• Lettre ouverte à Pierre Laurent, Eric Coquerel et Clémentine Autain

    Lettre ouverte

    à Pierre Laurent, Eric Coquerel

    et Clémentine Autain

    Par Jacques Bidet

     


     
    Cher/e/s camarades,
     
    J’ai pris connaissance avec un vif plaisir, mêlé d’un peu d’étonnement, de la déclaration d’Eric Coquerel dans le Politis du 23 janvier dernier, en réponse à la question, également posée à Pierre Laurent, Clémentine Autain et Pierre Larroutourou,

    « Quelle forme d’organisation préconisez-vous ? ».

     


    Sa réponse, vous le savez, fut la suivante :
    « Plutôt un mouvement, même si, en mon for intérieur, je ne vois pas trop ce qui sépare un mouvement du type Podemos d’un parti.

    Ce qui suppose d’accepter qu’il y ait des structures de base homogènes dans lesquelles toute personne compte pour une voix sans qu’on donne supériorité à son appartenance partisane.

    Faire en sorte que ces structures puissent décider de ce que fera le mouvement.

    Enfin prendre en considération qu’il existe aujourd’hui une nouvelle forme de communication à travers les réseaux sociaux et renouveler les formes de décision et d’implication citoyenne dans les mouvements.

    Cela, la campagne présidentielle peut l’engager à traversdes comités de campagne citoyens dont la première fonction serait de décider du programme pour la présidentielle et les législatives, ainsi que les candidats aux législatives.

    On peut ainsi construire, en marchant, un mouvement qui perdure et devienne l’élément de la recomposition de tout notre espace politique. »

     


    Je suis heureux parce que c’est exactement cela que nous défendions, voici deux ans déjà, dans « L’appel pour un nouveau départ du Front de Gauche ».

    Cet appel, très exigeant, avait eu un large écho, près de 1500 signatures, dont celles de nombreux militants connus de toutes les familles du Front de Gauche, jusqu’à Georges Séguy, une figure respectée de tous.

     


    Je suis un peu surpris parce que le Parti de Gauche n’avait par le passé manifesté aucune inclinaison en ce sens, en dehors de vagues références à « l’adhésion directe », sans que soit jamais indiqué auprès de qui et ou de quoi on pourrait ainsi « adhérer ».

    Du côté d’Ensemble, dont je suis membre, il y a une sympathie certaine pour un tel projet, mais qui reste à ce jour, me semble-t-il, assez velléitaire.

    Au sein du Parti Communiste Français, nous avons ressenti que nombre de camarades, y compris parmi les plus notables, seraient prêts à franchir le pas ;

    mais ce n’est pas le cas, à ce jour, de l’organisation dans son ensemble.

    Le Parti de Gauche, qui avait pu sembler être une clé de blocage, pourrait donc aujourd’hui jouer comme un ressort de déblocage.

     


    Je me suis souvent exprimé sur le sujet, et L’Humanité notamment m’a à diverses reprises ouvert ses colonnes.

    Je précise encore dans un article paru dans Le Monde (lemonde.fr) du 14 janvier dernier, à peu près dans les termes qui sont aujourd’hui ceux d’Eric Coquerel.

     

    J’ajoute qu’il y faut un point de vue de classe.

     

    Le Parti Socialiste est aujourd’hui devenu, pour l’essentiel, un parti de la classe dominante.

    J’explique pourquoi il faut néanmoins rechercher une forme d’alliance avec lui, contre la droite.

    Mais on n’y parviendra que dans l’esprit d’un « mouvement de la gauche populaire ».

    Ce qui suppose une structuration d’ensemble à partir d’associations de base rassemblant toutes les personnes, avec ou sans carte, qui s’engagent clairement et durablement dans cette optique.

     


    Cela n’a de sens que si les organisations du Front de Gauche (notamment) s’engagent en ce sens, résolument et massivement.

    Elles devraient comprendre que c’est là, pour chacune d’elles, la voie féconde.

    Les communistes sont, et de beaucoup, les plus nombreux, rassemblant la plus grande masse de compétences, d’engagements et d’enracinements divers.

    Ils ont donc toute raison de penser qu’ils seront les plus influents.

    Les militants du PG, qui apportent des valeurs et des savoirs, une autre sensibilité politique, y rencontreront une gamme plus large de population, de quoi aussi étoffer leurs rangs.

    Ensemble ! pourra jouer son rôle rassemblement et devenir plus attractif pour la jeune génération.

    Nous éprouverons que nous avons besoin d’un grand parti communiste, mais aussi, et tout autant, d’autres formations, qui ont une autre histoire, une autre insertion dans la société, d’autres capacités.

    Et surtout besoin de nous rassembler.

     


    Le militantisme sera donc à deux niveaux.

    Chacun est partie prenante à part égale au sein des associations de base qui ont en charge toute la politique commune.

    Á un niveau supérieur d’engagement, on peut, si ce n’est déjà le cas, en venir à adhérer à un parti défini.

    Les partis sont donc bien présents, non seulement comme des laboratoires de réflexion, des lieux de formation et de discussion plus approfondies, mais aussi avec leur capacité de proposer ou de critiquer les orientations avancées – éventuellement de se retirer du jeu en cas d’impasse totale.

     

    Ils gardent toutes leur identité, pour longtemps sans doute encore (sachant malgré tout que rien n’est éternel…).

    Cependant les lieux de décision, y compris pour les candidatures, seraient les structures associatives de base. Dont les orientations, les choix à long terme ou dans l’instant, se traduisent démocratiquement jusqu’au sommet.


    Il y a de bonnes raisons de penser que cet « élargissement », auquel on appelle de toute part, du côté des syndicats et associations n’a guère de chance de se produire si l’on ne présente pas, sous cette forme plus modeste que celle d’un « parti » et plus claire qu’un « front », des garanties capables d’inspirer confiance aux personnes elles-mêmes engagées dans des associations, collectifs, cercles, etc.

    Il nous faut quelque chose d’autre que des « comités » (de personnalités...) ou des Assemblées Générales, convocables et oubliables à volonté.

    De vraies structures de base, responsables.

     


    Un grand débat devrait, à mes yeux, être ouvert sur cette « question de l’organisation », en vue d’y voir rapidement plus clair.

    Nous n’avons pas beaucoup de temps (deux mois ? trois mois ?) pour lancer le train sur la bonne voie.

    Sinon, c’est lui qui nous emportera, on ne sait où. La question de l’organisation ne remplace pas celle du programme.

    Elle définit les conditions dans lesquelles un programme peut être discuté : par des associations communes de base dont la première démarche devrait être d’aller en direction de la population, de celle surtout qui s’est absentée de la politique, c’est-à-dire des couches les plus populaires et les plus en difficulté devant l’avenir.

     


    Cela n’exclut pas que l’on voit encore plus large, y compris en direction de ceux qui étaient hier encore les compagnons de route du parti socialiste.

    L’une des fortes leçons de la dernière campagne présidentielle est cependant que le cercle « Front de Gauche » rassemblent des gens qui ont une forte affinité entre eux sur des convictions sociales, politiques et écologiques.

    Mais les frontières peuvent bouger, de nouveaux drapeaux se sont levés, du côté de Nouvelle Donne et dans la mouvance écologique.

    Il faut donc élargir le cercle à tous ces proches, s’ils sont prêts à y participer.

    J’ai expliqué (et encore dans cet article) pourquoi nous devrions changer de nom : conserver « gauche », un marqueur décisif, mais « gauche populaire », parce qu’il y a une autre gauche, nommons-la « élitaire », et que nous ne pouvons plus dire « gauche » tout simplement, même si nous devons lutter pour une union de la gauche.

     


    Nous devons construire du solide, et la base s’élargira d’elle-même si nous développons des pratiques conformes à nos déclarations.

    « Prenez le pouvoir », avons-nous dit, en faisant tout pour que la masse des gens n’ait pas accès à cette sorte de pouvoir primaire qui se déploie dans la lutte politique, y compris pour l’émancipation.

     


    D’autres formes de travail commun seront naturellement nécessaires et essentielles, notamment sous forme thématique.

    Cela ne sera pas le plus difficile, mais cela risque d’être assez vain s’il n’y a pas une masse ardente à la base.


    Ne perdons pas notre temps à nous entreflageller.

    La période électorale réveille la politique.

    Mais, nous le savons déjà, la confrontation des élus potentiels à gauche de la ligne gouvernementale actuelle n’a aucune chance d’aboutir à la sélection d’un candidat commun sur un programme commun.

    Elle se profile plutôt comme un jeu où perspectives programmatiques et figures médiatiques risquent de s’entremêler dans la confusion.

    Libération, qui a lancé l’appel aux primaires, entend bien en rester symboliquement le pivot.

    Son lectorat définit à peu près les couches sociales et familles politiques à ses yeux concernées, jusqu’à la droite du PS.

     

     
    Le présidentialisme est un mal redoutable, qui gangrène toute notre vie politique, y compris dans la « gauche de gauche ».

    Il nous faudra, au moment opportun, choisir démocratiquement le plus capable de porter la parole commune dans les grands rassemblements tout comme à la télévision.

    Mais nous devons nous organiser résolument pour que les médias, qui sont dans le jeu de l’audimat, et, pour l’essentiel, dans les mains de la droite, ne fassent de l’orateur, à son corps défendant, le « leader » du mouvement.

    Nous devons résister aux démons de la bureaucratie, de l’intello-anarchie et du charisme.

    Nous ne pourrons le faire que si nous sommes organisés en collectifs solides à la base, entre gens qui trouvent dans la lutte commune le ferment d'une confiance partagée, avec un poids suffisant pour que le bateau tienne bon et soit capable suivre une ligne bien définie dans les grandes houles qui ne manqueront pas de se produire.


    Solidairement vôtre,


    Jacques Bidet

    Front de Gauche (Ensemble !), Nanterre


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