• Un système à bout de Souffle

    Association des Communistes Unitaires ACU

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    31 mars 2023

     

    Un système à bout de Souffle

     

     

     

     

     Un système à bout de souffle

     

     La trajectoire autoritaire du gouvernement face aux mouvements populaires oblige à aller sur le fondamental pour modifier le rapport de forces.

    Le fondamental ?

    Regardons ce qu’il se passe en Italie, en Grèce, en Grande-Bretagne, en Corée du Sud ou en Israël...partout l’évolution du capitalisme entraîne ce type de dérive autoritaire.

    Mais on ne combattra pas cette dérive en défendant le système parlementaire.

    Elle est rendue possible par le système représentatif où l’on a pris l’habitude que parlementaires et gouvernants soient de fait indépendants de celles et ceux qui les élisent.

     

    Grave amputation de la citoyenneté que d’être dépossédé des délibérations et de la maitrise des enjeux du devenir commun.

    Et se réclamer de la « désobéissance » cela ne traduit-il pas que la normalité est d’obéir ?

    La dissociation des combats dans le champ social de ce qui se passe dans le champ politique découle d’une conception hétéronome du pouvoir.

    La structure étatique est conçue comme un organisme spécialisé rendant possible d’assembler abstraitement les diverses composantes d’un peuple tout en les mettant en extériorité des processus de cet assemblage.

    L’Etat ou les partis se substitue régulièrement au collectif.

    On évoque ainsi les politiques publiques comme un synonyme de l’Etat.

    Le mot « public » est abusivement assimilé à l’Etat particulièrement lorsque l’on parle de « puissance publique ».

    Pourtant, il suffit de parler d’opinion publique pour mesurer à quel point il n’y a pas de synonymie entre public et Etat.

     

    Le système représentatif finit toujours et partout par confisquer l’élan et les exigences du mouvement populaire : c’est vrai de la Révolution française à la Révolution Egyptienne de 2010 en passant par la révolution Russe de 1917 ou la Libération.

    Dans la mesure où la politique est devenue synonyme de sphère réservée aux partis et qu’elle fait appel à une confiance qui se refuse de plus en plus, le système représentatif est devenu un obstacle au passage à l’élaboration d’alternative.

    Préserver sa liberté de décider de ce qui concerne son propre devenir apparaît devoir éviter la politique.

    Au risque d’en rester à la dénonciation et au ressentiment de voir qu’elle n’est pas suivie d’effets ce qui peut ouvrir sur une pente vers des formules d’extrême-droite.

     

    Interroger la genèse.

                   

    La conception de ce système vient de loin.

    Il découle de la fondation de la République.

                       

    On oublie trop vite que Thiers et Mac-Mahon qui participent activement à la fondation de la Troisième République étaient des monarchistes ainsi que la majorité des élus qui optent pour ce choix.

    Les républicains « d’origine » étaient minoritaires.

    A ses pairs qui s’étaient étonnés qu’il s’engage sur la voie du suffrage universel masculin, Thiers rétorque :

    « outre que la demande est trop forte, 1830… 1848… 1871… n’en avez-vous pas assez d’être pris par surprise ? Le droit de vote sera le moyen de prendre régulièrement le pouls des classes dangereuses… ».

    Il poursuit en précisant que c’est aussi le moyen de dissocier les « élites républicaines » de ces « classes dangereuses ».

    Ce sont ces hommes qui optent pour le système représentatif.

    La stabilisation de la République est donc fondée sur l’éloignement du peuple de tout rôle délibératif et sur une dissociation de l’action sociale et de l’action politique qui va perdurer : en 1968, le mouvement impose la reconnaissance de l’action syndicale dans l’entreprise, mais évacue l’activité politique.

    Ce qui équivaut à intégrer comme normalité qu’on ne peut être citoyen et travailleur en même temps.

     

              Mais déjà auparavant, les acteurs de Thermidor qui se débarrassèrent des acteurs de l’An II, participèrent au Directoire en 1794 et pour beaucoup au régime de Napoléon.

    Ils n’eurent de cesse de contenir le peuple en dehors des possibilités d’interventions.

    Ecoutons Joseph Sièyès, pilier du Tiers Etat déclarant durant les séances de la Convention :

    « le peuple ne peut parler par lui-même parce qu’il n’a pas d’existence politique propre, il ne peut parler que par ses représentants ».

    Lisons Boissy d’Anglas en 1794[1] : 

    La Constitution de 1793 organise l’anarchie parce que

    « le pouvoir est trop faible et que les assemblées primaires [de quartiers] livrées au suffrage universel, sont une des principales sources d’anarchie parce qu’elles y concentrent un pouvoir important et que le peuple y est constamment délibérant (…) seuls les meilleurs [étymologiquement une aristocratie] sont aptes à gouverner.

    Ceux qui possèdent une propriété sont attachés aux lois qui la protègent, à la tranquillité qui la conserve et qui doivent à cette propriété et à l’aisance qu’elle donne l’éducation qui les a rendus propres à discuter avec sagacité et justesse les avantages et les inconvénients des lois… »

     

    Ainsi le peuple est souverain mais seulement dans la mesure où tout se fait en son nom et sans lui.

    Selon Cabanis

    « le vrai système représentatif où tout se fait au nom du peuple et pour le peuple ; rien ne se fait directement par lui ; il est la source sacrée de tous les pouvoirs mais il n’en exerce aucun … le peuple est souverain mais tous les pouvoirs dont sa souveraineté se compose sont délégués… ».

    Ce qui faisait dire au Jacobin Pétion que selon eux,

    « on était citoyen juste le temps de désigner à qui on doit obéir ensuite ».

    Pour tous les Thermidoriens, il est grand temps que

    « la Révolution s’arrête ».

    Pour saisir les enjeux de classes, il faut savoir qu’en 1795, le gouvernement a abolit une loi de 1793 qui interdisait la création des sociétés financières.

     

                 A la différence de 1793 et 1848, l’innovation de la 3ème République a été la dissociation entre République et Révolution.

    La Révolution serait devenue inutile puisque la République était définitivement acquise.

    Après la Commune ce fut même la République CONTRE la révolution.

    Le corolaire a été de faire de toute conflictualité une anomalie, renvoyant le rôle politique du peuple aux seules élections.

    Toute autre forme d’accès à la politique n’est que de l’ordre d’un droit strictement individuel à avoir ses opinions.

    On retrouve toute l’ambiguïté de la République une et indivisible :

    à la fois terreau des services publics et terreau de la collaboration de classes avec les nantis.

    Contrairement à ce qu’avaient prôné les révolutionnaires de 1871 et ceux de Février 1848 et après leur défaite, la sphère du travail est isolée du politique. 

    L’historiographie gomme le fait que les grands moments qui ont débouché sur des transformations structurelles de la société ont toujours été des moments de rupture de la « normalité institutionnelle ».

    On s’arc-boute pour défendre l’héritage social du CNR en oubliant que la démarche du CNR est d’abord un modèle d’insurrection politique au sens où le peuple rassemblé se substitue à l’Etat et aux élites qui ont failli.

    Les formes de la subversion peuvent varier suivant le contexte mais ce qui demeure une constante est le fait que le mouvement populaire doive se substituer à l’État pour réaliser des changements politiques.

    Dès que le champ institutionnel reprend ses droits, tout rentre dans l’ordre et ces acquis sont contestés : la première attaque contre la Sécu date de 1947.   

     

            Après l’écrasement de la Commune de 1871, c’est sur fond de défaite du mouvement ouvrier que la normalité politique se développe et se poursuit encore aujourd’hui.

    Le regard du mouvement ouvrier sur ce qu’il considérait être l’échec de l’insurrection le pousse à choisir la voie parlementaire et étatiste.

    Lénine lui-même confond écrasement dans le sang de la Commune et échec de la Commune.

    Je ne sais pas ce qu’aurait donné la poursuite de l’expérience mais la Commune n’a pas échoué, elle a été écrasée.

    L’URSS n’a pas été écrasée dans le sang, elle a échoué.

    Regrettable confusion.

     

    Cette conception a finalement dominé lors de la constitution de la Seconde, la Troisième Internationales et de la Quatrième.

    Elle fait de l’étatisation de la politique l’évidence qui va servir de colonne vertébrale à la suite.

    Elle réduit la question du pouvoir à comment « prendre l’Etat », et sans vraiment aborder d’autres formes de pouvoir possibles.

    Pourtant Marx trouvait qu’un des intérêts de la Commune était de ne pas avoir cherché à prendre le pouvoir d’État tel qu’il est mais d’avoir exploré d’autres conceptions, à savoir comment le peuple à travers son intervention et son organisation autonomes pouvait lui-même se transformer en lieu et force de pouvoir.[2].

               

    Ainsi nous héritons de la République sans la démocratie,

    « démocratie » disait le Conventionnel Cabanis

    « purgée de tous ses inconvénients dans la mesure où la classe ignorante n’exerce plus de pouvoir ».

    On ne le lui fait pas dire. 

      

    Dégager la politique de tout enfermement institutionnel et étatique est devenu un verrou et peut-être LE verrou de la situation actuelle.

     

     

     


    [1]  Cité parMarc Belissa et Yannick Bosc in le directoire/ La République sans la démocratie Ed. La fabrique

    [2] Karl Marx : Les luttes de classes en France. Editions sociales


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