• Roussel comparé à Doriot :

    l’insulte qui pourrait tuer la Nupes

    La députée insoumise Sophia Chikirou a comparé Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF au collaborationniste Jacques Doriot, sur les réseaux sociaux, avec l’assentiment de Jean-Luc Mélenchon. Une injure qui scandalise les communistes, bien sûr, mais aussi EELV, le PS et une partie de la FI.

     

    La Nupes n’a jamais cessé de vaciller sous le poids des querelles internes depuis que l’accord électoral a été scellé en mai 2022.

    Mais, mercredi 20 septembre, le Rubicon a été franchi en matière d’injures et de calomnies entre partenaires de gauche.

    « Il y a du Doriot dans Roussel », a osé écrire la députée de la France insoumise Sophia Chikirou dans une Story publique sur Facebook.

     

    Comparaison abjecte entre le secrétaire national du PCF et le collaborationniste Jacques Doriot, passé du communisme au fascisme après 1936.

    Le commentaire de l’élue FI de Paris accompagne une publication de l’Œil gauche, un compte qui se décrit comme « une revue de presse politique sarcastique » et qui accuse Fabien Roussel de viser « l’électorat de Le Pen-Zemmour ».

    Condamnant des propos « d’une extrême gravité », « véritable appel à la haine et à la violence contre Fabien Roussel », le PCF a exigé, dans un communiqué de presse, la suppression de la publication et des excuses de la part de la députée ainsi que de la FI.

    « C’est l’ensemble de la famille communiste et sa mémoire que cette députée salit », ajoute André Chassaigne, président du groupe GDR, dans un autre communiqué publié au nom des députés communistes.

    Quelques heures après le communiqué du PCF, c’est la récidive…Cette fois de Jean-Luc Mélenchon

    Le coordinateur de la FI, Manuel Bompard, n’a pas donné suite à ces demandes.

    Las, quelques heures après le communiqué du PCF, c’est la récidive.

    Signée cette fois Jean-Luc Mélenchon, qui partage à son tour le message de Sophia Chikirou.

    L’injure s’inscrit dans un contexte incandescent de montée des tensions entre communistes et insoumis autour de la ligne Roussel, perçue par la FI comme anti-Nupes.

     

    Des premières fractures étaient apparues entre PCF et mélenchonistes durant la réforme des retraites, sur l’attitude « bordélisatrice » de la FI, à adopter ou non dans l’Hémicycle.

    Puis lors des violences urbaines consécutives à la mort de Nahel, tué par la police à Nanterre.

     

    Le 8 juillet, Fabien Roussel avait accusé la FI, du fait de son « refus d’appeler au calme », de ne plus « représenter la gauche qui ne cède rien aux valeurs de notre République ».

    Dans une note de blog datée du 15 juillet, Jean-Luc Mélenchon avait alors évoqué Jacques Doriot, ainsi que Marcel Déat (socialiste passé dans le camp de la collaboration) pour tacler le PCF et le PS, coupables à ses yeux d’être « équivoques » dans leur condamnation des violences policières et de la xénophobie subie par les habitants des quartiers populaires.

     

    S’ajoutent à cela les tensions autour des élections européennes de juin 2024, où la FI ne démord pas de l’idée d’une liste unique, et des sénatoriales, où les insoumis se sont retrouvés mis à l’écart du reste de la gauche.

    Mais de là à s’envoyer des accusations de nazisme entre partenaires, il y a un cap, gravissime, de franchi.

     

    « Le gouvernement doit sortir le pop-corn en nous voyant nous taper dessus »

    À l’Assemblée nationale, écologistes et socialistes restent sidérés.

    Les présidents de groupe PS et EELV condamnent unanimement les propos de Sophia Chikirou et l’attitude de Jean-Luc Mélenchon, tout comme les chefs des deux partis, Olivier Faure et Marine Tondelier.

    Le spectre d’un éclatement de la Nupes plane.

    « Halte au feu ! », « Stop, stop, stop », « le débat ce n’est pas le pugilat », écrivent-ils.

    « C’est désespérant, c’est la pire image que la gauche puisse donner en cette rentrée. Une partie de la FI veut faire exploser la Nupes, ne leur faisons pas ce cadeau », alerte le socialiste Philippe Brun.

     

    « Le gouvernement doit sortir le pop-corn en nous voyant nous taper dessus », abonde l’écologiste Cyrielle Chatelain, tout aussi dépitée.

    Depuis l’été, s’est instaurée entre nous une guerre de la petite phrase. Là, on tombe dans l’attaque interpersonnelle et la décrédibilisation des autres partis… »

    L’élue Génération.s, Sophie Taillé-Polian, ajoute : « Si on travaille ensemble, c’est qu’il y a une communauté et qu’on combat tous le fascisme. »

     

    « Dire de Roussel qu’il est hitlériste, ça relativise la collaboration et le nazisme. C’est du confusionnisme historique. Ça fait reculer la politique, ça nous désarme face à l’extrême droite. C’est une erreur politique et historique grossière », tranche Raquel Garrido, députée FI en rupture nette avec la ligne Mélenchon.

     

    Mais d’autres élus refusent de condamner les propos du patron insoumis :

    « Pour moi, ça ne renvoie pas à la collaboration, mais au doriotisme de 1934-1939, tente de nuancer un mélenchoniste. C’est-à-dire au fait de reprendre les mots de l’extrême droite pour les retourner contre ses alliés de gauche. C’est ce que fait Roussel quand il se moque des écologistes qui mangent des graines ou ironise sur les catastrophes écologiques et la viande. Au moins, en 1932, Doriot défendait les travailleurs étrangers. »

    Sacrée acrobatie pour éviter d’avoir à se distancier des propos des dirigeants insoumis, jusqu’à tenter de déconnecter Doriot de la collaboration et du nazisme, en plus de mentir concernant la position de Fabien Roussel sur les travailleurs étrangers…

     

    L’extrême droite, elle, se frotte les mains

    Plus embarrassé, un autre député FI botte en touche : « Je ne l’aurais pas dit comme ça, mais Fabien Roussel s’est engagé sur une pente, comme Manuel Valls… »

    « C’est une connerie, ça ne fait rien avancer, pas même le débat stratégique, grince toutefois un troisième parlementaire, pourtant lui aussi proche de la ligne Mélenchon.

    Sophia a voulu faire de la provoc’ pour consommer la rupture avec Roussel, qui veut être candidat en 2027. On aurait pu juste prendre acte qu’il sort de lui-même de la Nupes en disant ça.

    Ce genre de propos fait que les communistes se replient dans leur carapace pour protéger leur chef. C’est normal, on aurait fait pareil. »

     

     

    De quoi enterrer la Nupes ?

    « Au contraire, répond Fabien Roussel sur Franceinfo.

    Je pense que c’est l’occasion pour nous, peut-être pour toutes les forces de gauche et de progrès, de rappeler quelles sont les règles de l’union et du rassemblement. Et ces règles, c’est d’abord de se respecter ».

     

    « Je ne les aime pas », avait lancé Jean-Luc Mélenchon le 18 septembre au sujet de ses partenaires de la Nupes, avant de défendre l’union car elle est « nécessaire ».

    Drôle de façon de la prôner, quand on colle une croix gammée sur la tête de l’un d’entre eux.

    De tels anathèmes ne peuvent, à la fin des comptes, que salir l’ensemble de la gauche et décevoir les électeurs qui espèrent une alternative au refrain insupportable d’un troisième duel Macronie-RN.

    L’extrême droite, elle, se frotte les mains. Hier paria, aujourd’hui dédiabolisé, le camp nationaliste a tout le loisir de marteler que l’outrance est désormais du côté de la gauche.

    Surtout si celle-ci ne fait rien pour la démentir.


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  • Sophie Binet :

    « Pour le capital, la démocratie est un problème »

     

    La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, était l’invitée, samedi, de l’Agora de l’Humanité.

    La dirigeante estime que les syndicats ont « semé des graines », alors que la centrale cégétiste a réalisé 40 000 nouvelles adhésions.

     

    L'Humanité 18 septembre 2023 >>>>> Naïm Sakhi Sébastien Crépel

     

     

    La foule des grands jours pour Sophie Binet.

    Samedi, en début d’après-midi, la secrétaire générale de la CGT avait carte blanche à l’Agora de l’Humanité.

    Alors que la rentrée prend à la gorge une majorité de salariés et de familles qui n’arrivent plus à faire face à la cherté de la vie, la dirigeante cégétiste a avancé des propositions alternatives.

    Avec pour ligne de mire la mobilisation du 13 octobre pour les salaires et contre l’austérité, elle a aussi indiqué de nouveaux enjeux où se cristallise l’affrontement de classe.

     

    Vous avez été élue en mars au congrès de Clermont-Ferrand, votre profil se différencie de ceux de vos prédécesseurs : vous êtes une femme, cadre, qui n’a pas fait ses armes au PCF. Que signifie votre élection à la tête de la CGT ?

    La CGT est souvent caricaturée, mais les femmes ont toujours été présentes dans nos rangs. Notre congrès fondateur de 1895 a été présidé par une femme, Marie Saderne, une corsetière, à la tête d’une grève de quatre-vingt-dix jours. Le fait d’avoir une femme secrétaire générale n’est pas arrivé naturellement, mais concrétise l’aboutissement des combats féministes pour mettre des femmes à tous les postes de responsabilité dans la CGT.

    Nous avons passé une étape importante, mais je ne dois pas être l’arbre qui cache la forêt : amplifions notre développement féministe et la syndicalisation des femmes.

     

    L’année 2023 restera comme celle des grèves et manifestations intersyndicales contre la réforme des retraites. Que retenez-vous de cette lutte ?

    Nous avons écrit, ensemble, une page de l’histoire sociale. Soyons fiers de ce que nous avons réalisé. Au regard du rapport de force, dans les autres pays européens qui ne sont pas sous le régime de la Ve République nous aurions gagné.

    Nous sommes à un point de bascule : pour le capital, la démocratie est un problème, alors que les populations sont de plus en plus lucides et refusent les réformes libérales.

    Cela va de pair avec l’autoritarisme patronal dans les entreprises. Les banlieues ont été matées à coups de comparution immédiate. Oui, les vols et saccages sont inacceptables, mais ce sont des enfants. C’est une victoire à la Pyrrhus pour Macron.

    Il n’a pas de majorité à l’Assemblée. Il ne peut pas inaugurer le Mondial de rugby sans se faire huer par 80 000 supporteurs. Et le match est ouvert au sein même de son gouvernement pour sa succession. Le pouvoir est affaibli par ce passage en force.

     

    Peut-on parler d’un tournant dans l’histoire du mouvement syndical, en dépit de l’application du texte ? La CGT en sort-elle renforcée ?

    Nous avons semé des graines. Les organisations syndicales sont revenues au centre du jeu. La CGT compte 40 000 nouvelles adhésions. C’est plus de 100 000 pour l’ensemble des centrales syndicales. Nous avons gagné la bataille de l’opinion. Mais cela n’a pas suffi. Nous devons gagner la bataille de la grève.

    Elle ne se décrète pas, mais se construit. La CGT a réussi des grèves reconductibles, notamment dans l’énergie, les transports, le traitement des déchets, etc. Dans certains secteurs, la CGT est implantée, forte de ses nombreuses adhésions. Pour inverser le rapport de force, nous devons faire reculer les déserts syndicaux : 40 % des salariés du privé n’ont pas de syndicats dans leurs entreprises.

    « Avec le 13 octobre, nous donnons ensemble le cap : mobilisons-nous pour les salaires. »

    Le droit de grève y est théorique ; il n’y a pas d’action collective. Comme en 1936, en 1945, en 1968, enclenchons un grand mouvement de syndicalisation. Les conquêtes sociales ont été obtenues lorsque les organisations syndicales, et singulièrement la CGT, étaient au plus fort de leurs effectifs. L’unité syndicale est un grand acquis de ce mouvement, mais elle ne gomme pas les différences.

    La CGT et la CFDT sont deux grandes centrales et nous pouvons débattre des jours durant de nos désaccords. Mais l’unité syndicale donne le cap et permet de rassembler largement le monde du travail. En face, la stratégie du capital est d’abord la répression, mais aussi la multiplication des débats identitaires pour empêcher la classe du travail de s’organiser. Avec le 13 octobre, nous donnons ensemble le cap : mobilisons-nous pour les salaires.

     

    De nombreux cégétistes sont inquiétés pour leurs actions de grève. Le secrétaire général de la fédération des mines et énergie CGT, Sébastien Menesplier, a été convoqué par la gendarmerie. Peut-on parler de menaces sur les libertés syndicales en France ?

    Je tire un signal d’alarme démocratique, non seulement sur les libertés syndicales, mais sur les libertés en général. On croit rêver quand le ministre de l’Intérieur ambitionne de ne plus subventionner la Ligue des droits de l’homme ou qualifie les lanceurs d’alerte environnementaux d’écoterroristes.

    Sébastien Menesplier a été convoqué parce qu’il est le secrétaire général de la fédération fer de lance de la mobilisation contre la réforme des retraites. Nous sommes dans un ruissellement de la répression : taper sur les directions syndicales pour envoyer un message aux chefs d’entreprise afin d’encourager les licenciements dans les entreprises. Si l’extrême droite arrive au pouvoir, elle aura tous les outils constitutionnels et législatifs pour mettre à bas les conquis sociaux.

     

    Une question de méthode : faut-il discuter avec le gouvernement ?

    La CGT ne discute pas avec l’exécutif ou les patrons. La CGT négocie, sur la base d’un rapport de force et sur nos revendications. Grâce à l’unité syndicale, cette méthode est retenue par les autres organisations syndicales. Le patronat change un peu de ton. Et le gouvernement a découvert un nouveau mot : les salaires. Pourtant, il ne voulait pas d’une conférence sociale sur les salaires.

    Les patrons ne supportent pas que le législatif dicte les hausses de salaire et déplorent même l’existence d’un Smic fixé par l’exécutif. La boucle prix-salaire n’existe pas, contrairement à la boucle prix-profit. La conditionnalité des aides publiques, 200 milliards chaque année, soit le tiers du budget de l’État, est une nécessité. Tout comme l’égalité femmes-hommes. La force du capitalisme est de récupérer des dynamiques dans la société à son avantage.

    C’est le cas de l’index inégalité salariale. Il occulte les inégalités entre les femmes et les hommes et, avec des biais grossiers, permet à 95 % des entreprises d’avoir une bonne note. La CGT lie la lutte entre les rapports de domination du capital et celle contre le patriarcat.

     

    Six saisonniers sont morts ces derniers jours durant les vendanges. Le patronat se plaint d’un problème de recrutement. Mais le problème n’est-il pas celui des conditions sociales et des salaires ?

    D’abord, relativisons le problème du recrutement : 5 millions de personnes sont toujours privées d’emploi. Les métiers concernés sont ceux les moins bien payés avec les conditions sociales les plus difficiles. Dans ces secteurs, pour embaucher, il faut modifier les conditions de travail.

    Mais la solution du patronat est de couper dans les allocations-chômage et contraindre les gens à accepter ces métiers difficiles. Dans le dossier de l’assurance-chômage, les organisations syndicales sont pour la première fois unies. Toutes refusent la lettre de cadrage du gouvernement. Le patronat se nie en parlant du non-recours aux droits sociaux, alors que ce phénomène concerne une majorité de chômeurs.

     

    Dans les services publics, les besoins en personnel sont criants. Le discours de l’exécutif sur la réduction de la dette publique est-il audible ?

    Les services publics se trouvent à un stade critique de paupérisation, alors que le budget de l’armement n’a jamais été aussi élevé. Cet été, parmi les 400 décès supplémentaires en raison des fortes chaleurs, combien sont liés à la fermeture des services d’urgence ? 50 % des établissements scolaires manquent d’au moins un enseignant. Les métiers de la fonction publique ont un problème d’attractivité.

    Le recul des services publics s’accompagne d’une explosion du privé lucratif. Nous assistons à une offensive du privé contre la protection sociale. C’est le cas pour les retraites, mais aussi pour le secteur du soin et du lien, nouveau lieu d’affrontement avec le capital. Pas de subventions au privé lucratif ! Si l’on cherche des pistes économiques, elles sont de ce côté-là.

     

    Après un été caniculaire, la question environnementale ne doit-elle pas devenir prioritaire dans les modes de production ?

    La question environnementale est au cœur de l’affrontement de classe, comme à Sainte-Soline. L’eau est un nouveau lieu d’affrontement avec le capital. La chaleur tue des travailleurs en France, dans l’agriculture, dans le bâtiment, dans les métiers pénibles et d’extérieur. La CGT revendique l’interdiction du travail au-delà d’une certaine température. Nous devons évidemment rétablir les CHSCT.

    Pour répondre au défi environnemental, nous ne pouvons pas nous limiter à la culpabilisation des pratiques individuelles. Nous devons transformer en profondeur l’outil productif. Le cas de STMicroelectronics en est l’illustration. Emmanuel Macron a annoncé le doublement de la production des puces électroniques sur le site, comme l’exigeait la CGT. Mais leur fabrication demande énormément d’eau. Et les aides gouvernementales ne sont pas conditionnées à des critères environnementaux.

    La CGT formule une proposition : plutôt que d’utiliser de l’eau propre, recyclons la même eau pour éviter de consommer les ressources de la région. Mais cela coûte plus cher. À Thales, les camarades ont monté un projet d’imagerie médicale avec les technologies utilisées pour fabriquer des engins de guerre. Je pourrais multiplier les exemples. Mais, malheureusement, les militants CGT se retrouvent comme des passagers clandestins, sans pouvoir exposer leur projet. C’est pourquoi de nouveaux droits des salariés dans les entreprises sont à conquérir.


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  • Syndicat de la Magistrature

    [Communiqué de presse]

    Fête de l'Humanité :

    oui, nous y serons,

    comme d'habitude et dès aujourd'hui.

    À tout à l'heure pour débattre joyeusement !

     

    Twitter >>>>> Syndicat de la Magistrature


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  • Des magistrats à la Fête de l’Humanité ?

    La présidente du SM

    réagit aux attaques de l’extrême droite

    Les éditorialistes d’extrême droite ont trouvé dans la présence du Syndicat de la magistrature à la Fête de l’Humanité une nouvelle occasion de répandre dans l’opinion le mythe d’une justice laxiste.

     
     
    Derrière cette offensive, « il y a une sorte de petite musique anti-juges qui monte. Cela nourrit l’image d’une institution qui serait trop politisée et même gauchiste, et donc d’une justice partiale.
     
    C’est un thème dont les médias d’extrême droite sont très friands », constate Kim Reuflet, la présidente du Syndicat de la magistrature.

     

    Après Médine, les chiens de garde de l’empire Bolloré ont trouvé un nouvel os à ronger.

    Leur cible depuis le 12 septembre ?

    Le Syndicat de la magistrature (SM) et sa présence à la Fête de L’Humanité où, pour la première fois, l’organisation, qui y a déjà organisé plusieurs débats, tient ce week-end un stand, aux côtés du Syndicat des avocats de France (SAF).

    « Inadmissible », tempête sur le plateau de RMC la très droitière avocate et chroniqueuse Sarah Saldmann.

     

    À ses côtés, Antoine Diers, ancien directeur de stratégie de la campagne Zemmour, se dit « horrifié ».

    Ailleurs, c’est le magistrat Charles Prats, proche de la droite traditionnelle, qui s’insurge contre ce qu’il juge être le symbole d’un manque de neutralité de juges.

    « Ces critiques entretiennent la confusion entre l’office du juge et l’activité syndicale. On ne va pas rendre la justice à la Fête de l’Huma. On est un syndicat et on va y débattre avec les autres acteurs du mouvement social », rappelle Kim Reuflet, la présidente du SM.

     

    « Un déferlement de mails et de lettres d’insultes »

    Mais le mal est fait.

    Désormais l’organisation est confrontée « à un déferlement de mails et de lettres d’insultes ».

    « Les gens nous écrivent pour nous cracher leur haine », raconte-t-elle, ébranlée.

    Les attaques sont parties d’un tract diffusé par le syndicat Unité SGP police FO police le 10 septembre.

    « Le Syndicat de la magistrature délaisse les mauvaises conditions de travail des magistrats pour se concentrer sur son activité favorite : TAPER sur les policiers », proclame le tract qui commente le programme du SM à la Fête.

    Puis il conclut : « Stop à la politisation de la justice par le Syndicat de la magistrature. »

     

    Une sortie virulente qui étonne Kim Reuflet.

    « Nous ne sommes pas contre les policiers. Ils semblent ne pas accepter que nous nous intéressions aux pratiques judiciaires, mais c’est notre travail de syndicat. Quand on discute des violences policières, ce n’est pas contre la police, c’est pour évoquer le traitement judiciaire de ces affaires », rappelle la magistrate.

     

    Derrière cette offensive,

    « il y a une sorte de petite musique anti-juges qui monte. Cela nourrit l’image d’une institution qui serait trop politisée et même gauchiste, et donc d’une justice partiale. C’est un thème dont les médias d’extrême droite sont très friands », constate Kim Reuflet.

    Plus effrayant, ces attaques sont reprises par des titres de droite comme le Figaro ou le Point, et relayées par des députés LR ou Renaissance.

    Sur CNews, la macroniste Violette Spillebout s’est ainsi désolée d’un « signe de politisation, alors que les Français ne font plus confiance en leur justice ».

     

    Cette vision d’une institution qui, au nom d’idéaux de gauche, serait trop laxiste avec les délinquants, ne repose pourtant sur aucun élément tangible.

    Dans une enquête publiée en 2021, le Monde rappelait que, concernant les délits, « le nombre de condamnations à de la prison ferme a doublé en vingt ans et que, si le nombre de condamnés pour crimes aux assises est stable, la tendance est à l’allongement significatif des peines »

    Une réalité que l’extrême droite préfère taire pour surfer sur des mensonges et essayer d’affaiblir un des piliers des libertés individuelles et collectives.


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  • Le grand entretien

    Julia Cagé et Thomas Piketty :

    « Le vote Macron est le plus bourgeois

    de l’histoire de France »

    Le 09 Septembre 2023

    Entretien au long cours avec Julia Cagé et Thomas Piketty, qui viennent de publier un livre-événement sur le vote et les inégalités en France, de 1789 à 2022.

    Une véritable somme qui remet en perspective l’actualité et donne des pistes à la gauche pour sortir de l’ornière.

    Alternatives économiques >>>>> Réservé aux Abonnés

     

    France Inter


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  • Pourquoi la CGT quitte le collectif Plus jamais ça

     

    La centrale a acté, début juillet, son départ de l’alliance regroupant des syndicats et ONG écologistes.

    Une décision qui découle d’un 53e congrès mouvementé sur ce rapprochement en raison, notamment, des enjeux énergétiques.


     
     

    La CGT tourne une nouvelle page de l’ère Philippe Martinez.

    Lancé durant la période du Covid, le collectif Plus jamais ça, renommé entre-temps Alliance écologique et sociale, regroupait jusqu’alors des syndicats comme la CGT, la FSU et Solidaires, mais aussi des associations et ONG dont Greenpeace, Attac et Les Amis de la Terre.

    Ce rapprochement, initié sous le mandat de l’ex-secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, s’était concrétisé autour d’un plan de sortie de crise sanitaire et sociale de 34 mesures.

    Il devra composer sans la centrale de Montreuil (Seine-Saint-Denis).

     

    En effet, selon le compte rendu d’une rencontre entre la Confédération et les membres du collectif en date du 5 juillet, que l’Humanité a pu consulter, cette réunion a permis « d’acter le retrait du logo de la CGT du site de l’Alliance écologique et sociale et son retrait du fonctionnement de la structure ».

    Le document précise qu’ « un nouveau rendez-vous à l’automne, entre les organisations de l’Alliance et la CGT, permettra de préciser les suites et les possibilités de travail commun ».

     

    Ce départ fait suite au 53e congrès confédéral, en mars, qui a vu les débats entre des délégués se crisper au sujet de Plus jamais ça.

    La mention de l’engagement de la CGT au sein du collectif avait été retirée du texte adopté.

    Ce notamment à cause des positions du rassemblement sur l’énergie.

    La mesure 29 du plan de sortie de crise indiquait qu’ « aucun investissement public ou garanti par l’État ne doit soutenir le secteur des énergies fossiles, ni le développement de nouveaux projets nucléaires et des industries fortement polluantes ».

     

    « Le nucléaire demeure indispensable

    pour lutter contre le dérèglement climatique »

    Sébastien Menesplier, secrétaire confédéral, se félicite « de la bonne application des décisions de congrès ».

    « Le nucléaire fait partie du mix énergétique et demeure indispensable pour lutter contre le dérèglement climatique. Il s’inscrit dans la transition énergétique afin de diminuer les gaz à effet de serre », poursuit le dirigeant syndical.

    Par ailleurs secrétaire général de la FNME-CGT, Sébastien Menesplier ajoute que « la CGT a toujours défendu l’investissement dans de nouveaux réacteurs nucléaires. La fédération de l’énergie souhaitait le respect de ces orientations ».

     

    Durant les débats de congrès, les partisans de cette alliance citaient l’exemple de la lutte contre les méga-bassines ou la relance de l’activité à l’usine Chapelle-Darblay comme l’illustration de l’utilité de ce rapprochement avec les ONG.

    Candidate malheureuse à la succession de Philippe Martinez et copilote du collectif environnement, Marie Buisson estimait, dans nos colonnes en amont du congrès, que « la crise climatique, les aberrations du capitalisme et la répartition des richesses entre le capital et le travail démontrent l’urgence de construire des fronts avec d’autres syndicats, des associations et des ONG pour gagner ».

     

    Le compte rendu de la rencontre entre la CGT et Plus jamais ça

    confirmait que 52 collectifs locaux s’étaient lancés,

    dont 7 avec une « activité développée ».

    « Des interrogations peuvent survenir, car un travail commun pouvait exister localement, mais il n’y a pas eu de nouveau débat depuis le congrès, précise le secrétaire confédéral.

    À l’avenir, la CGT ne s’interdit pas de travailler avec des organisations ou ONG pour la défense de la planète, de l’industrie ou des services publics.

    Mais ces choix passeront nécessairement par un débat interne et respecteront les revendications de la CGT, ce qui n’avait pas été fait jusqu’à présent. »

     

     

    Dans un communiqué en date du 23 août, les organisations de Plus jamais ça disent « regretter » le départ de la CGT

    et assurent que « cette alliance inédite, porteuse de l’espoir de conjuguer urgence sociale et urgence environnementale, peut et doit avancer ».

    De son côté, par la voix de Sébastien Menesplier, la Confédération fait savoir qu’elle travaille à un « plan syndical d’action pour l’environnement » que le secrétaire confédéral espère « efficace pour l’avenir de l’industrie, des services publics et de nos emplois ».

     

    Un point d’étape sera fait devant les organisations de la CGT en novembre.

    Un autre plan visant à sécuriser les parcours de vie est en cours d’élaboration.

    « D’ici les un an du 53e congrès, nous aurons consulté l’ensemble des organisations de la CGT sur ces deux plans, afin de démarrer des campagnes offensives dans le monde du travail et la société », insiste le dirigeant confédéral.


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  • Fabien Roussel :

    «J’ai demandé un référendum

    sur la réforme des retraites,

    Macron refuse»

     

    Le secrétaire national du PCF revient sur l’échange de douze heures qui s’est déroulé entre le président de la République et les chefs de partis dans la nuit de mercredi à jeudi.

    Entretien.

     


     
     

    Comment s’est déroulée la rencontre entre le président de la République Emmanuel Macron et les dirigeants des principaux partis politiques du pays ?

    Nous avons eu un échange franc, respectueux, et sincère. Nous avons tous pu dire ce que nous avions à dire. C’était important. Je l’ai vécu comme une sorte de séance de réparation après la terrible séquence des retraites. J’ai fait part de ma blessure profonde, encore vive, et de celle des Français concernant cette réforme imposée par le gouvernement contre l’avis général.

    Nous avons demandé au président de la République de revenir sur ce texte. Mais il refuse et dit assumer cette réforme. En tout, l’échange a duré douze heures. Je veux redire que dans une société il vaut mieux débattre et dialoguer plutôt que de s’invectiver. Mais nous avons surtout besoin de réponse concrète derrière. Le président semble avoir entendu certaines propositions, il a fait preuve d’écoute. Mais l’avenir nous dira s’il s’agissait d’une opération de communication, car ce sont les décisions qui seront prises qui feront la différence.

    Du reste, je ne sais pas si c’est un clin d’œil de l’histoire, mais chacune des deux salles où nous avons été reçus sont ornées de portraits de Napoléon. C’est étonnant. Certes, nous étions à la Maison des jeunes filles de la légion d’honneur de Saint-Denis, mais rester douze heures avec un hyper président très bonapartien, sous l’œil permanent de Napoléon, je me demande si c’est fait exprès ou non…

     

    Quels messages avez-vous fait passer ?

    C’est seulement à partir de deux heures du matin que nous avons pu parler des gens qui ne vivent pas de leur travail. J’ai cité le cas des salariés de Clestra qui après 33 ans d’ancienneté gagnent 1 600 euros nets. C’est honteux qu’un travail soit si peu rémunéré. J’ai demandé l’indexation des salaires sur l’inflation, les autres forces de gauche aussi. Nous avons défendu la prise en charge des fournitures scolaires, le repas étudiant à 1 euro…

    Dans sa réponse, le président a d’abord reconnu qu’il y avait un bien un problème de salaire. Je lui ai dit « le travail ne paie pas », il a répondu « oui le travail ne paie pas, oui les salaires n’augmentent pas ». Mais il a dit qu’indexer les salaires, selon lui, cela ne marche pas. Puis il a ajouté qu’il faut « un vrai dialogue social » pour que les salaires augmentent. Il n’a pas parlé de « conférence sociale » , mais s’il décide d’en faire une, je prends !

    Enfin, Macron reconnaît qu’il y a une inflation forte et qu’elle n’est pas traitée, et que l’industrie a augmenté ses marges et contribue à l’inflation. Nous avons demandé de bloquer les prix, et il a dit non. Mais il a dit qu’il ferait appel à la « police des prix ». On attend de voir ce que c’est. Je vais d’ailleurs rendre compte de ces échanges à Sophie Binet de la CGT et Marylise Léon de la CFDT, pour qu’elles soient associées et bien informées des questions et réponses.

     

    Des demandes de référendums ont-elles été formulées ?

    J’ai demandé un référendum sur la réforme des retraites, et un autre sur le pacte budgétaire européen. Macron refuse. La droite et l’extrême droite veulent modifier les articles 11 et 89 de la Constitution afin d’organiser un référendum sur l’immigration. Ils souhaitent chacun un référendum sur leurs propres propositions de loi, sans que cela ne soit débattu au Parlement. Ce n’est pas respectueux.

    Comment s’est déroulé l’échange autour de la thématique « faire nation » ?

    Nous avions plein de propositions, car « faire nation », cela passe pour nous par les services publics, le travail, la jeunesse, le combat contre les inégalités femmes hommes, les libertés syndicales… Malheureusement, pour le président et sa première ministre, « faire nation » n’a été abordé que sous l’angle des événements tragiques de Nanterre.

    J’ai rappelé le travail des maires, l’appel de Grigny et de Philippe Rio, car les propositions existent. Nous avons parlé de la police, de la sécurité, du racisme, car les noirs et les arabes se font contrôler 20 fois plus que les autres. La droite et l’extrême droite se sont relayées et n’ont parlé que de l’immigration comme responsable des violences urbaines. Je suis intervenu pour dire qu’il y a là erreur d’analyse. Je ne suis pas du tout d’accord, c’est se tromper de route. J’ai dénoncé la proposition de supprimer les allocations familiales.

    En revanche, les services de la PJJ demandent plus de moyens pour faire appliquer les peines et accompagner les familles. Notre pays est en retard, il nous faut des moyens pour la justice, la prévention et l’accompagnement. Manuel Bompard, pour la FI, a rappelé des choses que nous partageons concernant le besoin de police de proximité, l’indépendance de l’IGPN, l’abrogation de la loi de 2017 sur l’usage des armes.

     

    Et sur l’international ?

    Il y a presque un consensus sur l’Ukraine. Nous sommes tous d’accord pour dénoncer la violation territoriale par la Russie, pour soutenir l’Ukraine dans sa défense de son territoire. Chez nous personne ne défend la Russie. Mais il y a débat sur quelle pourrait être une initiative politique de la France.

    Nous avons bien sûr échangé sur l’Afrique. Et j’ai parlé de la question palestinienne, en rappelant qu’il ne peut pas y avoir 2 poids 2 mesures. J’ai appelé à une initiative française. Il y a enfin consensus sur la défense des Arméniens du Haut-Karabakh.


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  • « Rencontres de Saint-Denis » :

    un sommet qui accouche d’une souris

     

    À l’issue des « rencontres de Saint-Denis », où le chef de l’État a réuni le 30 août les chefs de partis représentés à l’Assemblée, la déception domine parmi les représentants de gauche, qui dénoncent une opération de communication.


     
     

    Douze heures pour accoucher d’une souris.

    C’est le sentiment qui domine parmi les responsables de gauche, à l’issue des « rencontres de Saint-Denis », où le chef de l’État a réuni à huis clos, le mercredi 30 août, les chefs de partis représentés à l’Assemblée.

    Qu’est-il ressorti de cette rencontre annoncée au cœur de l’été comme une « initiative politique d’ampleur » par Emmanuel Macron ?

    Un rendez-vous de la droite avec la droite

    « On est venus, on a vu et on a été déçus », a résumé Marine Tondelier, la cheffe des écologistes.

    Même constat pour Manuel Bompard, le coordinateur de La France insoumise (LFI), selon qui les Français risquent d’être « très déçus de ce rendez-vous », dénonçant l’incapacité d’Emmanuel Macron à « entendre » les propositions de la gauche.

    « On est encore loin du Grand soir », a pour sa part jugé Olivier Faure, le chef de file du Parti socialiste, qui estime également que ce sommet était surtout un rendez-vous « de la droite avec la droite ».

     

    Seule satisfaction pour le leader socialiste : la promesse du chef de l’État d’organiser « une conférence salariale ».

    Emmanuel Macron aurait « validé » lors de cette réunion avec les responsables des différentes forces politiques le principe de l’organisation d’une « conférence sociale » portant « sur les carrières et les branches situées sous le salaire minimum », a déclaré jeudi l’entourage du chef de l’État.

     

    Côté Rassemblement national, le ton est plus conciliant, son chef Jordan Bardella ayant évoqué des échanges « francs », mais « sans conclusion pour l’instant ».


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  • Les Brics s’attaquent à la dictature du dollar

    Tous les objectifs que s’était fixés la Chine pour le 15e sommet des Brics sont atteints : le club s’élargit, l’entrée des trois principaux pays producteurs casse le lien entre pétrole et dollar, des systèmes de paiement alternatifs s’ébauchent, mettant de plus en plus Pékin à l’abri des sanctions occidentales.

    Un moment « historique »,

    « un nouveau départ dans la coopération entre les pays en développement ».

    En conclusion du 15sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) le 24 août, le président chinois Xi Jinping, qui avait fait spécialement le déplacement à Johannesburg, ne cachait pas sa satisfaction : tous les objectifs que Pékin s’était fixés étaient atteints, et même au-delà.

    Le premier, le plus important aux yeux du pouvoir chinois, est l’élargissement du club. Pour la première fois depuis 2010, qui avait vu l’entrée de l’Afrique du Sud au sein du groupe, les Brics – qui ne pourront plus s’appeler ainsi bientôt – s’agrandissent. De nouveaux pays vont les rejoindre.

    Près de 40 pays avaient fait acte de candidature, six ont été retenus pour être inclus à partir du 1er janvier 2024 : l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, mais surtout l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Iran, que la Chine a réussi à réintégrer grâce à une diplomatie active permettant une reprise des relations diplomatiques avec l’Arabie saoudite au printemps.

     

    L’entrée des trois plus gros producteurs de pétrole – en dehors des États-Unis – aux côtés de la Russie marque un tournant décisif pour les animateurs de ce sommet. Le brut est la valeur cardinale sur les marchés des matières premières. Mais il est aussi une des clés de voûte du système monétaire international depuis la fin des accords de Bretton Woods, assurant à la monnaie américaine le statut incontesté de seule monnaie de réserve internationale et faisant des États-Unis le centre de recyclage de tous les excédents mondiaux.

    Ce statut est en train de se déliter. Le lien qui semblait indénouable entre pétrole et dollar est en passe d’être rompu. En devenant membres du club, les pays producteurs entérinent leur acceptation que leurs livraisons pétrolières soient payées autrement qu’en dollar. En monnaie locale. Des premiers contrats ont été signés ces dernières semaines avec la Chine et l’Inde. Ils sont appelés à se généraliser.

     

     

    Le contrecoup des sanctions

    Les participants au sommet ne s’en cachent même plus : il s’agit bien de mettre un terme à « la dictature du dollar ». Depuis des décennies, les États-Unis imposent leurs lois, leurs règlements, pour sauvegarder leurs intérêts dans les pays en développement. Mais les sanctions, les lois d’extraterritorialité dont les gouvernements américains successifs ont usé et abusé, particulièrement depuis 2001, pour résoudre leurs problèmes diplomatiques et imposer leur ordre, sont en train de se retourner contre leurs initiateurs et accélèrent la dé-dollarisation.

    « Quand vous avez un quart de l’économie mondiale sous sanctions et la menace qu’elles peuvent être utilisées contre n’importe quel pays, à n’importe quel moment, cela change la donne », explique Christopher Sabatini dans le Financial Times. Tous les pays en développement, même les alliés de l’Occident, se sentent menacés et veulent sortir de ce système de dissuasion massive pour retrouver une autonomie.

    Des systèmes de paiement alternatifs

    pour échapper au contrôle de l’Occident

    Caressée à un moment, l’idée d’une monnaie unique a été totalement abandonnée lors de ce 15e sommet. Trop compliquée et trop longue à mettre en place. Même une monnaie commune semble difficilement réalisable à court terme, alors que de plus en plus de pays en développement, à commencer par les pays sanctionnés (Russie, Iran) ou menacés d’être frappés de sanctions (Chine), sont pressés de pouvoir y échapper.

    Dans l’urgence, les membres fondateurs veulent développer les moyens existants au plus vite : la banque de développement des Brics, créée depuis quelques années, est appelée à rapidement grandir afin de venir en aide aux pays en développement, ambitionnant à terme de concurrencer la Banque mondiale. De même, le projet de reserve currency pool, sorte de banque centrale partagée qui permettrait les transferts et les conversions entre les différentes monnaies locales, a été retenu.

    Mais surtout, l’ambition est de mettre en œuvre au plus vite un système de paiements alternatif hors de la vue des autorités américaines. Avec la numérisation, les transferts électroniques, les monnaies digitales utilisées déjà en Chine, en Inde ou au Brésil, ce qui semblait impossible auparavant le devient.

    Depuis plusieurs années, la Chine a mis notamment en place une plateforme d’échanges et de compensation, concurrente du système Swift, qui centralisait jusqu’à peu toutes les transactions internationales. Depuis les sanctions prises contre la Russie, son utilisation explose.

    « Toute l’attention se concentre désormais sur la recherche de moyens de sécuriser nos échanges commerciaux mutuels, nos projets économiques mutuels et nos investissements. Afin de ne pas dépendre du système contrôlé par les États-Unis et leurs alliés occidentaux. Indépendants du dollar, de l’euro, même du yen. Parce que ces pays ont prouvé leur capacité, leur volonté d’abuser activement de leur statut d’émetteurs de monnaies de réserve pour atteindre des objectifs politiques », a expliqué Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères dépêché à Johannesburg pour remplacer Vladimir Poutine, interdit de voyage pour cause de mandat d’arrêt international.

    Pour le plus grand bénéfice de la Chine

    Sans bruit, une vaste zone d’échanges est en train de se constituer sous nos yeux, en dehors de la référence du dollar et hors de portée des sanctions américaines. La Chine en apparaît déjà comme la première bénéficiaire. Alors que Pékin redoute de faire l’objet à son tour de mesures de rétorsion de la part des États-Unis et de ses alliés, cet élargissement lui offre la perspective de pouvoir continuer à négocier dans une grande partie du monde, d’installer peu à peu le yuan comme une monnaie de réserve internationale aux côtés du dollar, de l’euro, du yen, de la livre sterling et du franc suisse.

    Un statut qu’il conquiert peu à peu : le mois dernier, l’Argentine a remboursé une échéance de crédit de 2,7 milliards de dollars qu’elle devait au Fonds monétaire international dans le cadre de son plan massif de sauvetage, en yuans.

    Surtout, avec le développement de ce nouveau système interbancaire de paiements, l’arme des sanctions s’émousse. Toutes les mesures prises à l’encontre des pays ou contre des personnes appartenant de près ou de loin aux cercles de pouvoir condamnés par les gouvernements américains ont pu être déterminées grâce au recueil des données financières transitant par les plateformes du système interbancaire sur lesquelles les autorités américaines avaient la haute main. À l’avenir, toute une partie de ces données lui échapperont. Comment dès lors prendre des sanctions, frapper là où cela fait mal si l’Occident agit en partie à l’aveugle ?

     

     


    Réécrire les règles internationales

    Habilement, Xi Jinping a fait en sorte tout au long du sommet de Johannesburg de ne pas apparaître comme le nouveau pays dominateur, mais au contraire comme un chef de file cherchant à bâtir un système de coopération et d’entraide au bénéfice de tous.

    Rappelant qu’après l’élargissement les membres des Brics pèseront plus lourd (36,6 %) que les pays du G7 (32 %) pour ce qui est du PIB mondial, il a demandé que ce nouveau rapport de force soit pris en compte dans la construction d’un monde multipolaire : « Les règles internationales doivent être écrites conjointement, plutôt que d’être dictées par ceux qui ont les muscles les plus forts ou la voix la plus forte. Nous devons accélérer le processus d’expansion des Brics », a-t-il insisté.

    Ne voulant pas être en reste, Vladimir Poutine, qui a fait un long discours – donné quasiment au moment même où l’avion d’Evgueni Prigojine explosait, comme le rappelle Le Grand Continent, qui a traduit ses interventions – en vidéoconférence, s’est posé en défenseur des pays les plus pauvres, surtout en Afrique. Il a promis notamment la mise en place de crédits sans taux d’intérêt pour les pays en difficulté, à l’inverse de ce que pratique la Banque mondiale.

    Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. Les 64 pays qui étaient invités au sommet ont plutôt envie d’y croire, accueillant souvent chaleureusement les propositions avancées. Les dissensions ne manqueront sans doute pas d’émerger un jour. Mais l’Occident aurait tort de parier seulement dessus.

    Si la volonté d’émancipation des pays en développement ne peut qu’être saluée, plusieurs commentateurs n’ont pu s’empêcher de souligner avec regret que celle-ci naissait sous de sombres auspices. À l’exception du Brésil et de l’Argentine, et dans une moindre mesure de l’Afrique du Sud, tous les dirigeants des pays membres du club pratiquent un pouvoir autoritaire, voire dictatorial, faisant peu de cas des libertés publiques, ayant des pratiques plus que contestables. Le contre-système qu’ils entendent mettre en place risque de laisser leur marque partout, favorisant l’opacité et la fraude.

    Si l’Occident en est là, la faute lui en revient d’abord. Pendant des décennies, il a imposé son ordre, sa vision du monde, du bien contre le mal, réduisant au silence toutes les contestations et les demandes légitimes de coopération et de rééquilibrage. Face à ce pouvoir montant, il a aussi perdu sa force d’attraction, tant l’écart s’est creusé entre ses pratiques et les idéaux et les valeurs qu’il prône. La facture est aujourd’hui en train de lui être présentée.


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  • Au sommet des Brics,

    Poutine et Xi dénoncent l’hégémonie occidentale

     

    Le président russe est intervenu virtuellement lors de cette réunion.

    Il a dénoncé les « sanctions illégales » contre son pays alors que son homologue chinois s’en est pris à ceux qui veulent paralyser les pays émergents.

     

     

     

    Johannesburg (Afrique du Sud), envoyé spécial.

     

    C’est peu dire que l’intervention de Vladimir Poutine à l’ouverture du 15e sommet des Brics était attendue.

    Nonobstant le contenu même de son discours, la prestation du président russe prenait un relief particulier puisqu’il intervenait de façon virtuelle.

    Il est sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes de guerre présumés en Ukraine et l’Afrique du Sud, pays hôte, mise sous pression par les États-Unis dans ce cadre, a demandé à la Russie d’envoyer plutôt son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.

    L’apparition de Vladimir Poutine sur un écran géant a même écrasé la présence physique de ses homologues sud-africain, brésilien, indien assis juste en dessous.

    Sans doute prudent, le président chinois, Xi Jinping ayant préféré, lui, dépêcher son ministre du Commerce pour cette phase du sommet !

     

    Son discours, enregistré à l’avance, était centré sur la guerre en Ukraine et les relations de la Russie avec les pays occidentaux bien que les responsables sud-africains avaient affirmé que les frictions Est-Ouest ne devraient pas dominer le sommet des Brics.

    Assis à un bureau avec un drapeau russe derrière, Poutine a déclaré qu’un accord en temps de guerre visant à faciliter les expéditions de céréales ukrainiennes, essentielles pour l’approvisionnement mondial, ne reprendrait qu’à la condition d’un assouplissement des restrictions sur les produits alimentaires et agricoles russes.

    Il a affirmé que même si les exportations russes de céréales et d’engrais étaient « délibérément entravées », son pays « a la capacité de remplacer le grain ukrainien, tant sur le plan commercial que comme aide gratuite aux pays dans le besoin ».

     

    Sujet central : la dé-dollarisation

    Le président russe a également évoqué « l’économie internationale (…) gravement touchée par la pratique illégitime des sanctions et le gel illégal des avoirs des États souverains ».

    Ce qui, à ses yeux, « revient essentiellement à piétiner toutes les normes et règles de base du libre-échange ».

     

    Ce dernier n’a évidemment pas manqué d’évoquer une des questions centrales du sommet de Johannesburg, celle de la monnaie utilisée pour les échanges commerciaux.

    « Un processus équilibré et irréversible de dé-dollarisation de nos liens économiques prend de l’ampleur, avec des efforts entrepris pour développer des mécanismes efficaces de règlement mutuel, ainsi que de contrôle monétaire et financier », a-t-il souligné.

    «  En conséquence, la part du dollar dans les transactions d’exportation et d’importation au sein des Brics est en baisse car elle n’a atteint que 28,7 % l’année dernière. »

     

    Autre poids lourd des Brics, le président chinois Xi Jinping a fait lire, par son ministre du Commerce, Wang Wentao, un discours dans lequel il a, dans une référence claire aux États-Unis, dénoncé « certains pays, obsédés par le maintien de leur hégémonie, (qui) ont tout fait pour paralyser les marchés émergents et les pays en développement ».

    Ce qu’il a résumé en ces termes :

    « Quiconque se développe rapidement devient sa cible de confinement. Quiconque rattrape son retard devient la cible d’obstructions. »

     

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    Brics :

    ce sommet qui préoccupe l’Occident

    Martine Orange

    Médiapart 21 Août 2023 >>>>>

    Rarement un sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) aura été suivi avec autant de vigilance.

    Sous l’influence de la Chine, le club cherche à élargir son influence afin d’affirmer son pouvoir face à l’Occident.

    Les États-Unis et l’Europe redoutent de voir se forger une alliance remettant en cause l’ordre mondial.

     

    Même si ell es n’en soufflent mot, les chancelleries occidentales suivent avec attention les préparatifs du quinzième sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) qui doit se tenir à Johannesburg du 22 au 24 août.

    Et elles dressent scrupuleusement la liste de tous les participants.

     

    Sans l’exprimer ouvertement, les responsables occidentaux redoutent que ce sommet amplifie le divorce apparu lors du vote sur la guerre en Ukraine en mars 2022, lorsque quarante pays – et non des moindres – avaient choisi de s’abstenir ou de voter contre la résolution condamnant l’invasion russe. Durant dix-huit mois, tous les responsables américains et européens ont tenté de briser cette fronde, déroulant le tapis rouge notamment au premier ministre indien Nadendra Modi et au président brésilien Lula da Silva. En vain.

    Signe de l’importance de cette réunion, le président chinois Xi Jinping, qui a réduit au minimum ces déplacements à l’extérieur depuis la pandémie, a annoncé sa participation à la réunion, dans le cadre d’un « voyage d’État » à Johannesburg. Vladimir Poutine, lui, a renoncé à faire le déplacement, en raison du mandat d’ arrêt international émis contre lui. Mais il participera au sommet par visioconférence. Au total, soixante-neuf pays ont été invités à ce sommet d’Afrique du Sud, dont tous les pays africains. Tous ou presque ont l’intention d’y participer.

    Un seul n’a pas reçu d’invitation : Emmanuel Macron qui a tenté de forcer la porte et d’imposer sa présence. Est-ce par bravade ou incompétence ? Avant même le camouflet du Niger, il aurait en tout cas dû comprendre par lui-même qu’il n’y avait pas sa place.

    Car l’enjeu diplomatique et économique de ce sommet dépasse largement le thè ;me du développement de l’Afrique, comme le dit l’intitulé. Même si le continent africain apparaît bien comme le nouveau terrain d’affrontement entre les puissances installées et les puissances montantes, la visée dépasse largement ce but : il s’agit d’affirmer le nouveau rapport de force politique et économique qui s’est élaboré au cours des dernières années, de contester un ordre mondial, construit par et pour l’Occident.

     

    Sommes-nous en train d’assister à la création d’un nouveau bloc géopolitique et économique, camp contre camp, comme au temps de la guerre froide, comme certains en agitent la menace ? S’agit-il d’un nouvel avatar des impérialismes, la Chine visant sous couvert des Brics à 3;tendre son influence sur la planète, comme le pensent d’autres ? L’Occident est-il en train seulement de réaliser que le Sud, au-delà de la Chine et de l’Inde, a beaucoup changé, que les pays qui le composent sont maintenant en capacité de s’émanciper du Nord, comme le rappellent des économistes indiens ou africains ?

    La réponse à ces questions est encore incertaine tant elle est liée à la façon dont les principaux protagonistes, à commencer par les États-Unis et la Chine, réagiront, opteront ou non pour les attitudes agressives, seront capables de trouver de nouvelles voies. Une chose est sûre à ce stade : l’ordre mondial institué depuis près de quatre-vingts ans est en train de se défaire un peu plus sous nos yeux.

    Le club des Brics s’élargit

    Il y a longtemps que les Brics ne ressemblent plus à l’acronyme forgé par l’économiste de Goldman Sachs, Jim O’Neill, au début des années 2000. Les Occidentaux voyaient alors en eux un relais pour la mondialisation de l’économie, leur réservant une place de choix dans les chaînes d’approvisionnement pour leurs multinationales pour fabriquer à bas coût leurs productions.

    Depuis, la situation a évolué. La Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale, l’Inde marche sur ses pas. Et les pays du Sud montent en puissance partout : leurs PIB cumulés représentent désormais près de 40 % du PIB mondial. Tous entendent que ce pouvoir soit reconnu, et que les pays du Sud ne soient pas ravalés au rang de supplétifs pour approvisionner l&# 8217;économie mondiale et assignés à des strapontins dans les institutions mondiales comme le FMI.

    Déterminés à faire bloc, les Brics, sous l’influence de la Chine, ont invité nombre de pays à venir les rejoindre. Pas moins de vingt-deux d’entre eux ont déjà fait acte de candidature pour adhérer au club. Parmi ceux-ci, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Algérie, l’Indonésie, l’Égypte, l’Iran ont déjà déposé leur candidature. Celle de Riyad devrait être avalisée dès ce sommet. Ce qui constituerait un vrai coup de semonce pour les États-Unis tant Riyad a été considéré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale comme l’allié le sûr et le plus fidèle au Moyen-Orient

    Des leaders en petite forme

    Même si ce quinzième sommet des Brics s’annonce important, il n’aura sans doute pas le même lustre que certains espéraient lui donner il y a encore quelques semaines. Le ralentissement économique mondial, accompagné par de nombreux désordres, est en train de frapper aussi à leurs portes, rappelant à tous que le découplage économique, souvent mis en avant, est encore souvent une réalité théorique. « Les Brics sont cassés », relève un éditorialiste de Bloomberg, insistant sur le caractère artificiel de cette alliance transnationale.

    À l’exception du Brésil, partiellement épargné, les principaux responsables de ce sommet vont apparaître en tout cas en petite forme, à commencer par la Chine.

    Depuis deux semaines, les mauvaises nouvelles s’accumulent à Pékin. Le moteur économique chinois est en train de caler, l’activité économique baisse, les prix chutent face à une demande intérieure et extérieure anémiée, et les nuages financiers grossissent à l’horizon. Menaçante depuis des mois, la crise immobilière a pris une nouvelle dimension avec le défaut de paiement d’un nouveau groupe de promotion immobilière, Country Garden. Afin que le château de cartes d’une finance de l’ombre qui a prospéré pendant plus d’une décennie ne s’écroule pas d’un coup, les autorités monétaires et politiques annoncent chaque jour dans la précipitation de nouvelles mesures d’assouplissement, d’aides, de crédit. Une baisse des taux d’intérêt est attendue.

    Alors que jusqu’alors Vladimir Poutine plastronnait, assurant que les sanctions occidentales contre la Russie étaient sans effet, la chute brutale du rouble face au dollar a déchiré le voile : depuis juin, la monnaie russe a perdu près de la moitié de sa valeur face à la monnaie américaine. Les autorités monétaires se sont réunies dans l’urgence le 15 août pour annoncer un relèvemen t des taux d’intérêt de 8 à 12 % afin d’enrayer la chute. Si un contrôle des capitaux n’a pas été mis en œuvre au sens strict du terme, des ordres ont été donnés à chaque groupe sur leurs achats à l’extérieur et les paiements en devises, le gouvernement entendant surveiller au plus près l’utilisation des fonds étrangers dont il a été coupé et qui lui manquent tant.

    Le président indien n’est pas non plus dans une situation qui pourrait lui permettre de s’afficher comme une référence. Plus que les difficultés économiques, ce sont les problèmes politiques qui portent une ombre sur son pouvoir. Accusé de mettre en œuvre une politique nationaliste qui menace toutes les minorités du pays et toutes les oppositions, il fait face à une contestation politique de plus en plus forte. Le 18 juillet, la formation d’une coalition de vingt-six partis a été présentée en vue de présenter une candidature unique afin d’empêcher Modi d’obtenir un troisième mandat lors des prochaines élections.


    Quant à l’Afrique du Sud, entre coupures d’électricité et inflation galopante, elle se débat dans les difficultés comme bon nombre de pays africains. Tous paient au prix fort la crise de l’énergie, apparue à l’été 2021 et accentuée par la guerre d’Ukraine, tout comme l’envolée des cours mondiaux des principaux produits alimentaires (blé, riz, café, sucre). La hausse rapide du dollar, dans le sillage du relèvement des taux d’intérêt décidés par la Fed, les touche de plein fouet : la plupart se retrouvent dans l’obligation de mobiliser l’essentiel de leurs réserves courantes pour payer leurs charges financières.

    La charge de la dette du groupe des 91 pays les plus pauvres dans le monde mobilisera en moyenne plus de 16 % des recettes budgétaires en 2023, le niveau le plus élevé de ces vingt-cinq dernières ann&# 233;es selon une étude de l’ONG Debt Justice. L’asphyxie budgétaire et financière menace nombre d’entre eux. Plus de cinquante pays émergents sont considérés en état de stress financier, au bord du défaut de paiement dans des délais proches, d’après Achim Steiner, administrateur du programme de développement de l’ONU.

    Dans le même temps, les capitaux occidentaux fuient, les investisseurs trouvant beaucoup plus sûr dans un contexte de tensions géopolitiques de placer leur argent en bons du Trésor américain que dans des pays vulnérables, susceptibles de basculer à tout moment dans des crises sociales et politiques.

    Ces questions risquent d’occuper les débats du quinzième sommet des Brics. Beaucoup de pays sont las de devoir subir les conséquences économiques et politiques des décisions arrêtées ailleurs, et notamment à la Fed, sur lesquelles ils n’ont aucune prise. Dans l’indifférence des États-Unis et de l’Occident.

    De plus, les sanctions sans précédent adoptées par les États-Unis et l’Europe pour s’opposer à la guerre en Ukraine, les amenant à geler toutes les réserves de la Banque centrale de Russie, ont jeté un froid chez nombre de responsables des pays émergents. Cette utilisation du dollar comme arme de guerre – contrairement aux règles internationales – c onduit beaucoup à penser qu’il est plus que temps de sortir de cette dépendance à l’égard du billet vert. Ils n’ont pas plus envie d’être aux ordres. La secrétaire américaine au trésor, Janet Yellen, l’a admis elle-même : « Les sanctions financières liées au rôle du dollar peuvent à terme saper l’hégémonie de la monnaie américaine. »

     

    Menace sur l’hégémonie du dollar

    Dès juillet, l’Afrique du Sud, puissance invitante de ce nouveau sommet, a douché les espoirs de ceux qui entendaient profiter de cette réunion pour lancer une monnaie ou en tout cas un système de paiement concurrent du dollar. Le sujet, a pré venu Johannesburg, ne sera pas mis à l’ordre du jour.

    Cela n’empêche pas certains d’imaginer des plans pour affirmer l’indépendance des pays émergents et se mettre à l’abri d’éventuelles sanctions. Soutenus en coulisses par la Chine et la Russie, certains imaginent de promouvoir une nouvelle monnaie d’échange qui serait basée sur l’or et/ou sur les cours des principales matières premières et qui pourrait servir dans les échanges entre les différents pays.

    Imaginer une monnaie unique, comparable au dollar et à l’euro, avec un système de paiement centralisé, ses réserves de change, est pure fantaisie, rétorquent des économistes.

    Au-delà des problèmes techniques et réglementaires, les divergences de vues et d’intérêts entre les pays sont trop grandes, expliquent-ils.

    Comment imaginer que la Chine et l’Inde, en conflit territorial sur la délimitation de leurs frontières, en conflit d’influence dans certains pays, acceptent de partager la même monnaie ?

    De même, si l’Afrique du Sud ou le Brésil affirment tous les deux leur volonté de s’émanciper de l’influence des États-Unis, ce n’est pas pour autant qu’ils ont envie de couper tous les ponts, de perdre l’accès privilégié qu’ils ont sur les marchés américains et européens.

    Si la création d’un système monétaire concurrent du dollar paraît à ce stade illusoire, cela n’empêche pas le développement d’échanges payés autrement qu’en billets verts.

    Les États-Unis et l’Europe en ont vraiment pris conscience qu’avec les sanctions imposées à la Russie : tout un réseau d’échanges, de voies commerciales, de transport, d’intermédiaires s’est développé sous leurs radars, permettant aux pays du Sud de commercer entre eux.

    Embryonnaires au début des années 80, ces échanges Sud-Sud n’ont cessé de s’étendre au fur et à mesure que certains pays, en particulier la Chine et l’Inde, ont commencé à se développer, à s’industrialiser.

    Chaque jour, ils s’achètent et se vendent des matières premières, des produits alimentaires, des produits manufacturés, des services, capables de concurrencer les offres occidentales : la stratégie de délocalisation des multinationales à la recherche du moindre coût leur ayant permis d’acquérir très rapidement les savoir-faire et les techniques les plus en pointe.

    Désormais, il y a beaucoup moins de problèmes pour un pays producteur de matières premières d’être payé en yuans ou en roupies, sans passer par la case dollar.

    Il sait qu’il pourra les réutiliser pour acquérir les produits dont il a besoin pour satisfaire sa demande intérieure. Pour la première fois cette semaine, les Émirats arabes unis ont ainsi brisé un tabou : ils ont accepté que l’Inde paie en roupies ses achats de pétrole. Avant eux, l’Arabie saoudite a négocié avec la Chine des livraisons de pétrole payables en yuans.

    Ce type d’échanges est appelé certainement à se multiplier dans les années à venir, participant à l’élaboration d’un système financier international beaucoup plus divers, parfois chaotique, qu’auparavant.

    Si Washington surveille avec tant de vigilance les discussions du sommet des Brics, c’est qu’il sait qu’il porte en germe la menace de la fin de l’hégémonie du dollar comme seule monnaie de réserve internationale. S’attaquer à ce statut, c’est remettre en cause son ordre international. Mais c’est aussi ramener les États-Unis au niveau de toutes les autres nations.

    Pendant des décennies, les États-Unis ont pu faire preuve d’une irresponsabilité budgétaire et financière totale, se désintéresser des déséquilibres chroniques de leur économie, des déficits commerciaux, de la balance des paiements, de l’épargne intérieure : ils savaient que le monde entier continuerait à les financer, à leur apporter les capitaux dont ils avaient besoin grâce à sa devise.

    « C’est notre monnaie, c’est votre problème », avaient l’habitude de répondre les responsables américains à tous ceux qui déploraient l’insouciance américaine.

    Si le billet vert perd son statut hégémonique, le dollar va commencer à devenir le problème des Américains.

    Et c’est cela aussi qui se joue au sommet des Brics.

    Martine Orange


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