• 24 avril 1947,

    les premières élections de la sécurité sociale…

    Par Michel Etiévent, historien 

    Vendredi 23 Avril 2021
     

     

    « L’organisation de la sécurité sociale repose sur la gestion des caisses par les intéressés eux-mêmes. Elle est inspirée par le souci de confier aux travailleurs la direction de leur propre institution de manière à ce que la sécurité sociale soit le fait non d’une tutelle paternaliste ou étatiste mais de l’effort des bénéficiaires eux-mêmes. »

    C’est par ces mots prononcés le 8 août 1946 qu’Ambroise Croizat, ministre du travail, rappelait la nécessité d’une gestion démocratique de la sécurité sociale.

     

    Le 2 septembre il s’adressait aux ouvriers :

    « La sécurité sociale permettra aux travailleurs de s’emparer d’une grande partie du capital pour l’orienter uniquement vers le bien être des gens sans passer par la poche des actionnaires. Mais jamais nous ne garantirons le droit à la santé pour tous si vous ne prenez pas en mains vous-mêmes le devenir de cette institution »


    Dès novembre 1945, la gestion des caisses a été un enjeu politique majeur.

    Toutes les forces conservatrices refusent une gestion démocratique par les assurés.

    L’opposition est violente sur les bancs de l’Assemblée mais aussi de la part des assurances privées dépossédées par le nouvel organisme ou des syndicats minoritaires à l’image de la CFTC qui refuse de siéger dans les nouvelles instances.

     


    Rejetant les principes d’unicité et d’universalité, prônant le retour aux caisses d’affinité, droite et patronat menacent l’application du nouveau système.

    Il faudra l’appui d’un PCF à 29 % des voix, le poids d’une CGT de 5 millions d’adhérents et la force de conviction d’hommes tels que Croizat, Buisson, Raynaud pour faire respecter les orientations définies par le CNR.

     

    Alors que les caisses sont, au départ, gérées par des conseils désignés par les organisations syndicales, (3/4 des sièges aux salariés, ¼ au patronat), Ambroise Croizat pose le principe des élections.

    Le 15 septembre il déclare :

    « Je propose un système d’élections des administrateurs par les intéressés et il importe qu’elles aient lieu rapidement ».

    Le 10 octobre, il fait voter la loi.

    La date est fixée au 24 avril 1947.

    Les pressions se multiplient. 

    L’Aube, journal du MRP se déchaîne :

    « Jamais, déclare-il, nous ne laisserons les communistes mettre leur emprise sur les 200 milliards de la sécu ».

    Malgré les coalitions entre patronat et syndicats minoritaires, la CGT l’emporte avec 59 % des voix.

    On restera pourtant loin des ambitions d’Ambroise Croizat.

    Après l’éviction des ministres communistes en mai 1947, le patronat, par le jeu des coalitions va peser sur les conseils.


    Très souvent, là où la CGT préside, c’est l’administration du ministère du travail qui annule les décisions prises.

    La scission de 1948 aggrave encore la situation et le jeu des alliances permet l’élimination de membres de la CGT aux postes de responsabilité.

    En août 1967, le gouvernement de Gaulle édictera l’ordonnance qui supprimera les élections et instituera la parité des sièges avec le patronat qui fera basculer, syndicat minoritaire aidant, la gestion dans le camp patronal.


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  • A Céret, les habitants se mobilisent pour garder leur librairie

     

     

    Le Cheval dans l’arbre, une institution dans cette ville de Pyrénées-Orientales, n’arrivait pas à trouver de repreneur.

    Des clients se sont associés pour la reprendre sous forme de société coopérative d’intérêt collectif.

    Un acte de résistance.

      

    Céret (Pyrénées-Orientales).–

    Ce 5 juillet 2020, une quinzaine de personnes se retrouvent dans une maison près de Céret (Pyrénées-Orientales).

    Elles ne se connaissent pas toutes.

    Mais elles ont un projet fou en commun : racheter ensemble Le Cheval dans l’arbre, la seule librairie de cette commune de 8 000 habitants.

    Une institution dans la ville, mais que tous les habitués redoutent de voir fermer : le libraire sur le point de partir en retraite ne trouve pas de repreneur.

     

    Dans l’esprit de Michèle Cardonne, fondatrice historique de la librairie en 1986, il n’a jamais été question que la librairie ferme, d’autant plus que ses finances sont saines.

    Celle qui a passé la main dans les années 1990 précise son rôle :

    « Je faisais l’intermédiaire entre Jean-Luc [l’actuel libraire – ndlr] et des repreneurs potentiels, mais aucune offre ne lui convenait. » 

    Jusqu’à ce qu’elle rencontre Béatrice Mesureur, qui cherche à reprendre une activité de libraire, en plus de son métier d’accordeuse de piano.

    Entre les deux femmes, le courant passe.

    Mais Béatrice le reconnaît, elle se voit mal reprendre la librairie toute seule.

    L’idée d’une coopérative, la perspective d’une gestion en groupe la séduit davantage.

    Moins de risque financier pour elle, et un projet en phase avec ses valeurs.

    « C’était rassurant de rejoindre un collectif pour assurer la présence du livre ici à Céret et ne pas être seule maître à bord. »

     

     

    Dès l’été donc, sept personnes décident de plancher sur la création d’une SCIC, société coopérative d’intérêt collectif.

    En France, on en compte un peu plus de mille en 2020, dont une dizaine de librairies.

    Leur fonctionnement est proche de celui des SCOP.

    La gouvernance y est démocratique et collective.

    Une personne détient une voix, quel que soit le nombre de parts qu’elle possède.

    Le capital est géré par les salariés et les sociétaires.

    Les élus et institutions locales peuvent aussi participer aux décisions.

    Les bénéfices sont réinvestis dans l’entreprise, et il n’y a pas de dividendes.

     

    Tout le monde se met à la tâche.

    Dans l’équipe on connaît peu le milieu de l’économie sociale et solidaire.

    Tout est à apprendre, la théorie mais aussi la pratique.

    Travailler ensemble, échanger, se mettre d’accord… tout ce qui sous-tend chaque dessein collectif.

    Il faut plancher sur les statuts de l’association qui va préfigurer la création de l’entreprise, et convaincre l’Urscop (l’Union régionale des Scop) d’accompagner le projet.

    Le banquier est d’abord étonné de leur demande :

    « Il n’avait jamais entendu une chose pareille », dit en souriant Michèle.

    Il finit par accepter de leur accorder un prêt.

    Les réunions en visio s’enchaînent, les mails aussi.

    « La gestion des mails, c’est quand même un drôle de truc, concède Auriane Vigny, la trésorière de l’association.

    J’en recevais parfois des dizaines le dimanche soir, et il m’arrivait d’être au bord des pleurs.

    On s’était bien réparti les rôles, mais c’est vrai qu’on était constamment pris par ça, c’était fatigant. »

     

    La crise sanitaire et le second confinement n’entament pas leur motivation, d’autant plus qu’en février les librairies rejoignent la liste des commerces dits essentiels.
     
    L’offre culturelle de la ville, et du Vallespir, est en jeu.
     
    Le projet suscite d’ailleurs l’enthousiasme dans la vallée.
     
    À la Fête du livre de Céret, le stand de la librairie ne désemplit pas.
     
    Les témoignages de soutien abondent.
     
    Le maire est favorable, et affirme lui aussi que « Céret ne pouvait pas perdre sa seule librairie ».

     

    Pour devenir une SCIC, l’association Les amis du Cheval dans l’arbre a besoin de 89 000 € pour racheter le fonds de commerce, augmenter le stock, et rémunérer deux salariés à mi-temps, 10 % au-dessus du smic.

    Elle doit recueillir au moins 25 000 euros de fonds propres, les fameuses parts sociales, vendues 50 euros l’unité.

    Chaque personne qui en achète devient sociétaire.

     


     
    L’appel à souscription est lancé en janvier. C’est rapidement un succès.
     
    Auriane trouve des chèques chaque matin dans sa boîte aux lettres.
     
    « Il y a un moment c’était énorme, j’en recevais 20, 30 par semaine, ça ne s’arrêtait pas. »
     
    L’objectif de départ est largement dépassé : 45 000 euros ont été récoltés auprès de 350 sociétaires.
     
    Et l’argent continue d’affluer.
     
    Le prêt et les subventions vont pouvoir être versés.

     

    Chantal Decosse, fidèle cliente de la librairie et présidente d’une association de citoyens à Céret, a tout de suite apporté son soutien au projet.

    Son association a acheté pour 500 euros de parts sociales.

    Cette participation allait de soi, pour elle :

    « Quand on entre au Cheval dans un arbre, on est sûr de ressortir avec un livre, confie-t-elle.

    Là-bas on se sent chez soi, c’est tout un état d’esprit.

    Au début, le projet m’a rendu sceptique.

    Et puis j’ai vraiment eu peur que la librairie ferme, j’aurais été contrainte d’aller acheter mes livres à Perpignan…

    Ça n’aurait pas été la même chose. Cette librairie, c’est un joyau. »

     

    Le prochain défi, c’est l’arrivée de nouveaux bénévoles engagés pour soulager une équipe fatiguée par plus de neuf mois de mise en route.

    Car la charge de travail et le temps long ont fait naître des tensions au sein du groupe.

    Pas de quoi compromettre le projet, mais assez pour se rendre compte qu’il faudra vite de nouvelles forces vives.

     

    Michèle et Béatrice ont d’ailleurs lancé un appel aux sociétaires volontaires pour demander de l’aide.

    « On aimerait bien que de nouvelles personnes entrent dans le groupe, et prennent le relais », reconnaissent-elles.

    « Le nombre fait la force, admet à son tour Auriane qui reconnaît avoir été affectée par les désaccords au sein du groupe.

    Là, on a encore le nez dans le guidon, mais j’ai hâte de voir comment ça va se passer quand la coopérative va vraiment exister. »

     

    La SCIC devrait être propriétaire des lieux d’ici au mois de mai, avec une inauguration prévue en juin…

    Et déjà pas mal de projets.

    « On va étendre les horaires d’ouverture, d’où le recrutement d’une autre salariée.

    Le stock est en train d'être repensé.

    On cherche aussi à déménager dans un local plus grand afin de pouvoir accueillir plus de monde », détaille Béatrice.

    Auriane, elle, aimerait bien qu’un espace soit réservé aux enfants avec des jeux.

    En attendant, le collectif a obtenu du bailleur qu’il fasse des travaux pour aménager un point d’eau et des toilettes dans ce local d’à peine 30 mètres carrés.

     

    Si l’aventure est avant tout humaine, pour Michèle Cardonne elle revêt aussi un caractère politique.

    Un moyen de reprendre le pouvoir.

    « Dans le climat actuel, dans ce système capitaliste à bout de souffle, il faut que les citoyens recréent des conditions d’échanges et de solidarité ensemble. »

    La gestion coopérative est pour elle un acte de résistance.


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  • François Boulo, "reprendre le pouvoir"

    «Le mouvement des gilets jaunes

    produira des effets sur le long terme»

     

    FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - À l’occasion de la parution de son dernier livre «Reprendre le pouvoir», l’avocat et ancienne figure du mouvement des gilets jaunes François Boulo, évoque son itinéraire intellectuel et politique. Selon lui, il est nécessaire de rompre avec les orientations économiques européennes et de changer de paradigme politique pour que la France retrouve sa souveraineté.


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  • Fil ouvert le 21 avril 2021 + mise à jour

    Le 21 avril 1944,

    le communiste Fernand Grenier

    dépose l'amendement

    qui donne le droit de vote et d'éligibilité

    aux femmes

     

    21 octobre 1945: les femmes obtiennent concrètement le droit de vote.


    De tous temps, les communistes ont porté le progrès et l'émancipation ... présentant des femmes aux élections alors qu'elles n'avaient pas encore le droit de vote, dès 1925.

    Au nom de l'idéal qui nous faisait combattre et qui nous pousse encore à nous battre encore aujourd'hui, au service d'une société plus juste et d'un monde meilleur! Et pour étendre l'égalité femmes-hommes, et les droits des femmes.

     

    Fernand Grenier est né le le 9 juillet 1901 à Tourcoing (Nord) 

    et décédé le 12 août 1992 à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis)

     

    Voici un article paru dans l’Humanité en avril 2014:


    Fernand Grenier, ce communiste
    qui a permis le droit de vote des femmes !

     

    "Si l’ordonnance donnant le droit de vote aux femmes a été prise il y a 70 ans jour pour jour par le Général de Gaulle, cette avancée, on la doit à un Tourquennois.

    Fernand Grenier rédigera l’amendement, un mois plus tôt, lors de l’assemblée constituante provisoire, installée à Alger :

    « Les femmes seront électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».

    Un texte sans ambiguïté mais qui suscita le débat.

    Un amendement adopté par 51 voix sur 67 votants.

     

    En janvier 1943 pourtant, lorsque se constitue l’assemblée consultative provisoire, « les débats sur l’organisation des pouvoirs publics ne prévoyaient pas le vote des femmes », relate Fernand Grenier dans un article de L’Humanité (18/04/1991).

    En 1943, le Tourquennois, au nom du parti communiste rejoint à Londres le Général de Gaulle.

    « C’est ainsi que je fus amené à poser la question du vote des femmes pour la première fois quand le Général de Gaulle me proposa de faire partie d’une commission de réforme de l’État, écrit-il encore.

    Je pensais qu’il serait injuste de continuer à considérer les femmes comme incapables de se servir du bulletin de vote ».


    Mais comment ce Tourquennois a-t-il gravi les échelons ?

    Pour le comprendre, il faut remonter à la jeunesse de Fernand Grenier.

    Et cette figure du père qui va le marquer profondément.

    Édouard Grenier, marié à Léontine Ghesquière, tous deux belges, va donner naissance à Fernand le 9 juillet 1901.

    « Mon père arrivé illettré de sa Wallonie, va apprendre à lire et écrire par les cours du soir », raconte Fernand Grenier dans Ce Bonheur là.*

    Un père livreur, militant socialiste, organisateur du syndicat des transports de Tourcoing.

    En raison de son action syndicale, il sera licencié plusieurs fois.

     

    C’est durant cette période que Fernand découvre l’univers socialiste : les lectures du père, l’achat du pain à la coopérative La solidarité ouvrière, les dimanches à la maison du peuple, siège du parti ouvrier, alors qu’il n’a que 11 ans.

    Cette figure paternelle va disparaître en 1917.

    Arrêté par les Allemands, il décédera dans une compagnie disciplinaire des travailleurs.

    « C’est une épreuve qui devait marquer ma jeunesse, j’avais 16 ans ».

    Et il était orphelin.

    Fernand Grenier avait perdu sa mère alors qu’il n’avait que 9 ans.

    « J’étais fier de mon père. À chaque événement marquant de ma propre vie de militant, le souvenir de mon père s’imposera », écrit Fernand Grenier.

     

    Apprenti mouleur à la fonderie, apprenti boulanger où il sera licencié car syndiqué, Fernand est ensuite embauché comme aide comptable à l’école des Mutilés de Tourcoing.

    Il habite alors Neuville – où il épousera en 1926 Andréa Beulque – et, en février 1922, adhère à la section communiste.

    « J’avais sans m’en rendre compte découvert le chemin de la vie : la joie de servir le peuple auquel on appartient ».

     

    Après le service militaire, Fernand Grenier intégrera l’école centrale du Parti et en sortira instructeur pour le Roubaisis et le Valenciennois.

    Élu au comité exécutif régional en 1925, Fernand sera dépêché à Halluin, comme employé de mairie pour « aider la municipalité communiste contre laquelle le puissant patronat de Roubaix Tourcoing concentrait tous ses moyens ».

     

    Au début des années 30, Fernand Grenier est appelé à Paris, non sans hésitation.

    « À Neuville, en adhérant au parti, j’avais commencé à ouvrir les yeux aux réalités sociales. L’âpreté de la lutte sociale contre la bourgeoisie, Halluin me l’avait apporté », raconte-t-il.

     

    Président des amis de l’URSS, Fernand Grenier bataillera à Saint-Denis où il sera élu conseiller municipal en 1937, puis en deviendra le député jusqu’en 1968.

    « C’était quelqu’un de très attaché à sa région, raconte Claudie Gillot-Dumoutier, fille d’Auguste Gillot, ancien maire de Saint-Denis. Il chantait tout le temps Le P’tit Quinquin ».

     

    Arrêté en 1940, il s’évadera de Châteaubriant.

    En 1943, il partira à Londres représenter le parti communiste clandestin auprès du Général de Gaulle.

    Il décédera en 1992 à Saint-Denis".

     

    *

    « Ce bonheur Là, de l’horizon d’un homme à l’horizon de tous »,

    Fernand Grenier, Éditions sociales, 1974

     

     

    Fernand Grenier, à l’origine du droit de vote des femmes

    La question du vote des femmes fut posée au mois de mars 1944 par le député Fernand Grenier.

    Se référant aux déclarations du général de Gaulle pendant la guerre, Fernand Grenier souhaitait que l’Assemblée Consultative reconnaisse le droit de vote et d’éligibilité des femmes « afin que nous lui manifestions notre solidarité et notre volonté de ne plus la traiter en mineure, en inférieure ».

     

    Cependant, malgré la volonté affichée par le Général de Gaulle dès 1942, un grand nombre de réticences virent le jour lors des débats sur le vote de l’amendement défendu par le député Grenier du 24 mars 1944 à l’Assemblée consultative provisoire.

     

    Les interventions de Monsieur Paul Giacobbi

    « Pensez-vous qu’il soit très sage dans une période aussi troublée que celle que nous allons traverser que de nous lancer ex abrupto dans cette aventure que constitue le suffrage des femmes ? »

    ou encore de Monsieur Bissagnet :

    « L’amendement Grenier amènera un déséquilibre très net, car il y aura deux fois plus de femmes que d’hommes qui prendront part au vote. Aurons-nous donc une image vraie de l’idée du pays ? En raison de ce déséquilibre, je préfère que le suffrage des femmes soit ajourné jusqu’à ce que tous les hommes soient rentrés dans leurs foyers, et c’est pourquoi je voterai contre l’amendement »

    étaient représentatives des positions de certains des membres de cette Assemblée Consultative provisoire.

     

    On entendit beaucoup d’arguments spécieux de procédure pour faire obstacle aux droits de vote et d’éligibilité des femmes.

    Heureusement, le courage et la détermination d’autres délégués permirent de contrebalancer ces résistances.

     

    « Quand il s’agit de jeter les femmes dans le creuset de la guerre, est-ce que nous attendons ? Sera-t-il dit toujours que l’on exigera de nos compagnes l’égalité devant l’effort de la peine, devant le sacrifice et le courage, jusque devant la mort sur le champ de bataille et que nous mettrons des réticences au moment d’affirmer cette égalité ».

    (Robert Prigent, syndicaliste chrétien, membre du parti démocrate populaire)

     

    L’amendement sur le droit de vote et d’éligibilité fut fermement défendu par le député Grenier et grâce à sa ténacité, l’article 16 de l’amendement fut adopté le 24 mars 1944 à la majorité de 51 voix contre 16 sur 67 votants et devient l’article 17 de l’ordonnance du 21 avril 1944 signée par De Gaulle.


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  • Lettre ouverte à Caroline Fourest

    (par une victime du Bataclan, mais pas du syndrome)

    Suivant les travaux de Caroline Fourest depuis longtemps, l'ayant lue, et partageant pendant longtemps un certain nombre de ses combats et de ses inquiétudes, je me dois de réagir aujourd'hui. Deux de ces idées me choquent particulièrement : son concept de «syndrome du Bataclan», et les accusations qu'elle porte sur celles et ceux qui ont décidé d'employer le terme «islamophobie».
     

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  • Depuis 1880,

    personne n'avait compté

    les victimes de la Semaine sanglante

     

    Samedi 17 Avril 2021
     
     

    Michèle Audin livre une passionnante chronique, au jour le jour, de la Commune de Paris, sur son blog et sur le site Humanite.fr. Dans son dernier livre, « la Semaine sanglante : légendes et comptes », l’écrivaine et mathématicienne rouvre le brûlant dossier du bilan humain de la répression.

    Entretien

     

    Michèle Audin n’en finit plus de se passionner pour la Commune de Paris, dont on célèbre le 150e anniversaire.

    Après « Comme une rivière bleue », en 2017, elle publie cette année un nouveau roman lié à cette période avec Josée Meunier, 19, rue des Juifs (Gallimard).

    Mais ce n’est pas tout.

    Son livre  la Semaine sanglante : mai 1871, légendes et comptes vient également de paraître chez Libertalia.

    Il s’agit d’un travail historique visant à recompter les morts de la Semaine sanglante, nombre sur lequel les estimations divergent.

    Elle a de plus regroupé dans « Eugène Varlin, ouvrier relieur, 1839-1871 » (Libertalia, 2019), les écrits du célèbre communard et publié les lettres de l’ambulancière Alix Payen dans « C’est la nuit surtout que le combat devient furieux : une ambulancière dans la Commune, 1871 » (Libertalia, 2020).

     

    PROFIL. Née à Alger en 1954, Michèle Audin est mathématicienne, professeure à l’université de Strasbourg jusqu’en 2014.

    Elle est aussi écrivaine et membre de l’Oulipo. Fille de Maurice et Josette Audin, militants communistes engagés pour l’indépendance de l’Algérie, elle a consacré le livre « Une vie brève » (Gallimard, prix Ève-Delacroix 2013) à la vie de son père, assassiné par l’armée française pendant la bataille d’Alger, en 1957.

    Elle est aussi une spécialiste de la Commune de Paris.

    Entretien

    D’où vous vient cet intérêt pour la Commune de Paris ?

    Michèle Audin

    J’ai été élevée dans une famille communiste. Une certaine idée de la Commune de Paris faisait partie de la culture ! Je trouve aujourd’hui que le plus passionnant de cette histoire est l’invention de nombreuses pratiques démocratiques. On croit souvent que la démocratie, c’est l’élection, de temps à autre, de représentants qui parleront à notre place. Pendant la Commune, on a élu les membres de l’Assemblée communale, bien sûr, mais ils étaient révocables. Et puis, il y avait des comités qui géraient, localement, la vie dans les arrondissements ou les quartiers, des associations comme l’Union des femmes et des clubs de discussion où on venait donner son avis, élaborer des revendications. Et, bien sûr, ce foisonnement, c’est aussi l’intervention, la prise de parole de milliers d’« inconnus », de la « vile multitude » – à qui on ne l’a plus guère donnée depuis.

     

    La Commune dure du 18 mars au 28 mai 1871. Sur votre blog, vous avez décidé de raconter cette histoire sur beaucoup plus de jours, en démarrant votre éphéméride à partir du 8 mai 1870. Pourquoi ?

    Michèle Audin

    J’essaie de comprendre. Cette histoire ne commence ni le 18 mars 1871 ni même le 4 septembre 1870 avec la proclamation de la République… Elle s’annonce déjà, par exemple, dans les grandes grèves des années 1867 et 1870. J’avais publié, il y a deux ans, jour après jour, le quotidien « la Marseillaise », de décembre 1869 à mai 1870. Ce qui m’a permis d’apprendre beaucoup de choses sur le mouvement ouvrier à la fin du Second Empire (voir mon livre sur Varlin). J’ai étudié en détail le procès de l’Internationale de juin-juillet 1870. Pour le cent cinquantenaire, j’ai repris la même démarche. En suivant notamment, pendant le siège, le quotidien de Blanqui, « la Patrie en danger ».

     

    Comment travaillez-vous pour réaliser ces notices quotidiennes ?

    Michèle Audin

    Je lis toutes sortes de choses, des livres, des documents d’archives, beaucoup les procès-verbaux des réunions de la Commune, et les journaux. Une bonne partie de la presse est disponible en ligne. Grâce à quoi j’ai pu écrire la plupart des articles… en « position confinée ». Je me fais aussi aider par tel ou tel ami qui dispose d’informations que je n’ai pas.

     

    Certaines dates vous ont-elles marquée ?

    Michèle Audin

     La journée du 19 mars, avec sa tension : que faut-il faire et comment. Celle du 6 avril, où on compte déjà les morts de la guerre pendant qu’un sous-comité de la Garde nationale met le feu à la guillotine. Celle du 7 mai, où André Léo écrit un article dans lequel elle demande à Dombrowski s’il croit vraiment qu’il va faire « la révolution sans la femme » ? Celle du 25 mai, où la lutte sur le boulevard Voltaire – notre boulevard Voltaire – est si violente.

     

    Quelle place tient selon vous cette révolution dans l’histoire du féminisme ?

    Michèle Audin

    D’une part, la question des droits des femmes semble moins présente qu’en 1848. Par exemple, en 1871, la question du droit de vote n’est même plus posée. D’autre part, elles sont, et parmi elles surtout les femmes des classes populaires, beaucoup plus présentes dans la ville – dans l’espace public –, et de façon très variée. On le leur a assez reproché – voir le mythe des pétroleuses ! Disons que cette présence massive a ouvert la voie aux grandes revendications du XXe siècle.

     

    La Commune est à la fois une période qui sert de référence à gauche, et une période relativement méconnue du grand public. Comment l’expliquez-vous ?

    Michèle Audin

    J’ai l’impression qu’elle est tout simplement très méconnue. La référence à gauche est bien souvent liée à une légende dorée – parfois éloignée de la réalité.

     

    Emmanuel Macron refuse de commémorer la Commune. Que pensez-vous de ce choix mémoriel ?

    Michèle Audin

    C’est un choix politique. Emmanuel Macron se réclame de Versailles. Le préfet de police Didier Lallement, lui, a choisi Galliffet, un des massacreurs de la Semaine sanglante, comme modèle. C’est cohérent. Les versaillais ont gagné la guerre contre Paris en 1871.

     

    Quelle place tient la Commune dans la création artistique ? Il existe au final peu de films, de romans et de bandes dessinées, même si cela tend à changer.

    Michèle Audin

    J’ai l’impression que le sujet était si polémique, si chargé politiquement, qu’on ne pouvait pas s’imaginer faire un film ou écrire un roman qui ne veuille pas faire, à nouveau, l’histoire complète de l’événement.

     

    Vous avez écrit deux romans consacrés à la Commune. Quels sont vos objectifs à travers ces deux fictions ?

    Michèle Audin

    Pour moi, il ne s’agissait pas d’écrire des romans « sur » la Commune. J’ai écrit un roman qui se passe à Paris pendant la Commune, « Comme une rivière bleue ». J’ai essayé de faire revivre la multitude de personnages qui se croisaient dans les rues de Paris. Raconter, c’est-à-dire apprendre à connaître, reconstituer l’histoire de femmes et d’hommes face à telle ou telle situation. « Josée Meunier » est un roman qui ne se passe ni «pendant la Commune » ni même complètement à Paris. En réalité, c’est un roman d’amour, même si les personnages principaux sont d’anciens communards. Être ou avoir été communard n’empêche pas de tomber amoureux ! Il s’agit surtout de la répression, puis de l’exil, de la vie des réfugiés en exil. Ils sont coupés des lieux de leur histoire. C’est ce que je raconte. À travers une femme dont l’histoire a laissé perdre la trace.

     

    Vous avez compilé deux ouvrages d’écrits et lettres, l’un sur Eugène Varlin et l’autre sur Alix Payen.

    Michèle Audin

    Les lettres d’Alix Payen à sa mère sont l’unique témoignage immédiat que nous avons sur la vie quotidienne des bataillons de la Garde nationale pendant la meurtrière guerre menée par Versailles contre Paris, du 2 avril au 28 mai 1871. C’est une raison suffisante pour s’y intéresser ! Alix Payen illustre aussi la diversité des communards : une femme, ni ouvrière ni institutrice, qui n’appartient ni à l’Internationale ni à l’Union des femmes, qui n’est pas passée en conseil de guerre… et qui pourtant a défendu la Commune, jusqu’à la mort – je veux dire que son mari est tué. 

    Les textes d’Eugène Varlin sont, pour la plupart, des articles publiés dans des journaux pendant le Second Empire. Tous sont passionnants pour l’histoire du mouvement ouvrier et aussi pour l’histoire de cet ouvrier en particulier, de sa formation intellectuelle et politique à travers les combats des années 1860. De la plupart de ces textes, on ne trouvait que des extraits, souvent de très courtes citations, dans des biographies, ce que j’ai trouvé assez frustrant. Je les ai tant appréciés que j’ai voulu les donner à lire.

     

    Vous publiez « la Semaine sanglante : mai 1871, légendes et comptes ». Quel était le but de cette répression ?

    Michèle Audin

    Comme l’a dit l’homme responsable de ces massacres : « Le sol de Paris est jonché de leurs cadavres. Ce spectacle affreux servira de leçon, il faut l’espérer, aux insurgés qui osaient se déclarer partisans de la Commune. » Il s’agissait de terroriser la population, pour interdire d’autres insurrections. C’est analogue, par exemple, aux massacres menés en Algérie, eux aussi par l’armée française, à Sétif et Guelma en mai 1945.

     

    Au sujet de la Semaine sanglante, plusieurs estimations de victimes sont données par les historiens (de 6 500 pour Du Camp à 30 000 pour Pelletan). Vous estimez qu’il y a eu « certainement 15 000 morts »...

    Michèle Audin

    Personne n’a fait cette histoire depuis Du Camp et Pelletan (1879-1880). À part une revitalisation des comptes de Du Camp par Tombs aussi tardivement qu’en 2010. J’ai simplement étudié les documents d’archives. Celles de chaque cimetière, celles de la direction des cimetières, celles de la police et de l’armée, celles de la voie publique, celles des pompes funèbres… Bizarrement, personne ne l’avait fait. On s’aperçoit vite qu’il n’est pas possible d’arrêter de « compter les morts » le 30 mai, comme l’ont fait Du Camp, puis Tombs. Par exemple, rien qu’au cimetière Montmartre, arrivent, le 31 mai, 492 nouveaux corps d’inconnus. Il y avait énormément de morts dans les rues de Paris, et on a continué à en apporter dans les cimetières pendant des jours et des jours. Ainsi, plus de 10 000 corps d’inconnus ont été inhumés dans les cimetières de Paris pendant et juste après la Semaine sanglante. Il faut y ajouter ceux enterrés dans des cimetières de banlieue, incinérés dans les casemates des fortifications ou restés sous les pavés de la ville (on a retrouvé des ossements de fédérés dans le sous-sol de Paris jusque dans les années 1920).

     

    Vous êtes également mathématicienne. On connaît le rôle que de nombreux artistes ont pu avoir pour ou contre la Commune. Qu’en était-il des scientifiques ?

    Michèle Audin

    À l’exception du géographe Élisée Reclus, on n’a pas vu de « grands scientifiques » soutenir la Commune – il y a eu aussi Sofia Kovalevskaïa, mathématicienne et sœur d’Anna Jaclard, mais elle était encore étudiante. Pourtant, plusieurs professeurs de mathématiques ont participé au mouvement jusqu’à la mort, comme Francisque Châtelet, tué pendant les combats d’avril, et Eugène André, exécuté pendant la Semaine sanglante. Plusieurs communards un peu plus connus avaient eux aussi une formation scientifique, comme Édouard Vaillant, Raoul Rigault ou Maxime Vuillaume.

     

    Quel était le rapport de la Commune aux sciences, au progrès et à la recherche ?

    Michèle Audin

    Les militants ouvriers, comme Eugène Varlin, Albert Theisz ou Léo Frankel, étaient très attachés, depuis longtemps, à la possibilité pour les ouvriers de s’instruire. D’où l’importance des revendications sur la durée des journées de travail, par exemple. On voit aussi, pendant la Commune, le « Journal officiel » envoyer chaque semaine un journaliste à la séance de l’Académie des sciences, dont il rend compte dans le journal. Comme l’écrit Lissagaray en évoquant ce fait : « Ce ne sont pas les ouvriers qui ont dit : la République n’a pas besoin de savants. » 


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  • Partage des richesses

    Salaire unique ou « salaire au besoin » :

    une coopérative boulangère repense la notion de rémunération

    Une boulangerie en coopérative a imaginé une façon inédite de concevoir sa grille salariale, en expérimentant le « salaire au besoin » Après six mois de fonctionnement, les salariés livrent un premier bilan contrasté, étonnant et riche d’enseignements.

    Bastamag >>>>>


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  • Liberté d’expression, liberté d’enseigner :

    le casse-tête des professeurs.

    Avec François Héran et Bruno Nassim Aboudrar.

    France Culture >>>>> 42 minutes audio


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  • Et si on supprimait
    le chômage grâce au
    Salaire minimum socialisé

     

    Nous vivons avec le chômage de masse depuis des décennies et il explose depuis plusieurs mois du fait de la crise sanitaire.

    Beaucoup de dispositifs ont été imaginés pour le résorber ou pour atténuer ses conséquences économiques et sociales  : RMI, RSA, emplois aidés, insertion par l’activité économique, etc.

    Une solution n’a pourtant jamais été explorée, alors qu’elle permettrait de sortir de cette spirale infernale, de revenir au plein emploi et de contribuer à la transition écologique.

    Il s’agit du salaire minimum socialisé (SMS)

    à découvrir sur pleinemploi.org.

     

    Le SMS permet :

    que toute personne qui souhaite un emploi puisse avoir un large choix ;

    – que toute personne, indépendante ou salariée, ait la garantie d’un revenu supérieur au Smic.

     

    Il s'agit d'un nouveau régime de sécurité sociale auquel toutes les entreprises (sociétés, associations, coopératives, indépendant.es) participeront.

    D’après un calcul, il faut prélever 54 % de la valeur produite par l’économie pour payer le Smic actuel à 1229 euros net à toute personne en emploi. Ce régime va donc prélever 54 % de la valeur de la production de chaque entreprise (société, association ou indépendant) et leur redistribuer immédiatement un Smic pour chaque personne employée.

     

    Ce que la proposition porte et apporte :


    Le plein emploi en quelques mois

    La facilitation de la reconversion écologique de nos économies

    La possibilité de refuser et de réévaluer les travaux jugés mal payés

    La prise en compte de l’apport de l’individu à la société au-delà de la valeur ajoutée qu’il produit

    La fin des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires

    Une réduction des inégalités agissant à la fois sur les revenus et l’emploi

    La facilitation de l’entrepreneuriat

    De nouvelles formes d’emploi répondant à nos aspirations écologiques et sociales

    La possibilité pour les entreprises de faire face à un passage difficile

    La fin de l’approche productiviste de l’emploi

    Une régulation du commerce extérieur

    Une réponse efficace et définitive à la question du bon niveau des minima sociaux


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  • Résilience :

    histoire d'un mot devenu une injonction de renoncer

     

    Vendredi 2 Avril 2021
     

    Emmanuel Macron l’a lâché en mars 2020 : il nous enjoignait de retrouver la « résilience » qui nous permettrait « de faire face aux crises à venir ».

    À l’ombre du Covid-19 et du réchauffement climatique, cette notion s’est imposée dans le débat public.

    Histoire d’un mot dont le sens varie au fil des siècles.

    Et qui est utilisé aujourd'hui avec une claire visée politique.

     

    À chaque époque, son vocabulaire et sa manière de façonner le monde.

    On a déjà soupé du « développement durable », (peu) goûté de la « start-up nation », voilà, qu’il faut avaler de la « résilience ».

    Emmanuel Macron, le président de la République, l’a lâché en mars 2020 : il nous enjoignait de « retrouver » la « résilience » qui nous permettrait « de faire face aux crises à venir » .

    Une opération militaire anti-Covid baptisée « Résilience » et, une année plus tard, le terme s’est invité à l’Assemblée nationale.

    Depuis le 29 mars, le projet de loi « climat et résilience » est débattu en séance publique.

    Cette fois, c’est la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, qui a insisté pour l’y faire figurer, car «  le texte vise à la fois à baisser nos émissions de gaz à effet de serre et à s’adapter à la réalité du réchauffement climatique », explique son cabinet.

    La « résilience » s’impose comme le nouveau mot à la mode, un label à saupoudrer sur toutes les politiques publiques : agriculture, villes, forêts ou gestion de l’eau.

    Tout doit être résilient.

     

    « Une capacité à résister »

    Mais que recouvre cette notion ?

    Pour le comprendre, il faut remonter à son origine, faire un détour par la psychologie et s’arrêter à Fukushima, avant de revenir à l’écologie.

    Le mot est dérivé du latin resiliens, « sauter en arrière, revenir à l’état initial ».

    Au XVIIe siècle, il signifie rebond.

    Au XIXe siècle, il devient physique : il désigne la capacité d’un matériau à absorber un choc.

    «  Du non-vivant au vivant, elle est devenue la notion clé pour lire l’évolution du vivant et sa capacité à résister, c’est une représentation mécanique du monde et de l’humain », explique Thierry Ribault, chercheur en sciences sociales au CNRS, qui vient de publier un livre très éclairant sur le sujet (1).

     

    L’irruption de la résilience dans l’écologie démarre à l’aube des années 1950, aux États-Unis.

    «  Elle est l’héritière des travaux menés pour le compte de la commission de l’énergie atomique américaine. Les biologistes Eugene et Howard Odum partent dans le Pacifique observer la manière dont la nature, les atolls coralliens, et accessoirement les hommes, réagissent aux particules radioactives disséminées partout par les essais atomiques. De là, va naître “l’écologie des radiations”, ancêtre de l’écologie systémique qui étudie la capacité du vivant à s’adapter à sa destruction », expose Thierry Ribault.

    À partir des années 1970, une version plus « libérale » va s’imposer.

    «  Il s’agit alors de tirer parti des chocs et capitaliser sur les opportunités émergentes » , reprend l’universitaire.

    Le chercheur en sciences sociales a décortiqué la manière dont la notion est utilisée depuis la catastrophe de Fukushima, au Japon, en 2011.

    «  La résilience y est une façon d’administrer le désastre, mise au service du “vivre avec” les dégâts, à défaut de prôner l’abolition de leurs causes », résume-t-il.

    Dans l’archipel, un ministère « responsable de la construction de la résilience nationale » a été créé dès 2012.

     

    « Cogestion de la catastrophe »

    Pour le chercheur, « la politique de résilience » mise en œuvre est « une idéologie anti-cause : elle opère un glissement de la focale des causes, qu’elle liquide, vers les effets. Elle s’accompagne donc d’une forme de déresponsabilisation des responsables et de surresponsabilisation des victimes ».

    Ainsi, au Japon, chacun doit « cogérer la catastrophe, gérer individuellement sa dose en la mesurant », souligne Thierry Ribault.

     

    En France, la résilience a été popularisée par la psychiatrie.

    À la fin des années 1990, Boris Cyrulnik, dans son best-seller Un merveilleux malheur, explique comment l’huître, pour se protéger du grain de sable qui la pénètre, secrète du calcaire, et produit ainsi une perle.

    De l’agression extérieure naît ainsi un bijou !

    Si la résilience peut avoir un intérêt face aux traumatismes psychologiques, la notion recouvre «  vraiment cette idée que du mal sortira du bien », remarque Geneviève Azam, économiste et membre d’Attac.

    La première fois que la militante a entendu le mot, c’était «  il y a une vingtaine d’années. À l’époque, il était plutôt utilisé par des mouvements contestataires, qui voulaient faire prendre conscience des chocs à venir et de la violence du réchauffement climatique face au déni des responsables et de la société. Ils l’entendaient dans un sens de transition et de transformation », se souvient Geneviève Azam.

    Aujourd’hui, elle y voit surtout un danger : « Celui de nier la gravité des chocs en cours, pour n’être qu’une injonction individuelle à s’adapter. Son utilisation aujourd’hui tend surtout à naturaliser des questions sociales et politiques », continue-t-elle.

     

    «Technologie du consentement »

    Il n’appartiendrait donc plus à l’État, ni au collectif, d’organiser la société face aux crises, au terrorisme ou au changement climatique.

    C’est aux individus de s’en accommoder le mieux possible.

    «  La catastrophe est à cet aune un moment psychologique que l’on va devoir intérioriser pour le dépasser. La résilience est une technologie du consentement, qui essaie de nous convaincre qu’il y a toujours une “bonne” raison à la catastrophe », poursuit Thierry Ribault.

    La notion implique, en creux, qu’on ne peut pas changer l’ordre économique existant.

    Exit toute forme de contestation : il faut être résistant aux chocs sans jamais opposer de résistance.

    «  Dans cette idéologie, il y a aussi finalement une haine des perdants, ceux qui n’auraient pas la capacité de rebondir », ajoute Geneviève Azam.

    « Ceux qui ne sont rien », comme le lâchait Emmanuel Macron, déjà, en 2017.

     

    (1) Contre la résilience. À Fukushima et ailleurs (l’Échappée). Il est coauteur, avec Nadine Ribault, des Sanctuaires de l’abîme. Chronique du désastre de Fukushima (Encyclopédie des nuisances, 2012).

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