• Nasser Mansouri-Guilani « Les services publics, bien plus que des amortisseurs de crise »

    Jeudi, 23 Avril, 2020
     
    Nasser Mansouri-Guilani

    « Les services publics,

    bien plus que des amortisseurs de crise »

    Clotilde Mathieu - L'Humanité >>>>>

    Nasser Mansouri-Guilani, auteur de « Développer les services publics : un combat d’avant-garde », appelle à « sortir des rapports marchands »
     

     

     

    A chaque crise, les bienfaits des amortisseurs sociaux et des services publics sont mis en avant par les exécutifs.

    Dans son allocution, le président de la République a même fait référence au programme du CNR, en appelant à des jours heureux, un moment qui a vu le développement du secteur public, la création de la sécurité sociale pour mieux répondre aux besoins des populations au sortir de la guerre.

    Le moment est-il tout aussi historique ?

     

    Nasser Mansouri Guilani.

    Je le crois pour trois raisons fondamentales.

    La première est évidente, la situation qui a conduit à la crise sanitaire montre à quel point le libéralisme et les attaques contre le secteur public sont néfastes pour les citoyens et pour l’économie.

    La deuxième raison est la crise écologique : nous devons changer notre manière de produire et de consommer.

    Et la troisième raison est que nous sommes devant une révolution technologique sans précédent

    L’essence de cette évolution, son élément fondamental est l’information, c’est-à-dire quelque chose qui peut être partagé sans que ce partage prive les uns par rapport aux autres.

    On a ainsi la possibilité de sortir des rapports marchands, de sortir d’une société où domine l’idée de « a chacun selon ses capacités financières », pour développer les rapports non marchands et établir une société fondée sur la solidarité et la réponse aux besoins où prévaut l’idée de « à chacun selon ses besoins, indépendamment de sa capacité financière ».

    Dans une telle perspective, le secteur et les services publics ne sont pas simplement des amortisseurs, des moyens pour pallier les défaillances du marché ; ils constituent les bases d’un nouveau mode de développement qui respecte les droits sociaux, les êtres humains et l’environnement.

     

    Il y a là un enjeu de lutte de classe.

    La crise sanitaire est révélatrice de ces deux visions de la société : l’une exclusive qui exclut les démunis, l’autre inclusive, qui permet aux démunis de vivre décemment.

    La comparaison de l’effet du Coronavirus aux Etats-Unis et en France est révélatrice.

    Aux Etats-Unis, les principales victimes sont les pauvres parce qu’ils n’ont pas les moyens de se protéger.

    Ils ont également besoin d’aller travailler même s’ils sont malades.

    Ils n’ont pas les moyens d’avoir accès aux soins adéquats.

    En France, l’accès aux soins se fait, dans une très large mesure, indépendamment de la capacité financière des gens.

    C’est à ce moment précis que l’on voit la différence de logique.

    Même le très libéral Premier ministre britannique reconnaît qu’il a été sauvé grâce aux services publics. 

     

    En France, certains territoires comme la Seine-Saint-Denis ont été particulièrement touchée… 

     

    Nasser Mansouri Guilani.

    Cela est le résultat de quatre décennies de politiques libérales durant lesquels les services publics ont été affaiblis, pour ne pas dire sacrifier comme c’est malheureusement le cas en Seine-Saint- Denis.

    C’est pour cela qu’il est important de remettre en cause ces politiques libérales qui aboutissent à l’exclusion de territoires entiers.

    Il faut cependant préciser qu’en l’absence de ces services publics, même s’ils sont affaiblis, la situation serait pire.

    Cela confirme l’absolue nécessité du développement des services publics de qualité partout et notamment dans les territoires délaissés à cause des politiques libérales.

     

    Alors que les salaires des fonctionnaires sont gelés depuis des décennies, vous appelez à des rémunérations en fonction de l’utilité sociale dans le public mais aussi dans le privé ; qu’entendez-vous par là ? 

     

    Nasser Mansouri Guilani.

    Il a fallu la crise du coronavirus pour que nos responsables politiques comprennent que ceux qu’ils qualifiaient de « rien » étaient quelque chose.

    Cette logique libérale qui consiste à faire croire que ceux qui réussissent sont les actionnaires, les fortunés a échoué.

    La démonstration est faite aujourd’hui que ce ne sont pas eux qui font fonctionner le pays, l’économie.

    Ce sont les travailleurs, le personnel hospitalier, les enseignants et chercheurs, les caissières, les agents d’entretien et de manutention, les facteurs et postiers, les petits paysans et producteurs, les livreurs et ceux qui transportent les marchandises, etc.

    Autant de professions qui ont été dévalorisées par les libéraux.

    A l’inverse, lorsque le PDG de Renault a été en prison, Renault a continué de fonctionner grâce au travail de ses salariés.

    Dans la même veine, une grève des éboueurs aura des conséquences très importantes sur la vie de tous.

    Idem pour les infirmières, chercheurs, enseignants.

    Pourtant, les écarts de rémunération sont très importants, dans le secteur privé tout comme dans le secteur public.

    Dans le cadre de la fonction publique, la justification de cet écart entre la Haute-hiérarchie et les autres personnels est calquée sur les logiques du privé, avec la crainte que les cadres partent dans le privé.

    Des écarts de rémunération de telle importance, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public, sont inadmissibles.

    A la lumière de cette crise, la reconnaissance sociale du travail doit être révisée en fonction de l’utilité sociale du travail accompli.

    La rémunération est la forme matérielle de cette reconnaissance sociale.

    Il faut augmenter les salaires, à commencer par le smic.

     

    Dans votre livre, vous estimez que la définition des services publics doit être élargie pour intégrer les services des plateformes pour en finir avec l’ubérisation.

    Qu’entendez-vous par là ? 

     

    Nasser Mansouri Guilani. 

    Avec l’arrivée de ces nouvelles technologies, il est possible de développer de nouvelles activités pour répondre aux nouveaux besoins et aspirations des citoyens.

    Soit ces activités sont laissées aux acteurs privés, comme c’’est le cas actuellement, ce qui aboutit à la création des géants du numérique dont le pouvoir économique dépasse parfois ceux des Etats.

    Ces géants se développent grâce au soutien et aux politiques des Etats.

    Ils échappent, par exemple, aux impôts et sont peu soucieux du respect des droits sociaux et des normes environnementales.

    Et pourtant ils prétendent réaliser des missions humanitaires et des fonctions remplies jadis par les Etats.

    Ainsi, Amazon organise une campagne de sabotage de la décision du Conseil municipal de Seattle (ville du nord-est des États-Unis d’Amérique où Amazon occupe 20 % des bureaux) d’instaurer une taxe de 500 dollars par salarié pour mettre en place un fonds dédié au traitement du problème de logement dans cette ville.

    Et une fois réussi à enterrer cette décision, le géant crée lui-même un fonds doté de 2 milliards de dollars soi-disant pour venir à l’aide des mal-logés à travers les États-Unis d’Amérique.

    Prenant une posture humaniste, le fonds privé prétend ainsi remplir les fonctions publiques ; fonctions qui doivent être financées principalement par les impôts que le géant américain refuse de payer .

    Au lieu de laisser les acteurs privés d’en profiter, la puissance publique peut mobiliser ces avancées technologiques pour répondre aux besoins et aspirations des citoyens selon une logique de service public, non marchande, afin que tout le monde puisse en bénéficier.

    Si l’on prend les transports, par exemple, Uber est une réponse privée aux besoins et aspirations émergentes.

    Uber est une forme de plateforme d’organisation privée des transports, mais la contrepartie c’est la souffrance et la privation des droits sociaux des chauffeurs.

    Il est possible d’y répondre autrement.

    La puissance publique pourrait réaliser cette planification, afin de protéger les prestataires et garantir leurs droits.

    Il ne s’agit pas d’Etatiser mais de protéger les salariés tout en répondant aux besoins et aspirations des citoyens. 

     

    Entretien réalisé par Clotilde Mathieu
     

    Nasser Mansouri-Guilani Économiste, ancien responsable de la commission économique de la CG, publie

    « Développer les services publics : un combat d’avant-garde »,

    préface de Bernard Thibault.

    Éditions du Croquant.

    Téléchargeable sur le site Internet de l’éditeur.


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