• Obligation vaccinale et effectifs en souffrance : crispations chez les pompiers

    Obligation vaccinale et effectifs en souffrance :

    crispations chez les pompiers

     

     

    Effectifs réduits dans les centres de secours et crainte d’une vague de départs de sapeurs-pompiers volontaires pour échapper à l’obligation vaccinale : les points de tension s’accumulent chez les pompiers.

    La sécurité civile, elle, se veut rassurante et ne voit rien d’alarmant à la situation.

     

     

    «On va se venger. Avec le ministère de l’intérieur, la guerre est déclarée. »

    L’avertissement ne souffre d’aucune ambiguïté. Il est lancé, froidement, par Xavier Boy, président de la Fédération autonome des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs et techniques spécialisés (FA SPP-PATS).

    La « première force syndicale » des pompiers accuse le ministère de « mépris » et déplore n’avoir eu « aucun contact avec lui depuis début juillet, y compris sur l’obligation vaccinale, découverte par voie de presse ».

     

    Contactée, la sécurité civile répond que « des échanges ont eu lieu avec toutes les organisations syndicales » mais que la fédération autonome, elle, « n’était pas joignable ».

    Cette dernière a lancé un préavis de grève nationale et illimitée, le 9 août dernier, contre l’obligation vaccinale. « Normalement, quand un préavis est déposé, vous rencontrez votre tutelle dans les jours qui suivent pour discuter, explique Xavier Boy. Eh bien là, rien. Pas de son, pas d’image. On nous a ignorés. »

    Le président du syndicat entend désormais « user de tous les moyens possibles » pour attaquer cette obligation vaccinale, y compris sur l’angle de la discrimination, « car les policiers, eux, n’y sont pas soumis ».

    D’après Xavier Boy, « le silence de la tutelle, couplé à l’obligation vaccinale, c’est la goutte d’eau de trop. Le ministère a franchi la ligne rouge. Tout ceci intervient dans un contexte de souffrance sur le terrain. Nous n’avons pas assez d’effectifs pour assurer la charge quotidienne. La grève n’a d’ailleurs pas d’impact. Si elle est suivie, un service minimum doit s’appliquer. Mais on est déjà presque partout en deçà du service minimum ! »

    Si les pompiers volontaires partent en masse, le risque sera réel pour la chaîne de secours.

    Charles Cosse, de l’Unsa-Sdis

     

    La question des effectifs cristallise en effet les tensions dans certains Sdis (services départementaux d’incendie et de secours).

    Et l’obligation vaccinale, qui entre en vigueur le 15 septembre 2021, ajoute de fortes préoccupations sur ce sujet.

    Il y a d’abord la crainte d’arrêts maladie en pagaille et de départs en retraite précipités. « J’ai de plus en plus de sollicitations de pompiers professionnels, raconte une responsable administrative, qui souhaite rester anonyme. Ils avaient prévu de rester quelques années de plus que l’âge légal [57 ans – ndlr]. Maintenant, ils veulent avancer leur date de départ pour ne pas être obligés de se vacciner. »

     

    Sapeurs-pompiers volontaires

    Mais le plus redouté, et évoqué par bon nombre de sources contactées par Mediapart, c’est le départ massif de sapeurs-pompiers volontaires.

    Et ce serait une catastrophe.

    Ces derniers représentent 80 % de l’effectif total national.

    « Certains centres de secours fonctionnent parfois à 100 % grâce à des volontaires. Ils sont 200 000 en France, contre 40 000 pompiers professionnels », indique Charles Cosse, pompier de Gironde et chargé de communication de l’Unsa-Sdis.

    Ces volontaires seraient les plus rétifs au vaccin.

    « Dans mon département, 30 à 40 % auraient leur schéma vaccinal complet, contre 60 % chez les professionnels », précise Charles Cosse.

    Pour eux, partir plutôt que de se soumettre à la vaccination serait plus facile.

    « Les volontaires ne sont contraints à rien !, explique le pompier de l’Unsa. Ils ont des vies professionnelles à côté de leur engagement. Ils ont la liberté de “poser les bips”, comme on dit dans le jargon [en référence aux bips qui sonnent en astreinte – ndlr]. Finalement, le seul risque qu’ils prennent, c’est de perdre les indemnités perçues dans le cadre de leurs activités chez les pompiers. Mais s’ils partent en masse, le risque sera réel pour la chaîne de secours. »

     

    Cette crainte est amplement partagée par Xavier Boy, de la Fédération autonome des sapeurs-pompiers : « Oui, c’est un fait qui risque de se produire », lâche-t-il sans hésitation.

     

    Du côté de la sécurité civile, aucune inquiétude n’est exprimée.

    « Il n’y a rien d’alarmant. Il y a évidemment des réfractaires mais c’est marginal. »

    À propos de la couverture vaccinale, elle ne fait aucune distinction entre volontaires et professionnels, et avance son recensement : « 70 % des sapeurs-pompiers ont aujourd’hui un schéma vaccinal complet. »

    « Il y a une obligation de moyens, donc le moyen partira toujours, explique Charles Cosse, de l’Unsa-Sdis en Gironde. Mais chercher les moyens toujours plus loin dégrade la réponse. Et dans notre métier, le temps, c’est de la vie humaine. »

     

    La fuite des effectifs, redoutée par les syndicats, intervient dans un contexte déjà très tendu dans certains départements.

    « En ce moment, il manque 100 à 150 personnes par jour pour les gardes », affirme Abdellah Chaouch, secrétaire général de la CGT du Sdis de Seine-et-Marne. « Les vaccinodromes appauvrissent énormément les effectifs », détaille-t-il.

     

    En Seine-et-Marne, les deux plus gros centres de vaccination, Fontainebleau et Disneyland-Paris, sont gérés par le Sdis.

    « Des sapeurs-pompiers sont pris sur les effectifs de garde journalière et déployés là-bas, explique Abdellah Chaouch.

    « La mobilisation des sapeurs-pompiers dans les vaccinodromes s’inscrit dans le cadre d’un élan national de lutte contre la pandémie, répond le Sdis 77. Pour assurer une réponse dans le temps et en minimiser l’impact sur nos ressources, [nous avons] procédé au recrutement de 600 personnels saisonniers. »

     

     la CGT du Sdis 77 a dressé, sur sa page Facebook, la liste des centres de secours en mal d’effectifs. © Capture d'écran.

     

    Ces dernières semaines, la CGT du Sdis 77 a dressé, sur sa page Facebook, la liste des centres de secours en mal d’effectifs.

    « Le 10 août, quatre [sapeurs-pompiers – ndlr] de garde au lieu de treize à Nemours. Deux au lieu de six à Trilport. Dix au lieu de dix-huit à Meaux […]. TOUT VA BIEN ! », s’indigne le syndicat.

    « Le centre de secours de Vulaines-sur-Seine a aussi été fermé treize jours faute de personnel », dénonce-t-il.

    Sollicité par Mediapart, le Sdis de Seine-et-Marne concède une « baisse des disponibilités », chaque année, sur la période allant de mi-juillet à mi-août.

    « En parallèle, ces migrations estivales se traduisent aussi par une baisse significative de notre activité opérationnelle de l’ordre de moins 25 %. Par conséquent, nos effectifs de garde sont adaptés », répond également le service communication.

    Lequel ajoute : « Il peut arriver que certaines situations particulières entraînent ponctuellement des baisses d’effectifs prévisionnels plus marquées dans certaines casernes, ce qui a très certainement été le cas dans les casernes que vous citez. En pareil cas, le Sdis prend toutes les mesures organisationnelles nécessaires pour préserver un niveau de couverture opérationnelle adapté à la sollicitation. »

    « Sur le terrain, on bricole, on s’arrange », raconte de son côté Olivier*, sapeur-pompier professionnel de Seine-et-Marne.

    « Quand un centre est fermé, comme à Vulaines, ce sont les centres voisins qui prennent le relais. Nous fonctionnons ainsi : il y a d’abord le centre de premier appel, puis le centre de deuxième appel, puis le troisième, et ainsi de suite… Ça allonge les délais de déplacement. »

    « Il y a une obligation de moyens, donc le moyen partira toujours, explique Charles Cosse, de l’Unsa-Sdis en Gironde. Mais chercher les moyens toujours plus loin dégrade la réponse. Et dans notre métier, le temps, c’est de la vie humaine. »

    Quatre personnes de garde dans un centre qui gère 22 000 habitants, près d’une centrale nucléaire

    Charles Cosse cite, lui aussi, un exemple récent de sous-effectif : « Dans le centre de secours Ornano de Bordeaux, l’un des plus grands de France, l’effectif de nuit était, le 23 août, de 16 personnes au lieu de 21, qui est normalement le minimum. Si quatre ambulances [les véhicules de secours et d’assistance aux victimes – ndlr] partent, elles mobilisent trois personnes par véhicule, c’est la règle. Il ne reste donc que quatre pompiers à la caserne pour assurer, par exemple, un départ de feu. »

    À Gravelines, dans le Nord, un pompier s’est ainsi retrouvé seul pour partir en intervention. C’était dans la nuit du 14 au 15 août 2021.

    « Il y avait quatre personnes de garde dans un centre qui gère, en premier appel, 22 000 habitants, près d’une centrale nucléaire !, s’étrangle Quentin de Veylder, secrétaire général de la CGT du Sdis 59.

    Trois pompiers sont partis en ambulance. Celui qui était tout seul a dû prendre la voiture qui sert à faire les courses pour aller secourir une personne ! »

    Rapportée également  par Le Phare dunkerquois, l’affaire a fait réagir le Sdis du Nord.

    Il précise dans les colonnes du journal qu’un pompier, d’un autre centre de secours (à 17 kilomètres de là ), est venu prêter main-forte.

    Le Sdis se dit toutefois « bien conscient » des problèmes et promet des recrutements.

     

    On a déjà transporté des gens pour faire une simple radio !

    Charles Cosse, de l’Unsa-Sdis

     

    « Il y a de grands coups de cisaille dans les effectifs depuis des années »,

    commente Quentin de Veylder, de la CGT.

    « Ce sont des décisions politiques qui frappent tous les départements depuis le début des années 2000, abonde Charles Cosse, de l’Unsa en Gironde.

    On a baissé les effectifs pour des contraintes budgétaires mais la courbe de l’activité opérationnelle, elle, a augmenté. Pour résumer, on est moins nombreux mais davantage sollicités. »

    Charles Cosse évoque également les « missions de carence » réalisées par les pompiers, pour pallier les manquements du service public ou d’entreprises privées.

    Il donne un exemple :

    « Vous avez mal aux dents. Au téléphone, SOS Médecins vous dit d’aller à l’hôpital mais vous ne pouvez pas vous déplacer. Vous appelez le 15, qui va se charger de trouver un transporteur privé. Mais le privé n’a aucune obligation et peut refuser car le déplacement n’est pas rentable. Et si le 15 ne trouve personne dans un délai raisonnable, il demandera aux pompiers de s’en occuper. Le 15 peut demander au 18 de se déplacer, quel que soit le motif. On a déjà transporté des gens pour faire une simple radio ! »

    Début août, les sapeurs-pompiers de Gironde ont d’ailleurs appelé à la grève pendant quatre jours pour dénoncer les faibles effectifs et les carences ambulancières.

    Quelques jours plus tôt, des sapeurs-pompiers avaient été mobilisés, six heures durant devant un hôpital, en attendant la prise en charge de leur patient.

    Ils ont finalement obtenu, par la préfecture, la mise en place de cinq lignes ambulancières privées supplémentaires, rapporte le quotidien Sud-Ouest.

     

    Interrogé par Mediapart, un officier supérieur des pompiers, qui souhaite rester anonyme, concède volontiers que la question des missions de carence est parfois problématique.

    Il reconnaît aussi que la profession a pu se sentir déconsidérée depuis le début de la pandémie.

    Mais il est plus critique sur la question des effectifs.

    « Vous ne pouvez pas demander plus de moyens et refuser, en même temps, d’exécuter des missions que vous ne jugez pas assez nobles. Beaucoup de pompiers ne rêvent que de partir sur des incendies ou des interventions un peu costaudes. On ne peut pas tout avoir. »

    Il en est persuadé : « Les crispations liées à l’obligation vaccinale ne sont qu’un prétexte des syndicats pour créer de l’agitation. »

     

    Loïc, sapeur-pompier volontaire depuis six ans (actuellement en disponibilité pour motif personnel), a une lecture différente de la situation :

    « Cela fait des années que je me demande comment la sécurité civile peut tenir. Comment peut-elle ainsi reposer sur une telle organisation, avec des volontaires majoritaires dans les effectifs, et qui font ça quand ils ont le temps ? Ça tient à un fil et avec cette obligation vaccinale, à mon sens, ce fil va casser. »

     

    Xavier Boy, de la Fédération autonome des sapeurs-pompiers, envisage d’ailleurs d’ouvrir un deuxième front d’offensive, précisément sur le statut des volontaires.

    « Ils ne sont ni bénévoles ni salariés. Leurs indemnités ne sont pas imposables, non soumises aux cotisations patronales et salariales.

    C’est du black légal !

    Eh bien maintenant, ça suffit !

    On va mettre un coup de pied dans tout ça. Nous irons devant toutes les juridictions possibles pour faire reconnaître les pompiers volontaires comme des travailleurs. C’est le moment. »


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