• Le coup de semonce des cheminots

    Le coup de semonce des cheminots

     

    Mobilisation La CGT appelle les salariés de la SNCF à une manifestation nationale à Paris, ce jeudi, « pour le développement du service public ferroviaire et le progrès social ».

     

    Publié le Jeudi 31 Mars 2022

     
     

    Le rendez-vous a été pris il y a déjà plusieurs semaines.

    Ce jeudi, dix jours avant le premier tour d’un scrutin décisif, les cheminots, à l’appel de la CGT, vont battre le pavé parisien. Une irruption revendicative dans la dernière ligne droite de la campagne avec un objectif : « Alerter sur les choix politiques qui peuvent conduire à l’amélioration ou au contraire à l’effondrement du service public ferroviaire », assure le syndicat. « On entend partout parler de la relance du transport ferroviaire, de ses vertus environnementales, mais sur le terrain, tous les jours nous constatons la dégradation de nos conditions de travail et du service rendu aux usagers », déplore Sébastien Nugou, secrétaire de la CGT cheminots en Centre-Val de Loire. Dans sa région, la situation s’est détériorée d’année en année, inexorablement. « Là, maintenant, il faut arrêter le massacre, tranche le conducteur TER,  les quinquennats se suivent et se ressemblent, les services publics sont systématiquement dans le collimateur ». Aujourd’hui, poursuit-il, « on est à l’os à l’effectif, on a du mal à former les nouveaux agents ».

    une politique du tout-digital

    Des postes d’aiguillage aux ateliers de maintenance, la difficulté de la tâche quotidienne, le manque de considération et les rémunérations au rabais n’incitent plus aux candidatures. « On n’arrive pas à recruter, nos métiers ne sont plus attractifs. La direction tente de nous acheter à coups de primes, mais ça ne marche pas, les primes ne sont pas cotisées », souligne Safia Benrabah, embauchée à la téléphonie ferroviaire par SNCF Réseau. Un phénomène aggravé par la perte du statut pour les nouveaux entrants, mise en œuvre par la réforme de 2018.

    À la paie rabougrie s’ajoute la dégradation des conditions de travail, conséquence des multiples réorganisations pensées pour réduire les coûts de production, dénonce Régis Roux. Sur son secteur de Brétigny (Essonne), les fermetures de guichets se multiplient dans la foulée d’une politique du tout-digital qui complique la vie des usagers et exclut, de fait, « ceux qui n’ont pas de carte de crédit, ne sont pas à l’aise avec les automates, comme les personnes âgées ou encore les personnes à mobilité réduite, qui ne bénéficient pas de l’accueil en gare auquel ils ont pourtant droit », explique le responsable CGT. Depuis des mois, les mobilisations s’enchaînent. Parfois victorieuses, comme il y a quelques semaines, lorsque les cheminots en lutte ont réussi à faire reculer la direction sur son projet de réorganisation des équipes de contrôleurs. « On a mené la bataille, et on a gagné, la direction a reculé », se félicite Régis Roux. Mais pas question d’en rester là. « Aujourd’hui, la situation devient ubuesque car d’un côté la direction ferme les guichets en gare et, de l’autre, elle renforce les contrôles de billets inopinés. En somme, l’entreprise met les moyens pour le contrôle de la fraude mais pas pour l’accès aux titres de transport », déplore le syndicaliste.

    La rationalisation n’épargne pas non plus la maintenance des infrastructures. « À Blois, reprend Sébastien Nugou, ils ont fusionné trois brigades voies (équipes chargées de la surveillance et de la maintenance des rails – NDLR). Résultat : les cheminots sont désormais obligés de prendre leur service dans une ville où ils n’habitent pas, de s’y rendre avec leur propre véhicule. » Un non-sens à l’heure où les prix à la pompe atteignent des sommets. Idem pour la maintenance du matériel roulant. « Les trains sont de moins en moins amenés dans les ateliers, ce sont les agents qui se déplacent, sur des kilomètres, pour aller réparer des pièces avec leur caisse à outils », poursuit Sébastien Nugou. En bientôt vingt ans de service, le cheminot a vu la situation basculer. « Quand j’ai commencé, lorsqu’il y avait trop de passagers, on rajoutait une ou deux voitures et tout le monde avait une place assise. Aujourd’hui, on entasse les voyageurs, on ne touche plus à la composition des trains. » Ces péripéties quotidiennes font perdre le sens de leur mission aux cheminots de la SNCF et les démissions, y compris chez les « anciens », sont de plus en plus nombreuses, relèvent les syndicalistes. D’autant plus dans un contexte où l’ouverture à la concurrence menace en sus les agents d’un transfert dans une entreprise privée concurrente. « L’avenir des cheminots se complique, déplore Safia Benrabah, on se bat juste pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions. »

    Pour contrer cette trajectoire funeste, la CGT exige non seulement que la SNCF redevienne une entreprise publique et intégrée, mais également qu’elle fixe un objectif de développement par l’offre : « 1 000 trains de marchandises supplémentaires d’ici à 2050 et le passage de 15 000 à 20 000 trains de voyageurs par jour », avance le syndicat. Et pour les cheminots, le syndicat revendique une politique massive d’embauche, de formation et l’élaboration d’un « nouveau statut social de haut niveau ».

     

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    « L’État doit mettre les moyens pour le système ferroviaire »

    Pour le syndicat majoritaire à la SNCF, le développement du service public ferroviaire exige des ressources humaines et financières, de nouvelles garanties sociales pour les agents et le retour à une entreprise publique intégrée.

    Publié le Jeudi 31 Mars 2022

     
     

    Laurent Brun Secrétaire général de la CGT cheminots

     

    À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, quel message allez-vous faire passer aux candidats ?

    Dans cette campagne, la question des transports et des mobilités est occultée. Pourtant, au même titre que l’énergie ou les télécommunications, l’organisation des grands réseaux est un sujet fondamental pour l’économie, pour le quotidien des gens. Aujourd’hui, la trajectoire donnée au système ferroviaire n’est pas la bonne. Il est urgent d’en changer.

    Vous dénoncez la dégradation du service public ferroviaire ; pourtant, le discours du gouvernement et de la SNCF s’est un peu infléchi, notamment sur la question des moyens. Qu’en est-il sur le terrain ?

    Notre réseau continue de se dégrader fortement. L’âge moyen de l’infrastructure baisse uniquement parce que les voies les plus anciennes ont été fermées : 269 kilomètres pour la seule année 2020. Le système de signalisation est vieillissant et la proportion des voies hors d’âge atteint désormais 21 %. En parallèle, le transport de marchandises est toujours dans une situation très précaire malgré les aides publiques de l’an dernier. Pour ce qui est du transport de voyageurs, la rationalisation qui résulte de la mise en concurrence devient une réalité désastreuse. Certaines lignes TGV comme Paris-Lyon vont connaître la concurrence quand d’autres seront abandonnées, avec des arrêts supprimés. Quant aux TER, la concurrence a déjà des effets, comme en Normandie où les circulations ont été diminuées de 30 % au motif que la SNCF ne peut plus se permettre de faire rouler des trains à 20 % d’occupation. Tout cela est en train de se mettre en place sournoisement. Alors, bien sûr, le discours de la SNCF a changé, c’est logique. Le système privatisé est incapable de financer l’infrastructure, il faut donc l’intervention publique. En dix ans, il faudrait 100 milliards d’euros pour maintenir et développer le réseau, d’après la direction. C’est la condition sine qua non, y compris pour que les opérateurs privés puissent dégager des bénéfices.

    Cette année encore, 2 000 postes vont être supprimés à la SNCF. Qu’exigez-vous en termes de recrutement et de garanties sociales ?

    Dans un premier temps, il faut stopper ces baisses d’effectifs et faire un inventaire des forces dont on a besoin réellement pour produire, puis recruter et former. Il faut aussi rendre nos métiers attrayants. L’État doit définir ce qu’il veut pour son système ferroviaire, puis mettre les moyens humains et financiers pour répondre aux objectifs fixés et, enfin, rediscuter impérativement du cadre social.

    Le groupe CRCE au Sénat va déposer une proposition de loi qui abroge le pacte ferroviaire de 2018…

    C’est absolument nécessaire. Pour sortir la SNCF de cette trajectoire financière qui l’étrangle, pour revenir sur une organisation de la production sans concurrence, pour remettre sur la table le statut des cheminots et gagner des garanties sociales.

    Alors que les prix des carburants explosent, certains pays baissent les prix des transports publics. Est-ce un exemple à suivre ?

    Oui. En France, la TVA pourrait par exemple être immédiatement diminuée. Elle avait été augmentée sous François Hollande. Mais quand les prix des carburants s’envolent, l’État, au lieu de donner 400 millions à la SNCF pour baisser ses tarifs et faire en sorte que les gens se reportent sur le transport collectif, préfère donner 400 millions d’euros aux transporteurs routiers pour compenser la hausse du gazole. On ne s’en sortira jamais comme ça.

     

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    Acte I : abroger la réforme de 2018

     

    Les sénateurs du groupe CRCE vont présenter une proposition de loi visant à annuler le « pacte ferroviaire » de 2018, qui est aujourd’hui au cœur de la colère des cheminots.

     
    Publié le Jeudi 31 Mars 2022
     

    Pour les sénateurs du Groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE), c’est « une manière de soutenir la journée de mobilisation des cheminots ». Ce jeudi, juste avant le départ de la manifestation parisienne à l’appel de la CGT, les élus vont présenter une proposition de loi – portée par Gérard Lahellec et Marie-Claude Varaillas, membres de la commission de l’Aménagement du territoire et du Développement durable – visant à abroger le pacte ferroviaire.

    Votée en 2018, malgré une opposition historique des cheminots et de leurs organisations syndicales, cette réforme marque une accélération dans la casse du service public. En transformant l’entreprise publique SNCF en société anonyme, en filialisant bon nombre d’activités (dont Fret SNCF), en parachevant l’ouverture à la concurrence du transport de voyageurs et en supprimant le statut de cheminot pour tous les nouveaux embauchés, ce « pacte ferroviaire » a profondément désorganisé la production et déstabilisé les agents. C’est d’ailleurs contre les conséquences concrètes de sa mise en application que les cheminots, entre autres, se mobilisent ce jeudi.

    Dans leur proposition de loi, les sénateurs communistes engagent également l’abrogation « de l’ensemble des ordonnances prises sur le fondement de cette loi », explique le groupe CRCE. Une précaution indispensable alors que, désormais, « les ordonnances, pour avoir valeur législative, n’ont plus besoin d’être au préalable ratifiées ».

    LA RATP EST aussi CONCERNée

    Dans la foulée, la proposition de loi inscrit également l’abrogation des dispositions d’ouverture à la concurrence prises pour la RATP. « Il n’est plus possible que la libéralisation soit l’alpha et l’oméga des politiques en matière de transport public », souligne-t-on chez les sénateurs communistes.

    Côté calendrier, et après présentation ce jeudi, le texte devrait être officiellement déposé lundi, sans examen prévu pour l’heure, les sessions étant interrompues pour quatre mois. M. d’A.

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