• Sébastien Jumel: «Il faut une gauche combative, démultipliée»

    Sébastien Jumel:

    «Il faut une gauche combative, démultipliée»


    5 août 2017 Par Manuel Jardinaud

    Le député communiste, pour son premier mandat, a mené la fronde de son groupe parlementaire contre la réforme du code du travail qu'il juge indéfendable. Il veut croire à la constitution d'un front commun des gauches à l'Assemblée.

    Ancien maire de Dieppe, élu surprise de sa circonscription, Sébastien Jumel est l'un des nouveaux visages des communistes à l'Assemblée nationale, réunis au sein du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR). Lors du débat sur le projet de loi d'habilitation autorisant le gouvernement à réformer le dialogue social par ordonnances, il n'a eu de cesse de prendre des exemples concrets dans son territoire, sur des plans sociaux ou les malades de l’amiante, afin de combattre une majorité qu'il juge hors-sol.

    Allié objectif avec La France insoumise sur les bancs du Palais-Bourbon, mais trop insoumis pour les rejoindre, dit-il, le député de la 6e circonscription de Seine-Maritime estime possible de consolider un front des gauches en proposant un programme politique cohérent et combatif. Un premier acte a été initié avec, jeudi 3 août, le recours déposé devant le Conseil constitutionnel sur la loi d'habilitation par les trois groupes de gauche à l'Assemblée (GDR, France insoumise et Nouvelle gauche).

    Comment avez-vous appréhendé le début de la session parlementaire qui a commencé avec l’examen du projet de loi d’habilitation ?

    Sébastien Jumel : Macron avait annoncé la couleur. Dès le lendemain de l’élection, on savait que le premier combat que l’on devait mener, dans la confrontation, c’était celui de la préservation du droit du travail. D’une certaine manière, c’était naturel pour nous car la défense des salariés est consubstantielle de notre identité. Avec Pierre Dharréville, qui siège également à la commission des affaires sociales, et avec l’ensemble du groupe, nous avons pris la décision d’avoir une présence en nombre sur les bancs et forte en lisibilité politique.

    Nous avons déterminé deux angles. D’abord déposer des amendements visant à empêcher les mauvais coups présents dans le texte, et ils étaient nombreux. Et ensuite donner à voir qu’il existe des alternatives pour renforcer les droits des salariés. La force de nos arguments a été de puiser des exemples dans nos territoires. Ainsi, quand on dit que c’est utile d’entendre l’intelligence des salariés et qu’on le fait à partir de l’exemple des Fralib ou des salariés d’Alpine chez moi, cela a plus de gueule que si on le fait sur un plan théorique. Quand on dit que le plafonnement des indemnités prud’homales n’aurait pas permis aux salariés de Palace Parfums confrontés à un patron voyou d’obtenir une juste réparation, on sent que le coup porte plus.

    On a choisi cette stratégie dans un contexte où le gouvernement avait décidé d’humilier le Parlement. Les ordonnances sont un chèque en blanc au pouvoir, avec des possibilités de modifications du texte marginales, avec un dialogue social qui se poursuivait alors qu’on demandait aux parlementaires de voter. Depuis le début de la séquence parlementaire, Macron multiplie les humiliations. Il humilie son premier ministre en réunissant le Congrès la veille du discours de politique générale, puis il l’humilie à nouveau le lendemain en corrigeant ses annonces fiscales. Il humilie sa majorité, pléthorique, dont il est si peu sûr qu’il y va par ordonnances.

     

    Vous jugez la réforme indéfendable. En quoi l’est-elle ?

    Il existe deux principes fondamentaux pour une République une et indivisible. D’abord, la loi a vocation à défendre le plus faible contre le plus fort. Et donc un discours qui consiste à convaincre que, désormais, il ne faudra compter que sur le dialogue social et que la loi ne viendra qu’en subsidiarité, c’est un principe qui heurte la République. Second point, l’État doit être protecteur. Or le projet de loi a la velléité de renvoyer de nombreux sujets aux accords d’entreprises, qui pourraient remettre en cause le socle du lien social, le contrat de travail. Nos arguments ne souffrent pas la contestation quand on explique cinq minutes ce que cela peut produire dans les faits.

    Avec sa novlangue, ce nouveau pouvoir nous ressert des recettes libérales vieilles comme le monde, que l’on connaît parce qu’elles ont été mises en œuvre chez nos voisins européens et ont conduit à des échecs. Qui peut convaincre qu’en libéralisant le code du travail, on va créer de l’emploi ? Qui peut convaincre qu’en se privant de la capacité d’expertise des salariés, on va mieux préserver leur santé ?

    J’ai perdu mon père du cancer de l’amiante. Dans ma région, en Normandie, des salariés sont frappés par cette sale maladie. Il y en a plus de 100 000 en France potentiellement. Et on nous explique que les délégués de CHSCT seront demain plus efficaces en étant fondus dans une instance unique… Quand on a enfoncé des clous sur ce sujet, j’ai perçu un malaise dans la majorité.

    Quelle coopération a été discutée avec le groupe de La France insoumise ?  

    Avec La France insoumise, nous avons acté la mise en place d’un comité de liaison pour faire en sorte que nos énergies, notre combativité, notre capacité de résistance s’additionnent. Nous avons voté tous leurs amendements, et ils ont voté les nôtres. Il y a donc des convergences fortes. Mais nous combattons chacun avec notre style, notre histoire, notre expertise et l’apport de nos territoires. C’est cela qui fait une force qui se complète et non pas qui se neutralise.

    J’ai toujours considéré qu’un rassemblement n’avait de sens que s’il ne contribue pas à la dissolution de ses composantes. Je nourris le concept d’une gauche combative qui adjoint ses énergies et ses résistances au service d’un objectif commun, celui de combattre le libéralisme et ses déclinaisons modernes.

    Je fais partie de ceux qui, avec lucidité, sans déraison et sans culte de la personnalité, se sont engagés auprès de Jean-Luc Mélenchon pendant la compagne présidentielle en disant tout de suite que j’étais trop insoumis pour être un Insoumis. Mais avec la conviction que, face à la droite et au gouvernement, il faut une gauche combative, démultipliée. D’ailleurs, le peuple de gauche attend de nous qu’il n’y ait pas de place pour la division. Il nous faut donc donner à voir que l’opposition est ferme, sans concession, afin de démontrer qu’il y a une alternative à l’austérité. Si les parlementaires communistes et de La France insoumise y arrivent dans une musique qui, d’une certaine manière, est harmonieuse, cela peut avoir du sens.

    « Le silence de la majorité sur le projet de loi d’habilitation était assourdissant »

    Qu’avez-vous pensé du discours et de la posture des socialistes, plus précisément du groupe Nouvelle gauche, durant les débats ?

    La Nouvelle gauche, dont le vote n’était pas inscrit dans le marbre, est vraiment une surprise pour moi. Le débat ayant cheminé, on s’est aperçu qu’il existait des convergences possibles à gauche de l’hémicycle sur des sujets comme la réforme du code du travail. Preuve en est le dépôt d’un recours commun devant le Conseil constitutionnel. C’est intéressant parce que Macron a annexé la droite, la social-démocratie et les sociaux-libéraux. Nous, nous pouvons donner à voir qu’il existe un espace pour une alternative de gauche. La parole du peuple de gauche, c’est nous désormais. Les choses sont claires. En mettant en place cette opération politique assez brillante, Macron a au moins permis de clarifier le débat politique.

    Sentez-vous la majorité plus fragile que prévu, notamment sur le projet de loi d’habilitation ?

    Oui, en raison de plusieurs éléments. Il y a le texte et puis il y a le contexte. On nous a présenté une ministre, spécialiste du dialogue social, humaine, à l’écoute. Patatras, l’affaire Danone, les stock-options… Et on se rend compte que pour devenir ministre du travail, il vaut mieux avoir licencié et touché des stock-options que d’avoir travaillé au renouvellement industriel du pays. On nous assure que, non, il ne s’agit pas de déconstruire le droit du travail. Et Bruno Le Maire, en commission des affaires économiques, affirme que cette loi est la mère des réformes pour prouver au monde qu’on est prêt à accueillir la finance internationale. À cela s’ajoute la baisse des aides au logement. On voit une « hollandisation » rapide de Macron. Il dévisse plus vite que prévu. Je ne suis pas surpris de cette situation. La majorité est sans cohérence, sans cap et sans chef.

    Le silence de la majorité sur le projet de loi d’habilitation était assourdissant. Je ne le mets pas sur le compte de l’inexpérience, ce serait trop facile. Je le mets sur le compte de la difficulté à défendre l’indéfendable et, au bout du compte, à l’assumer. Ils ont fait une campagne sur le flou, sur l’illusion d’un monde de start-up, de « oui-oui », de calme, de luxe et de volupté. Un monde où, dans l’entreprise, chacun aime l’autre, où les liens de subordination n’existent pas. Confronté à la réalité du débat, j’ai senti le malaise grandir.

    Pourtant, nombre de députés de La République en marche viennent de la société civile…

    Le concept de société civile m’a toujours fait sourire. Personne n’est propriétaire de la société civile. S’il suffisait d’avoir été chargé de communication ou DRH pour connaître la vraie vie, cela se saurait. J’ai le sentiment que certains députés, à force de vouloir incarner le nouveau monde, se retrouvent hors du monde réel. Hors-sol au bout du compte. Le discours du vide, qui, lors d’une campagne présidentielle, peut convaincre en n’irritant personne, ne dure pas. Cela ne marche pas, pour reprendre le slogan à l’envers. Le vide ne fait pas longtemps illusion.

     

    C’est votre premier mandat de député. Comment le vivez-vous ?

    Quand je suis dans l'hémicycle et que je parle de la loi travail, j’ai en tête le verrier de la vallée de la Bresle qui doit avoir les tripes nouées quand il entend que la pénibilité n’est plus au rendez-vous. J’ai en tête le chaudronnier-soudeur des chantiers de la Manche à Dieppe ou le docker du port du Havre qui prennent conscience que, concernant leurs potes morts du cancer de l’amiante, les familles vont devoir renoncer à être indemnisées. Quand on a cette énergie, on se sent insubmersible. C’est une fierté de porter la voix du peuple, donc je dois être à la hauteur.

    Quelle va être la stratégie de votre famille politique à la rentrée ?

    Nous allons mettre l’été à profit pour vulgariser, pour irriguer le territoire sur la portée de ce mauvais texte. Nous participerons à la manifestation du 12 septembre. La fête de l’Humanité sera également un moment particulier d’éclairage de la politique du premier ministre et du président de la République.

    Croyez-vous à un mouvement social massif en réponse à la politique du gouvernement ?

    Personne ne peut pronostiquer les mouvements sociaux, encore moins leur portée et leurs conséquences politiques. Un mouvement social ne se décrète pas. Mais quand on multiplie les humiliations de classes, cela suscite des réflexes de classes. Quand on multiplie les humiliations à l’égard des étudiants et à l’égard des 6,5 millions de personnes les plus pauvres, qu’on explique aux salariés qu’il va falloir encore se serrer la ceinture alors qu’on est dans le délire des stock-options, alors oui, cette addition-là peut provoquer une mobilisation. Notre vocation de parlementaire n’est pas de nous y substituer. Notre responsabilité est d’offrir une perspective politique à la résistance et à la lutte. La force des mouvements libéraux est de nourrir le fatalisme. Notre force est de considérer que tout est possible.


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