• Ludivine Bantigny (Historienne) « Le thème des “communs” apparaît central dans les réflexions sur le monde d’après »

    Ludivine Bantigny  (Historienne)

    « Le thème des “communs”

    apparaît central

    dans les réflexions sur le monde d’après »

     

     

     « Le changement, c’est maintenant », mais pour de vrai, sans fausses promesses ?

    Ce temps en suspens met en crise les certitudes les plus établies, les préceptes les plus chevillés.

     

    Printemps 2020 : un tournant du temps.

     

    Qu’en ferons-nous collectivement ?

    D’ores et déjà les luttes ne cessent pas : on l’a vu dès les premiers exercices du droit de retrait.

    Le confinement n’est pas un écrasement et les injonctions à l’union sacrée ne dupent pas.

    Le « Circulez, y a rien à voir » ne sera jamais de saison pas plus que les assignations : à approuver, à se taire, à s’aligner.

     

    Deux pôles se forgent dans cette ébullition.

     

    D’abord il y a les plans d’urgence sur ce dont nous avons besoin, ici et maintenant : pour les services publics de la santé et du soin, contre les attaques faites au droit du travail, en solidarité active avec les personnes les plus touchées.

    Et puis il y a les élaborations sur ce que pourrait être « le monde d’après ».

    Face à un capitalisme destructeur et mortifère, aux inégalités vertigineuses que la crise sanitaire révèle à plein degré, comment ne pas aspirer à une société qui en serait débarrassée ?

    Ce n’est ni « lunaire » ni « extrême » d’imaginer que ce monde-là a fait son temps.

     

    Mensonges d’Etat

     

    Ce qui est extrême, ce sont les mensonges d’Etat,

    le cynisme morbide d’un préfet Lallement,

    la privation d’eau pour les migrants contraints de boire l’eau d’un canal, dans notre capitale,

    des personnes laissées sans soin parce qu’elles ont plus de 70 ans,

    des stocks d’armes à foison,

    par contraste avec les stocks de masques

    – les 46 milliards du Rafale représentent quarante ans de salaire pour 46 000 infirmières –,

    ces trains de banlieue bondés en pleine épidémie,

    parce que des milliers et des milliers de personnes sont contraintes d’aller travailler, sans protection,

    pour des productions sans rapport avec les exigences vitales,

    ces dividendes par milliards distribués aux grands actionnaires quand nous manquons de l’élémentaire,

    ces gens mourant à petit feu dans des camps,

    femmes, hommes et enfants,

    pour cause de frontières ou bien encore noyés dans nos mers.

     

    Ce qui est lunaire, c’est de penser qu’une telle organisation des rapports sociaux, de la production, de la consommation, des atteintes mortelles faites à la terre et au vivant pourrait n’avoir pas de fin, de croire que tout cela serait inéluctable, aussi évident que l’air respiré – de plus en plus infecté.

     

    Il faut repenser le travail de manière radicale.

    Par des comités d’action et de décision dans les services publics et dans les entreprises, par celles et ceux qui travaillent et produisent, en lien avec les usagers.

     

    Tout événement historique métamorphose les consciences, par un effet d’accélération fascinant.

    Si nous sommes d’accord pour dire que « rien ne sera plus comme avant », alors nous non plus, nous ne pourrons plus être comme avant :

    partis et formations politiques attendant les prochaines échéances électorales pour se présenter à l’identique ;

    collectifs menant un travail de terrain formidable, mais chacun dans son couloir, certains ne voyant que « par le bas », d’autres ne jurant que dans l’Etat.

     

    Il nous faut faire front commun et s’entendre sur ce qui pourrait, justement, faire commun.

    Osera-t-on ceci : il faut moins d’autos et bien plus d’auto : l’auto-organisation comme manière de s’habituer à prendre ses affaires en main.

     

    Nous l’entendons plus que jamais, il faut repenser le travail de manière radicale – à la racine – quant à ses formes, son sens et son utilité sociale.

    Comment ?

    Par des comités d’action et de décision dans les services publics et dans les entreprises, par celles et ceux qui travaillent et produisent, en lien avec les usagers.

    A l’hôpital, c’est le personnel soignant qui doit pouvoir décider, et non des directeurs d’hôpitaux recrutés pour leur profil de managers.

     

    Renouer avec la démocratie vraie

     

    Et c’est valable dans chaque secteur.

    L’autogestion n’est pas réservée au passé.

    Il est bien des étapes intermédiaires qui peuvent familiariser avec le droit de regard et le droit de décider.

    Imaginer un droit de veto sur les cadences et les licenciements, c’est concevoir un pouvoir embryonnaire face au commandement jusque-là inaltéré des employeurs.

     

    Expérimenter les comités d’action et de base, les collectifs de quartiers et de localités, les assemblées populaires, c’est renouer avec la démocratie vraie.

    En bien des moments historiques, l’enjeu d’un contre-pouvoir s’est posé, la fédération des forces organisées localement, une manière de sortir ces expériences de leur isolement et de poser concrètement la question de l’émancipation.

     

    Le thème des « communs » apparaît central dans ces réflexions.

    Les communs sont des ressources et des biens, mais aussi des actions collectives et des formes de vie fondées sur la coproduction.

    Ils se fondent sur la solidarité et la coopération.

    Ces espoirs aspirent à une vie bonne et juste : humaine.

    Ils changent les critères de référence : non plus le marché mais le partage, non plus la concurrence mais la solidarité, non plus la compétition mais le commun.

     

    Nous avons pleine légitimité à défendre ce « monde d’après ».

    Nous ne savons pas dans quelle mesure cela « prendra ».

    Mais le temps présent requiert absolument que nous le mettions au débat.

     

    Ludivine Bantigny(Historienne)

     


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