• Clémentine Autain

     

    « J’alerte :

    la France est en passe de perdre pied »

    Notre pays ressemble chaque jour un peu plus à une société pré-fasciste.

    Le combat contre le terrorisme islamiste, loin de toucher sa cible, se transforme en tapis rouge pour Marine Le Pen.

    Nous avons besoin de rationalité et de démocratie.

    L’heure n’est pas à faire le dos rond en attendant que le tonnerre passe.

    Il existe une réponse émancipatrice et nous devons la porter avec fierté et convictions.

     

     "La France a une nouvelle fois été touchée en son cœur.

    Devant l’horreur, l’abjection de l’assassinat d’un enseignant, l’hommage à Samuel Paty et la réaffirmation des principes fondateurs de notre République doivent nous rassembler.

    Malheureusement, ne respectant même pas ce temps de deuil, certains – Manuel Valls en tête – ont préféré les anathèmes et les insultes à la dignité et à la fraternité.

    C’est pourtant avec la raison et la réflexion que nous devons mener le débat sur la stratégie la mieux à même de combattre le terrorisme se revendiquant de l’islam, et l’offensive de courants obscurantistes.

    La République n’est pas un concept ni une réalité figés.

    Elle est toujours inachevée.

    A chaque époque dans l’histoire, les confrontations ont fait rage entre républicains avant que ne soit dégagé un équilibre, toujours provisoire, garantissant la paix civile et un cadre pour la vie en commun.

    Refuser ce débat légitime, par malhonnêteté, paresse intellectuelle ou manipulation politique, c’est tourner le dos à l’esprit des Lumières que nous revendiquons haut et fort pour combattre les djihadistes et autres fondamentalistes.

    Nous avons besoin de confronter, honnêtement et sereinement, nos analyses et propositions.

    Face aux monstres, c’est dans la qualité et la rationalité de nos échanges que se situe notre force.

     

    J’alerte : la France est en passe de perdre pied.

    Au nom de la défense de la liberté et de la démocratie, notre pays s’enfonce dans le piétinement des libertés et de la démocratie.

    Le débat public est devenu un concours Lépine des idées d’extrême droite.

    Un jour, on nous propose d’interdire le voile dans tout l’espace public, le lendemain de n’autoriser que les prénoms contenus dans le calendrier, le surlendemain d’en finir avec les rayons halal ou casher dans les supermarchés.

    La haine, la vindicte, l’empilement de lois liberticides ont pris le pas sur l’argumentation raisonnée et les mesures à même de toucher la cible.

    Un tel climat ne nous sortira pas de l’immense difficulté dans laquelle nous nous trouvons : il ne peut conduire qu’à la guerre civile.

    D’éditos en chroniques humoristiques, de discours à l’Assemblée nationale en plateaux télévisés, j’entends qu’il faudrait que nous balayions devant notre porte.

    Par ce « nous » , je veux parler de cette gauche sociale, politique, intellectuelle qui se revendique Charlie, défend une laïcité d’apaisement et non d’exclusion, et combat ce racisme qui prend aujourd’hui la forme du rejet des musulmans.

     

    Comment est-il possible que cette gauche soit mise au banc des accusés qualifiés par certains comme en dehors du cadre républicain, pendant que l’extrême droite et tous ses porte-voix déroulent sans ambages leurs messages autoritaires et haineux ?

    Pire, c’est nous qui serions carrément « complices » voire « responsables » des meurtres commis au nom de l’islam.

    A nous de rendre des comptes, voire de « rendre gorge », pendant que Marine Le Pen bénéficie d’un tapis rouge et que ceux qui gouvernent ou ont gouverné se trouvent dédouanés de toute explication, de toute justification sur leurs manquements, leurs erreurs et leurs errements pourtant décisifs.

    Qui a démantelé les services de renseignements ?

    Qui n’a prévu que 25 personnes dans la cellule Pharos pour lutter concrètement contre la haine et le prosélytisme djihadiste sur les réseaux sociaux, quand nous n’avons cessé de dénoncer les plans d’austérité ?

    Qui a progressivement laminé la présence et la qualité des services publics dans les banlieues populaires, quand nous nous époumonions à dire que ce retrait de l’Etat comme du monde associatif était aussi injuste que dangereux ?

    Qui a fermé les yeux sur les pots-de-vin donnés par une entreprise française comme Lafarge à Daesh [l’Organisation Etat islamique], alors que nous lancions l’alerte sans que cela intéresse les grands médias ?

    Qui a laissé le Qatar posséder le PSG ou investir dans les quartiers populaires, quand nous l’avons dénoncé ?

    Ceux qui se sont affichés en photo avec les membres de le collectif Cheikh Yassine [dissous en conseil des ministres mercredi 21 octobre], ce n’est pas nous mais des figures de l’extrême droite.

    Ceux qui assument de prendre gentiment le thé avec de hauts dignitaires saoudiens ou de lâcher les Kurdes pour ne pas déranger la Turquie d’Erdogan, ce n’est pas nous, ce sont des ministres sous Sarkozy, Hollande ou Macron.

     

    Et, aujourd’hui, c’est La France Insoumise ou EELV, Mediapart ou Regards, la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) ou le syndicat étudiant UNEF, Benoît Hamon ou Nicolas Cadène [le rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité], qui sont montrés du doigt, calomniés, exclus du concert des hommages à Samuel Paty ?

    Ce procès est absolument scandaleux et terriblement dangereux.

    C’est une insulte à l’intelligence et à l’honnêteté.

    Et c’est l’alignement sur l’agenda de l’extrême droite.

     

    Notre pays ressemble chaque jour un peu plus à une société préfasciste.

     

    Le monstre grandit sans qu’aucune résistance collective ne parvienne, pour l’heure, à freiner cette ascension.

    La tonalité du débat politique est aussi électrique que délirante dans un moment qui devrait exiger du rassemblement et de l’intelligence collective.

    La violence se déchaîne de façon exponentielle sur les réseaux sociaux.

    Les caps franchis dans la tolérance aux propos et propositions racistes sont inouïs.

    Vide de sens et outil de la diversion, l’expression « islamo-gauchistes », devenue courante, y compris dans la bouche d’un ministre d’Etat chargé de l’éducation, rappelle la chasse aux sorcières qui visait les « judéo-bolcheviques » ou les « hitléro-trotskystes ».

     

    C’est un désastre.

     

    Chacune, chacun a-t-il bien conscience de ce qui se trame et de sa propre responsabilité dans ce sombre théâtre de la vie publique qui nous aspire dans une spirale de violences, d’amalgames, d’arbitraire, dans cette boue idéologique qui nous emmène tout droit vers le néant ?

    Je pense aux grandes voix qui se revendiquent de la gauche mais se taisent, voire attisent les confusions et excommunications.

    Je pense aux journalistes qui ne cessent de poser les questions venues de la droite dure, qui ne voient rien à dire ou redire quand Jean-Luc Mélenchon est qualifié de « collabo » dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, ou quand l’essayiste Pascal Bruckner accuse [la militante antiraciste et féministe] Rokhaya Diallo d’avoir « poussé à armer » les islamistes.

    Le débat ne serait-il désormais qu’entre Éric Zemmour et Michel Onfray, comme le met en scène la chaîne CNews dans un duel qui n’est rien d’autre qu’un duo ?

     

    Un retour sain sur l’histoire du XXe siècle devrait inviter à sortir de la sidération et de la complicité ou notre pays basculera dans de tragiques récidives.

    L’heure n’est pas à faire le dos rond en attendant que le tonnerre passe.

    Il existe une réponse émancipatrice et nous devons la porter avec fierté et convictions.

    Avec Jaurès, nous savons que la logique de guerre ne conduit pas à la paix.

    La fermeté n’est pas l’arbitraire.

    Dans l’idéal de notre République, laïque et sociale, il existe un fil protecteur contre l’obscurantisme et le fascisme.

    À nous de le faire vivre."

     

    Clémentine Autain


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  • Clémentine Autain sur France Info

    Clémentine Autain était sur France Info ce mardi 20 octobre pour revenir sur l'actualité dramatique des derniers jours, débattre et répondre aux questions d'internautes.


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  • Clémentine Autain

    « La laïcité est un outil contre la guerre civile »

    19 Octobre 2020 - Regards

    https://www.youtube.com/watch?v=7BEZJmXtsjE&feature=emb_logo


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  • Clémentine Autain :

    « Plutôt que casting, parlons contenu »

    Fil ouvert le Mercredi 14 Octobre 2020

    À gauche en sortant de l’hypermarché est le titre du nouveau livre de la députée FI, signataire d’un appel à une candidature commune en 2022.

    Entretien.

     

    Pourquoi avoir choisi la figure de l’hypermarché pour votre livre ?

    Clémentine Autain

    C’est un lieu qui symbolise « l’hyper marché ».

    Fruits de la société de consommation et du capitalisme triomphant au XXe siècle, les hypermarchés comme les centres commerciaux sont des mastodontes physiques qui incarnent à la fois la logique du profit, le gaspillage maximum et la déshumanisation des rapports au travail.

    La caissière, que l’on semble avoir découverte avec la crise sanitaire, est une figure emblématique du prolétariat contemporain.

    À travers ce lieu, on balaie toutes les pathologies de notre société.

     

    J’ai donc construit ce livre comme le parcours-client : du marketing en y entrant pour susciter la pulsion d’achat et l’étourdissement devant la marchandise au grand gaspillage des emballages dès que l’on rentre chez soi ranger les produits.

    Si j’ai choisi un lieu, c’est aussi parce que je crois profondément que lorsqu’on est attaché à la valeur d’égalité, il faut la penser sur un plan social, mais aussi territorial.

    Or, l’installation des hypermarchés a façonné les périphéries urbaines et participé activement à la désertification des centres-villes comme au tout-voiture.

     

    Vous proposez de sortir de cette société « par la gauche ». C’est-à-dire ?

    Clémentine Autain

    Déjà, ça veut dire ne pas en sortir par le projet d’Amazon, sans caisses et sous surveillance, ou par un système à double vitesse comme le hard-discount pour les uns et le bio pour les autres.

    Je propose d’imaginer comment, en sortant des normes néolibérales et de la folie marchande, on peut penser un modèle de développement qui parte de nos besoins pour organiser la société.

    C’est une sortie par la gauche parce qu’elle s’inscrit dans la tradition historique de quête d’émancipation humaine qui l’a façonnée.

    Il s’agit de répondre à nos besoins véritables, et non à ceux, artificiels, fabriqués par le capitalisme.

    C’est le fil qui permet de redonner du sens.

     

    La gauche est-elle en mesure de proposer autre chose, de donner du sens ?

    Clémentine Autain

    Oui. Ce que j’appelle « nouveau tout » est en train d’arriver à maturation, qui allie transformation sociale et écologie.

    Cet alliage est très fort pour bien saisir la société d’aujourd’hui et les transformations nécessaires.

    C’est notre force pour demain.

     

    Jusqu’ici, par exemple, à gauche, on porte la revendication de plus de pouvoir d’achat.

    Or, si on est cohérent avec le progrès véritable dont je parle dans mon livre, on devrait revendiquer du pouvoir-vivre.

    Si l’on veut augmenter les bas salaires, ce n’est pas pour pouvoir acheter plus, mais pour pouvoir vivre dans la dignité et pour faire vivre la justice sociale.

    La façon de présenter les choses peut dégager une nouvelle cohérence.

    L’intérêt des salariés et l’intérêt environnemental sont étroitement liés.

    Si la gauche est radicale, elle prend les problèmes à la racine.

    C’est pour cela que je ne crois absolument pas à un « capitalisme vert ».

     

     

    D’autres, à gauche, croient au capitalisme vert. Vous êtes signataire de « l’appel des 1 000 » en faveur d’un rassemblement pour 2022. Peut-elle y parvenir malgré ce genre de divergences ?

    Clémentine Autain

    On parle beaucoup de la stratégie de chaque parti et du casting.

    Mais commençons par le contenu politique.

    Les alliances nouvelles doivent se fonder sur un diagnostic partagé de ce qui n’a pas fonctionné lorsque la gauche était au gouvernement et sur les conséquences à en tirer pour demain.

    Oui, il faudra rassembler le plus largement possible, dans le pays et pas seulement entre les partis, pour changer vraiment les choses une fois au pouvoir.

    Pour y arriver, il faut un projet neuf de transformation en profondeur, c’est-à-dire qui prenne à la racine les problèmes.


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  • UN DÉBAT STRATÉGIQUE

    pour et par les combats quotidiens!

     

     


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  • Fil ouvert le 10 Octobre 2020

    Ensemble !

    Ou l'œcuménisme de gauche

    Esprit De Parti 

    https://www.youtube.com/watch?v=znve7L-pZGo&app=desktop

     
     
     
     
     

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    Les partis trotskistes (LO-NPA-POI/D)

    Esprit De Parti

    https://www.youtube.com/watch?v=qa-rY-CP13g&list=PLQP_tOCaey0PJcdKnm8qIkQZuxW3toCM8&index=3

     

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    Tzitzimitl - Esprit Critique

    Chaîne Youtube >>>>>


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  • Assemblée Générale d'Ensemble !

    Samedi 7 et Dimanche 8 Novembre 2020

     

    Textes

     

     


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  • Ensemble !

    Élections Régionales et départementales 2020

    Document Octobre 2020

     

     


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  • Assemblée Générale d'Ensemble !

    Samedi 7 et Dimanche 8 Novembre 2020

     

    Textes


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  • Stratégie : continuons la discussion, malgré des incompréhensions.

    J-C M

     

    Le but de cette nouvelle contribution est de poursuivre le débat après les échanges du dernier CN.

    D’autres camarades devraient le faire aussi (Etienne l’a fait).

    Je continue à penser qu’il y a dans cette discussion des malentendus de méthode, mais je ne cache pas des différences ou des divergences limitées, difficiles à cerner dans toutes leurs dimensions.

     

    1-      Problèmes de méthode ou dialogue de sourds ?

     

    Lors de l’échange du CN du 18 septembre où j’ai exprimé après Marie-Claude H. mes positions issues de la commission préparatoire, Bruno D.S. a demandé dans son intervention pourquoi je n’avais pas amendé le texte de lancement de la discussion.

    Plusieurs remarques à ce sujet :

    1. a) D’ordinaire, on amende un texte si celui-ci est soumis à délibération en vue d’être adopté. Or, au CN de janvier 2020, dans la commission qui s’est réunie, après un débat serré, un consensus est finalement apparu pour admettre que le document serait discuté à l’AG, mais pas soumis à adoption. Il n’y a donc pas lieu d’amender, mais de discuter.
    2. b) Deuxièmement : avant la parution du texte collectif mis au débat, il y a d’abord eu un groupe de travail du CN (je n’y étais pas) au printemps 2019, qui a abouti dans un premier temps à un petit texte posant un certain nombre de questions. On devrait le remettre à disposition s’il est oublié. Or justement, j’ai pris le temps de répondre à toutes les questions une à une, et de manière détaillée (et longue !). Bien entendu, c’est un débat difficile et sur certaines choses, je ne suis sûr de rien à ce stade. Mais seul Jean-Paul L. a réagi à mes réponses. Ensuite, le texte collectif des camarades a circulé, et j’y ai répondu aussi, d’autres camarades aussi.
    3. c) Troisièmement : avant le CN de janvier 2020, et voyant que ce débat sur la stratégie pouvait aboutir à des malentendus ou des fausses oppositions (problèmes de vocabulaire, etc.), j’ai tenté, en listant 6 ou 7 thèmes, de mettre côté à côte sur chacun d’eux des passages publiés issus des différentes « sensibilités» de notre mouvement. C’est la méthode que nous avions utilisé à la fondation d’Ensemble : des « collages » thématiques pour montrer que sur pas mal de sujets, les manières d’aborder les choses sont assez proches (mais pas sur tout). Par cette tentative, nous aurions pu aboutir à valider un « tronc commun », et continuer le débat sur ce qui apparemment n’est pas d’emblée « commun ». Au moins les divergences éventuelles auraient été ciblées. Et surtout, cette méthode avait l’avantage d’encourager un travail collectif, prenant en compte toutes les élaborations en présence dans Ensemble !, afin de les faire dialoguer. Or, au CN de janvier 2020, cette tentative d’écriture collective a reçu …une fin de non-recevoir.

     

    Conclusion : personne ne peut m’accuser de ne pas m’être intéressé à ce débat. Mais je maintiens qu’à ce stade, on ne peut pas trancher.

     

    2-      Stratégie et divergences politiques : comment les choses se goupillent ?  

    Même si ce n’est pas écrit très clairement dans le texte, il a été dit fortement et oralement, depuis le début, qu’Ensemble souffre d’un problème de clarification stratégique, qui expliquerait pour l’essentiel les clivages apparus en son sein depuis 2016-17.

    Il a même été dit que la stratégie est première et commande en quelque sorte les choix politiques, qui donc en découlent.

    Tout cela semble très rationnel, mais… un peu trop. Et peut conduire à un dogmatisme stratégique. Etienne dans sa contribution après le CN explique à juste titre qu’il faut arrêter avec le « parti-guide ».

    Outre que cette orientation a été actée dans les textes fondateurs d’Ensemble ! on peut penser que cela été oublié ou mal appliqué.

    Or c’est bien cette possible dérive « avant-gardiste » que je ressens au vu de certains débats sur la « stratégie ».

     

     Certes, loin de moi l’idée qu’il ne faut pas travailler sur les options théoriques et stratégiques.

    C’est plus que nécessaire, c’est de l’hygiène mentale, dans cette période où tout chavire.

    Mais justement parce que tout est re-discutable, et que beaucoup de questions très lourdes sont remises en débat (exemple : le concept de mouvement ouvrier), il faut se garder de schémas trop rigides, ou d’une hiérarchisation des raisonnements.

    L’histoire des révolutions ou du mouvement ouvrier contient des exemples où des militants-es se querellaient sur des options stratégiques, et se sont retrouvés d’accord dans des contextes politiques précis pour répondre de la même manière à la question : que faut-il faire ici et maintenant ?

    On peut citer la révolution russe sur ce point.

    Bien sûr cela ne marche pas à tous les coups.

    Et il y a aussi des exemples inverses : des organisations ou des courants qui ont à priori le même discours stratégique, mais finissent par se tourner le dos dans la politique réelle.

     

    Conclusion : Soyons prudent avec la force supposée de la cohérence stratégique.

     

    3-      Questions de fond en débats :

    1. a) La révolution « longue» et la fin du « grand soir » : Je l’ai dit, je partage ce point de vue. Surtout dans des pays comme les nôtres où une très longue expérience politique a été vécue, à l’issue des révolutions qui ont renversé les monarchies ou au moins mis en place des régimes dotés de constitutions et de règles « démocratiques ». Celles-ci sont dites « formelles », mais elles imprègnent très fortement les cultures des peuples en Europe, quand bien même elles sont de plus en plus rejetées car mensongères, etc. Elles sont mensongères, donc les peuples qui se mobilisent critiquent l’écart entre promesses et réalités. Car l’exigence démocratique (même floue) demeure un levier extrêmement puissant. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si même en Europe, les situations de crises révolutionnaires intenses sont souvent en réalité issues de contestations de régimes encore dictatoriaux (Allemagne 1918, Etat espagnol en 1931, Portugal en 1974) ou alors d’une guerre contre un ennemi terrible : la Grèce contre le nazisme en 1944-46, la Yougoslavie, voir même les périodes d’après-guerre en France, en Italie, ou la menace fasciste en 1934. Les situations d’effervescence sociale auto-développée posant la question d’une rupture révolutionnaire (mais encore…lointaine), par exemple de grève générale, etc. sont finalement rares (mai 68, qui certes aurait pu sans doute… renverser De Gaulle). Donc le grand soir de type « octobre 17 » est en effet peu imaginable en Europe. Le problème stratégique est donc entier. Nous n’avons aucun moyen de décider sur une question d’une telle envergure.

    De ce constat on ne peut probablement pas déduire qu’il n’y a plus de moments décisifs.

    Ne serait-ce que pour remporter des victoires partielles dans des luttes importantes. Exemple : pour gagner dans un processus du type de ce qu’on a connu sur les retraites en décembre, janvier et février dernier, il faut probablement que le mouvement soit assez puissant et incisif pour mettre en crise politique le gouvernement.

    Ce seul aspect renvoie à des questions…stratégiques : poser les questions du pouvoir politique dans le cours du mouvement lui-même, et si possible émanant du mouvement lui-même, et pas seulement des partis (qui ne doivent pas se dérober non plus).

    Question redoutable et pas facile.

    Je renvoie sur ce point à des articles parus dans Contretemps.

    Conclusion : la lutte politique, qui n’est pas spontanée, a son autonomie. Elle se prépare.

     

    1. b) Révolution longue et ruptures politiques partielles : Si on est d’accord que les processus mettront du temps pour atteindre une maturité collective, se pose quand même une autre question…stratégique. Il ne s’agit pas pour le coup de la « prise du pouvoir d’Etat», mais de changer des gouvernements, ou éventuellement de les renverser après une crise aiguë.  Nous devons bien sûr pousser le plus loin possible les processus de luttes, la généralisation des grèves (aujourd’hui très difficile dans le privé), l’auto-organisation, la mise en place d’outils démocratiques, d’assemblées, etc. Il faut pousser le plus loin possible ce que Marx appelait dans l’Adresse de la Première internationale des expériences « d’économie politiques des travailleurs » : coopératives, reprise de production, lutte pour la prise de contrôle du travail, pour la socialisation et l’autogestion du salaire dans une Sécurité sociale universelle, etc. Il faut abandonner l’idée (dominante après Marx dans le mouvement révolutionnaire) que tout dépend de l’Etat, et qu’une fois l’Etat renversé, le reste suivra. Non. Le reste ne suivra pas. J’y reviendrai. Mais pense-t-on pour autant que ces processus sociaux finiront par leur simple auto-développement par régler la question du pouvoir politique au sens du gouvernement en place, obstacle incontournable ? On ne peut pas imaginer en Europe qu’une crise de société posant la question d’une rupture anticapitaliste et écologiste ne pose pas en même temps la question d’un gouvernement de rupture pour expérimenter ce qui doit être mis en œuvre. Si on répond oui à cette question, alors il faut s’y préparer. C’est une lutte politique, que d’autres mènent si nous ne la menons pas. On ne peut pas les laisser faire au nom du simple refus de l’électoralisme. Un objectif de gouvernement de gauche et écologiste se pose donc, et pas toujours de manière chimiquement pure (les luttes non plus ne le sont pas !). Mais un gouvernement ne règle pas tout, il ouvre seulement une autre séquence : soit il se couche d’emblée devant le système (Hollande) soit il résiste, même un peu. Dès lors l’affrontement peut prendre encore une autre dimension, dans le cadre d’une révolution longue avec plein de rebondissements et de bifurcations. Peut-on aller plus loin ? Pas beaucoup.

     

    Conclusion : l’hypothèse d’un gouvernement de rupture (distinct de l’Etat, même s’il en est un élémént), est incontournable pour une stratégie.

    Mais il faut qu’il soit l’émanation d’un mouvement pluraliste.

     

    1. c) Le « déjà-là» est déjà une bifurcation stratégique commune dans Ensemble ! : En effet, ce que nous appelons le « déjà-là » signifie que nous ne nous en remettons pas uniquement à l’Etat comme levier pour la rupture.  De ce point de vue, je suis d’accord avec Etienne Adam récemment après le CN lorsqu’il parle de relier les objectifs immédiats et le projet d’une autre société (mesures parfois dites « transitoires » ou de « bifurcation »). Il est vrai qu’un certain nombre d’entre nous (pas tout le monde, je le reconnais) ont été formé-es à l’idée que la dimension du pouvoir politique est tellement centrale, qu’elle relativise tout le reste. Ou plutôt que tout le reste est au service de cette visée autour de l’Etat, comme solution « clefs en main », comme le critique Etienne à juste titre. Autrement dit dans cette vision : contrairement à la bourgeoisie d’avant 1789, le prolétariat ne possèderait rien d’autre que son mouvement impétueux. La stratégie des luttes qui se généralisent aurait donc pour but de construire un double pouvoir, lequel dans un dernier effort finirait par prendre le pouvoir. OK pour prendre le pouvoir, mais pourquoi faire, si on n’a rien à généraliser qui serait déjà présent en germe ? Il est essentiel que l’expérience collective d’une autre manière de faire société ait grandi, obtenu des résultats, fait grandir un désir d’aller plus loin, etc. C’est par exemple la question de la critique du travail, de la valeur alternative à son sens capitaliste, la notion de « commun », de la propriété d’usage et des institutions que cela implique, de l’autogestion, de l’articulation du social et de l’écologique, de la mise en cause des dominations (genre, racialisation), etc. Donc de ce qui est déjà-là en germe. Tous ces processus sont décisifs : c’est « l’économie politique des travailleurs », que malheureusement Marx lui-même (et ses suites) a sans doute un peu laissé tomber. Mais tout cela figure, sans doute incomplètement, dans le document Emancipation.

     

    Conclusion : le déjà-là est déjà notre patrimoine. Développons-le.

     

    1. d) L’autogestion demeure, mais n’englobe pas tout non plus. L’autogestion a été et reste une figure synthétique du projet d’alternative au capitalisme. Mais cette force a surtout été évidente et subversive en alternative au stalinisme (pas seulement certes). Il me semble qu’elle n’englobe pas aussi simplement d’autres processus d’émancipation collective apparus depuis quelques décennies. Peut-on dire par exemple que le féminisme est un mouvement autogestionnaire ? C’est d’abord une conscience critique des rapports sociaux de sexe. Et qui va très loin : la question du « privé», des violences, y compris symboliques, etc. Idem pour l’irruption antiraciste contemporaine, et ses dimensions post-coloniales. Quid du retour de la laïcité comme enjeu ?  Le défi écologique pose le problème du rapport entre la condition humaine et le « vivant » dans toutes ses variétés (animaux, plantes). Le moins qu’on puisse dire est que l’occident « culturel » a beaucoup de problèmes ancestraux sur ces questions. On pourrait aussi évoquer le rapport à la technique (5G !), etc.

    Conclusion : le monde bouge, les imaginaires émancipateurs aussi.

     

    1. e) Démocratie, représentation/délégation, auto-organisation collective : Dans sa critique de l’Etat, le texte collectif sur la stratégie mélange Etat et représentation. Il laisse entendre clairement qu’il faut rompre avec toute forme de représentation, ce que Jean-Paul affirme on ne peut plus nettement. Là aussi, restons prudent. Il faudrait discuter plus en détail, car Jean-Paul L, qui est le plus constant sur ce sujet, admet aussi des processus de délégation. Il ne nous a jamais expliqué (sauf erreur de ma part, dans ce cas je m’en excuse) en détail la différence entre les deux notions, qui sont assez semblables dans le sens commun (dont il faut certes se méfier). Bien sûr que pour Sièyes (1789) et ses continuateurs, il est hors de question que le « peuple» ignorant accède au pouvoir et à la politique. Il ne peut être que passif et « représenté » par des élites. La continuité quasi monarchique avec la 5ème République et son dernier rejeton Macron est très claire sur ce point.

     

    De là à rejeter par principe toute forme de représentation (qu’on peut appeler délégation) quelle qu’elle soit, il y a un pas que seuls des régimes dictatoriaux peuvent franchir, en passant par l’étape illibérale répandue actuellement.

    Ou alors il s’agit d’un rêve utopique au mauvais sens du terme : pas une utopie concrète (une transition), mais le rêve d’une société en transmutation communiste permanente qui n’aurait besoin d’aucune forme de délégation et de médiations, même passagères, parce toutes les catégories seraient fusionnées : société, pouvoir public, politique, économie, droit, culture, etc.

    Un tel monde ne peut exister à échéance imaginable (est-il souhaitable ?), même si Marx a dit qu’on pouvait faire de la philo le matin et aller produire un autre moment, ce qui est déjà pas mal.

     

    Par contre, et cela le texte le dit à juste titre, l’aspiration démocratique est de plus en plus vive, partout dans le monde.

    C’est sans doute un effet du néolibéralisme, foncièrement antidémocratique. C’est de cela que nous devrions discuter très en détail, pour aboutir à des propositions.

    Pourquoi l’idée de « Constituante » en Algérie ?

    Qui serait délégué pour la définir ?

    Pourquoi la demande de « référendum citoyen » en France ?

    Pourquoi pas des « conventions citoyennes » tirées au sort ?

    A quelles conditions ?

    Quelles institutions proposons-nous ?

    Quel rapport entre législatif et exécutif ?

    Quel rôle à la démocratie autogestionnaire ?

    Quel rapport entre institutions et démocratie pas en bas ?

    Est-on pour la démocratie dite « directe » ?

    Remplace-t-elle des député-es ?

    Jusqu’où va-t-elle ?

    Est-ce l’abolition du suffrage universel ?

    Etc.

    Nous n’avons aucun document sur ces questions qui deviennent de plus en plus cruciales.

     

    Par ailleurs, le social et le politique se font des signes d’amour, mais ne fusionnent pas à tout moment (malheureusement).  

    Pourquoi des listes municipales avec une forte dimension citoyenne, soit incluant les partis politiques (Le Havre, Marseille, Toulouse, Ivry sur Seine…), soit les rejetant (comme à Commercy, si j’ai bien compris) comme totalement dépassés ?

    Si on admet qu’il y a encore besoin de partis politiques, peut-on expliquer pour quelle raison ?

    Dire qu’il faut encore des partis politiques n’est-ce pas entretenir nous-mêmes la coupure entre le social et le politique ?

    (On pourrait très bien se contenter de syndicats refondés et autonomes, ou « intégraux »…).

    Pourquoi donc y a-t-il depuis le milieu du 19ème siècle des syndicats, des associations et aussi des partis ou des mouvements politiques, si le social est immédiatement politique sans médiation, et si la politique est immédiatement nourrie et remplie par le mouvement de la société qui se suffirait à lui-même ?

     

    Auto-organisation collective de la société et construction de l’action politique doivent à mon avis rétroagir l’un sur l’autre.

    Il faut viser la non coupure comme horizon, mais sans  la proclamer artificiellement comme accomplie.

     

    Conclusion : c’est ce débat qu’on peut continuer.

     

    Le 01/10/2020.


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