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  • « Cette inflation va peser largement sur les très pauvres »

     

    RICHESSE

    Pandémie, inflation, réformes fiscales…

    L’économiste Lucas Chancel, principal auteur du dernier rapport sur les inégalités mondiales, codirecteur de la World Inequality Database et soutien de la Nupes, prône la volonté politique pour écrire un nouveau récit progressiste.


     

    Lucas Chancel

    Codirecteur du Laboratoire sur les inégalités mondiales à l’École d’économie de Paris

    Co-auteur du « Rapport sur les inégalités mondiales 2022 », aidé d’une équipe de chercheurs internationaux, Lucas Chancel dresse un panorama des inégalités dans le monde.

    50 % des plus pauvres se partagent aujourd’hui 2 % de la richesse créée à travers la planète.

    Un constat qui, avec la flambée des prix aujourd’hui incontrôlée, pourrait encore s’amplifier et « menacer de causer des tensions sociales majeures ».

    D’autant que « les mesures prises dans l’urgence par les États européens au cours des derniers mois apparaissent à la fois trop lentes, trop faibles et trop peu coordonnées », affirme l’économiste.

     

    Avec le retour de l’inflation, le pouvoir d’achat des ménages recule, alors que le patrimoine et ses revenus ne cessent d’augmenter. Le patrimoine des grandes fortunes explose. Sommes-nous dans un cycle de très forte hausse des inégalités ?

    Nous sommes peut-être à la fin d’un cycle qui dure depuis une quarantaine d’années, et nous vivons actuellement un moment historique marqué par une hausse des inégalités.

    Ainsi, chez les très, très riches, une forte concentration s’observe dans un laps de temps très court.

    Entre 2010 et 2020, le patrimoine des 500 personnes les plus riches de France est passé de 10 % à 30 % du PIB.

    En France, les 1 % les plus aisés possédaient 16 % du patrimoine total au milieu des années 1980, contre à peu près 27 % aujourd’hui.

    Cette hausse considérable signifie que nous poursuivons la même route que celle prise aux États-Unis.

    À savoir celle d’une société très fragmentée, très inégalitaire, avec des ghettos de riches et de personnes très modestes, voire très précaires.

    La France résiste mieux, mais la tendance se dessine.

     

    La crise sanitaire a-t-elle accéléré cette tendance ?

    Les crises sont des moments qui rebattent les cartes, avec un effet très fort sur ceux qui n’ont rien et sur ceux qui ont peu.

    Pour ceux qui n’ont aucune épargne, le moindre choc sur les revenus est impossible à absorber.

    De nombreuses personnes peuvent tomber dans une situation de grande précarité.

    Heureusement, nos systèmes de protection sociale ont été mis à contribution.

    C’est grâce à cet État social en France, en Europe mais aussi aux États-Unis, qu’on a réussi à éviter une catastrophe sociale majeure de l’ordre de celle qu’on aurait pu observer en 1929.

    Or, rappelons-le, la petite musique qui se répète depuis quarante ans était jusqu’ici que notre modèle social ne servait à rien, ne permettait pas le bon fonctionnement du marché et par conséquent qu’il fallait réduire les dépenses sociales, puisque le marché peut tout.

    La démonstration est désormais faite : dans les périodes de crise, nous avons besoin de dépenses sociales, de moyens pour l’hôpital, mais aussi de mécanismes de travail partiel généreux et efficaces.

    Cela a un coût.

    Pour financer les dépenses sociales, les États ont imprimé énormément de billets.

    Sauf que l’un des prix à payer pour cette politique monétaire expansionniste est cette inflation très forte, dont nul ne sait jusqu’où elle peut aller.

     

    Quels en seront les effets sur le patrimoine des ménages ?

    Cette inflation va peser largement et souvent de manière disproportionnée sur les très pauvres, les petits patrimoines, les petites retraites.

    Prenons l’exemple du livret A : son taux de rendement est passé de 1 à 2 %, mais, avec une inflation à 5 %, cela signifie que l’épargne va perdre 3 % de sa valeur chaque année.

    Autrement dit, pour un livret de 1 000 euros, après un an, la valeur réelle de cette épargne ne sera que de 970 euros.

    L’inflation correspond à une taxe très forte sur les petits patrimoines, alors que les très hauts vont croître plus rapidement que l’augmentation des prix, autour de 9 %.

    L’inflation a un effet négatif sur les petits porteurs.

    Cette augmentation des prix est un petit peu le prix à payer de ces politiques monétaires expansionnistes, que les États ont mises en place pour financer ces nouvelles dépenses, plutôt que des politiques fiscales.

     

    Comment expliquez-vous ce frein politique à faire vivre un débat sur la fiscalité ?

    Lors des campagnes électorales, cette question a été mise de côté au moment où il y a un énorme besoin d’argent public pour faire évoluer les sociétés vers plus de changements en matière d’environnement, d’éducation, de santé…

    Peut-être parce que nous avons été dans cette phase historique, exceptionnelle, qui était celle de l’endettement à taux 0, dans laquelle les États se sont dit, en partie à juste titre : « Si je m’endette à taux 0, voire à taux négatif, je peux emprunter sur les marchés et rendre moins pour financer ces dépenses. »

    Sauf qu’on voit ici que les taux d’intérêt sont en train de remonter et la question du « Qui paie ? Qui finance ? » devient essentielle.

    Elle l’est d’autant plus qu’il y a une très forte hausse de l’injustice fiscale.

    Rappelons que, depuis quarante ans, les taux d’impôt sur les grandes fortunes et les multinationales ont dégringolé.

    C’est extrêmement marquant dans le cas des États-Unis.

    En France, il existe encore beaucoup d’opacité sur les très grandes fortunes, mais nous savons qu’en proportion de leurs revenus elles paient beaucoup moins que les classes moyennes et les classes populaires.

    Cette opacité est entretenue par ceux qui profitent de ce système.

    La deuxième raison est aussi que la gauche a été divisée dans un moment de bataille idéologique très forte.

    Selon les enquêtes d’opinion, la demande de plus de justice fiscale et de plus d’impôts sur les très très riches est très élevée.

    C’est aussi ce qu’on observe aux États-Unis.

    Avec 32 %, le niveau historiquement faible de la gauche pèse.

     

    Est-ce l’enjeu de ce Laboratoire sur les inégalités mondiales que de nourrir le débat politique ?

    Le travail que nous faisons au Laboratoire sur les inégalités mondiales est de regarder de manière dépassionnée, factuelle, ce qui se passe, dans le but d’avoir une analyse objective et chiffrée de la situation.

    Avec nos séries, nous démontrons que ce logiciel centré sur cette idée du ruissellement économique n’a pas fonctionné.

    Les baisses d’impôts pour les très riches et pour les multinationales n’ont pas engendré la prospérité promise.

    La mise à disposition des données sur les inégalités permet de montrer que ce ne sont que des choix politiques.

    Il n’y a aucune loi immuable en économie.

     

    Le sujet des retraites a émergé pendant la présidentielle, avec derrière le financement de notre protection sociale…

    Il n’y a pas vraiment d’impôt plus inégalitaire que de faire travailler les plus pauvres plus longtemps.

    C’est une sorte d’impôt sur les années de vie.

    Il y a déjà eu des réformes successives depuis vingt ans sur les retraites pour travailler 42 puis jusqu’à 43 annuités.

    Si vous avez commencé à travailler à 22 ans, vous allez déjà devoir travailler jusqu’à 65 ans.

    Et ainsi de suite.

    On est vraiment dans une logique très inégalitaire, très injuste notamment pour les catégories socioprofessionnelles qui ne rentrent pas dans le cadre de la pénibilité, mais dont le métier est extrêmement usant psychiquement ou physiquement.

    Si l’on regarde vraiment la question de l’équilibre du système, il n’y en a pas besoin, puisqu’en 2030 le système sera censé être à l’équilibre.

    Pourquoi cette réforme, alors ?

    Il y a une volonté de donner un message à l’électorat de droite, aisé.

    C’est un marqueur politique fort.

     

    Outre les inégalités de richesses, vous montrez une multitude de fractures. En citant les inégalités de genre, environnementales, éducatives ou démocratiques, quelles sont les grandes tendances et comment ont-elles évolué dans le temps ?

    Effectivement, les inégalités se superposent les unes aux autres, même si en général elles ne se recoupent pas toujours à 100 %.

    Ainsi, aux inégalités de patrimoine fortes, viennent s’ajouter les inégalités entre hommes et femmes, puisque les hommes ont plus de ressources que les femmes, de même que les inégalités de couleur : les populations non blanches ont moins de patrimoine que les populations blanches.

    À cela s’ajoutent les inégalités de reproduction de niveaux sociaux.

    Cela forme un cocktail inégalitaire multiple qui crée un cercle inégalitaire.

    Ceux qui bénéficient le plus du système vont cumuler beaucoup de revenus, beaucoup de richesses et vont entretenir la capacité politique de faire perdurer le système.

    Si vous avez beaucoup de patrimoine, vous allez pouvoir acheter une partie du temps politique pour diffuser des messages qui vont aller contre l’idée de mieux répartir les revenus.

    Ce cercle inégalitaire va perdurer.

    La bonne nouvelle, c’est qu’on commence à penser systémique.

    Par exemple, si le salaire minimum augmente, cela permettra à la fois de corriger les inégalités de revenus, mais aussi de contribuer à l’émancipation des femmes ou de certaines minorités qui aujourd’hui sont surreprésentées en bas de l’échelle de revenus.

     

    Vous consacrez un chapitre aux multimillionnaires. Selon vos données, 51 700 adultes disposent d’une richesse 6 000 fois supérieure à la moyenne des patrimoines, contre 3 000 fois vingt-cinq ans plus tôt. Vous allez même plus loin, en 2100, puisque les 0,01 % détiendront plus de patrimoine que les 40 % les plus riches. Comment l’expliquez-vous ?

    Ces projections nous racontent ce qui se passera si nous continuons sur cette lancée.

    Sans changement de trajectoire, c’est un retour à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe siècle qui nous attend.

    Dans des sociétés en Europe où la démocratisation politique avait eu lieu, ce n’était pas le cas de la démocratisation économique.

    Or, ceux qui sont en bas et ceux qui sont au milieu peuvent s’unir pour exiger des réformes.

    C’est en tout cas ce qu’il s’est passé au début et au milieu du XXe siècle.

    Cela a permis la mise en place d’un État providence, financé par des impôts très progressifs.

    La situation aujourd’hui s’est toutefois largement compliquée avec la montée en puissance du vote identitaire, qui essaie de casser ces possibilités d’union.

    Une bonne partie de ce vote identitaire est une réaction aux politiques antisociales menées depuis une quarantaine d’années en France par la gauche et par la droite, avec les mêmes tendances en matière d’inégalités de patrimoine.


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  • Antisémitisme : le faux procès fait à la Nupes

     

    Polémique

    Les accusations de la Macronie et de LR contre la gauche relèvent d’une stratégie qui ne date pas d’hier. Au risque d’alimenter le confusionnisme et de nourrir l’extrême droite.

     


     

    Pour la première fois, la semaine dernière, un ministre de la République, Éric Dupond-Moretti, s’est rendu rue des Rosiers pour commémorer l’attentat antisémite qui avait ensanglanté la capitale en fauchant six vies, en 1982.

    L’occasion d’une mise en garde :

    « La bête immonde n’est pas morte », on la retrouve « dans certains propos politiques ».

    Personne n’est nommé, mais on sait à qui le garde des Sceaux pense.

    Une polémique avait éclaté quelques jours plus tôt, le 2 août, au point que les parlementaires de gauche ont décidé de quitter l’Hémicycle.

    À l’occasion d’une question au gouvernement, l’élu apparenté LR Meyer Habib, représentant la 8e circonscription des Français de l’étranger (dont font partie les Français d’Israël), artille sans trembler :

    « Le nouvel antisémitisme est toujours présent en France, notamment à la gauche de cet Hémicycle avec les islamo-­gauchistes, et 37 députés Nupes qui, au moins, sont clairs dans leur haine des juifs et d’Israël. »

    Le tout, sous le regard de 89 députés RN siégeant juste au-dessus de lui, héritiers d’un parti fondé par des anciens SS, et qu’il épargne soigneusement.

    À l’origine de son ire ?

    Une résolution, portée par les élus communistes, proposant de condamner le « régime d’apartheid institutionnalisé » en Israël contre les Palestiniens.

     

    Une gauche taxée de clientélisme électoral auprès des musulmans

     

    Meyer Habib, proche de la droite radicale israélienne et ami de l’ex-premier ministre Benyamin Netanyahou, est coutumier du fait.

    Mais, en répondant au député, c’est Éric Dupond-Moretti, déjà, qui embraye, en se tournant vers les bancs de la Nupes, et de la FI en particulier :

    « Corbyn, l’apartheid, les mots que vous avez choisis pour commenter le discours du président de la République, ces mots-là vous collent à la peau. »

     

    En plus de la résolution visée par Habib, le ministre fait référence au soutien de l’ex-leader de la gauche britannique à la Nupes, ainsi qu’à un tweet polémique de Mathilde Panot lors de la commémoration du Vél’d’Hiv, où elle renvoyait Emmanuel Macron à ses propos positifs en faveur du maréchal Pétain.

     

    Puis Élisabeth Borne en remet une couche, précisant que seuls les insoumis auraient un problème d’antisémitisme.

     

    Une stratégie désormais connue, qui vise à fracturer la Nupes en concentrant ses attaques sur son plus gros contingent de députés.

    « Élisabeth Borne s’en est prise aux insoumis pour une résolution à l’initiative des communistes, c’est dire si elle a lu le texte », ironise le député PCF Jean-Paul Lecoq, à l’origine de la résolution.

    Mieux, cette dernière a été déposée à ­l’Assemblée nationale à la mi-mai, soit à la fin de la dernière mandature, quand la Nupes n’existait pas encore, précise-t-il.

     

    Mais la controverse est lancée, la machine médiatique aussi.

    Fieffés islamo-gauchistes un jour, dangereux wokistes déconstruits le lendemain, et désormais antisémites : les députés de la Nupes n’ont pas le dos assez large pour accueillir toutes les banderilles qu’y plante la droite.

    Tout le monde s’en donne à cœur joie pour dénoncer le prétendu antisémitisme de la gauche, de la macroniste Aurore Bergé au LR Éric Ciotti, en passant par l’avocat d’extrême droite Gilles-William Goldnadel, qui félicite le ministre :

    « L’islamo-fascisme d’extrême gauche ne passe plus. »

    La gauche est accusée, au nom de la défense des Palestiniens et par un supposé clientélisme électoral auprès des musulmans, d’avoir abandonné les juifs pour les Arabes.

    « Ils ont troqué le bleu ouvrier pour le vert islamiste », surenchérit même Meyer Habib.

    Le brouhaha couvre le sujet de départ : une tentative d’ouvrir un débat sur les choix politiques des derniers gouvernements israéliens.

     

    Ce n’est pas la première fois que l’accusation d’antisémitisme sert à disqualifier une critique envers Israël.

    L’État hébreu est le premier à user de cette rhétorique, mais certains la prolongent en France, comme l’ex-premier ministre Manuel Valls ou le député macroniste Sylvain Maillard, qui avait tenté, en 2019, de déposer une loi pénalisant l’antisionisme au même titre que l’antisémitisme, liant les deux (le texte a été voté, mais transformé en résolution non contraignante).

     

    « Il y aurait donc un seul pays au monde dont on n’aurait pas le droit de critiquer la politique, s’alarme Jean-Paul Lecoq.

    Ce n’est rendre service ni aux Israéliens ni aux juifs, qu’on amalgame à la politique israélienne. »

     

    Or rendre responsables tous les juifs de la politique coloniale en Cisjordanie, c’est précisément ce que cherche à faire la rhétorique antisémite…

    Emmanuel Macron lui-même participe à ce mouvement, déclarant «l’antisémitisme et l’antisionisme ennemis de notre République », en mars dernier, lors d’un hommage rendu aux victimes du terroriste Mohammed Merah.

    Et on a pu voir Marine Le Pen invitée pendant la campagne sur des médias communautaires juifs comme I24 pour tenir des propos similaires.

     

    « Hier, le judéo-bolchevisme était l’ennemi intérieur,

    aujourd’hui c’est l’islamo-gauchisme »

     

    « En réalité, ces gens n’ont que faire des juifs, souligne la sociologue Illana Weizman (1).

    Depuis une quinzaine d’années, on observe que les droites se servent du sentiment d’abandon de la communauté juive pour faire avancer leur agenda islamophobe : l’idée est que le nouveau vecteur de l’antisémitisme est l’islamo-gauchisme »,

    en ignorant ou euphémisant la permanence d’un antisémitisme d’extrême droite ou catholique.

     

    Cette stratégie s’inscrit dans un discours identitaire et civilisationnel, qui cherche à opposer les « racines judéo-chrétiennes » du pays, que certains voudraient inscrire dans la Constitution, à l’islam.

    Au risque de « vider la lutte contre l’antisémitisme de sa substance », s’inquiète Simon Assoun, coordinateur national de l’Union juive française pour la paix.

    « Cette stratégie de la droite s’inscrit dans le cadre de la fabrique d’un ennemi intérieur, dont la gauche serait forcément l’alliée. Hier, c’était le judéo-bolchevisme, aujourd’hui c’est l’islamo-gauchisme. »

     

    C’est un jeu hasardeux : à force de brandir l’antisémitisme comme une arme politique de discréditation massive, le danger est grand qu’il se réduise dans l’imaginaire collectif à cela.

    Au risque de faire oublier les conséquences bien réelles de l’antisémitisme, qui se manifeste tous les ans en France sous diverses formes : agressions, insultes, profanations de synagogues ou de cimetières juifs.

    La gauche ici a une responsabilité immense : elle ne doit pas se laisser piéger et en venir à croire que l’antisémitisme n’est qu’une accusation politique vide de sens, alors qu’il peut exister en son sein.

    L’histoire de la gauche n’en est pas exempte, ne serait-ce qu’avec la répression soviétique.

     

    « Aujourd’hui, la gauche se réclame de toutes les luttes de l’antiracisme, mais elle a en partie désinvesti la question de l’antisémitisme, ce n’est plus un combat structurant, relève Illana Weizman.

    Le sujet a été si souvent retourné contre la gauche que celle-ci est toujours sur la défensive, y compris quand on fait remarquer à certains que leurs propos participent de clichés antisémites. »

    Il en est ainsi des propos de Jean-Luc Mélenchon sur Éric Zemmour à l’automne 2021, où il estimait que l’idéologue identitaire « reproduit des traditions liées au judaïsme ».

    « Mélenchon n’est pas antisémite, mais il faut qu’il entende la critique sur ce type de propos. »

     

    Plus marginal, l’antisionisme est parfois en effet le faux nez de l’antisémitisme dans certains milieux pro-­palestiniens, comme du côté de l’extrême droite (Soral et Dieudonné en sont les chantres).

    Enfin, des mouvements extrêmes et indigénistes en viennent parfois à revendiquer l’antisémitisme :

    « Derrière l’hostilité envers les juifs, il y a la critique de la pyramide raciale, de l’État-nation et de l’impérialisme, (…) derrière chacune de nos régressions, il y a une dimension révolutionnaire », justifie par exemple la militante indigéniste Houria Bouteldja dans un de ses essais.

     

    Illana Weizman évoque un « double mouvement d’exclusion de l’antisémitisme en dehors de la lutte antiraciste » :

    « À gauche, il y en a certains qui disent que les juifs, par la simple existence d’Israël, sont des sortes de ­ “super-Blancs”, qui ne seraient pas racisés ni dominés.

    Donc l’antiracisme ne les concerne pas.

    Et, à droite, il y a cette tendance à sortir l’antisémitisme pour l’opposer à d’autres luttes antiracistes , comme l’islamophobie.

    Il faut être capable, même si c’est compliqué, de déconnecter la question de l’antisémitisme de celle d’Israël, qui brouille tout, et combattre les instrumentalisations qui desservent la lutte. »

     

    Les grands perdants dans tout cela ? La population juive.

    Elle mérite mieux que de servir de prétextes à des joutes politiques qui invisibilisent la réalité des actes antisémites, en hausse en France et dans le monde – avec notamment une recrudescence du révisionnisme lors des manifestations anti-passe sanitaire.

    En France, en 2019, 22,6 % des actes racistes ou antireligieux recensés par la police étaient de nature antisémite, alors que les juifs représentent moins de 1 % de la population française (0,73 %). 

     

    (1) Autrice de l’ouvrage Des Blancs comme les autres ? Les juifs, angle mort de l’antiracisme, à paraître en octobre aux éditions Stock.

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  • Salman Rushdie :

    « Pire est le monde,

    meilleurs sont les livres »

     

    Littérature. Octobre 2018

    De passage à Paris pour son dernier livre, la Maison Golden, l’auteur réfléchit à haute voix sur la capacité de la littérature à décrire la réalité du monde, face aux puissants qui en donnent une vision fausse, laquelle ne sert que leurs intérêts.

     


     
    « J’aime quand la description des pensées
    semble aussi dynamique que celle des actes. »
     
     

    Octobre 2018

    Salman Rushdie était à Paris pour la sortie en France de son dernier roman, la Maison Golden (Actes Sud).

    Entretien.

     

    On se dit, à la fin, que vous avez voulu écrire le grand roman de la décadence contemporaine…

     

    Salman Rushdie Je ne suis pas sûr d’avoir eu autant d’ambition, mais c’est tout de même l’idée. J’ai voulu saisir l’époque sombre dans laquelle nous vivons. Certains auteurs s’y sont attelés par le passé comme Tom Wolfe avec le Bûcher des vanités, œuvre dans laquelle il restitue l’atmosphère des années 1980. J’ai tenté de réaliser la même chose à propos d’aujourd’hui. Je n’avais pas vraiment de plan préétabli. Je ne voulais pas écrire un livre simplement polémique. Je tenais à aborder cette culture et ce moment de manière exhaustive. J’ai toujours admiré Charles Dickens, qui semble capable d’envisager la culture sous un très large spectre : il peut écrire sur les criminels aussi bien que sur les archevêques. J’admire l’ampleur de son imagination. Je suis son œuvre comme un guide. Si l’univers de ses livres est extrêmement réaliste, les personnages sont toujours légèrement amplifiés. Il invente un effet lyrique au cœur d’un monde rendu crédible jusque dans ses moindres détails. Dans la Maison Golden, parlant des films qu’il souhaiterait tourner, le jeune narrateur, René, utilise l’expression de « réalisme lyrique ». C’est aussi mon objectif.

     

    L’époque, avec ses apparences grotesques et pathétiques, pour ne pas dire horrifiques, mérite donc encore les honneurs de la littérature. N’est-ce pas une preuve d’optimiste ?

     

    Salman Rushdie Beaucoup d’écrivains vous diront que pire est le monde, meilleurs sont les livres. Voyez la littérature de l’époque soviétique. Elle était extraordinaire, à la différence de celle de la période postsoviétique, parce que le sujet principal a disparu. J’ai tenu à montrer que rien n’est unidimensionnel. Tout n’est pas affreux. J’ai écrit un livre carnavalesque, pour reprendre un vieux concept.

     

    L’imagination, jumelée au réalisme, semble le secret de composition de la Maison Golden . Vous multipliez les allusions au cinéma, les références littéraires et l’évocation de personnages politiques connus. S’agit-il d’une sorte d’inventaire de la civilisation actuelle avant décès ?

     

    Salman Rushdie C’est juste. Il existe un type de romans qu’Henry James qualifiait de « monstres lâches et un peu emphatiques ». Il s’agit de romans qui essaient d’intégrer autant d’aspects de la vie qu’ils le peuvent. Je ne suis pas minimaliste. Je suis maximaliste. Ce livre tente d’ingérer un maximum d’aspects du monde. Je ne suis pas sûr que la civilisation soit en passe de disparaître. Elle est certes malade, mais il se peut qu’on survive.

     

    Le récit s’ouvre sur l’élection de Barack Obama à la Maison-Blanche et on découvre, en cours de route, la figure de Garry Gwynplaine, qui rappelle le Joker de Batman et fait irrésistiblement penser à Donald Trump. Pour nous, Français, Gwynplaine c’est l’Homme qui rit , de Victor Hugo, à la fois laid en dehors et bon en dedans. Quant au Joker, s’il est méchant, n’est-il pas intelligent ? Ne laissez-vous pas une chance à votre Joker-Trump ?

     

    Salman Rushdie En effet, le personnage de Victor Hugo est censé avoir inspiré le Joker. Mais le Joker est davantage tout d’un bloc. Il n’a pas de bons côtés. Je crois avoir essayé de montrer que personne n’est tout blanc ou tout noir, bon ou mauvais. Ce personnage constitue la seule exception. Je ne vois aucune qualité positive au président Trump. Je ne suis même pas sûr qu’il soit bon envers les animaux. L’idée d’utiliser le Joker pour figurer Trump est le seul élément non réaliste d’un roman réaliste. Or, plus le temps passe, plus cela semble réel ! C’est un peu comme si le Trump de la vraie vie était en train de se transformer en mon personnage. Il se peut même que ses cheveux virent bientôt au vert !

     

    La figure essentielle du roman est à voir dans le personnage de Néron Golden, milliardaire indien installé à New York avec sa progéniture surprenante et sa maîtresse, une Russe nimbée d’un parfum de soufre. Que signifie à vos yeux l’irruption de l’Inde riche dans la Grosse Pomme mangée par les vers ?

     

    Salman Rushdie Les Indiens ultrariches sont une classe assez inhabituelle. J’avais envie d’explorer la manière dont l’univers criminel de Bombay navigue à travers cette classe. Si vous êtes à Bombay et que vous allez dans ce genre d’événement social auquel se rendait souvent Golden, vous verrez probablement quelques chefs de la mafia, certains avec une star de cinéma au bras. Leur influence est immense. Ils ont acheté la police et n’ont aucune crainte d’être arrêtés. Les liens bizarres qu’entretiennent l’élite sociale et l’élite criminelle, et les nœuds forts qui existent entre le monde du crime, de la pègre et le djihadisme, ont constitué le point de départ de mon roman. J’ai eu l’idée de créer un personnage, Néron, lui-même riche homme de pouvoir, entraîné malgré lui dans ce monde sulfureux. Il se retrouve impliqué dans des actes choquants. Il en a peur et veut s’échapper. J’ai ensuite pensé qu’un tel homme, avec toute l’arrogance de sa richesse, pouvait imaginer à tort se réinventer en se libérant de son passé. Sa tragédie, c’est qu’il va devoir admettre que c’est impossible.

     

    Il y a dans la Maison Golden un narrateur discret qui est un scénariste voyeur. Est-ce vous, ce spectateur à l’affût de toutes les turpitudes pour une vengeance par écrit ?

     

    Salman Rushdie Bien sûr, quand il y a un narrateur à la première personne, il y a toujours un rapport avec l’auteur. J’ai pris certaines mesures pour éviter le calque parfait. D’abord, René est d’origine européenne. Ce n’est pas mon cas. Il n’est pas un immigré. Il est né et a grandi à New York. En dehors de lui, presque tous les autres personnages sont des migrants. Autre différence, c’est un homme très jeune. Quand on le rencontre, il a environ 20 ans ; à la fin du roman, il en a à peine 30. J’ai voulu écrire ce roman comme s’il avait été rédigé par un jeune homme. Il a de l’enthousiasme, de l’arrogance, des opinions très affirmées. C’est peut-être ma façon de retrouver ma propre jeunesse !

     

    Vous brassez un nombre incalculable d’informations, de réflexions, et vous mêlez ardemment culture savante et culture populaire pour créer un univers foisonnant. On a un peu l’impression de lire un roman d’espionnage. N’est-ce pas vous, l’espion ?

     

    Salman Rushdie Je suis probablement l’espion moi-même. Les romanciers que j’admire le plus, Saul Bellow et Philip Roth, offrent à leurs personnages la possibilité, hors tout pacte romanesque, de longues plages de réflexion prolongée, approfondie et tendue. Durant ces pages vouées au monologue intérieur, ces personnages peuvent réfléchir à toutes sortes de sujets, songer à leur famille, à la nation dans laquelle ils vivent, à l’histoire des juifs… J’aime quand la description des pensées semble aussi dynamique que celle des actes. Dans la Maison Golden, il y a des moments où René réfléchit à la famille Golden ou à l’Amérique. Je mets dans ces passages la même énergie, la même vélocité que dans ceux consacrés aux actions. Les gens supposent que tout ce que René pense, je le pense aussi. Il a des idées bien plus extrêmes que les miennes. Il parle uniquement par exclamations. Ce n’est pas mon cas.

     

    La question « Que peut la littérature ? » se pose toujours, quand bien même le monde change…

     

    Salman Rushdie Ce que peut la littérature, c’est d’abord et avant tout d’être une archive. Si on remonte sur une courte période, vous voyez que la littérature produite à un moment donné constitue la meilleure description qui soit. Si on réfléchit aux années 1920 et 1930, Fitzgerald est le meilleur guide. Pour les années 1980, le meilleur auteur, c’est Tom Wolfe. La force de la littérature, c’est de pouvoir proposer une description de la réalité alternative à la description officielle. Il est des moments où la société des puissants décrit le monde de manière délibérément fausse, dans le sens de son intérêt. La capacité de la littérature à dire la réalité devient alors particulièrement importante. Durant la période soviétique, les auteurs dont les écrits étaient exfiltrés disaient la vérité, tandis que tout ce qui émanait du Politburo n’était que mensonges. Encore aujourd’hui, dans de nombreuses régions du monde, les écrivains sont contraints d’opposer leur vision de la réalité à la version officielle.

     

    La question du genre est présente dans le livre…

     

    Salman Rushdie J’ai là-dessus un point de vue assez traditionnel. Je pense que nous sommes masculin ou féminin, homme ou femme, gay ou hétéro. Ma façon de voir les choses n’est pas plus complexe. Pour les plus jeunes générations, notamment en Amérique et en Angleterre mais ailleurs aussi, cela devient un sujet qui les préoccupe beaucoup. J’ai donc voulu l’explorer. Je connais deux personnes qui, aux États-Unis, ont traversé un processus de transition. Elles l’ont réussi et semblent plus heureuses aujourd’hui. Leur expérience m’a permis d’aborder ce thème. J’ai aussi passé du temps et écrit sur la communauté transgenre à Bombay, notamment sur les hijra. J’ai écouté leur histoire et composé sur eux des textes de non-fiction. Deuxième porte d’entrée. J’ai effectué des recherches, je suis sorti de chez moi, j’ai parlé aux gens. À chaque fois que j’écris un livre, me plaît beaucoup l’idée qu’une fois terminé, j’ai appris quelque chose que je ne savais pas auparavant. Ce sujet-là m’a beaucoup intéressé, tout comme l’autisme. Quelqu’un d’assez proche de moi est un autiste Asperger. J’ai donc une certaine connaissance du sujet. Pour la mafia à Bombay, il m’a fallu beaucoup de recherches, principalement avec des journalistes.

     

    Entretien réalisé par Muriel Steinmetz


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  • Agression contre Salman Rushdie

    Vendredi 12 Août 2022

    Fil ouvert le 12 Août 2022 + mise à Jour

     

    Salman Rushdie est tiré d’affaire,

    son agresseur plaide non coupable

    L’écrivain, agressé au couteau lors d’une conférence à New York vendredi soir, a recommencé à parler.

    Le procureur de New York parle d’’une attaque «bien préparée et préméditée».

     


     
     

    Salman Rushdie, malgré la gravité de ses blessures, semble aller mieux : il n’est plus sous respirateur artificiel et a réussi «à parler et plaisanter» avec son entourage, a assuré son agent, Andrew Wilye.

    Agressé au couteau vendredi 12 août, alors qu’il s’apprêtait à donner une lecture à la Chautauqua Institution, dans l’Ouest de New York, l’écrivain a été touché une dizaine de fois au cou, au foie, au bras et à un œil, qu’il pourrait perdre, a rapporté son agent.

     

    Son assaillant s’appelle Hadi Matar.

    Né en Californie, il est âgé de 24 ans et vit dans le New-Jersey. Ses parents sont originaires de Yaroun, un village du Sud-Liban, rapporte le maire Ali Tehfe. Ils se sont installés aux États-Unis plusieurs années avant la naissance de leur fils.

    Hadi Mater serait proche, selon des sources policières, de mouvements extrémistes chiites. Il soutiendrait notamment les gardiens de la révolution islamique d’Iran, selon le Figaro. Son profil Facebook, visiblement assez éloquent sur ses engagements, a été suspendu. Son acte ne fait encore l’objet d’aucune revendication. Il a fallu cinq hommes pour le maîtriser, pendant l’attaque.

    Arrêté et incarcéré, il a été présenté à une juge, et a plaidé «non coupable».

    Son avocat, Nathaniel Barone, a déclaré à Associated Press qu’il était toujours en train d’échanger avec son client et qu’il refusait de communiquer à ce stade. Le domicile d’Hadi Madi a été fouillé par la police, et le FBI a été appelé à la rescousse. Pour le moment, les enquêteurs estiment qu’il a agi seul, de façon «bien préparée et préméditée».

     

    L’agression de Salman Rushdie a eu lieu vendredi, à 11 heures (17 heures en France).

    Alors qu’il s’apprêtait à donner une conférence, un homme vêtu et masqué de noir a bondi de sa chaise pour se jeter sur le romancier.

    La police indique que l’individu a donné « dix à 15 coups de couteau » à l’auteur, qui s’est écroulé.

    À ses côtés, l’animateur de la conférence, Ralph Henry Reese, 73 ans, a « été légèrement blessé au visage », indique la police.

    Les secours ont héliporté Salman Rushdie à l’hôpital le plus proche.

     

    Salman Rushdie, âgé de 75 ans, est sous la menace d’une fatwa, depuis 1989, lancée par l’ayatollah Khomeiny, en Iran, un an après la parution de son roman « les Versets sataniques », considéré par les fondamentalistes comme « blasphématoire ».

    Le gouvernement iranien s’est désolidarisé de cette menace, qui contraint l’écrivain à vivre sous protection policière depuis plus de trente ans.

    Mais une fondation iranienne religieuse a mis sa tête à prix pour 3,3 millions de dollars en 2012.

    Le principal quotidien ultraconservateur iranien, Kayhan, s’est d’ailleurs réjoui avec emphase de l’attaque au couteau.

     

    Dans le monde entier, des messages de soutien de responsables politiques affluent, via Twitter, vers l’auteur.

    En France, le président de la République Emmanuel Macron a réagi : «Depuis 33 ans, Salman Rushdie incarne la liberté et la lutte contre l’obscurantisme. La haine et la barbarie viennent de le frapper, lâchement. Son combat est le nôtre, universel. Nous sommes aujourd’hui, plus que jamais, à ses côtés ».

    La présidente par intérim des Républicains, Annie Genevard, estime que « Le radicalisme islamiste n’a pas désarmé. Il entend réduire la liberté d’expression. Il reste dangereux et doit être combattu. C’est un coup de semonce pour les démocraties occidentales. Il faut faire preuve de courage politique. Je souhaite qu’il s’en remette ».

    À gauche, Clémentine Autain, députée France Insoumise de la Seine-Saint-Denis, a dénoncé « une attaque armée » qui est « inacceptable » .

    « La création est une liberté fondamentale », rappelle la parlementaire.

    Pour Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, l’écrivain a été « poignardé par la haine islamiste ». Il assure de son soutien l’auteur et ses proches.

    Le dessinateur et directeur éditorial de Charlie Hebdo, Riss, lui-même sous la menace d’une fatwa, a écrit un texte sur le site internet du journal.

    «Il va falloir répéter encore et encore que rien, absolument rien ne justifie une fatwa, une condamnation à mort, de qui que ce soit pour quoi que ce soit.

    De quel droit des individus, dont on se fout totalement de savoir qu’ils sont des religieux, s’arrogent le droit de dire que quelqu’un doit mourir ?

    Petits chefs spirituels médiocres, intellectuellement nuls et culturellement souvent ignares, ce sont ces gens-là qui doivent être combattus car ce sont eux qui manquent de respect.

    Pas à un texte religieux écrit par quelque illuminé, mais à l’intelligence, à la sensibilité et à la créativité humaine. À l’Humanité tout simplement.»

     

    Depuis l’attentat du 7 janvier 2015, Riss est sous protection policière et le journal se réalise dans des locaux hypersécurisés.

     

    L’écrivain algérien Boualem Sansal dans un texte très sévère contre la religion musulmane s’agace aussi de ce que cet acte impose à tous :

    «Tout cela est à méditer. C’est fou parce que nous avons tant à faire, l’Ukraine brûle, la terre brûle, les prix brûlent, les synagogues brûlent, les églises aussi, et des mosquées sont méchamment taguées.

    Bref il nous est imposé d’oublier les réalités de notre époque et de regarder ailleurs.


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  • Immigration: Le jeu dangereux de Darmanin

     

    Face à LR et au RN déterminés à surenchérir, le ministre de l’Intérieur surfe sur l’affaire Hassan Iquioussen pour ouvrir la voie à sa future réforme.

     

     

    D’une affaire à l’autre, Gérald Darmanin prépare sa prochaine réforme de l’immigration.

    Non content d’avoir annoncé en juillet l’expulsion d’un Algérien soupçonné d’une agression de policiers à Lyon peu avant que celui-ci soit mis hors de cause par le parquet, c’est désormais avec le cas d’ Hassan Iquioussen que le ministre de l’Intérieur occupe les médias cet été.

     

    Pourquoi une expulsion au lieu de poursuites

    Depuis la suspension, en fin de semaine dernière, par le tribunal administratif (TA) de Paris de l’expulsion, ordonnée le 28 juillet, d’Hassan Iquioussen, le ministre ne manque pas une occasion de faire savoir sa détermination à aller au bout du processus engagé contre le prédicateur mis en cause pour des propos antisémites, homophobes et sexistes, remontant pour certains à une vingtaine d’années.

    Et ce bien que le tribunal ait fait valoir que la décision constituait une «atteinte disproportionnée » à la « vie privée et familiale » de l’homme de 58 ans, né en France mais de nationalité marocaine.

    « Ces propos anciens n’ont jamais donné lieu à un refus de titre de séjour ou à une condamnation pénale », a aussi relevé à l’audience M e Marion Ogier, qui intervenait au nom de la LDH.

    Et c’est là que le bât blesse : pourquoi une expulsion au lieu de poursuites au moment voulu pour des déclarations relevant du délit de provocation à la haine ?

    Une façon de montrer les muscles mais aussi de pousser les feux de la logique qui a prévalu dans la loi contre les séparatismes.

     

    La place Beauvau a agité la fiche S

    Dans la foulée du jugement, le locataire de la place Beauvau a agité la fiche S de l’imam pour justifier sa démarche.

    « C’est stratégique, au moment même où le ministère venait d’essuyer un camouflet devant le TA qui soulignait le manque d’éléments étayant la persistance de la menace à l’ordre public depuis 2014.

    Mentionner la fiche S, c’est une façon de laisser à penser que la menace serait toujours actuelle. En réalité, c’est la surveillance qui est actuelle»,

    rappelle le professeur de droit public Serge Slama sur Public Sénat.

     

    Renforcer les possibilités d’expulsion

    C’est que Gérald Darmanin a une rentrée à préparer.

    «J’attends avec sérénité la décision du Conseil d’État. (…) Mais si jamais il venait à nous donner tort, nous étudierons avec les parlementaires les moyens de donner les forces à la République de se défendre, en modifiant la loi s’il le (faut) », a-t-il annoncé depuis Marseille.

    Et l’occasion est toute trouvée avec le projet de loi en préparation sur l’immigration.

    Renforcer les possibilités d’expulsion dans de telles situations va de pair avec une mesure d’ores et déjà en préparation : le durcissement de la double peine.

    « Nous pourrions examiner les protections contre l’éloignement dont bénéficient certaines catégories d’étrangers, en lien avec leur âge d’arrivée en France ou leur statut marital, et qui ne découlent pas d’obligations constitutionnelles ou internationales », a proposé Gérald Darmanin dans un entretien au Figaro, vantant « une lutte plus intraitable que jamais contre les étrangers délinquants ».

    Au risque d’alimenter l’amalgame entre délinquance et immigration, mais aussi de pousser plus loin la différenciation des peines en fonction de la nationalité.

     

    Initialement prévu pour octobre, l’examen du texte a été repoussé sur ordre de Matignon pour laisser place à une « consultation » et à un débat préalable au Parlement, qui s’annonce déjà comme un concours Lépine du sécuritaire entre LR et le RN.


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  • Affaire Iquioussen : la LDH défend le droit

    Entretien.

     

     

    DROIT

    La demande d’expulsion de l’imam Hassan Iquioussen par le ministre de l’Intérieur et sa suspension par le tribunal administratif ont entraîné un emballement médiatique et politique que dénonce le président de la Ligue des droits de l’homme, Patrick Baudouin.

     


     
     

    Le 5 août, le tribunal administratif a suspendu l’expulsion de l’imam Iquioussen.

    La Ligue des droits de l’homme (LDH) était intervenue volontairement pour soutenir la requête en référé liberté contre l’arrêté d’expulsion.

    Le ministre de l’Intérieur a été enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. Iquioussen.

    Gérald Darmanin a annoncé faire appel de cette décision devant le Conseil d’État.

     

    Que reproche le ministère de l’Intérieur à Hassan Iquioussen ?

    Dans l’arrêté d’expulsion, il est reproché à cet imam d’avoir tenu des propos à caractère fortement antisémite – dont les derniers ont été tenus en 2014 –, de porter atteinte aux valeurs républicaines, de tenir des propos plus ou moins complotistes en mettant en doute les attentats terroristes.

    Et le quatrième reproche est d’avoir tenu, il y a trois ans, des propos contraires à l’égalité hommes-femmes, du genre : la femme ne doit pas sortir sans être accompagnée…

    Ce sont les quatre reproches qui servent de base à l’arrêté d’expulsion, pour dire que l’on entre dans le cadre d’un article du Code des étrangers permettant d’expulser des personnes qui sont en France depuis plus de vingt ans, notamment au motif de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes déterminé.

     

    Quelle est la position de la Ligue des droits de l’homme ?

    Je tiens à rappeler que la LDH déplore et désapprouve absolument les propos qui ont pu être tenus par cet imam, que ce soit au niveau de l’égalité hommes-femmes ou de l’antisémitisme.

    Mais la question qui se pose est une question de droit :

    les motifs évoqués par le ministre de l’Intérieur sont-ils des motifs juridiquement sérieux qui permettent l’expulsion ?

    Nous avons considéré que tel n’était pas le cas, pour les raisons reprises par la décision du tribunal administratif, qui a ordonné le sursis à l’application de l’arrêté d’expulsion.

    Les propos antisémites ont été tenus il y a près de dix ans.

    Depuis lors, cet imam les a totalement désavoués.

    Sur la question des valeurs républicaines et du complotisme, le dossier produit par le ministre de l’Intérieur repose plus sur des allégations que sur des preuves.

    Il n’y a pas de preuves de propos récents, où il soutiendrait que la charia est la seule loi applicable.

    Concernant l’égalité hommes-femmes, au vu des éléments du dossier, il y avait certes des propos condamnables.

    Mais il n’y a jamais eu de procédures intentées contre cet imam.

    C’est assez rare d’expulser quelqu’un à qui l’on reproche la discrimination, les propos haineux ou portant à la violence et qui n’a pas été condamné.

    La notion évoquée de troubles à l’ordre public nous laisse extrêmement sceptiques.

     

    Hassan Iquioussen vit en France depuis toujours.

    Il est né en France, il a eu la nationalité française et l’a abandonnée à l’âge de ses 16 ans pour prendre la nationalité marocaine, à la demande de ses parents.

    Ensuite, à deux reprises il a demandé la nationalité française qu’il n’a pas obtenue.

    Il a eu des titres de séjour renouvelés sans difficulté jusqu’à la dernière demande, en mai.

    Là, on le lui refuse et on lui présente un arrêté d’expulsion pour des faits anciens, reniés pour certains d’entre eux.

    Il est né en France, a vécu en France, a toute sa famille en France (5 enfants, sa femme, des petits-enfants).

    Il y a un droit fondamental qui est le droit à la vie privée et à la vie familiale.

    Il nous est apparu que la mesure d’expulsion était disproportionnée et injustifiée au regard des éléments produits par le ministre en l’état.

    C’est exactement ce qu’a retenu le tribunal administratif dans son jugement le 5 août.

     

    Depuis quelques jours, une vidéo tourne sur les réseaux sociaux : celle d’un prêche de 2021 dans l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet aux propos anti-IVG, homophobes, contre lequel aucune action du ministère de l’Intérieur n’a été menée. Qu’en pensez-vous ?

    Quand il y a des propos homophobes, le parquet peut se saisir du dossier, déposer une plainte pour propos homophobes et ça tombe sous le coup de la loi.

    La Ligue des droits de l’homme est très souvent partie civile dans ces procès-là, où il est question de propos antisémites, racistes, homophobes, contre les femmes.

    Il y a des lois pénales, des sanctions qui doivent être appliquées.

    Peu importe qui les tient, des Français nés en France ou des étrangers vivant en France : il faut poursuivre.

    L’imam aurait certainement dû être poursuivi il y a dix ans, mais ça n’a pas été fait.

    Le ministre a fait un recours devant le Conseil d’État et c’est son droit le plus légitime.

    Mais je trouve très choquants ses propos affirmant que l’imam n’a rien à faire sur le territoire français, alors que la justice est saisie.

    Il y a une séparation des pouvoirs.

    Le pouvoir judiciaire doit rester indépendant, et le pouvoir politique doit le laisser indépendant.

    Là, il y a une pression manifeste exercée par Gérald Darmanin.

     

    Le secrétaire général des « Républicains », Aurélien Pradié, utilise, comme le RN, cette affaire pour remettre à l’ordre du jour la création d’une Cour de sûreté. Comment réagissez-vous à cela ?

    Rétablir une Cour de sûreté, c’est créer à nouveau une juridiction d’exception telle qu’on en a eu dans le passé en France.

    Les juridictions d’exception portent atteinte à l’État de droit.

    Je trouve actuellement très dangereuse cette agitation médiatique du ministre de l’Intérieur, cette occupation des écrans avec beaucoup de rodomontades.

    Maintenant, ce sont les LR qui ne veulent pas donner l’impression d’être en retrait, et qui vont aller encore plus loin…

    Où va-t-on s’arrêter ?

    On a déjà tous les instruments juridiques.

    En matière de terrorisme, on est à 25 lois depuis 1985.

    À quoi cela sert-il ?

    C’est du clivage, sans cesse, pour opposer les camps, les Français, les étrangers…

    C’est une dérive.

    C’est bien qu’il y ait encore des juridictions comme le tribunal administratif – et je l’espère, le Conseil d’État – qui donnent des coups d’arrêt.

    Gérald Darmanin dit que si le Conseil d’État lui donne tort, il proposera de modifier la loi pour la durcir encore, alors qu’elle est suffisante pour lui permettre d’expulser… sauf quand le tribunal dit que les preuves ne sont pas suffisantes.

    M. Darmanin est mauvais joueur et ne veut pas s’incliner.

     

    « Rétablir une Cour de sûreté, c’est créer à nouveau une juridiction d’exception telle qu’on en a eu dans le passé en France. Et porter atteinte à l’État de droit. »

    « La notion évoquée de troubles à l’ordre public laisse la LDH extrêmement sceptique. »


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  • « La France insoumise a opéré un virage majeur »

    Gauche

    Le sociologue Manuel Cervera-Marzal analyse les conséquences de la séquence des élections présidentielle et législatives pour la FI, dont la stratégie « populiste » de 2017 a été mise en sourdine en 2022.


     

    Manuel Cervera-Marzal Sociologue,

    chargé de recherche à l’université de Liège

    Auteur du Populisme de gauche. Sociologie de la France insoumise, (la Découverte, 2021) Manuel Cervera-Marzal considère que le mouvement, qui a renoué avec le terme « gauche » à l’occasion des élections, va devoir ­développer des « ramifications locales » pour ne pas s’affaiblir.

     

    En 2021, vous considériez dans votre livre que la France insoumise (FI) achevait un cycle populiste. Est-ce toujours le cas en 2022 ?

    La stratégie discursive du « peuple contre l’oligarchie » était très présente en 2017.

    En 2022, on peut déjà soulever un point notable : le terme « gauche », qui avait disparu du vocabulaire de Jean-Luc Mélenchon lors de la précédente échéance, a fait son grand retour lors de la présidentielle.

    Dans plusieurs entretiens, il se ­réclame de la « gauche radicale », de la «gauche de rupture », à la différence de la « gauche d’accompagnement».

    Ensuite, il a impulsé une union de la gauche aux législatives à laquelle peu de gens s’attendaient, et qu’il rejetait il y a cinq ans.

    C’est un virage majeur par rapport à la stratégie populiste de 2017.

     

    Les insoumis redeviennent-ils un parti de gauche plus classique ?

    Oui, et ce ne sont pas les seuls.

    Même le Parti socialiste (PS) est concerné.

    Alors qu’un certain nombre de gens doutaient de plus en plus de l’appartenance du PS à la famille de la gauche, son premier secrétaire, Olivier Faure, a tranché très clairement en réaffirmant que la famille politique des socialistes ce sont les insoumis, les communistes, les Verts, c’est-à-dire la gauche.

     

    Comment cette clarification a-t-elle pu avoir lieu ?

    Le contexte a changé.

    En 2017, on sort du quinquennat Hollande, un quinquennat socialiste.

    Il a abîmé, démonétisé l’idée de gauche auprès de larges secteurs de l’électorat.

    Jean-Luc Mélenchon a occupé progressivement le vide laissé par l’effondrement du Parti socialiste.

    L’aboutissement, c’est l’union de la gauche à laquelle on assiste aujourd’hui.

    Même s’il est bas, on voit bien qu’il reste à la gauche un socle d’environ 30 % des électeurs qui se déplacent pour voter.

    Cela avait donc un sens de réinvestir cette étiquette aujourd’hui.

    Mélenchon ne navigue pas à vue : il espérait certainement gagner la présidentielle, mais il avait prévu l’option d’une élimination.

    Les alliances passées pour les législatives, il les avait en tête depuis un certain temps.

    Réaffirmer son appartenance à la gauche, c’était préparer le terrain.

     

    Depuis 2017, la France insoumise a pourtant traversé des périodes critiques. Beaucoup tablaient sur sa fin et une quasi-disparition de la gauche avant le premier tour de la présidentielle. Que s’est-il passé pour que la donne soit si différente ?

    Plusieurs éléments expliquent le rebond, et même le progrès de 2022.

    La France insoumise est avant tout conçue pour les joutes des présidentielles.

    Elle a une faible implantation locale.

    Ce n’est pas qu’elle n’a pas réussi à le faire, c’est que les stratèges du mouvement n’ont jamais voulu doter le mouvement de ramifications dans les territoires et dans la société.

    Ils ont concentré les moyens humains, financiers et matériels au sommet de la pyramide, autour de la communication du leader.

    Présidentialisée, la FI n’est pas très bien calibrée pour les autres scrutins.

     

    Mais c’était la troisième campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon.

    Il y a donc une accumulation d’expérience qui entre en ligne de compte et, pour les électeurs, c’est un point de stabilité dans un paysage.

    Les insoumis ont aussi beaucoup travaillé leur programme et sa mise en scène, et pris en compte une des grandes critiques qui leur avaient été adressées en 2017, à savoir leur fonctionnement mono­lithique, leur manque de pluralisme et d’ouverture.

    En mettant sur pied le parlement de l’Union populaire écologique et sociale (Nupes), ils ont pu mettre en scène les ralliements de personnes venues d’autres mouvements.

     

    Ces mouvements sont-ils toujours sujets aux « percées fulgurantes mais éphémères », comme vous nous l’expliquiez il y a quelques mois ?

    Ces nouveaux mouvements ne sont pas organisés comme des partis traditionnels, sans véritables congrès et structures intermédiaires, avec un leader et sa base évanescente.

    Les effectifs gonflent pour une élection présidentielle, puis redescendent aussitôt.

    Cette tendance observée il y a cinq ans reste valable.

    L’Union populaire a fonctionné de la même manière que la FI, la République en marche également.

     

    Mais, avec la poursuite de l’effondrement des partis traditionnels, 2022 confirme qu’il y a bien un basculement du paysage politique.

    On peut imaginer des changements substantiels pour la FI dans les prochaines années.

    La centralité autour de Jean-Luc Mélenchon va rester.

    Sauf accident, je ne vois pas pourquoi il quitterait la scène politique.

    Mais la FI a multiplié par 4 le nombre de ses députés, et son financement public est passé de 4 à 10 millions d’euros annuels.

    Ils ne continueront pas à orienter tous ces moyens uniquement sur la présidentielle.

    Il leur faudra ­développer des ramifications locales.

    Sinon, ils risquent de se réaffaiblir.

    Si le Rassemblement national arrive à obtenir des scores décorrélés de son implantation militante, ce n’est pas le cas des partis de gauche.

    Pour ces derniers, le travail sur le terrain a véritablement une influence sur les ­résultats électoraux.

    L’avenir électoral de la FI dépend de sa ­capacité à développer un maillage militant.

     

    En Espagne, Podemos a fait face à un plafond de verre qui a permis au final aux socialistes de revenir au centre du jeu à gauche. Après la campagne de la Nupes et les clarifications sur la ligne du PS, peut-on imaginer la même évolution en France ?

    Le cas de l’Espagne est intéressant.

    La dynamique de vases communicants change de sens en 2016, au moment où Pedro Sanchez prend la tête du Parti socialiste face aux barons sociaux-libéraux tels que Zapatero – l’équivalent de la «Hollandie» en France.

    Il réancre son parti à gauche face à la concurrence de Podemos.

    Cela s’est avéré une stratégie gagnante.

    Il a remis en selle le PSOE, et Podemos devient la force d’appoint.

    Il ne faut donc pas enterrer les socialistes français trop vite non plus.

    En faisant cette alliance avec eux au sein de la Nupes, Jean-Luc Mélenchon a peut-être remis en selle le PS…

    Même si tout n’est pas oublié.


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  • L’austérité avance masquée

     

    BUDGET

    Le ministre délégué aux Comptes publics, Gabriel Attal, a fait la promotion ce lundi des crédits supplémentaires que l’exécutif prévoit d’accorder à certains ministères.

    Mais c’est surtout une baisse globale des dépenses publiques et des réformes de régression sociale que prépare le gouvernement.

     


     
    Piste à l’étude : la durée de travail nécessaire pour ouvrir des droits de même que la durée et le montant de l’indemnisation pourraient dépendre du taux de chômage de sa région.
     

     

    Même en l’absence de bonnet rouge à pompon, Gabriel Attal s’est, en plein mois d’août, donné des airs de père Noël ce lundi.

    « Hausse inédite de 11,4 % », soit « 12,5 milliards d’euros », pour les budgets de « l’Éducation, du Travail et des Solidarités », a promu le ministre délégué aux Comptes publics dans les Échos.

    Sans compter, les « 6,1 milliards » pour « la Défense, l’Intérieur, la Justice et les Affaires étrangères » ou encore les « 3,3 milliards d’euros supplémentaires » pour « les ministères de la Transition environnementale, de la Cohésion des territoires et de l’Agriculture ».

     

    La semaine dernière, le même lançait pourtant dans l’Hémicycle :

    « Nous sommes passés du “quoi qu’il en coûte” au “combien cela coûte”. »

     

     

    Le gouvernement aurait-il changé de braquet en quelques jours seulement ?

    En réalité, sous la pluie de milliards, la feuille de route de l’exécutif demeure celle du programme de stabilité présenté mardi dernier à l’Assemblée, « revenir à 3 % du PIB en 2027 ».

     

    « Quel budget sera sacrifié ?

    La santé ? La recherche ? La culture ? »

    Pour maintenir le cap vers cet objectif sans fondement économique, la recette gouvernementale relève d’un grand classique libéral.

    À commencer par la « maîtrise des dépenses publiques ».

    « Au sens large (elles) diminueront de 0,3 % en volume l’an prochain », a confirmé le ministre qui prévoit que « les crédits du budget de l’État s’élèveront à 339 milliards d’euros en 2023 », soit « une diminution de 2,5 % en volume ».

     

    Annoncer des hausses, pour mieux faire avaler une baisse globale, le tour de passe-passe est habile mais pas sans conséquence.

    « Quel budget sera sacrifié ? La santé ? La recherche ? La culture ? » interroge le député communiste Fabien Roussel.

    En première ligne ?

    « Ce qu’ils nomment les “dépenses trop importantes des services publics” au risque d’en éloigner encore les citoyens et d’aggraver leur sentiment d’abandon », redoute son collègue PCF Jean-Marc Tellier.

    Les services publics locaux ne devraient pas être à l’abri avec « une baisse de 0,5 % par an en volume des dépenses pour les collectivités ».

     

    Interrogé sur où piocher pour réaliser ces économies, Gabriel Attal préfère évoquer la réduction « de 8 milliards d’euros des dépenses liées à la relance post-Covid » ou encore des « réaffectations de crédits » dans chaque ministère.

     

    Mais le président FI de la commission des Finances de l’Assemblée, Éric Coquerel, met en garde aussi sur les hausses annoncées :

    « Pour le ministère du Travail, une partie importante c’est l’apprentissage.

    Pour celui de la Transition écologique, a priori c’est Ma prime rénov, le bouclier tarifaire…

    Ce sont des dispositifs qui augmentent, mais pas des budgets qui vont directement à l’État.

    Or, l’effet des catastrophes climatiques, comme les incendies de cet été, nécessiterait très certainement qu’on arrête de diminuer les postes de l’Office national des forêts par exemple. »

     

    Plus encore, les 3 milliards prévus pour l’environnement (à partager avec la cohésion des territoires et l’agriculture) sont assez loin du compte.

    « L’Institut de l’économie pour le climat a estimé à 17 milliards d’euros supplémentaires par an le montant nécessaire pour financer la transition énergétique », remarquait la semaine dernière l’écologiste Éva Sas à l’Assemblée, jugeant que « l’austérité qui sous-tend le programme de stabilité n’est pas compatible avec la nécessaire conversion écologique de notre société ».

     

    Quant au nombre de fonctionnaires, Bercy s’en tient à « un objectif de stabilité sur le quinquennat ».

    Mais si le jeu est à somme nulle, sachant que des recrutements sont notamment annoncés du côté du ministère de l’Intérieur, c’est que des postes seront retranchés ailleurs.

    C’est « une période d’austérité plus importante encore que celle qui avait suivi la crise de 2008, durant laquelle la croissance moyenne des dépenses avait été de 0,9 % », assure Jean-Marc Tellier, quand l’écologiste Sophie Taillé-Polian rappelle que « leur évolution naturelle est évaluée à + 1,3 % ».

    En revanche, les prévisions de croissance en hausse et d’inflation en baisse du gouvernement sont, elles, jugées optimistes par la gauche :

    « C’est un budget de régression, d’austérité et en même temps il risque rapidement d’être insincère », résume Éric Coquerel, qui note que « si en 2023 l’inflation, comme le laissent présager nombre d’organismes internationaux, ne baisse pas de 3 points comme prévu, le budget sera réduit d’autant ».

     

    Les privés d’emploi et les bénéficiaires de la solidarité désignés à la vindicte populaire

    Prêt à « la même méthode de compromis » que celle qui lui a valu le soutien de LR pour le budget rectificatif, l’exécutif affirme aussi « les mêmes lignes rouges : ni dette ni impôts ».

    Une ambition partagée mais la négociation s’annonce serrée, d’autant que le vote du budget trace traditionnellement la frontière entre majorité et opposition.

    Le deuxième pilier du plan d’austérité de l’exécutif sera peut-être plus naturellement favorable à une alliance des droites.

     

    Car, pour tenir son calendrier, le gouvernement mise sur une nouvelle salve de réformes « structurelles » – comprendre, « libérales ».

    « Nous concertons sur des réformes sur les retraites et l’assurance-chômage à la rentrée, qui renforceront l’activité et contribueront à la soutenabilité de notre modèle », plaide ainsi Gabriel Attal.

    Comme toujours, les privés d’emploi et les bénéficiaires de la solidarité sont désignés à la vindicte populaire comme autant de cibles, qu’il conviendrait de « remobiliser » par diverses techniques coercitives.

     

    Une première série de textes concernerait ainsi l’assurance-chômage, avec pour objectif le prolongement des règles mises en place lors du dernier quinquennat, qui ont durci notamment les conditions d’indemnisation.

    Mais le gouvernement pourrait aller encore plus loin, en s’inspirant du système canadien, « quand ça va bien, on durcit les règles, et quand ça va mal, on les assouplit », a annoncé en juillet le ministre du Travail.

    En gros, la durée de travail nécessaire pour ouvrir ses droits, de même que la durée et le montant de l’indemnisation, dépendent du taux de chômage de sa région : si un salarié se trouve dans une zone de chômage « faible » (moins de 6 % par exemple), il aura moins de droits qu’un autre situé dans une zone où le chômage dépasse 10 %.

     

    « Ce type de mesure vise à inciter les privés d’emploi à accepter n’importe quel boulot, dénonce Denis Gravouil, de la CGT.

    S’il y avait 6 millions d’emplois non pourvus en France, cela se saurait (le chiffre oscillerait plutôt entre 255 000 et 390 000 par an, selon Pôle emploi – NDLR) ! »

    Le syndicaliste rappelle que les difficultés de recrutement, lorsqu’elles existent, sont surtout liées aux conditions de travail.

    Même analyse pour Marylise Léon, de la CFDT : « Dans la très grande majorité des cas, les problèmes de main-d’œuvre renvoient plutôt à des pénuries de compétences, aux conditions de travail et de rémunération et aussi au fait que, malheureusement, beaucoup d’employeurs ne savent pas recruter », confiait-elle au Monde en juillet.

     

    La rentrée sociale s’annonce musclée à l’Assemblée

    comme dans la rue

    Le gouvernement compte aussi s’attaquer au RSA.

    Le candidat Macron avait proposé de conditionner son versement à quinze à vingt heures d’activité ou de formation par semaine.

    Des expérimentations pourraient être lancées dès l’automne dans les départements, avec un accompagnement vers le retour à l’emploi renforcé.

    « Aider les bénéficiaires du RSA à s’insérer est évidemment une bonne chose, résume Denis Gravouil.

    Mais, outre le fait que cet accompagnement existe déjà, il ne faut pas être dupe du message gouvernemental sous-jacent, d’ailleurs en adéquation avec le discours de LR : pour eux, les personnes concernées sont des “assistées” qui ne font pas d’effort pour s’en sortir.»

     

    Dernier chantier gouvernemental, celui des retraites.

    Pour l’instant, l’exécutif maintient le flou artistique autour du projet, dont on sait seulement qu’il pourrait entrer en application à l’été 2023, et devrait se traduire par de nouveaux reculs sociaux (allongement de la durée de cotisation et suppression des régimes spéciaux).

    L’ensemble des syndicats a déjà dit son hostilité à tout relèvement de l’âge légal de départ à la retraite, à 64 ou 65 ans.

     

    Autant dire que la rentrée sociale s’annonce musclée : à l’Assemblée comme dans la rue, les opposants à l’austérité macroniste annoncent la couleur.

    La CGT et Solidaires appellent à une journée d’action interprofessionnelle le 29 septembre.

    De leur côté, les responsables de gauche fourbissent leurs armes.

    La Nupes prépare un « contre-budget commun » et entend proposer de mettre à contribution les plus fortunés et les grands groupes, avec au minimum la taxe sur les superprofits.

    Jean-Luc Mélenchon (LFI) souhaite organiser une « marche contre la vie chère » en octobre.

    Soutenant les mots d’ordre syndicaux, Fabien Roussel (PCF) a également redit son ambition de mobiliser notamment sur « une réforme des retraites progressiste » avec toutes les forces de gauche.

    Réaction, tout en désinvolture, d’Aurore Berger, députée macroniste, sur BFMTV : « On nous promet une rentrée sociale chaude tous les ans. »

    Une manière de relativiser la colère sociale… ou de se rassurer à bon compte.


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  • Nouvelle note salée pour les plus modestes

     

    POUVOIR D’ACHAT

    Entre un budget rectificatif qui mise sur la TVA et l’austérité programmée pour les prochains mois, ce sont les moins fortunés qui paieront la facture des mesures de l’exécutif, dont l’examen s’achève cette semaine.

     


     
     

    « Pas d’augmentation d’impôts. »

    La formule fétiche de Bruno Le Maire a été répétée à l’envi par le ministre de l’Économie, à l’occasion de l’examen au Parlement des projets de loi sur le pouvoir d’achat, qui doit s’achever cette semaine.

    Mais, comme souvent avec le gouvernement, derrière la thèse de la pression fiscale insupportable, il s’agit surtout de préserver grandes fortunes et grands groupes d’une contribution plus juste.

    Car les poches des Français lambda, elles, ne seront pas épargnées.

    Et pour cause, l’exécutif et sa majorité relative, qui avec l’appui de LR ont à nouveau rejeté en début de semaine la taxe sur les superprofits du CAC 40, comptent bien sur un impôt : la TVA.

    « Le gouvernement s’enferme dans un dogme incroyable : dès qu’on enlève un impôt, il ne faut pas en créer un autre.

    Mais qui paie la note ?

    Les Français, qui au final se font taxer plutôt que les profiteurs de crise », dénonce le député PCF Nicolas Sansu.

    « Ils annoncent que tout ce qui sera supprimé sera remplacé par une fraction de TVA : la redevance audiovisuelle – plus de 3 milliards –, la fin de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – NDLR) acquittée par les entreprises et à destination des collectivités – plus de 7 milliards –, etc. », détaille l’élu du Cher.

     

    Or cette taxe, qui représente une part importante des ressources de l’État (38,1 % des recettes fiscales brutes du budget 2021, contre 23,7 % pour l’impôt sur le revenu, 16 % pour celui sur les sociétés, selon l’Insee), est aussi l’une des contributions les plus injustes : chacun la paie au même niveau, quels que soient ses revenus.

     

    Pire, la note est bien plus douloureuse pour les plus modestes.

     

    « Les ménages les plus aisés ne consomment pas l’intégralité de leurs revenus et paient donc relativement moins de TVA, car ils épargnent plus », observent Mathias André et Anne-Lise Biotteau, de l’Insee.

     

    Selon Attac, un couple avec enfant dont les revenus s’élèvent à 20 000 euros par an en consacre ainsi 10,6 % à la TVA, contre 6,3 % pour un ménage disposant de 100 000 euros.

     

    Difficile, dès lors, de compter directement sur cette taxe quand on veut se faire chantre du pouvoir d’achat.

    Bruno Le Maire s’y est donc engagé : « Il n’y aura pas d’augmentation de la TVA », a-t-il promis en juin, interpellé par l’insoumis Jean-Luc Mélenchon, soucieux de savoir comment le gouvernement entendait trouver « 80 milliards d’euros pour respecter la promesse faite par Macron à la Commission européenne » concernant la réduction du déficit.

     

    Mais le diable se cache dans les détails.

    « Il ne le dira jamais clairement, mais on n’est pas obligé de hausser le taux de la TVA, elle augmente mécaniquement avec l’inflation », explique la députée FI Aurélie Trouvé.

    « La Macronie gage même tout son budget là-dessus, cela signifie qu’ils espèrent que l’inflation va être suffisamment forte pour maintenir une TVA en augmentation », abonde Nicolas Sansu.

     

    D’ores et déjà, elle devrait rapporter au moins 5 milliards de plus en 2022 qu’en 2021, selon la Direction générale des finances publiques.

    « Cette manne supplémentaire est payée de manière totalement inégalitaire, principalement par les plus en difficulté. Du fait de l’inflation, la pression fiscale augmente davantage pour les plus modestes », rappelle ainsi la députée écologiste Sophie Taillé-Polian.

     

    « Du “quoi qu’il en coûte” au “combien cela coûte” »

    D’autant que la fin de l’envolée des prix n’est pas pour demain.

    « On prévoit au moins 7 %, mais tous les acteurs estiment qu’elle ira au-delà, avec un pic plutôt pour début 2023 », détaille Aurélie Trouvé, rapporteure d’un groupe de suivi sur l’inflation.

     

    Un niveau bien plus élevé que les hausses de pensions et allocations consenties par le gouvernement dans son paquet pouvoir d’achat.

    Alors même que les produits de première nécessité, notamment l’alimentaire ou l’énergie, sont touchés de plein fouet.

    « La TVA est à 20 % sur l’énergie. C’est un produit essentiel dit le Conseil d’État, et pourtant l’État se gave dessus », estimait déjà avant la session parlementaire Alain Bazot, le président de l’UFC-Que choisir, plaidant pour « une contribution spéciale pour ceux qui se gavent sur la crise, qui font des surprofits ».

     

    Pourtant, le gouvernement, non content de rejeter les propositions visant à augmenter les salaires, a réussi à trouver une majorité de circonstance pour exclure une telle option, tout comme les mesures de blocage des prix à laquelle la gauche estime indispensable d’associer les baisses de TVA.

    À défaut, « il n’y a pas de certitude que cela aille dans la poche des consommateurs. Cela peut très bien finir en marges supplémentaires », assure Aurélie Trouvé.

     

    L’exécutif ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.

    « À ne pas vouloir changer d’architecture fiscale pour remettre à contribution ceux qui peuvent le plus, ils seront face à deux murs : celui de la charge de la dette, avec déjà 12 milliards de plus en budget rectificatif à cause de la remontée des taux d’intérêt, et celui du risque de voir la croissance patiner », pronostique Nicolas Sansu.

    Et les députés de gauche tirent plus vivement encore la sonnette d’alarme depuis la présentation du programme de stabilité 2022-2027 à l’Assemblée mardi.

    « Nous sommes passés du “quoi qu’il en coûte” au “combien cela coûte” », a lancé le ministre délégué aux Comptes publics, Gabriel Attal.

    L’objectif est clairement affiché : « Le chemin que nous empruntons doit nous permettre de ramener le déficit public sous le seuil de 3 % à l’horizon 2027 », a prévenu le locataire de Bercy.

    Si les mesures précises doivent être détaillées en septembre, les grandes lignes sont déjà connues : « maîtrise de l’augmentation de la dépense publique » à + 0,6 %, et « réformes structurelles, notamment des retraites » sont au menu.

    S’y ajoutent celles de l’assurance-chômage ou encore du RSA.

    Pour la gauche cette politique porte un nom, ont rappelé en séance ses élus : « austérité ».

     

    « C’est la double peine »

    « Force est de constater qu’aucune des leçons de la période postcrise de 2008 n’a été retenue.

    Alors que beaucoup ont mis en avant les effets délétères de la consolidation budgétaire qui avait alors eu lieu, vous vous apprêtez à récidiver pour des raisons purement idéologiques », a pointé le communiste Jean-Marc Tellier.

    « L’austérité qui sous-tend ce programme de stabilité n’est pas compatible avec la nécessaire conversion écologique de notre société, ni avec la préservation de notre système de santé », a ajouté l’écologiste Eva Sas.

    Face aux dénégations du ministre, Alma Dufour (FI) est également montée au créneau :

    « Vous mentez quand vous annoncez qu’il n’y aura pas d’austérité. Les dépenses publiques croissent naturellement avec la démographie. Le Sénat nous indique que cette croissance est d’environ 1,3 % par an, or vous proposez d’augmenter les dépenses de seulement 0,6 % par an. »

     

    « C’est la double peine », résume pour sa part Aurélie Trouvé, qui redoute que « la politique de hausse des taux d’intérêt » combinée à «une politique antisociale » ne « freine la consommation populaire » à rebours de la relance nécessaire.

    La recette gouvernementale n’est malheureusement pas nouvelle.

    Derrière les discours soucieux de pouvoir d’achat, c’est bel et bien aux citoyens qui n’ont pas la chance de compter parmi les plus fortunés que la facture est, encore et toujours, présentée.


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