• La rupture, enfin…

    La rupture, enfin…

    Roger Martelli 

     

    Le brouillard politique s’épaississant, j’ai tenté, pour moi-même, de clarifier quelques enjeux.

    1. Quelle que soit la suite du mouvement enclenché, le rassemblement du 9 mars dernier a marqué la limite du supportable pour des centaines de milliers d’individus. Malgré les incertitudes, les doutes, les désillusions, les amertumes, ils ont décidé de dire Non. Consciemment ou non, ils ont ainsi perturbé l’ordonnancement des lignes politiques. Mais ils n’ont pas annulé d’un trait de plume la crise démocratique qui, sur fond de peur entretenue (« l’état de guerre », le « on n’est plus chez soi »), gangrène tout notre espace public.
    2. L’articulation du mouvement et d’une perspective politique reste donc la question cruciale de la période à venir. Cette perspective ne saurait être avant tout électorale. La force des mouvements populaires d’hier tenait à ce qu’ils s’appuyaient sur de grandes valeurs d’égalité et de liberté et sur de vastes espérances, le mythe de la « Sociale » ou la possibilité d’un keynésianisme « radical », redistributeur et démocratique.

     

    Les mouvements contemporains, globaux ou plus partiels, ont besoin d’une visée analogue, à la hauteur des nécessités d’une époque.

    Toute demande sociale propulsive doit aujourd’hui s’adosser à une rupture dans la visée (un développement des capacités humaines que l’on dira, comme on veut, « durable », « sobre » ou « économe »), dans les valeurs (le partage et la mise en commun) et dans les méthodes (une démocratie de nouvelle génération).

    S’il est une mission de la politique, c’est de donner à cette ambition émancipatrice une forme majoritairement partagée, capable d’imprégner toute la vie sociale, de la cave au grenier.

     

    1. La construction de la perspective ne se résume pas à un enchainement de moments électoraux.
    2. Mais elle ne saurait les ignorer, sauf à s’enfermer dans un modèle à l’américaine, conciliant une combativité de classe souvent exceptionnelle et l’engluement dans un système bipartisan qui l’étouffe et même qui la nie.

     

    En ce sens, on ne peut passer par-dessus les enjeux de 2017, même s’ils sont redoutables.

    Du côté du parti dominant à gauche, deux possibilités se dessinent, dont on ne sait pas encore si elles apparaîtront jusqu’au bout concurrentes ou si elles convergeront au printemps de 2017.

    La première piste est celle d’un « blairisme » ou d’un « renzisme » à la française, choisissant le pourrissement possible d’un mouvement en s’agrippant coûte que coûte à une cohérence « sociale-libérale » qui conjugue la compétitivité, la mise au travail (précaire) et l’ordre prétendument « juste ».

    La seconde piste est celle d’un infléchissement vers une social-démocratie plus tempérée, dont les modèles peuvent être Sanders, Corbyn ou… Jospin-Aubry 1997.

     

    Dans le premier cas, on tient sur la ligne Hollande-Valls et on compte pour gagner sur la crise d’une droite perturbée par le phénomène Front national ;

    dans le second cas, on suggère d’abandonner la ligne de l’exécutif, mais pour revenir en gros à la logique d’avant mai 2012.

    On rompt avec le discours du Bourget de janvier 2012 ou on revient à sa tonalité.

    Dans les deux cas, on ne rompt pas avec trente années d’accommodements avec le libéralisme ; on expose donc la gauche à davantage de désillusions et les catégories populaires à plus de ressentiment.

    1. Une gauche de gauche ne peut accepter ni l’une ni l’autre de ces deux pistes, quand bien même elle ne les place pas sur le même plan.
    2. De la fin 1995 jusqu’à aujourd’hui, en passant par l’épisode 2005 et la présidentielle de 2012, ce qui a été mis en avant, à gauche du Parti socialiste, c’est l’exigence d’une rupture avec le libéralisme et avec ses compromissions, quelles qu’en soient l’ampleur.
    3. Ce à quoi il faut impérativement renoncer, c’est à une logique de gestion à gauche qui a été amorcée en 1983 et qui, à ce jour, n’a fait l’objet d’aucun inventaire distanciée dans l’espace socialiste, toutes composantes réunies, « frondeurs » inclus.

     

    La question la plus décisive pour 2017 est donc simple à formuler : y aura-t-il une candidature, appuyée sur un mouvement critique collectif, ancrée dans la conflictualité sociale, qui saura porter l’exigence d’une telle rupture ?

    1. En soi, la manière de parvenir à une telle candidature n’implique ni l’exaltation ni la détestation d’aucune méthode, primaire comprise.
    2. Mais, à ce jour, les constructions autour de l’idée de primaires se portent, soit sur l’option de primaires de toute la gauche (Hollande-Valls inclus), soit sur celle de (presque) toute la gauche (Hollande-Valls étant exclus parce que n’étant pas vraiment à gauche).
    3. Dans les ceux cas, le risque le plus probable est celui du choix d’une option du « moins disant ».
    4. Concrètement cela implique, presque mécaniquement, l’effacement dès le premier tour d’une gauche d’alternative.
    5. On ne veut pas d’une défaite de la gauche et on se précipite vers le modèle italien : plus de gauche de gauche et, en fait, plus vraiment de gauche du tout.
    6. Dans sa forme actuelle, le Front de gauche a été déclaré en état de mort clinique par ceux qui en étaient les premiers responsables.
    7. Mais demeurent une expérience et un esprit : ils doivent reprendre place au cœur des débats publics, électoraux ou non.
    8. Ceux qui gardent en eux l’étincelle du Front de gauche pourraient donc proposer de mettre au centre des réflexions collectives la rupture avec le mariage mortifère de la concurrence et de la gouvernance.
    9. L’égalité, la citoyenneté et la solidarité redeviendraient le socle de la vie commune et de l’esprit républicain.
    10. Si la gauche veut retrouver une dynamique, dans les mots et les symboles de notre temps et non dans la répétition du passé, elle le fera en retissant du projet autour de ces valeurs d’émancipation individuelle et collective.
    11. Qui veut s’arcbouter sur ce socle a sa place dans le rassemblement, à part égale ; mais il ne peut y avoir d’autre socle possible au premier tour que celui-là.

    J’ajoute, pour que les choses soient claires, que, à mes yeux, ce projet ne peut être ni avant tout européen, ni avant tout national, ni avant tout local.

    Il concerne toutes les échelles de territoire ; il ne vaut que s’il s’applique de façon cohérente à tous les territoires sans exception.

     

    Tout ce qui écarte de ce travail, exigeant mais potentiellement rassembleur, devrait être repoussé.

    L’esprit du mouvement social de 1995, du courant antilibéral de 2005, du Front de gauche de 2012 ne doit pas disparaître au premier tour de 2017.

     

    Roger Martelli


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