face à cette situation, si le soutien des Européens reste massif, à peine 10 % pensent désormais que l’Ukraine peut vaincre la Russie, selon une enquête de YouGov et Datapraxis pour le centre de recherche Conseil européen des relations internationales (ECFR). Le sondage diffusé ce 21 février par The Guardian, a été mené dans douze pays de l’Union européenne (Allemagne, Autriche, Espagne, France, Grèce, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Suède).

    L’un des auteurs du rapport, Mark Leonard, de l’ECFR, estime que la plupart des Européens « veulent désespérément empêcher une victoire russe » mais ne croient pas que Kiev puisse gagner militairement. L’argument le plus convaincant pour une opinion de plus en plus sceptique est que la poursuite de l’aide « pourrait conduire à une paix durable et négociée qui favorise Kiev (…) plutôt qu’une victoire de Poutine ».

     

    Vers un conflit gelé ?

    Les négociations entre les deux pays semblent peu probables. Dans un entretien accordé à la chaîne de télévision Rossiya 1, le 18 février, Vladimir Poutine a réaffirmé que « ce qui se passe » en Ukraine est une « question de vie ou de mort » pour la Russie. Le président russe a expliqué vouloir faire « comprendre notre état d’esprit, comprendre à quel point ce qui se passe autour de l’Ukraine est sensible et important pour notre pays ». Plusieurs diplomates constatent que l’impasse actuelle risque de déboucher sur un conflit gelé.

    L’efficacité des livraisons d’armes supplémentaires promises par les Occidentaux ne modifierait pas en profondeur le champ de bataille. « Rien de tout cela n’a en réalité vraiment fonctionné. Certains continuent aujourd’hui de fantasmer sur l’arrivée des F-16, mais leur apparition en 2024 ne devrait pas non plus changer le cours du conflit », note Igor Delanoë de l’Observatoire franco-russe.

    De son côté, le général Olivier Kempf se montre plus inquiet : « Il n’est aujourd’hui plus sûr que l’Ukraine puisse résister tout au long de 2024 en attendant que les prochains renforts (F-16 ou autres) arrivent et rééquilibrent le rapport de force (…). Car une guerre d’usure est une guerre de logistique. L’Ukraine manque de tout et l’Europe ne lui donnera pas tout cela, car cela aurait signifié une montée en puissance de l’appareil industriel. »

     

    Un bloc occidental soudé mais isolé

    Pour les États-Unis, l’invasion de l’Ukraine par la Russie représente toujours deux ans après une contrainte et une aubaine. Elle est intervenue alors que l’administration Biden voulait accélérer le « pivot asiatique » décidé sous la présidence de Barack Obama.

    Ce virage stratégique reposait sur un double constat : l’échec des guerres de Bush et une montée en puissance de la Chine supérieure à ce que les élites américaines avaient prévu dans les années 1990. Il vise à délaisser les « terrains » habituels (Europe et Moyen-Orient) afin de se concentrer sur l’Indo-Pacifique, épicentre de la rivalité entre les États-Unis et la Chine.

    Dès l’entrée des chars russes en Ukraine, Joe Biden décide de peser en faveur de Kiev tout en voulant éviter d’apparaître comme un cobelligérant face à la puissance nucléaire qu’est la Russie. Il tente, ces jours-ci, de faire avaliser par le Congrès une nouvelle aide de 60 milliards de dollars.

    Pour le président alors en fonction depuis un an, cette guerre est aussi le moyen de résumer la géopolitique mondiale en un conflit entre les démocraties et les régimes autoritaires, et d’englober dans cette dernière catégorie la Russie de Poutine, mais aussi et surtout la Chine de Xi Jinping.

    Côté européen, on a répondu dans le désordre, mais plutôt sur le registre d’un alignement atlantiste. Emmanuel Macron a multiplié les zigzags diplomatiques mais a finalement décidé que la France rejoindrait la cohorte des pays gonflant leurs budgets de défense.

     

    Avec ses récents propos sur l’Otan, Donald Trump a donné du grain à moudre aux adeptes d’une Europe de la défense, au premier rang desquels le président de la République. Face à la « menace russe », le « bloc » des pays occidentaux s’est donc à la fois ressoudé derrière le leadership américain, mais aussi isolé sur la scène internationale, en raison de son soutien inconditionnel au gouvernement de Benyamin Netanyahou.

     

    Le Sud global face à l’impasse de la guerre

    La résolution du 2 mars 2022 des Nations unies qui « déplore dans les termes les plus énergiques l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine » a été votée par 141 États ; seuls 5 s’y sont opposés (Russie, Biélorussie, Érythrée, Corée du Nord, Syrie) et 35 se sont abstenus dont la Chine, l’Inde, l’Iran et plusieurs États africains.

    Au-delà des chiffres, le nombre d’abstentions a retenu l’attention, notamment parmi les pays du continent africain. Et parmi ceux qui ont approuvé la résolution, très peu ont suivi la campagne de sanctions engagée contre la Russie par les États-Unis et les pays de l’Union européenne (UE).

    Deux ans après le déclenchement de la guerre en Ukraine, les positions des uns et des autres n’ont guère changé. Mais l’« apparition publique » de ce qu’on appelle le Sud global, en opposition à un Nord occidentalisé, n’est pas sans conséquence sur la marche du monde.

     

    Ce positionnement a sonné le glas de l’hégémonie des grands pays développés. « Ce sont les Occidentaux qui imposent leurs sanctions au reste du monde. Si vous ne ressentez pas à quel point cette politique-là fait monter un ressentiment contre nous, vous ne voyez pas arriver l’orage qui va s’abattre sur l’Europe », a même prévenu François Fillon, auditionné à l’Assemblée nationale, le 2 mai 2023.

    La réussite du sommet des Brics (Brésil, Russie Inde, Chine et Afrique du Sud) et son élargissement dans le cadre d’un processus visant à s’exonérer du dollar comme monnaie d’échange commercial et à contourner le Fonds monétaire international, a précisé les choses. Cette fracture entre les pays occidentaux et le reste du monde s’est aggravée depuis le 7 octobre, avec l’attaque sanglante du Hamas et la terrible réplique israélienne contre la population de Gaza.

    Une guerre menée avec le soutien des États-Unis et sans que les mêmes pays occidentaux ne prennent la moindre sanction contre Israël, comme ils ont pourtant su le faire avec célérité contre Moscou. Ce « deux poids, deux mesures » s’est transformé en affrontement de conceptions différentes des relations internationales.

    Que l’Afrique du Sud soit le pays qui a saisi la Cour internationale de justice face à un possible génocide en cours dans la bande de Gaza ne doit rien au hasard. Reste maintenant à savoir si cette dichotomie aura une influence sur le règlement de la guerre en Ukraine.


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  • Missak, Mélinée

    et les camarades au Panthéon

     

    Missak Manouchian a intégré mercredi le temple républicain, avec son épouse Mélinée, quatre-vingts ans après avoir été fusillé par les nazis. Avec lui, c’est toute la Résistance communiste et étrangère qui se voit honorée à la hauteur de son sacrifice pour libérer la France.

     
     
     

    Les communistes sont entrés au Panthéon.

    Le corps du résistant d’origine arménienne Missak Manouchian repose désormais avec celui de son épouse Mélinée dans le temple républicain. Vingt et trois autres noms ont été gravés dans la crypte. Vingt et trois autres résistants membres des FTP-MOI, exécutés eux aussi par les nazis avec Missak Manouchian, il y a quatre-vingts ans.

    Joseph Epstein, Marcel Rajman, Joseph Boczov, Rino Della Negra, Celestino Alfonso, Georges Cloarec, Olga Bancic… Vingt et trois noms pour honorer toute la Résistance communiste, qui n’était pas encore représentée au Panthéon, alors qu’elle a versé son sang sans compter. Vingt et trois noms qui célèbrent la part cruciale prise par les étrangers pour libérer la France du fascisme.

    Vingt et trois noms qui convoquent des parcours qui ne font qu’un : ici des ouvriers et des poètes ayant survécu au génocide des Arméniens, ici des juifs polonais, hongrois ou roumains déterminés à prendre les armes contre le nazisme, ici des Italiens ayant fui Mussolini. Là un Espagnol, ancien membre des Brigades internationales. Tous guidés par un idéal de liberté, d’égalité, de fraternité. Tous combattants de l’Internationale.

    Auraient-ils tous parié qu’ils seraient ainsi honorés, malmenés qu’ils furent leur vie durant ? Leur famille enfermée, déportée ou assassinée ? Leur demande de naturalisation rejetée ? Leur accueil refusé au moment de rejoindre la France, parqués dans des camps et déclarés indésirables après la guerre d’Espagne ? Leurs droits déchus avec l’ignoble statut des juifs sous Vichy ? Leur veste et leur cœur souillés par une étoile jaune ?

    Bien avant leur entrée au Panthéon, ces militants avaient trouvé leur dignité dans le combat. Dans le refus de se soumettre dans la cité comme à l’usine. Dans leur choix de la lutte armée contre l’occupant. Dans leur grandeur, même quand les nazis tentèrent sans y parvenir de les salir en les exposant sur une « Affiche rouge » pensée pour leur coller les mots de terroriste et d’indésirable à la peau.

    Le discours d’Emmanuel Macron

    Le Panthéon a repris des couleurs, à n’en pas douter, quand ils y sont entrés mercredi. Ce temple de la République n’a-t-il pas vocation, depuis la Révolution française, à accueillir les grands personnages de l’histoire ? Missak Manouchian y repose désormais, et avec lui la foule des résistants communistes et des FTP-MOI. Le président de la République a salué cette mémoire, convergeant vers l’édifice au bras de Léon Landini, ancien résistant des FTP-MOI.

    Emmanuel Macron a prononcé un beau discours. Si la politique qu’il mène n’est pas, loin de là, consacrée au respect des conquêtes issues du programme d’émancipation démocratique et sociale du Conseil national de la Résistance, ses propos, mercredi, étaient dignes de l’événement.

    Devant les colonnes du Panthéon, dos aux grands portraits des résistants et devant un large public venu communier, le chef de l’Etat rappelle avec justesse « l’odyssée » de Manouchian et de ses camarades. Il souligne le sens de leur engagement pour « l’Internationale de la liberté, de l’amour et du courage ». Des hommes et des femmes « convaincus qu’en France on ne peut séparer République et Révolution ».

    « Parce qu’ils sont communistes, ils ne connaissent rien d’autre que la fraternité humaine, enfants de la Révolution française, guetteurs de la révolution universelle », mesure-t-il, louant leur engagement antifasciste et fustigeant la police pétainiste qui organisa leur traque. « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? », s’interroge le président au sujet des destins de Manouchian et des autres, en reprenant le vers d’un poème de Louis Aragon. « Oui, s’ils sont libres », a-t-il répondu, ajoutant que « c’est ainsi que les grands hommes entrent au Panthéon ».

    Juste auparavant, l’artiste Patrick Bruel avait lu la bouleversante lettre envoyée par Missak à Mélinée avant d’être fusillé. « Je proclame que je n’ai aucune haine pour le peuple allemand ». « Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la liberté et de la paix de demain. »

    Le chœur de l’Armée française a interprété le Chant des partisans, appel à la révolte auquel les FTP-MOI avaient si bien répondu. Et puis le groupe Feu ! Chatterton a chanté l’Affiche rouge, le magnifique poème de Louis Aragon mis en musique par Léo Ferré, qui a tant fait pour la mémoire des 23 « étrangers et nos frères pourtant ».

    Avant la cérémonie, le PCF et la CGT s’étaient réunis avec des centaines de militants, rue de Plaisance, où a vécu le couple Manouchian. « Une petite rue toute simple, comme il y en a tant dans notre pays, une rue où frémissait un amour, une rue où grandissait un espoir, celui, formidable, de la Résistance à l’oppresseur et du triomphe de la liberté », mesure Fabien Roussel.

    Dans son discours, le secrétaire national du PCF s’adresse directement à Manouchian, qui dans sa dernière lettre avait écrit : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement. »

    « Regarde, Missak, combien tu avais raison, lui répond Fabien Roussel. À travers Mélinée et toi, c’est toute la mémoire de tes camarades, de Joseph Epstein, des FTP-MOI, que la Nation salue avec infinie reconnaissance. Celle de tous ces étrangers, Polonais, Roumains, Italiens, Arméniens, ces athées, ces croyants, ces juifs, ces catholiques, ces agnostiques, francs-maçons, unis pour défendre leur liberté, la liberté, celle de la Grande Révolution, celle de la République contre la nuit fasciste. »

     

    Ému, Fabien Roussel salue « cette cohorte fraternelle qui croyait si fort à l’unité du genre humain » et avait « l’internationalisme chevillé au corps ». S’adressant de nouveau à Missak, il lui lance : « Je veux avoir un mot particulier pour tes camarades juifs : ils furent si nombreux à tes côtés, malgré la haine plus féroce encore qu’ils devaient affronter à travers l’entreprise génocidaire des nazis et de leurs fidèles soutiens vichystes français. Avec toi, avec tous, au sein du PCF, ils étaient au combat pour la liberté, pour l’égalité, pour la grande fraternité́ humaine. »

    « Nous sommes fiers de l’appeler camarade », affirme aussi Fabien Roussel au sujet de Missak. « Car, dans la France des années trente, celle des ligues factieuses mais aussi celle du Front populaire, Missak Manouchian avait fait le choix de l’antifascisme et de la démocratie. Il fait le choix de rejoindre le Parti communiste. »

     

    La mémoire des résistants immigrés

    Alors que l’extrême droite, terrassée en 1945, remontre partout son odieux visage en Europe et dans le monde, comme en témoignent la présence scandaleuse de Marine Le Pen et Jordan Bardella devant le Panthéon, Fabien Roussel reprend son dialogue avec le héros communiste : « Dans ton poème Restons éveillés, dédié “aux travailleurs immigrés”, tu soulignes à quel point ceux-ci doivent se prémunir en permanence contre le poison des haines raciales. » À ses yeux, la panthéonisation de Manouchian « rend hommage à ces hommes et femmes qui, sans distinction d’origine, de couleur, de religion, firent le choix de s’unir contre l’occupant ». 

    Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, prend elle aussi la parole pour souligner que cette journée porte « un message universel qui signifie combien les idéaux d’égalité des droits, sans distinction de naissance, de croyance ou d’apparence, pour lesquels Manouchian et ses camarades ont donné leur vie, peuvent soulever le monde entier ».

    La syndicaliste rappelle comment la CGT, dans les années 1930 et 1940, a permis de « créer une solidarité de classe entre Français et étrangers ». Elle raconte qu’avant d’être secrétaire général de la CGT, Henri Krasucki commença à militer au sein de la MOI, choisissant ensuite d’entrer en résistance et d’intégrer la FTP-MOI, se liant d’amitié avec Marcel Rajman.

    Alors que 65 % des fusillés du Mont-Valérien étaient communistes, et qu’un tiers des fusillés étaient de la FTP-MOI, Sophie Binet insiste : ces résistants immigrés « sont souvent entrés clandestinement en France. Auraient-ils, aujourd’hui, le droit d’asile » ? Elle poursuit le parallèle, alors que Missak Manouchian a vu échouer ses deux demandes de naturalisation française : les FTP-MOI, « victimes de nombreuses discriminations, seraient-ils dans la même situation aujourd’hui » ?

     

    Le macronisme est évidemment visé, alors qu’une loi stigmatisant et limitant les droits des immigrés a été votée avec les voix du RN quelques semaines avant la panthéonisation de Manouchian. Sophie Binet insiste : « Sur les principes fondamentaux, sur le droit du sol, le droit d’asile et l’égalité des droits, il ne peut y avoir de « en même temps » et de compromission dans les calculs politiciens. »

    « Sans immigration, pas de Marie Curie, pas de Joséphine Baker, pas de Missak et Mélinée Manouchian », note la dirigeante de la CGT, citant quatre grands personnages qui désormais demeurent tous au Panthéon. Elle ajoute : « Sans immigration, pas de reconstruction d’après guerre, pas de croissance démographique et économique, pas de métissages et d’enrichissements culturels successifs. »

     

    « Les étrangers ont beaucoup fait pour la France  »

    Des citoyens de tous le pays sont venus se joindre aux hommages officiels pour cette journée historique. « La Résistance communiste est reconnue, elle a fait le plus profond des sacrifices », apprécie Baptiste, 33 ans, issu d’une famille républicaine espagnole par sa mère, alors que celle de son père a « connu l’Occupation nazie en Pologne ».

    « Manouchian était étranger, il s’est battu et il est mort pour la France », rappelle Yvette, venue avec son mari Jean-Claude, qui insiste : « Ils ont payé de leur vie leur combat contre l’extrême droite, et on se doit d’être à la hauteur. » Gérard, 83 ans, trouve l’événement « grandiose ». Handicapé, il a tenu à venir.

    Ludovic, 26 ans, a fait le déplacement depuis Marseille où il préside une association arménienne. « Manouchian, et l’ensemble des étrangers dans la Résistance, ont un apport universel. Les étrangers ont beaucoup fait pour la France », tient-il à rappeler, tout en fustigeant la présence de Marine Le Pen à l’hommage. « Heureusement que les panthéonisés de ce soir représentent l’antithèse absolue de l’extrême droite, qui ne doit pas se sentir si bien dans ses bottes », sourit Pauline.

    Plusieurs groupes scolaires convergent vers le Panthéon. Des militants se font confisquer leurs banderoles rouges et tricolores. « Nous sommes venus honorer l’un des nôtres et on nous interdit de tenir nos drapeaux », regrettent-ils. Dans l’assistance, Roger Zylberberg remonte le temps : « Un cousin de ma mère a été fusillé au Mont-Valérien, Jacques Grymbaum, 22 ans, car résistant, juif et communiste. Une partie de ma famille a été déportée, mon père a dû bouffer les timbres d’une organisation communiste quand la police française est venue chez lui. Ils ont pu partir juste avant la rafle du Véld’Hiv… » raconte-t-il avec émotion.

    « C’est l’histoire intime

    qui se mêle à celle, plus grande, de la nation »

    La veille de la panthéonisation, au Mont-Valérien, à Suresnes (Hauts-de-Seine), une autre cérémonie avait été organisée devant le cercueil de Manouchian. Quatre-vingts ans après sa mort sur place, pas de neige, mais une légère brume, qui confère au lieu une étrange mystique.

    Là où se tenaient les poteaux d’exécution, cinq projecteurs sont braqués vers le ciel. Louise, Nassim, Heylana, Lancelot, Zoé et 19 lycéens portent les portraits de Manouchian et de ses 23 camarades. Les adolescents ont reçu consigne de rester droits comme des piquets. Mais deux gamins ne résistent pas à l’envie de se retourner vers le chœur militaire, quand celui-ci entonne une émouvante Marseillaise, suivi d’un puissant Chant des partisans.

    Puis vient le temps de la veillée du corps, dans le silence grave du recueillement. Les ministres effectuent le premier « tour de garde ». La famille de Manouchian, dont sa petite-nièce Katia Guiragossian, suit, avant les élus du PCF Fabien Roussel, Cécile Cukierman et Pierre Ouzoulias.

    Le vice-président du Sénat, très impliqué dans le long chemin qui a porté Manouchian au Panthéon, retient difficilement ses larmes : son grand-père, le colonel André, fut un des chefs de la Résistance à Paris. Fabienne Meyer, cousine germaine de Marcel Rajman, fusillé avec Manouchian, se recueille en famille. « C’est l’histoire intime qui se mêle à celle, plus grande, de la nation », confie-t-elle, émue. Elle ajoute : « J’aimerais que les mots “étranger” et “juif” apparaissent plus souvent, c’est une dimension essentielle de leur combat. Voilà pourquoi la présence du RN au Panthéon ne passe pas. »

    Le cercueil rejoint la crypte, où reposent dix-sept compagnons de la Libération. Jusqu’à minuit, le public est invité à rendre hommage à Missak Manouchian. Sarah fait partie de ces veilleurs anonymes. Elle est venue par curiosité : « J’ai appris beaucoup de choses en lisant la presse récemment. C’est une très belle cérémonie. »

    Plus loin, une femme acquiesce : « Je me recueillerai sur le cercueil en pensant à mon grand-père, résistant communiste, qui s’est battu pour les FTP. » Quand minuit arrive, les portes se ferment. Une nouvelle nuit d’un sommeil infini ; la promesse, à l’aube, d’une reconnaissance éternelle.


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  • Étrangers, communistes et amoureux de la France

    « Juifs, métèques, communistes » :

    qui étaient les FTP-MOI,

    ces étrangers amoureux de la France

    L'Humanité >>>>>

     

     

    C’est un film d’archives qui révèle de nouveaux détails prouvant l’attachement des résistants étrangers communistes à la France.

    La preuve ?

    Ils ont donné leur vie pour elle, rappellent l’historien Denis Peschanski et le réalisateur Hugues Nancy.

    « Manouchian et ceux de l’Affiche rouge »
    mardi 20 février à partir de 21 h 10 sur France 2.

    Fin connaisseur de l’histoire du communisme, en France plus particulièrement, Denis Peschanski travaille depuis quarante ans à mettre en lumière la Résistance à l’occupation allemande.

    Avec le réalisateur et scénariste Hugues Nancy (Nous les ouvriers, Colonisation, une histoire française), il raconte, à l’occasion de l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian, accompagné de Mélinée, l’engagement des Francs-tireurs et partisans-Main d’œuvre immigrée (FTP-MOI), ces « étrangers et nos frères pourtant » qui ont donné leur vie pour un idéal de liberté.

     

    L’histoire peut sembler familière.

    Résumons-la.

    Missak, jeune orphelin du génocide arménien, va « développer un amour pour la langue de Molière, un attachement a la France des droits de l’homme, de la Révolution française » dans un orphelinat libanais, raconte Denis Peschanski.

    Il arrive en 1924 dans une France en manque de bras. « Arménien, réfugié, communiste à partir du début des années 1930 et donc internationaliste, il est aussi chrétien : avant d’être exécuté, il a communié. » Une pluralité d’identités partagée avec ses camarades, qui contredit la version officielle du militant communiste granitique.

    Manouchian demandera deux fois la nationalité française

    Car avant même la fidélité au Parti communiste et à ses idéaux, c’est leur amour de la France qui prime chez ces étranges étrangers. Hugues Nancy a été particulièrement « frappé par la prépondérance de la Révolution française dans leur imaginaire ».

    Dans le film, on voit des images d’un album de photos prises par les prisonniers du camp de rétention de Gurs, dans les Pyrénées-Atlantiques, à la frontière espagnole : « En 1939, les anciens brigadistes fêtaient les 150 ans de la Révolution » alors qu’eux-mêmes étaient en rétention administrative…

    Mieux, les recherches pour le film ont révélé qu’avant d’entrer en clandestinité, Manouchian « a demandé deux fois sa naturalisation pour pouvoir s’engager dans l’armée », rappelle Denis Peschanski. « C’est important symboliquement, quand on parle de l’entrée au Panthéon d’un étranger, communiste et amoureux de la France », complète Hugues Nancy.

    L’histoire recèle donc encore des détails que seul le travail minutieux des historiens pouvait révéler.

    La documentaliste, Hélène Zinck, a fait un « travail remarquable », insiste le réalisateur. C’est elle qui, par exemple, a trouvé dans les archives de la préfecture de police un autre album « absolument incroyable : les Allemands y recensent à la fois les attentats réels des FTP-MOI et des reconstitutions qu’ils avaient faites eux-mêmes pour en garder la trace ».

    L’historien, lui, met en avant « les agendas de la brigade spéciale numéro 2 des renseignements généraux, qui permettent une vision complète de l’importance politique et militaire de leur action ». La période, souvent traitée à la télévision, peut rendre le traitement en images un peu redondant, « mais la manière de les monter donne le sentiment de les redécouvrir ».

     

    « Ils sont rentrés dans l’histoire grâce à cette affiche, puis grâce à Louis Aragon »

    Le document qui donne son nom au film, l’Affiche rouge, est pour sa part devenu une icône de la Résistance et de l’histoire communiste. Car cette opération de propagande « destinée à montrer que la résistance est le fait des juifs, des métèques, des communistes, dans une thématique classique dénonçant le judéo-bolchevisme », précise Peschanski, s’est retournée contre les Allemands (et le Centre d’études anti-bolcheviques, mise en œuvre par des Français pour le compte de l’occupant).

    Elle a suffi à « déclencher de la sympathie » chez les Parisiens et les Français qui n’en pouvaient plus de cette occupation. « Ils sont rentrés dans l’histoire grâce à cette affiche, puis grâce à Louis Aragon. Mélinée la première a dit que s’il n’y avait pas eu l’affiche, sans doute aurait-on oublié Missak et ses camarades », rappelle l’historien. « Elle avait raison : cette affiche a symbolisé le combat des FTP-MOI. Ils sont devenus des héros grâce à elle. »

     

    Manouchian et ceux de l’Affiche rouge racontent « l’engagement communiste de ces jeunes gens qui voulaient changer le monde » et aussi « la façon dont le PCF les a accueillis » dans des structures dédiées aux étrangers qui « permettaient leur intégration ».

    Au final, il rappelle surtout – c’est toujours utile alors que le gouvernement actuel attaque le droit du sol et qu’on remet en cause les lois sur l’immigration – « la chance que sont les réfugiés politiques : une richesse pour le pays d’accueil », estime Hugues Nancy : « Ils sont la démonstration qu’on peut être réfugié et le premier à se battre pour la France et à mourir pour elle. »

    Manouchian et ceux de l’Affiche rouge, France 2, 21 h 10


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  • Au Mont-Valérien, une mémoire encore à découvrir

     

    Avant le Panthéon, le cercueil de Missak Manouchian passera la nuit de mardi à mercredi 21 février dans la crypte du Mont-Valérien, comme un retour triomphal à l’endroit de son exécution. L’occasion de découvrir ce haut lieu de mémoire, longtemps resté fermé au public.

     

     
     
    Durant la Seconde Guerre Mondiale, le Mont-Valérien a été le principal lieu d'exécution en France de résistants et d'otages.

     

    En pénétrant dans la clairière des fusillés,

    les murmures de la ville s’estompent.

    Au loin, la tour Eiffel et les gratte-ciel de la Défense découpent l’horizon. Mais Paris fait silence. Comme si le lieu imposait gravité et solennité, que seuls quelques piaillements d’oiseaux viennent troubler.

    Ici, à Suresnes, au sommet du Mont-Valérien, Missak Manouchian a été exécuté par les nazis, avec 21 de ses camarades des FTP-MOI. C’était un après-midi enneigé, le 21 février 1944. Quatre-vingts ans plus tard, le cercueil du résistant communiste arménien revient, ce mardi 20 février, à l’endroit de son exécution, sur cette imposante colline des Hauts-de-Seine, en surplomb de l’Ouest parisien.

    Missak Manouchian refera le parcours du jour de sa mort, mais cette fois victorieux, escorté par des représentants militaires, en présence de responsables du PCF, dont le secrétaire national Fabien Roussel. Il passera la nuit dans la crypte derrière le mémorial, avant d’entamer sa route vers le Panthéon, où il reposera avec son épouse Mélinée.

    Le moment sera important pour la mémoire communiste. Mais aussi pour le Mont-Valérien lui-même. Le lieu est longtemps resté quasiment fermé au public, réservé au recueil des familles des victimes et aux cérémonies commémoratives à tonalité gaulliste, notamment l’appel du 18 juin. Désormais, des visites guidées sont possibles. En 2023, 33 000 visiteurs, pour moitié des scolaires, ont arpenté l‘endroit.

     

    Un lieu mémoriel et un fort militaire

    « Jusqu’en 2010, le site était entouré de barrières et il fallait envoyer un fax aux autorités pour obtenir l’autorisation de visite », relate Jean-Baptiste Romain. Dans son impeccable costume vert olive, le directeur des hauts lieux de la mémoire en Île-de-France se fait guide pour l’Humanité.

    Il ambitionne de faire du Mont-Valérien un lieu mémoriel de premier ordre en France comme en Europe, dans les pas de son prédécesseur Antoine Grande, l’artisan de l’ouverture au public du site. La semaine du 21 février, ce féru d’histoire ne « dormira pas beaucoup » pour s’assurer que la cérémonie soit la plus réussie possible, confie-t-il avec le sourire du passionné.

     

    Mais pourquoi le Mont-Valérien est-il resté si longtemps verrouillé ?

    Le fait que les espaces mémoriels – l’esplanade, la crypte et la clairière des fusillés – soient très proches du fort militaire érigé en 1846, où quelques centaines de soldats opèrent toujours sous la protection de caméras et de barbelés, y est sans doute pour quelque chose. Mais pas seulement.

     

    Sur les 1 009 fusillés de 22 nationalités différentes recensés au Mont-Valérien, 65 à 70 % des victimes étaient communistes, parmi lesquels Gabriel Péri, journaliste à l’Humanité, député et résistant. Pourtant, le PCF s’est longtemps désintéressé de ce lieu, préempté par Charles de Gaulle.

     

    En 1960, le général fait ériger à l’entrée du Mont le mémorial de la France combattante, incarné par une immense croix de Lorraine en pierre. C’est à son ombre que la visite débute, là où brûle la « flamme éternelle de la Résistance ». Difficile de ne pas se sentir écrasé par l’imposante mystique gaulliste. « Les communistes se sont concentrés sur d’autres sites consacrés à la mémoire, comme le musée de la Résistance nationale à Champigny-sur-Marne », explique Jean-Baptiste Romain.

    Le directeur enfonce une petite clé dans la porte dorée à gauche de la croix de Lorraine et pénètre dans la crypte. Les pas résonnent dans la semi-pénombre. Seize cénotaphes (tombeaux vides) de résistants se déploient, recouverts des trois couleurs de la nation. Les corps sont enterrés en dessous.

    En 2021, Hubert Germain, dernier compagnon de la Libération, y a trouvé sépulture. Mais les communistes en sont absents. « En passant la nuit du 20 au 21 février ici, Manouchian réconcilie ces mémoires de la Résistance », souligne Jean-Baptiste Romain.

     

    La résistance des agents communaux

    Un long escalier en marbre conduit ensuite vers l’extérieur et la clairière. Le visiteur prend de la hauteur et a panorama sur la région parisienne. Difficile d’imaginer qu’il y a quatre-vingts ans, en lieu et place de cet océan de béton, s’étendaient de vastes étendues maraîchères. Le fort militaire était ainsi isolé de la ville, tout en ayant une vue imprenable sur la campagne, rendant vaine toute tentative de s’en échapper.

    Jean-Baptiste Romain marque le pas avant la clairière et embrasse le lieu d’un ample geste du bras : « Les Allemands veulent, pendant la guerre, que le Mont-Valérien et ce qu’il s’y passe soient connus. Il a vocation à dissuader d’entrer en résistance et la presse collabo va relayer cette propagande. » À gauche, la montagne suresnoise a déjà tissé sa légende noire. Lors de la bataille de Rueil, en avril 1871, les canons versaillais ont massacré l’armée communarde qui tentait de prendre le fort.

    À quelques mètres, une grille noire barre une route de terre. Celle que les camions allemands empruntaient en quittant le Mont-Valérien, chargés des dépouilles des fusillés pour aller les disséminer dans les cimetières de la région parisienne, en particulier à Ivry. Les corps de Missak Manouchian et de ses camarades ont, eux aussi, pris cette route.

     

    À partir de 1943, la préfecture de police de Paris réclame que les fusillés soient enterrés anonymement, de peur de créer des lieux de mémoire, des tombes de martyrs qu’on viendrait fleurir. Consigne est donnée de n’en garder aucun registre. Les agents communaux n’en feront rien et vont désobéir. Une sorte de résistance de basse intensité, qui pourtant pouvait coûter très cher, et qui a permis, à la fin de la guerre, aux familles de retrouver les leurs et aux historiens de faire leur travail.

     

    Qu’ont pensé les camarades de l’Affiche rouge, quelques secondes avant que les fusils allemands ne crachent leur feu ?

    Impossible à savoir. En revanche, l’endroit exact de l’exécution est connu, grâce à une série de trois photographies, les seules images de fusillades au Mont-Valérien existant à ce jour, montrées sur le parcours.

     

    Ces clichés, dont on ne sait pas encore avec certitude s’ils ont été pris en secret ou à la vue de tous, ont pour auteur l’allemand Clemens Rüther, conducteur de convois de prisonniers. Ce sous-officier, que certaines sources décrivent comme catholique et antinazi, a gardé secrètes ses photos pendant quarante ans.

    Puis, la culpabilité, peut-être, ou l’envie de se débarrasser de ce legs encombrant, qui sait, l’ont poussé à les confier à un comité pour la mémoire.

    L’avocat chasseur de nazis Serge Klarsfeld contribue à les authentifier, dans les années 2000. Manouchian n’y apparaît pas mais certains FTP-MOI si, dont Marcel Rajman et Celestino Alfonso.

     

    La chapelle et ses graffitis

    Le peloton d’exécution, lui, se tenait à quelques mètres, là où une grosse dalle en pierre commémore les « 4 500 résistants fusillés par l’ennemi » au Mont-Valérien. Un chiffre erroné, fruit d’une sorte de consensus officieux après guerre, qui satisfaisait à la fois le récit gaulliste et celui, communiste, du « parti des 75 000 fusillés ».

    La visite s’achève dans une petite chapelle, à une soixantaine de mètres du pas de tir. Jean-Baptiste Romain recontextualise : « Le Mont-Valérien n’était pas une prison, les condamnés n’y dormaient pas. Manouchian a passé sa dernière nuit à Fresnes. En revanche, ils attendaient dans cette chapelle d’aller à la mort. » Parfois, les nazis tuaient jusqu’à 80 personnes en une journée. Notamment en 1942.

     

    En témoigne la vertigineuse liste de noms égrenés sur le monument aux morts en forme de cloche, œuvre du plasticien Pascal Convert. Près d’un tiers des fusillés ont été exécutés cette seule année. Depuis la chapelle, ceux qui patientent entendent les coups de feu et les camarades qui tombent comme des mouches – le rythme presque industriel de la barbarie nazie.

    Sur les murs de l’édifice religieux, que l’humidité, inlassable, ronge au point de nécessiter plusieurs restaurations par an, des messages laissés pendant la guerre par certains prisonniers sont encore lisibles. « FTP – France d’abord », « Vive la France, vive l’URSS »…

    En tout, 23 graffitis ont été laissés. Comme un clin d’œil aux 23 des FTP-MOI, même s’ils n’en sont pas les auteurs.

    Cette nuit, tous les fantômes du Mont-Valérien veilleront sur Missak Manouchian.


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  • Manouchian, loi immigration, RN... 

    Emmanuel Macron face à l’Humanité

     

    À l’occasion de l’entrée au Panthéon, le 21 février, des résistants communistes Missak et Mélinée Manouchian, le président de la République a répondu aux questions de l’Humanité.

    Une première pour notre titre.

    Et l’occasion inédite de l’interroger sur ses conceptions de la nation, de l’immigration et sur sa responsabilité dans la montée de l’extrême droite.

     

    Maud Vergnol Cyprien Caddeo Emilio Meslet Rosa Moussaoui
     
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    Emmanuel Macron a répondu aux questions des journalistes de l'Humanité, le 16 février 2024, à l'Elysée.

    C’est une première qui n’allait pas de soi.

    En cent-vingt ans d’histoire, l’Humanité n’avait jamais réalisé d’entretien avec un président de la République en exercice.

    Pourtant, vendredi 16 février, en fin de matinée, quatre de nos journalistes se sont rendus à l’Élysée pour interviewer Emmanuel Macron.

    L’entrée de Missak et Mélinée Manouchian au Panthéon parachève la reconnaissance par la nation de la Résistance communiste étrangère.

    Un geste mémoriel inédit, essentiel, bien qu’en contradiction complète avec la politique conduite par Emmanuel Macron : une politique ultralibérale, antisociale, qu’une majorité de Français juge autoritaire et que nous dénonçons chaque jour dans nos colonnes.

    Le récit élyséen entend faire de ces résistants des martyrs portés par le seul amour de la patrie : ils étaient antifascistes, internationalistes.

    Avec la mémoire de Missak Manouchian pour fil rouge, cet entretien déplie une vision de la nation, de l’immigration, du combat contre l’extrême droite, de la question sociale en complète rupture avec les convictions, les principes qui guidaient les immigrés des FTP-MOI.

    À nos questions sans concession, le président de la République répond sans détour, en défendant pied à pied sa politique. Dans cet échange vif et franc, Emmanuel Macron est resté fidèle à lui-même. L’Humanité aussi.

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    Mercredi 21 février, avec Missak Manouchian, résistant étranger, apatride, la Résistance communiste entrera enfin au Panthéon. Comprenez-vous que votre choix surprenne, tant son combat paraît aux antipodes de votre projet politique ?

    Non, car ses combats rejoignent les idéaux républicains. Pour la seconde fois, après Joséphine Baker, un « Français de préférence » entre au Panthéon. Ce choix correspond à l’idée républicaine et est cohérent avec la politique à laquelle je crois. C’est une façon de faire entrer toutes les formes de la Résistance intérieure, dont certaines trop longtemps oubliées.

    Soixante ans après Jean Moulin, la panthéonisation de Missak Manouchian et de ses camarades est un acte de reconnaissance des FTP-MOI et de tous ces juifs, Hongrois, Polonais, Arméniens, communistes, qui ont donné leur vie pour notre pays. C’est pour cela aussi, au-delà de Manouchian et de ses camarades, que j’ai fait reconnaître « Morts pour la France » les résistants fusillés du Mont-Valérien.

     

    Vous reprenez les mots d’Aragon, « Français de préférence », mais pour leur faire dire l’inverse de ce que le poète avançait avec le vers « Nul ne semblait vous voir français de préférence »…

    Je ne mets pas de virgule après Français. Ces « Français de préférence » sont les Français de choix et de sang versé. Ils étaient apatrides car le droit français et européen ne permettait pas de reconnaître ces destins dans la République. Ce n’est qu’à l’issue de la Seconde Guerre mondiale que la France a reconnu le droit d’asile sous la forme que nous connaissons.

    Lors du 75e anniversaire du débarquement en Provence, j’ai souligné le rôle des non-Français, venus du continent africain, qui ont participé à la libération du pays. C’est une façon de regarder autrement notre histoire, d’inventer une autre relation avec nos compatriotes dont les familles viennent d’ailleurs. C’est reconnaître ce qui fait le cœur de la nation.

     

    Vous insistez sur son engagement patriotique. Manouchian aimait la France, non pas tant pour son « long manteau de cathédrales » que pour ce qu’elle représentait à ses yeux : « La patrie des droits de l’Homme », héritière de la Révolution française. Les 23 du groupe Manouchian étaient résolument engagés dans la lutte antifasciste et internationaliste. Que faites-vous de cette dimension de leur combat ?

    Elle est centrale. La cérémonie de mercredi, avec la remontée de la rue Soufflot, marquera trois temps pour scander les trois grandes étapes de la vie de Manouchian. Il est d’abord enfant du génocide arménien, que la France a reconnu. Il était aussi ouvrier, internationaliste, communiste, poète. Il a d’ailleurs écrit un poème pour votre journal. Et il fut ce grand résistant, prenant tous les risques pour ses idéaux jusqu’à périr sans « aucune haine ».

     

    Marine Le Pen a reçu une invitation protocolaire comme présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale pour assister à la cérémonie. Cette panthéonisation aura-t-elle du sens si l’héritière politique des bourreaux de Manouchian est là ?

    Mon devoir est d’inviter tous les représentants élus par le peuple français. Est-ce au président de la République de dire qu’un élu du peuple français siégeant au Parlement est illégitime ? Non. Le président de la République n’a pas à faire le tri entre eux.

    Comme pour l’hommage à Robert Badinter dont les élus du RN étaient absents, l’esprit de décence, le rapport à l’histoire devraient les conduire à faire un choix. Je combats les idées du RN et je l’ai même défait par deux fois. Les forces d’extrême droite seraient inspirées de ne pas être présentes, compte tenu de la nature du combat de Manouchian. Mais je ne vais pas, moi, par un geste arbitraire, en décider.

     

    Par ces propos, ne contredisez-vous pas votre premier ministre Gabriel Attal lorsqu’il affirme que « l’arc républicain, c’est l’Hémicycle » ?

    L’Assemblée nationale accueille toutes les forces élues par le peuple. Est-ce que toutes adhèrent à la République et ses valeurs ? Non. C’est aussi vrai pour des groupes d’extrême gauche.

     

    Vous les mettez sur le même plan, sérieusement ?

    J’estime que, par leurs positions, certaines personnalités de la France insoumise combattent les valeurs de la République. Même si je ne pose pas d’équivalence entre les deux extrêmes. Je n’ai jamais considéré que le RN ou Reconquête s’inscrivaient dans l’« arc républicain ».

    Le RN est à l’Assemblée, ses députés votent les lois et l’Assemblée nationale leur a confié des responsabilités. On ne peut pas en faire abstraction. En revanche, j’ai toujours considéré, comme avec la loi immigration, que les textes importants ne devaient pas passer grâce à leurs voix. Ce distinguo suffit à dire où j’habite.

     

    Entre 2017 et 2022, Marine Le Pen a gagné plus de 2,5 millions de voix. Vous disiez vouloir tout faire, pendant votre quinquennat, pour que les électeurs n’aient « plus aucune raison de voter » pour elle. Quelles leçons tirez-vous de cet échec ?

    Ce serait un échec si Marine Le Pen était ici à ce bureau à vous parler.

     

    Il n’est pas impossible que cela arrive en 2027, bien que nous n’irions pas l’interroger…

    Je n’ai pas l’esprit de défaite. Si je n’avais pas été au second tour en 2022, elle aurait sans doute eu plus de chances de l’emporter. La capacité à unir des démocrates sociaux jusqu’à la droite pro-européenne et raisonnable était la condition pour accéder au second tour et la défaire.

    À qui la responsabilité ? Des politiques très à gauche menées dans les années 1980 ont conduit à l’entrée, à l’Assemblée, du Front national, résolument antisémite et négationniste, ce que n’est plus ouvertement le RN. Tout cela doit conduire à l’humilité.

    La désindustrialisation comme le sentiment de déclassement ont nourri l’extrême droite. Nous avons commencé à y répondre avec la baisse du chômage et le début de la réindustrialisation. C’est un long processus.


     
     

    Admettez que cela ne se traduit pas dans les urnes…

    Regardons autour de nous. Quand je suis élu en 2017, l’AfD n’existe quasiment pas en Allemagne. Elle est aujourd’hui la deuxième force du pays. L’extrême droite a flambé en Espagne et en Pologne, elle a gagné en Italie et aux Pays-Bas.

    Le sentiment de perte de contrôle alimente le RN. Beaucoup de ses électeurs considèrent l’Europe comme un monde trop ouvert, trop compliqué. Donc la formule magique serait le retour au nationalisme.

     

    Le sentiment de déclassement se nourrit aussi de la montée des inégalités, qui ont explosé depuis 2017. Vous avez stigmatisé « ceux qui ne sont rien », vous êtes vu comme le président des riches et un ministre sur deux est millionnaire. N’est-ce pas le meilleur carburant pour l’extrême droite ?

    Je récuse cela factuellement : les inégalités n’ont pas explosé. L’Insee a même documenté le contraire en rappelant que nos mesures ont permis de soutenir le revenu des ménages, en particulier des plus modestes, d’abaisser le taux de pauvreté de près d’un point en 2022 et d’augmenter de 3,3 % le niveau de vie des 10 % les plus modestes.

     

    Nous avons réarmé les services publics. Nous avons dépensé plus de 60 milliards pour l’hôpital, augmenté les salaires des infirmières, des aides-soignants et des médecins, mais aussi des professeurs, comme jamais depuis 1990.

    Je veux bien qu’on me reproche une politique libérale qui aurait creusé les inégalités, mais j’ai augmenté de façon inédite les budgets de l’éducation nationale, de la santé, de la justice et de la sécurité. Grâce à tout cela, la France est un des pays au monde où les inégalités après redistribution sont les plus faibles.

     

    Après sept ans au pouvoir, vous n’auriez aucune responsabilité dans la montée de l’extrême droite ?

    Je ne dis pas que j’ai tout réussi. Nous avons tous des responsabilités, mais la caricature que vous faites de ma politique est fausse. Les chiffres le prouvent.

     

    L’Insee recense 9,1 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté, soit 14,5 % de la population…

    Cette situation prévalait auparavant. Nous avons traversé la pandémie de Covid, le choc lié à la guerre en Ukraine, la crise de l’inflation… et nous avons réussi à protéger les Français pour sauvegarder leur pouvoir d’achat, notamment celui des moins favorisés. Chez nos voisins, c’est bien pire.

    Les chiffres que vous citez sont ceux de la pauvreté relative, c’est-à-dire que c’est parce que les revenus ont progressé de manière historique que le seuil de pauvreté s’est fortement élevé. Dans notre pays, les forces d’extrême gauche proposaient un Smic à 1 400 euros ; nous y sommes.

    Depuis 2017, le Smic a progressé de près de 20 %. Pendant la crise de l’inflation, les données montrent que le pouvoir d’achat des classes moyennes a été soutenu plus que dans d’autres pays. Il est donc faux de dire que ma politique serait antisociale.

     

    En 2022, dans votre interview du 14 Juillet, vous expliquiez qu’« une nation, c’est un tout organique ». On pense à Barrès, avec la Terre et les morts. Deux ans plus tôt vous repreniez – à propos de la sécurité – l’opposition maurrassienne entre le « pays légal » et le « pays réel ». Vous parlez aussi de « décivilisation »… Pourquoi emprunter le langage de l’extrême droite ?

    Sur le « tout organique », Jaurès et Péguy ont dit la même chose… Je déteste cette façon de raisonner par contiguïté. Ce n’est pas parce que quelqu’un avec lequel vous n’êtes pas d’accord utilise un mot qu‘il lui appartient.

    Le processus de civilisation est un concept de Norbert Elias. Vous êtes parfois de drôles de censeurs. Vous finissez par voir le monde avec le référentiel de l’extrême droite. Il ne faut pas lui laisser la capacité à nommer le réel. On me fait un procès totalement fou.

     

    Avec l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon, la République reconnaît que l’immigration, en l’occurrence irrégulière, fait la France. Cela intervient deux mois après le vote de la loi à l’occasion de laquelle vous avez déclaré que « la France a un problème d’immigration ». Est-ce qu’on ne touche pas là aux limites du « en même temps » ?

    Pas du tout. Il s’agit de reconnaître ce que des apatrides qui fuyaient un génocide ont pu apporter à notre pays et, en même temps, de contrôler les frontières. Du temps de Manouchian, la France contrôlait ses frontières.

    Parmi les FTP-MOI, d’autres sont venus pour des raisons économiques…

    Cela a toujours été le cas dans notre pays et cela continuera. Je n’ai jamais dit pour ma part que j’étais contre l’immigration. Une chose est de dire que l’on veut maîtriser le phénomène migratoire, ce qui me semble légitime, une autre est de donner sa place à chacun.

    Quand Manouchian est arrivé en France, l’asile sous la forme actuelle, née de la Seconde Guerre mondiale, n’existait pas. Il serait aujourd’hui protégé par la République. C’est là que nous avons un vrai désaccord. Dans le débat politique sur la loi immigration, vous avez voulu me mettre dans un camp, ce que je récuse. J’ai toujours défendu le droit d’asile. Le texte est très clair à ce sujet.

     

    Pourtant, des personnes fuyant des pays en guerre sont déboutées du droit d’asile…

    C’est à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides – NDLR) d’en juger. Très peu de demandes sont refusées, les taux sont énormes.

    Seulement 42 % des dossiers acceptés…

    Beaucoup plus dans les pays en guerre ! Et le tout est sous le contrôle du juge ! Il est légitime de vouloir préserver ses frontières, surtout dans un pays où le modèle social est très généreux, où il faut préserver la cohésion de la nation. La France a constitutionnalisé le droit d’asile en Europe. Je le défends et je le défendrai, en dépit des attaques de l’extrême droite et d’une partie de la droite.

    Notre système est devenu totalement inefficace pour lutter contre l’immigration clandestine. Cent vingt mille demandes d’asile ont été formulées l’année dernière et, en attendant, les personnes qui sont sur notre sol ont accès à l’hébergement inconditionnel, à la scolarisation de leurs enfants et aux premiers soins.

    On peut me faire tous les procès du monde, mais lorsque j’ai été élu en 2017, nous n’avions que 96 000 places d’hébergement d’urgence. Aujourd’hui, il y en a 200 000, avec plus de 2 milliards d’euros investis. Plus de 60 % de ces places sont occupées par des personnes en situation irrégulière. La République est à la hauteur de ce qu’elle doit faire. Mais nos procédures étaient trop complexes et trop lentes. Le texte de loi vise à réduire leurs délais.

     
     

    Vous avez qualifié la loi immigration de « bouclier qui nous manquait ». Un bouclier contre quoi exactement, contre qui ?

    Contre les passeurs et les réseaux d’immigration clandestine qui prospèrent sur la misère du monde, en particulier sur le continent africain… Cette loi, associée au pacte asile et immigration finalisé au niveau européen, démantèle leurs réseaux qui profitent de la faiblesse de notre droit.

    Pensez-vous vraiment qu’un seul passeur libyen va cesser ses activités parce que la loi immigration a été adoptée ?

    Elle va nous permettre de débouter plus vite des gens auxquels ils font de fausses promesses. Cela permet une attrition de la source, avec ce signal : vous pouvez venir en France, mais par les voies régulières, avec un visa. Pour la cohérence de notre pays, nous devons être fermes car l’immigration clandestine provoque un sentiment de perte de contrôle, celui de ne pas maîtriser nos frontières.

    Vous dites que l’immigration menace la cohésion de la nation ?

    Vous n’êtes pas précis. Oui, s’il s’agit de l’immigration clandestine. Si elle n’est pas maîtrisée, elle menace la cohésion de la nation.

    En quoi ?

    La nation, ce sont des droits et des devoirs. Si elle est ouverte à tous les vents, que les immigrés irréguliers peuvent avoir accès à des droits sans y contribuer, qu’est-ce que cela produit ? Pourquoi croyez-vous que les classes populaires se tournent vers le RN ? Ne laissez pas le combat contre l’immigration clandestine à l’extrême droite.

    « Acceptez et reconnaissez que je porte une politique qui n’est pas celle de l’extrême droite. »

    Emmanuel Macron

    Ce combat est républicain. Acceptez et reconnaissez que je porte une politique qui n’est pas celle de l’extrême droite. Je n’ai jamais eu un mot contre l’immigration. Mais vous ne pouvez quand même pas défendre l’immigration clandestine…

     

    Bien des FTP-MOI étaient des clandestins…

    Vous parlez d’un temps où l’asile n’existait pas. Manouchian ne serait pas expulsé aujourd’hui, il aurait à la seconde la protection de la République, puisqu’il venait d’un pays frappé par un génocide.

    Mais aucun républicain digne de ce nom ne peut défendre l’immigration clandestine et l’absence de règles. Cela ne signifie pas que nous cesserons d’accueillir en France. Ce texte de loi va permettre des milliers de régularisations.

    À la discrétion des préfets…

    Mais heureusement ! Le préfet, c’est l’État.

    Ce n’est pas ce que prévoyait le texte initialement proposé par le gouvernement.

    Un droit opposable à la régularisation n’aurait pas de sens. Le texte initial n’était pas assez précis. Dix mille personnes travaillent aujourd’hui sur notre sol et ne sont pas régularisables. Elles le seront grâce à la loi. C’est un bon texte.


     
     

    Un texte que Marine Le Pen tient pour une « victoire idéologique »…

    C’est, je l’ai dit, une manœuvre de garçon de bain, et tout le monde est tombé dans le panneau. Marine Le Pen affirmait, à la veille du vote, que si la loi prévoyait des régularisations, elle ne la voterait jamais. Finalement, elle a fait le coup du sombrero et tout le monde s’est fait avoir.

    Elle n’a rien défendu de ce texte. Elle combat les régularisations : la loi immigration les facilite pour les métiers en tension. Elle prône la préférence nationale : rien dans ce texte n’en relève. Elle refuse la scolarisation des enfants d’étrangers : nous les scolarisons.

    Pour toutes ces raisons, j’estime qu’en insinuant que tout se vaut, vous êtes dangereux. Je me permets de vous le dire parce que vous l’affirmez suffisamment à mon propos dans vos colonnes ! Je lis l’Humanité tous les matins. Vous êtes injustes avec le combat que je porte et vous accréditez l’idée selon laquelle je mènerais une politique d’extrême droite.

    Le ministre de l’Intérieur annonce la fin du droit du sol à Mayotte. Pourquoi cette atteinte à un principe fondateur de la nation française ?

    Il ne faut pas se focaliser uniquement sur le droit du sol. C’est un département français au cœur des Comores. Des familles y circulent et arrivent en France, via Mayotte, où elles ont accès à des prestations complètement décorrélées de la réalité socio-économique de l’archipel. Cela provoque un énorme appel d’air. À cela s’ajoute un nouveau phénomène, ces derniers mois, compte tenu des difficultés sécuritaires dans la région des Grands Lacs : une arrivée massive de personnes en provenance de Tanzanie et d’autres pays.

    Mais je vous le dis : restreindre le droit du sol pour Mayotte ne signifie pas de le faire pour le reste du pays. La deuxième grande mesure – et sans doute la plus nécessaire – pour casser le phénomène migratoire est la restriction de l’accès aux droits sociaux pour les personnes en situation irrégulière. Mayotte est la première maternité de France, avec des femmes qui viennent y accoucher pour faire des petits Français. Objectivement, il faut pouvoir répondre à cette situation. Je reste très profondément attaché à ce droit pour la France.

     
     
     

    Pourquoi cette atteinte à la République « une et indivisible » alors que Gérald Darmanin lui-même admet que cette mesure « ne suffira pas » ?

    Ce n’est pas une attaque à la République indivisible car la Constitution la reconnaît aussi comme plurielle et décentralisée. Nous pouvons adapter la Loi fondamentale aux territoires ultramarins : nous l’avons fait pour la Polynésie française, pour la Nouvelle-Calédonie.

    Il est légitime de poser cette question car les Mahorais souffrent. Ils ont d’ailleurs accueilli très positivement cette proposition, quelles que soient leurs sensibilités politiques. Nous devons casser le phénomène migratoire à Mayotte, au risque d’un effondrement des services publics sur l’île.

    Manouchian se battait pour un projet politique, celui qui a pris corps dans le programme du CNR. Celui-ci consignait notamment l’ambition de rétablir « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance vis-à-vis des puissances financières ». Aujourd’hui, une poignée de milliardaires possède l’écrasante majorité des grands médias : pourquoi laisser faire une telle concentration ?

    Nous ne laissons pas faire, nous respectons la loi.

    La loi peut être changée…

    Oui, c’est pour cette raison que j’ai lancé les états généraux de l’information. Au demeurant, vous le savez bien, tous les titres indépendants qui rencontrent des difficultés trouvent auprès de l’État un appui financier, au nom du pluralisme.

    Considérez-vous cette concentration dans le secteur des médias comme un danger ?

    Bien sûr. Mais à quoi est-elle due ? Sans modèle économique, soit l’information est un service public, soit c’est un produit d’influence. Avec toutes les dérives que cela peut induire. Pour que des journalistes puissent informer en toute indépendance, avec une déontologie, dans un contexte pluraliste, il faut un cadre et je suis attaché à celui qui a été inventé après guerre, avec un soutien de l’État.

    Des propositions en ce sens vont-elles émerger de ces états généraux de l’information ?

    Je ne vais pas les préempter. Mais je suis convaincu qu’il faut faire ce travail. Nous avons maintenu, et accru, dans les périodes difficiles, les aides à la presse. Ce n’est plus suffisant. Avec le numérique, un phénomène très grave s’affirme : la commoditisation de vos métiers. N’importe qui peut se prétendre journaliste. Il n’y a plus de régulation.

    Or l’information a un coût. Sa production est guidée par une déontologie. Les réseaux sociaux abolissent le rapport à l’autorité, c’est-à-dire à la reconnaissance de l’auteur. C’est un vrai problème démocratique. Ces états généraux vont nous proposer, je l’espère, des règles, un modèle économique pour garantir le pluralisme. Sans cela, seuls des gens fortunés pourront posséder des titres de presse, mis au service soit de leurs intérêts, soit de projets politiques.

    Sur ce point, beaucoup vous ont reproché votre silence au moment de la prise de contrôle du JDD par Vincent Bolloré.

    Si j’étais indifférent, je n’aurais pas lancé ces états généraux. Mon rôle n’est pas de m’opposer à la prise de contrôle d’un journal si celle-ci est conforme à la loi. C’est de pouvoir dire que quelque chose ne tourne pas rond quand trop de titres se concentrent dans la main de quelques-uns.

    Gilets jaunes, mobilisation contre la réforme des retraites, mouvement climat… le Conseil de l’Europe comme l’ONU se sont régulièrement inquiétés d’un « usage excessif de la force » sous vos deux mandats. Mesurez-vous les conséquences démocratiques de cette violence opposée aux mouvements sociaux ?

    Oui, et c’est la raison pour laquelle nous avons révisé notre doctrine de maintien de l’ordre. Je suis tout cela avec beaucoup de vigilance. Mais ce qui m’inquiète surtout, c’est la montée de la violence dans la société. Il serait malhonnête de dire que les forces de l’ordre sont violentes de manière spontanée. Elles sont au service de l’ordre républicain.

     

    Des syndicalistes ont été la cible de violences…

    J’ai toujours salué l’esprit de responsabilité des forces syndicales, dont les cortèges se tiennent, qui jouent le jeu de la coopération avec les forces de l’ordre. Il n’en demeure pas moins que des minorités au sein de ces forces, mais surtout des éléments extérieurs, veulent installer une violence de rue.

     

    La République garantit le droit de manifester, de protester ; elle abolit la violence dans la société. Je serai intraitable sur les questions de déontologie. Mais je pense à tous nos policiers et nos gendarmes engagés pour protéger et servir les lois de la République, dont certains sont blessés à vie. Oui aux mobilisations, oui à l’expression de désaccords, mais jamais dans la violence.

    Vous avez déclaré, au soir de votre réélection : « Je sais que nombre de nos compatriotes n’ont pas voté ce jour pour soutenir les idées que je porte. Ce vote m’oblige. » Retraites, assurance-chômage, loi immigration… concrètement, à quoi vous a obligé ce vote ?

    Vous le verrez d’ici à la fin de mon mandat. Je sais que beaucoup d’électeurs de gauche étaient très opposés à la réforme des retraites.

    Pas seulement la gauche, une majorité de Français.

    Croyez-vous que j’ai fait cette réforme de gaîté de cœur ? Non. Mais si nous ne l’avions pas conduite, nous serions dans de grandes difficultés, alors que nous sommes déjà le pays d’Europe avec le plus gros déficit public, avec le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé.

    Je ne peux pas vous dire je veux une France plus forte, dans un moment où la guerre revient en Europe, sans faire de réformes pour travailler davantage. Celle-ci figurait dans mon programme. C’est cela, la démocratie, la République. Je suis, ce faisant, dans la même situation que tous mes prédécesseurs.

    J’essaie d’appliquer le projet pour lequel j’ai été élu et qui m’a placé largement en tête du premier tour en 2022. Je ne vais pas m’excuser d’avoir fait 28 %. Je sais que beaucoup n’adhéraient pas à ce programme. Mais c’est le cas pour toute élection. Celle de François Mitterrand, en 1981, a-t-elle mobilisé, au second tour, seulement des partisans du programme commun ?

    Il n’a pas été élu au terme d’un second tour face à l’extrême droite…

    Non, mais je suis élu dans un contexte où il n’y a plus de grandes manifestations comme en 2002. C’est la société qui a normalisé et banalisé l’extrême droite. Elle est invitée sur tous les plateaux de télévision depuis plus de dix ans.

    Je sais aussi la responsabilité qui est la mienne pour essayer de porter le projet démocrate et républicain, en prenant en compte la pluralité des opinions. C’est ce que je fais avec Manouchian sur le plan symbolique. Je continuerai de le faire dans le réel.


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