• Affaire Mila : jugés coupables de harcèlement 2.0

    Affaire Mila : jugés coupables de harcèlement 2.0

    Jeudi 8 Juillet 2021
     

    Des peines de 4 à 6 mois de prison avec sursis ont été prononcées contre onze des treize prévenus, accusés d'avoir proféré des menaces de mort à l'encontre de la jeune femme sur les réseaux sociaux.

     

    Treize personnes s’étaient présentées à la barre du tribunal judiciaire de Paris en juin.

    Elles sont finalement onze à être condamnées, à des peines de 4 à 6 mois de prison avec sursis, mais aussi à des réparations de 2 500 euros pour le préjudice et les frais d’avocats de Mila.

     

    Un prévenu a bénéficié d’un vice de procédure, un autre a été relaxé faute de preuves.

    La victime, 18 ans aujourd’hui, avait subi plusieurs vagues de harcèlement sur les réseaux sociaux après la publication, en janvier puis novembre 2020, de deux vidéos dans lesquelles elle critiquait Allah et évoquait « (ses) doigts dans (le) trou du cul » du prophète. Menacée de mort par des hordes d’internautes, la jeune femme vit toujours sous protection policière et a dû quitter son lycée pour finir son année.

     

    Une décision qui fait jurisprudence

    « Les réseaux sociaux constituent un espace public (…) l’utilisateur doit s’attendre à ce que ses messages soient lus par un large public, y compris par la personne concernée », a tranché le tribunal.

    « Ce que vous ne faites pas dans la rue, ne le faites pas sur les réseaux sociaux », a insisté le président en rendant le jugement.

    La décision devrait faire jurisprudence, alors que les condamnations pour harcèlement, lorsqu’il est exercé sur Internet, restent rares.

    « Le tribunal retient une définition large du délit : tout message sur les réseaux et pas ceux simplement adressés à la victime », commente Richard Malka, avocat de Mila, habitué à défendre Charlie Hebdo, qui salue « une décision équilibrée ».

    De son côté, la jeune femme entend continuer à poursuivre ses harceleurs et « gagner à nouveau ».

     

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    Cyberharcèlement.

    Affaire Mila : le lynchage 2.0 au banc des accusés

     
    Mercredi 23 Juin 2021
    Paul Ricaud - L'Humanité >>>>>
     

    Treize personnes se sont retrouvées en début de semaine au tribunal de Paris pour avoir injurié, et parfois menacé de mort, la jeune femme qui avait posté sur les réseaux sociaux une vidéo critiquant l’islam.

     

    « Tu mérites de te faire égorger, sale pute » ; « Qu’elle crève » ; « Que quelqu’un lui broie le crâne, par pitié » ; « Mettez-lui un coup de machette » ; « Si je mets un coup de b*te à Mila, elle arrêtera de faire chier le monde, cette mal baisée. » 

    Ces expressions, plus violentes les unes que les autres, ont résonné pendant deux jours dans la salle d’audience de la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris, où étaient jugées treize personnes, lundi 21 et mardi 22 juin.

     

    Poursuivies pour harcèlement, ainsi que pour menaces de mort, pour huit d’entre elles, elles ont dû s’expliquer sur la vague de violences qui a déferlé sur Mila.

    La jeune femme, aujourd’hui âgée de 18 ans, subit depuis janvier 2020 des dizaines de milliers d’attaques sur les réseaux sociaux, après avoir produit un live Instagram dans lequel elle avait affirmé, en parlant de l’islam :  « Votre Dieu, je lui mets un doigt dans le cul. » 

    Les treize prévenus avaient publié ou envoyé des messages injurieux ou menaçants à l’adolescente, après une nouvelle vidéo en novembre dans laquelle elle avait réitéré ses propos sur la religion musulmane.

    Explications floues et maladroites

    À la barre, l’air penaud des trois femmes et dix hommes au casier judiciaire vierge contraste avec la brutalité des mots écrits sur les réseaux sociaux.

    Âgés de 18 à 29 ans, venus de toute la France, ils semblent surpris de se retrouver convoqués devant la justice pour quelques mots écrits sur le clavier de leur téléphone.

    Plusieurs fois pendant l’audience, ils peinent à expliquer le raisonnement qui les a traversés lorsqu’ils rédigeaient les insultes sexistes et homophobes adressées à Mila, mineure au moment des faits.

     

    « Je me suis mal exprimé et je suis désolé », regrette Enzo, un Savoyard de 22 ans qui se dit chrétien « mais pas forcément à fond dedans ».

    Après avoir insulté Mila dans son post Twitter en évoquant son égorgement, le jeune homme plaide la « connerie », commise alors qu’il était choqué par le blasphème, et lui adresse ses excuses.

    « J’ai réagi comme un gamin ! » clame Mehdi, 18 ans, qui plaide l’immaturité.

    « Le but, c’était de susciter une réaction de sa part », explique celui qui lui a envoyé par message quelques bribes d’un texte de rap : « Famas, Kalash, neuf millimètres, Uzi et P-38. Les armes sont payantes mais les rafales sont gratuites. »

     

     « C’était pour rigoler et avoir des abonnés »

    Chez les prévenus, les explications floues et maladroites s’enchaînent.

    « Je n’ai pas réfléchi, j’ai juste posté ça comme ça (…) Je n’ai pas écrit en pensant à mal », reconnaît Lorraine, l’étudiante qui proposait de broyer le crâne de Mila.

    « C’était pour rigoler et avoir des abonnés », admet Manfred, tout juste majeur.

    Lui s’était fait passer pour l’auteur de messages enjoignant Mila à se suicider,  « pour faire rire les gens ».

     

    Malgré la violence de leurs injures et de leurs menaces, ils sont plusieurs à avouer qu’ils ne se sont pas penchés en profondeur sur l’affaire Mila et ne se rendaient pas compte de l’ampleur du harcèlement qui la visait.

    « Il aurait fallu que je me renseigne un peu plus avant d’émettre des accusations », concède Pierre, 20 ans et athée.

    Interpellé chez ses parents au petit matin, quelques mois après avoir écrit qu’il fallait « faire sauter » Mila, celui-ci se défend d’avoir proféré des menaces et explique qu’il s’agissait de « faire suspendre » le compte Twitter de la victime.

     

    « Poser les règles de l'acceptable et de l'inacceptable »

    Les usages des réseaux sociaux, les « top tweets », « hashtags », pseudonymes et « expressions de jeunes » sont au cœur du procès, «historique » pour le président Michaël Humbert.

    Plusieurs fois, il interrompt les débats pour définir les termes utilisés et revenir sur le fonctionnement des plateformes.

    L’affaire se retrouve devant un tribunal grâce aux investigations du nouveau pôle contre la haine en ligne du parquet de Paris et aux signalements transmis via la plateforme Pharos, dispositifs censés contrer le développement du harcèlement en ligne.

     

    « C’est un phénomène de société que nous, les vieux, on aimerait comprendre », commente Michaël Humbert, lorsqu’il dirige l’audience.

    « Nous sommes en train de poser les règles de l’acceptable et de l’inacceptable », estime-t-il.

    Lors des débats, la question de la liberté d’expression revient régulièrement.

    Pour nombre de prévenus, il s’agissait, via les insultes, de répondre à Mila sur le même ton, excessif et grossier, que lorsqu’elle critiquait l’islam.

     

    Pour Mila, peu d'espoir de retrouver une vie normale

    « C’est le genre de personnes que je pourrais croiser dans la rue sans imaginer ça d’elles », constate Mila à la fin de la première journée, après avoir vu défiler ses harceleurs pendant une dizaine d’heures.

    Cheveux verts au carré et chemise blanche sur robe noire, suivie de près par les policiers assurant sa protection, la post-adolescente revient sur ses conditions de vie depuis un an et demi de polémique.

    Contrainte de quitter son lycée, de se confiner chez elle et de s’isoler, la jeune femme est toujours exposée sur les réseaux sociaux.

    «  Les menaces de mort ne s’arrêtent pas, je n’ai jamais un seul moment de tranquillité », explique celle qui a toujours refusé de se faire discrète sur Internet et de revenir sur ses propos.

     

    Pour elle, il existe très peu d’espoir de retrouver un jour une vie normale.

    « J’ai de plus en plus souvent l’impression d’avoir tout perdu. Ce qu’il me reste, c’est la justice », expose-t-elle solennellement.

    « On n’envisage pas l’avenir de Mila. Elle est lucide et elle voit elle-même qu’elle ne peut pas en avoir », confirme sa mère, qui se bat aujourd’hui pour collecter et rapporter à la police un maximum de messages de haine adressés à sa fille.

    Le procès coïncide avec la sortie de son livre Je suis le prix de votre liberté (Grasset), dans lequel elle revient sur le combat pour la liberté d’expression qu’elle se retrouve contrainte de mener, à la suite de l’emballement des réseaux sociaux et des médias, ainsi que sur le symbole qu’elle représente, malgré elle, pour certaines personnes.

     

    Richard Malka appelle la justice à apporter une réponse ferme

    Un emballement pointé du doigt par la défense, qui craint que les prévenus ne soient condamnés pour l’exemple.

    Comme lorsque l’avocat Juan Branco dénonce une « mise en scène du procès » alors que, pour lui, les treize prévenus ne sauraient être tenus pour responsables de l’ensemble du harcèlement de la jeune femme.

    Mais Mila est « ininstrumentalisable », selon les propres mots de son avocat, Richard Malka, habitué à défendre le droit au blasphème du journal satirique Charlie Hebdo depuis 1992.

    « Ils se sont tous réunis, ils avaient des pierres de tailles différentes, mais ils lui ont tous lancé une pierre, ils ont tous participé à son lynchage et à sa mort sociale », plaide-t-il.

    Et d’appeler la justice à apporter une réponse ferme à cette « lapidation numérique » et à déplacer la peur « du côté des prévenus et non du côté des victimes ».

     

    « La vie de Mila a basculé dans l’incertitude permanente et la crainte physique  ! » s’indigne le représentant du ministère public.

    Il a requis des peines de six mois avec sursis pour les coupables de harcèlement et de menaces de mort, et de trois mois pour ceux qui seront reconnus seulement de harcèlement.

    « Le traitement de l’affaire n’est pas terminé et il y aura d’autres audiences », précise le procureur.

    En octobre 2020, un homme de 23 ans avait déjà été condamné à trois ans de prison, dont dix-huit mois avec sursis, pour des menaces de mort à l’encontre de Mila.

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    Affaire Mila :

    "Je me suis sentie soutenue en tant que victime",

    témoigne la jeune femme, "la justice a tapé là où il faut"

    France Info >>>>>

     


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