• Mouvement climat et «gilets jaunes» convergent en dépit des forces de l’ordre

    Mouvement climat et «gilets jaunes» convergent

    en dépit des forces de l’ordre

    21 septembre 2019 Par Christophe Gueugneau et Mathilde Goanec
     

    Un peu partout en France, des manifestants ont défilé pour alerter sur le climat samedi 21 septembre, également jour de rentrée pour les « gilets jaunes ». À Paris, le cortège a dû faire demi-tour, noyé sous les gaz lacrymogènes, provoquant la colère des associations et des collectifs organisateurs. Le matin, gilets jaunes et mouvement vert avaient déjà été empêchés de manifester dans la capitale.

     

    Marcheurs pour le climat et « gilets jaunes » main dans la main : l’image était attendue depuis de nombreux mois. Associer le jaune et le vert, en somme. C’était sans compter, dans la capitale, sur le bleu policier. 

    À Paris, entre 15 000 (chiffre du cabinet Occurrence) et 38 000 (chiffre des organisateurs) personnes ont défilé samedi après-midi pour une marche associant justice climatique et justice sociale. Une marche entravée, dès le matin, par un dispositif policier impressionnant et rebutant présent toute la journée.

     


     

    Dans le reste du pays, des marches pour le climat étaient également organisées à Lille, Bordeaux, Metz, Rouen, Nancy, Marseille, Tours, Angers, Bayonne et Caen, où des milliers de personnes ont défilé, souvent rejointes par des gilets jaunes. Ce fut notamment le cas à Bordeaux (Gironde), où les deux cortèges se sont un temps réunis, avant de partir chacun de leur côté. Le matin même, la ville avait déjà vu défiler entre 300 et 500 personnes, venues manifester à l’appel de plusieurs syndicats, contre la fermeture de l’usine Ford Blanquefort, rapporte Sud Ouest. Sur toute la France, Greenpeace annonce 150 000 participants.

     

    À Nantes (Loire-Atlantique), le slogan « 1, 2, 3 degrés, c’est un crime pour l’humanité » a résonné dans les rues tout au long de l’après-midi. « Le homard rouge, symptomatique de l’affaire De Rugy, cet été, s’invite également sur les pancartes des manifestants », écrit Ouest France, qui évoque également le moment où de nombreuses personnes se sont allongées sur le bitume, « telles des victimes d’une planète malade ». À Rennes (Ille-et-Vilaine), ils étaient entre 3 000 et 3 500 à défiler dans le centre-ville, un millier à Caen (Calvados) et à Angers (Maine-et-Loire) 300 à Saint-Lô (Manche) indique le quotidien régional.

    Des homards en peluche ont aussi été aperçus à Lille (Nord) où près de 1 500 personnes sont descendues dans la rue, selon France 3 Hauts-de-France. Aucun incident à signaler sinon quelques tensions près d’un magasin Apple où des CRS étaient postés et devant lequel les manifestants sont passés en scandant « Apple paie tes impôts ! », avant d’être repoussés. La marche pour le climat et le cortège des gilets jaunes ont également convergé à Marseille (Bouches-du-Rhône) dans une ambiance qualifiée de « bon enfant » par La Provence.

     

    À Paris, dès 8 h 30, la place de la Madeleine est quasiment inaccessible, des policiers patrouillant en nombre à chaque accès.

    Au bout de la rue Tronchet, à une centaine de mètres, Jean-François Julliard de Greenpeace, Éric Beynel du syndicat SUD, ou encore des membres d’Alternatiba ANV COP21 ont donné rendez-vous à la presse.

    Alors que leurs organisations – de même qu’Attac – avaient donné rendez-vous à 9 h place de la Madeleine pour organiser la convergence avec les gilets jaunes, le rassemblement a été interdit la veille par la préfecture de police.

    Les organisateurs ont déposé un référé-liberté mais celui-ci a été rejeté samedi matin.

    Le petit groupe d’une dizaine de personnes tente tout de même de rejoindre la place, au prix de nombreuses fouilles et de déclinaisons d’identité. Ce premier rendez-vous, destiné à jeter des ponts avec le mouvement social des gilets jaunes qui en est à son quarante-cinquième samedi de manifestation, est apparemment craint par les autorités.

    Peu de temps après 9 h, première sommation, sans mégaphone, pour évacuer les lieux. « Depuis le mois de décembre, on n’avait pas été chargés si tôt ! », plaisante un manifestant, légèrement blasé. Suivant les consignes, une jeune femme s’engage avec ses amis dans une rue perpendiculaire à la place, elle est néanmoins violemment tirée par le bras par un policier. « C’est moi qui dirige ici ! », gronde-t-il, alors qu’elle fond en larmes.

     

    Pendant deux bonnes heures, des centaines de gilets jaunes sans gilet jaune – ils seraient de toute façon saisis par les forces de l’ordre – vont tenter de manifester dans l’ouest de la capitale, par grappe de 50, 100 personnes.

    C’est un jeu du chat, de la souris et de la lacrymo qui a lieu dans les rues. De nombreux voltigeurs, ces policiers à moto, sont présents, bloquant les rues, cassant les cortèges sauvages en deux. Un groupe de manifestants regroupé rue de Rome est ainsi dispersé. Un autre traverse en courant le parc Monceau un peu plus tard. Certains chantent, nassés dans les petites rues de la capitale, les mains en l’air : « Police, doucement, on fait ça pour vos enfants ! »

     

    Dans la gare Saint-Lazare, les policiers n’hésitent pas à gazer. Une photojournaliste se fait confisquer son casque, proteste, reçoit un jet de lacrymogène. Bérengère, gilet jaune de Paris, accompagnée d’Anaïs, venue de Lyon, racontent être descendues dans le métro, pour se protéger des violences à l’extérieur. « Les flics nous ont suivies. Nous étions dans les lacrymogènes, il y a avait du gaz en profondeur, jusque dans les couloirs de la ligne 14. Des enfants pleuraient, des vieux couraient. On a fini par sauter dans la rame. »

    Vers 11 h, plusieurs centaines de personnes parviennent finalement à pénétrer sur les Champs-Élysées, faisant face à un dispositif policier qui pourrait être hors norme s’il n’était pas habituel. 7 500 policiers ont été déployés dans la capitale pour ce samedi, a précisé la préfecture, autant que pour le 1er mai. 

    Une demi-heure plus tard, la préfecture de police annonce 90 interpellations, 1 249 contrôles et plus de 120 verbalisations.

    Et vers 12 h 30, les Champs-Élysées étaient à nouveau vidés de manifestants

     

    Éparpillés, les groupes de gilets jaunes cherchent à savoir comment rejoindre la manifestation de l’après-midi qui part du jardin du Luxembourg, dans le Ve arrondissement.

    Sur le chemin, les policiers procèdent à des contrôles d’identité au hasard, prennent des photos des personnes contrôlées avec leur pièce d’identité. Les policiers sont, eux, cagoulés, équipés, énervés.

     

    Marvin et Alicia, deux gilets jaunes de Mulhouse, sont montés en désespoir de cause dans un métro. Ils doivent retrouver leur groupe au rendez-vous donné pour la manifestation climat. Sans grand enthousiasme : « Les gens du climat  me gonflent un peu, ces grosses manifs-là, où on défile sagement, ça change quoi, ça dérange qui ? », s’interroge le jeune homme. Il est là quand même, ce samedi : « Quand tu as goûté à ce mouvement, tu ne peux plus revenir en arrière. Les gens qui sont sortis du rang n’y rentreront plus jamais. »

     

    « Travaille, consomme et ferme ta gueule »

    « La stratégie c’est de rejoindre la manif climat parce que comme le gouvernement fait beaucoup de greenwashing, on se dit qu’il sera peut-être moins prompt à la violence sur cette manif-là, explique de son côté Agnès, gilet jaune parisienne, et qui a passé sa matinée à tenter de rejoindre son groupe d’amis dans les rues de Paris, pour finir  à 13 h au Luxembourg, à quelques encablures du Sénat. Cela nous protégera peut-être. Macron, couronné “champion de la terre”, n’osera pas se mettre toute la population sensible à l’écologie à dos. »

    Marvin et Alicia ont eux fini eux par retrouver Françoise, Siar, Leila, tous venus de différents groupes de gilets jaunes du Haut-Rhin. « C’est un peu notre rentrée à nous aussi ! », plaisante Leila tout sourire. La jeune femme n’avait plus manifesté à Paris depuis le 16 mars. La convergence avec le mouvement écologiste lui fait plaisir. « Avant je m’en fichais un peu mais on a beaucoup été sensibilisé dans les QG. »

    Sur la place, pas sûr que tout le monde goûte le mélange des genres.

    Alors que s’élèvent les chants classiques du cortège antifa et anticapitaliste, une femme, agrippée à sa banderole Greenpeace, s’alarme : « Ah bon, il y a des black blocks ? Mais moi je suis venue pour le climat, hein ! » 

    Sur la petite tribune montée devant le Panthéon, pour accueillir les principaux organisateurs avant le départ vers Bercy, Jean-François Julliard de Greenpeace prend la parole pour espérer que la manifestation du jour ne soit pas une « énième mobilisation mais le début d’une nouvelle phase plus résolue et plus déterminée ».

    Plus bas, on crie « Révolution » et des airs anti-Macron.

    Quelques minutes plus tard, le défilé démarre enfin.

    La grosse abeille en papier et le petit char à vélo d’ANV-COP 21 sont précédés par plusieurs centaines – sans doute même un bon millier – de manifestants gilets jaunes et K-Way noirs. Tous remontent boulevard Saint-Michel. On entend à l’arrière l’éternel « plus chaud, plus chaud que le climat », mais à l’avant retentit le plus déterminé « travaille, consomme et ferme ta gueule ».

    Le cortège n’a pas fait un kilomètre que l’ambiance se tend déjà. Des manifestants brisent la vitrine d’une banque, provoquant la réplique immédiate de la police.

    Comme déjà vu le 1er mai, des forces de l’ordre foncent par petits groupes au travers des manifestants. Les grenades lacrymogènes volent, des coups de LBD sont tirés et des grenades de désencerclement font leur office. La manifestation est disloquée. S’ensuivent une grosse vingtaine de minutes de fortes tensions.

     
     Les gens courent dans tous les sens. Certains, plus habitués aux manifestations, crient aux autres de rester groupés. Les policiers sont copieusement hués, des canettes et autres objets leur sont jetés dessus et rebondissent sur les boucliers. Le boulevard est transformé en immense nuage de gaz lacrymogène. Des street medics sont appelés.


    Sur le trottoir les manifestants, manquant d’étouffer, donnent des coups dans les portes d’immeubles pour entrer, supplient les commerçants de les laisser passer. Un homme est assis au fond d’un fast-food, le front en sang, pris en charge par les medics. Dans un couloir, un autre est allongé, sans connaissance. Les gens hurlent de fermer les portes, car les tirs de gaz lacrymogènes ont envahi les alentours.

    Alors qu’ils ressortent, beaucoup découvrent avec stupeur que le cortège en lambeaux est reparti dans l’autre sens, direction le point de départ, jardin du Luxembourg.

    Certains en ont déjà assez et s’échappent dans des rues adjacentes, vite bouclées par plusieurs camions de police. Derrière, des policiers tirent en cloche des palets de gaz lacymogènes, provoquant la colère des passants. « La police nous protège, tu parles ! », hurle un vieux monsieur. Deux jeunes femmes, le brassard Action Climat Paris autour du bras, sont affolées : « Moi j’y retourne pas, par où on part ? »

    De retour au Luxembourg, beaucoup s’interrogent : « On était nombreux quand même », dit un militant. « Oui mais on recule, quel symbole !, lui répond une plus jeune manifestante. Qu’est-ce que les médias vont retenir ? » 

    À 15 h 30, alors que tout le monde tourne en rond, la police donne les consignes au mégaphone : « La manifestation reprend, direction Port-Royal ». Après quelques minutes de flottement, le cortège s’exécute.

    Dans le cortège, Jean-François Julliard de Greenpeace France se dit « déçu » par la tournure des événements. « Les chars ne sont plus là, des gens venus avec leurs enfants sont partis, poursuit-il. Une marche climat, il n’y en aura plus avant je ne sais pas combien de temps, et encore, avec 12 militants et demi ».

     

    « une attaque policière, inédite dans l’histoire du mouvement social »

    Dans un communiqué, les organisateurs sont plus offensifs.

    Ils dénoncent « une attaque policière, inédite dans l’histoire du mouvement social » qui a contraint « les dizaines de milliers de manifestants réunis à faire marche arrière et de rebrousser chemin dans la stupeur la plus totale ».

    Le gros du cortège passe tout de même. À l’avant, une fanfare entraîne la foule. 

    À l’arrière cependant, les manifestants continuent de s’opposer aux forces de l’ordre. Avenue des Gobelins, des scènes de chaos se succèdent. Des barricades enflammées sont érigées en travers de la route. La police charge à de nombreuses reprises. La situation redevient à peu près calme place d’Italie. La fin du cortège poursuit sa route non sans placer du mobilier urbain en travers de la voie. Ce qui ne sert pas à grand-chose puisque la police est loin derrière.

    Arrivés au bord de la Seine, un moment de flottement saisit les derniers manifestants : certains appellent à repartir en manifestation sauvage, d’autres, l’air fatigué, préfèrent poursuivre pour traverser le fleuve et enfin arriver à destination : le parc de Bercy. Ce sont eux qui ont le dernier mot, même si de petits groupes ont quitté le cortège et se dirigeaient en fin de journée vers les Champs-Élysées.

    Au même moment, des militants d’ANV COP21 annoncent occuper le pont de Tolbiac et la passerelle Simone-de-Beauvoir pour dénoncer l’action du gouvernement.

    Des policiers à moto foncent sur les quais : comme un symbole de la vraie action du gouvernement aujourd’hui. À 18 h, la préfecture de police annonçait 163 interpellations et 395 « verbalisations sur périmètres interdits », ainsi que 99 personnes placées en garde à vue.


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