• Julian Assange

    Julian Assange

     

    Liberté d’information.

    Les États-Unis abattent une nouvelle carte

    contre Julian Assange

     

    Mercredi 27 Octobre 2021
     

    En faisant appel du refus d’extradition prononcé par la justice britannique, l’administration Biden a raté une occasion de rompre avec l’acharnement de Trump.

    Les deux jours d’audience qui commencent seront décisifs pour le fondateur de WikiLeaks.

     

    Mike Pompeo n’a pas pu nier : en 2017, il y a bien eu un plan au sein des services secrets américains visant à organiser l’enlèvement, voire l’assassinat, de Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, toujours claquemuré à l’époque dans l’ambassade d’Équateur.

    Après de nouvelles informations accablantes, parues fin septembre, l’ex-patron de la CIA et ancien secrétaire d’État au sein de l’administration de Donald Trump a été forcé de l’admettre : il y a bel et bien des « parts de vérité » dans le récit édifiant publié il y a quelques semaines, avec des barbouzes en opération en plein quartier chic de Knightsbridge à Londres, prêts à kidnapper ou tuer l’auteur des révélations les plus fracassantes sur les crimes de guerre des États-Unis.

    Pompeo crâne ensuite lors d’une émission télévisée outre-Atlantique : « Quand les méchants volent nos secrets, nous avons la responsabilité de les poursuivre pour empêcher que ça arrive. Nous avons l’obligation absolue de répondre. »

     

    Peut-on dès lors livrer aux États-Unis un homme qu’ils veulent abattre ?

    La Cour royale de justice de Londres va, mercredi et jeudi, se pencher de nouveau sur la question.

    Après un premier rejet – plus justifié par la santé mentale très dégradée de Julian Assange que sur le fond des arguments sur la liberté d’informer et sur les poursuites purement politiques – de la demande d’extradition formulée par Washington en janvier dernier, la Maison-Blanche, désormais occupée par Joe Biden, n’a pas choisi de rompre avec la ligne vengeresse de son prédécesseur.

    Elle a fait appel du jugement, contestant notamment la validité d’une expertise.

    Ce qui permet aux persécutions de se poursuivre…

    Les États-Unis, où Julian Assange encourt une peine cumulée de 175 ans de prison, jouent toutefois l’une de leurs dernières cartes : en cas de nouvelle défaite, ils n’auraient plus comme possibilité que de saisir la Cour suprême britannique, sans être assurés que cela leur soit accordé.

     

    « Un précédent qui pourrait être utilisé contre les journalistes »

    Le week-end dernier, des manifestations ont eu lieu dans la capitale britannique et les soutiens d’Assange, comme ceux de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) jettent toutes leurs forces dans la bataille (lire aussi le témoignage du journaliste britannique Tim Dawson dans l’Humanité Dimanche à paraître jeudi 28 octobre).

    Aux États-Unis, 24 organisations de défense de la liberté de la presse ont une nouvelle fois alerté sur les dangers ouverts par ces attaques contre Assange.

     

    « Le gouvernement a un intérêt légitime à protéger les intérêts de sécurité nationale de bonne foi, mais les procédures contre Julian Assange mettent en danger le journalisme qui est crucial pour la démocratie, relèvent-elles.

    À notre avis, le précédent créé par la poursuite d’Assange pourrait être utilisé contre les éditeurs et les journalistes, ce qui aurait pour effet de paralyser leur travail et de miner la liberté de la presse.

    De grandes organisations de presse partagent cette préoccupation.

    Les accusations portées contre Assange ont été condamnées par pratiquement tous les grands organes de presse américains, même si nombre d’entre eux ont critiqué Julian Assange par le passé. »

     

    « Aucun responsable de crimes de guerre n’a été poursuivi »

    Pour sa part, Amnesty International a, lundi 25 octobre, réclamé solennellement que l’administration américaine retire ses poursuites et que les autorités britanniques choisissent non pas d’extrader Julian Assange, mais plutôt de le libérer.

    « Les assurances données par le gouvernement des États-Unis selon lesquelles il ne mettrait pas Julian Assange dans une prison de haute sécurité ou qu’il ne le soumettrait pas à un traitement spécial ont, en réalité, été démenties déjà, fait observer Agnès Callamard, la secrétaire générale de l’ONG.

    Les États-Unis ont dit qu’ils pouvaient revenir sur ces garanties.

    Maintenant, les rapports qui révèlent que la CIA a envisagé de kidnapper ou de tuer Assange instillent plus de doutes encore et démontrent les motivations politiques derrière cette affaire. »

    La dirigeante d’Amnesty International ajoute :

    « L’acte d’accusation le plus accablant, c’est de constater que, près de vingt ans après, pratiquement aucun responsable de crimes de guerre américains commis en Afghanistan et en Irak n’a été tenu responsable et encore moins poursuivi, et pourtant, un journaliste qui a dénoncé ces crimes demeure menacé d’une peine de prison à vie. »

     

     

    « Nous espérons que ce sera la fin ! » lance, de son côté, Stella Moris.

    En début de semaine, la compagne du lanceur d’alerte emprisonné, depuis son arrestation par la police britannique en avril 2019, dans le quartier de haute sécurité de la prison de Belmarsh (Royaume-Uni), a de nouveau sonné l’alarme :

    selon elle, Julian Assange, qu’elle a pu voir samedi , « a l’air très mal en point ».

    Et alors que le rédacteur en chef de WikiLeaks, Kristinn Hrafnsson, juge « impensable que la Haute Cour de Londres parvienne à tout autre conclusion qu’une confirmation » du refus d’extradition, Stella Moris rappelle celle de la juge en première instance : « Julian ne survivrait pas à une extradition. »

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    Antoine Vey, avocat de Julian Assange :

    « Cette affaire est avant tout politique,

    pas juridique, ni judiciaire »

     

    Mercredi 27 Octobre 2021
     

    Défenseur français de Julian Assange, maître Antoine Vey revient sur cette affaire et sur l’acharnement des États-Unis à faire tomber un homme coupable d’utiliser la liberté de la presse.

    Entretien.

     

    En janvier, la justice britannique a refusé d’extrader Julian Assange. Pour quelles raisons ?

     

    Antoine Vey

    La justice britannique devait se pencher sur trois problèmes.

    Le premier était de savoir si l’accusation formulée par les États-Unis était une accusation dite « politique », c’est-à-dire pas articulée sur des motifs juridiques mais essentiellement à des fins politiques.

    Le deuxième était de savoir si, en cas d’extradition, monsieur Assange avait un risque d’être soumis à des traitements inhumains et dégradants aux États-Unis.

    Le troisième était de voir si l’état de santé de Julian Assange était compatible avec une éventuelle mesure d’extradition.

     

    La juge britannique a estimé que, sur les deux premiers points, elle ne pouvait pas avoir de certitudes quant au caractère exclusivement politique des accusations, d’une part, et quant au non-respect des droits fondamentaux, d’autre part.

    Par contre, au regard des éléments qui lui avaient été soumis, notamment les expertises, l’état de santé de monsieur Assange rendait impossible l’extradition.

    Elle a donc refusé la demande américaine de l’extrader.

    À la suite de quoi, le gouvernement américain a interjeté appel de cette décision.

    C’est cet appel qui est analysé à partir d’aujourd’hui, à Londres.

     

    Qu’est-ce qui va être examiné pendant ces deux jours ? Est-ce un retour à la case départ ?

    Antoine Vey

    Non, parce que le droit anglais n’est pas configuré comme le nôtre, où en cas d’appel, on rebat les cartes du dossier.

    Les Anglais, dans leur appel, ont pour mission d’analyser que le droit a été bien appliqué et qu’il n’existait pas, dans la décision du juge, un point de droit ou un point factuel qui serait susceptible de conduire non pas à une nouvelle décision sur le fond, mais à un renvoi par les juges d’appel à un nouveau procès qui, alors, se déroulerait devant une nouvelle juridiction recomposée et ce pas avant quelques mois.

    Ce qui est possible si les juges anglais identifient un moyen.

     

    Si l’appel de Washington est déclaré irrecevable, est-ce la fin des ennuis judiciaires pour Julian Assange ?

    Antoine Vey

    Non.

    Si l’appel des États-Unis est déclaré infondé, alors la décision du juge deviendra définitive.

    À partir de là, monsieur Assange ne sera plus sous le coup de ce mandat extraditionnel et devrait être relâché.

    Ce qui supposerait que les États-Unis ne délivrent pas un nouveau mandat d’arrêt, ce qu’ils sont susceptibles de faire.

    On a affaire à une instrumentalisation de la justice, à un cas d’acharnement politico-judiciaire.

    Donc, rien ne nous prémunit d’une nouvelle attaque fantôme des États-Unis.

    Et s’il était relâché, comme il n’est pas anglais, la question se poserait de sa situation sur le sol britannique.

    Il ferait une demande d’asile qu’il aimerait obtenir en France.

     

    Qu’est-ce que la France peut faire ?

    Antoine Vey

    Elle peut affirmer une position de principe qui est que Julien Assange est le symbole de la liberté de la presse d’informer.

    Car il est incarcéré uniquement pour avoir diffusé des informations.

    Donc, c’est une difficulté quant au droit d’informer.

    Elle pourrait rappeler que, quelles que soient les charges qui peuvent peser contre un individu, il doit bénéficier des droits minimaux, et non pas être traité dans des conditions qui le soumettent « à une torture institutionnelle » – pour reprendre les termes du rapporteur des Nations unies –, amenant à un état de santé qui n’est pas compatible avec une procédure.

    La France devrait s’émouvoir d’un citoyen soumis à des traitements inhumains et dégradants.

    Et donc devrait proposer que Julian Assange puisse recevoir un asile politique, personnel, et ne plus être soumis à une incarcération dans un pénitencier de haute sécurité comme c’est le cas actuellement.

     

    Qu’est-ce que toute cette affaire nous dit ?

    Antoine Vey

    Quand la force politique a décidé de mettre à terre un individu qu’elle considère comme son ennemi, elle utilise, en les dévoyant, les règles de droit, le masque d’une prétendue justice, pour l’anéantir et l’incarcérer.

    Cette affaire est avant tout politique.

    Elle n’a rien de juridique, ni de judiciaire.


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