• À Trappes, le maire de gauche réélu dès le premier tour

    À Trappes, le maire de gauche réélu dès le premier tour

     

     

    L’élection municipale de Trappes a acté la victoire, dimanche, dès le premier tour, d’Ali Rabeh (Génération.s).

    L’ancien maire, élu à l’été 2020 puis déchu un an plus tard, a recueilli 58,3 % des suffrages.

    Il devance de plus de 20 points la liste d’« union républicaine » qui lui faisait face.

     

    En 2020, il avait dû attendre le second tour pour être élu d’une courte tête (161 voix d’écart).

    Pour la deuxième élection municipale à Trappes en 15 mois, Ali Rabeh (Génération.s) a été largement réélu, dès le premier tour.

    La liste qu’il conduisait a engrangé 58,3 % des voix, contre 34,9 % pour celle menée par Othman Nasrou (Les Républicains), 5,2 % pour la liste du communiste Luc Miserey et 1,54 % pour Patrick Planque (Lutte ouvrière).

    Sur Twitter, Ali Rabeh a dit sa « fierté » de battre « une droite zemmourisée et clientéliste ».

     

    Après un an de bataille judiciaire, l’annulation du scrutin par le Conseil d’État et un mois de campagne tendue, les électeurs trappistes ont choisi de refaire confiance à l’élu proche de Benoît Hamon, soutenu par la quasi-totalité des partis de gauche.

    Fait majeur à noter, rarissime pour une élection partielle : la participation a été plus importante qu’en 2020 (41,6 % des inscrits se sont déplacés).

     

    Le candidat battu, Othman Nasrou (Les Républicains), a « pris acte » du résultat, dans un communiqué cosigné avec ses deux alliés Guy Malandain et Mustapha Larbaoui, mais il a pris soin de ne pas féliciter Ali Rabeh pour sa victoire.

    « Nous n’avons visiblement pas réussi à convaincre qu’une alternative républicaine était possible, ni à bien expliquer le double jeu d’Ali Rabeh ou le danger des méthodes qu’il utilise », ont écrit les trois hommes.

     

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    Médiapart

    Nous republions ci-dessous notre article publié le 9 octobre 2021.

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    Un conseiller régional de droite, un ancien maire socialiste et une figure associative locale sont dans le même bateau. Ce n’est pas le début d’une devinette mais l’improbable alliage qui se présente, à Trappes, face à Ali Rabeh, maire déchu dont l’élection en juin 2020 a été invalidée par le Conseil d’État après un an de mandat. 

    Partout dans les rues de Trappes, c’est à trois qu’ils se montrent sur les affiches. En tête de gondole, Othman Nasrou, vice-président (Les Républicains) de Valérie Pécresse au conseil régional d’Île-de-France et porte-parole de sa précampagne présidentielle. À sa droite (mais il est plutôt de gauche), Mustapha Larbaoui, un pharmacien connu comme le loup blanc, longtemps président du club de football local. Et puis, à sa gauche, le dernier venu. Guy Malandain, maire socialiste de 2001 à 2020. Ancien député, chevènementiste de la belle époque, 84 bougies au compteur (mais il a « la santé », assure-t-il).

    Voir, unis sous la même bannière, l’ancien édile PS et son ex-opposant de droite a surpris les Trappistes. Lors des précédents scrutins, ils se faisaient face au cours de campagnes particulièrement tendues. En 2014, le second s’interrogeait sur « le mandat de trop » de son aîné et lui reprochait de financer discrètement des salles de prière. L’intéressé le qualifiait dans un tract de « jeune homme bien prétentieux » et portait plainte contre lui pour diffamation. 

     

    Les voilà désormais bras dessus bras dessous. Leur alliance, jurent-ils, est bien plus qu’un accord de circonstance politique : c’est un « front républicain ». Face à l’extrême droite ? Non, face à un maire sortant de gauche, ancien socialiste passé à Génération.s dans le sillage de son mentor, l’ancien ministre Benoît Hamon. « Il faut tout faire pour que l’équipe qui était en place ne soit pas renouvelée », a même clamé dans Le Parisien Guy Malandain, dont Ali Rabeh était pourtant un des principaux adjoints.

    Et voilà Ali Rabeh, chef de cabinet ministériel sous Hollande, dépeint en incarnation ultime de l’« islamo-gauchiste ».

    En meeting un soir devant quelques dizaines de supporters, Othman Nasrou, qui n’a pas répondu aux questions de Mediapart (lire notre Boîte noire), dramatise l’enjeu : « Quand on a en face de nous des dérives qui mettent en péril ce qui fonde notre ville, il est de la responsabilité des républicains sincères de s’unir », clame la tête de liste LR. Les dérives en question ne sont pas des moindres : le « clientélisme », le « communautarisme » d’un maire auquel Othman Nasrou reproche de « ne s’adresser qu’à une partie de la ville »

    À Trappes se joue ainsi un de ces refrains qui rythment depuis peu la vie politique française. Voilà Ali Rabeh, pur produit du PS, chef de cabinet ministériel sous le quinquennat Hollande, dépeint en incarnation ultime de l’« islamo-gauchiste ». En juin dernier, la campagne francilienne des élections régionales s’était cristallisée autour de ce nouveau clivage : la « République » face à ses « ennemis », la « gauche du désordre et du communautarisme ». À l’époque, déjà, d’anciens socialistes égarés – Jean-Paul Huchon et Manuel Valls en tête – avaient préféré rejoindre la droite.

    L’« affaire Lemaire », du nom de ce professeur de philosophie prétendument menacé de mort pour avoir dénoncé l’emprise islamiste à Trappes, n’a pas aidé à pacifier le climat local. En février dernier, la commune yvelinoise devient l’épicentre de l’actualité française au gré des interrogations des chaînes d’information en continu : alors, Trappes est-elle définitivement perdue pour la République ? Sur les écrans, c’est le maire contre Lemaire en mondovision.

    Othman Nasrou accuse son rival d’avoir « jeté de l’huile sur le feu » et « mis une cible » sur la tête du professeur. Jean-Michel Fourgous, maire d’Élancourt et puissant président de la communauté d’agglomération qui englobe Trappes, n’est pas en reste. « Rabeh se présente un peu comme le commandant des musulmans, dit-il à l’époque à Mediapart. Il n’a aucune limite, ce garçon. »

    L’élection devient un référendum : pour ou contre Ali Rabeh ?

    Les tacles s’enchaînent avec d’autant plus de vigueur que le match s’intensifie sur le terrain judiciaire. Début février, le tribunal administratif de Versailles annule l’élection municipale, reprochant notamment à Ali Rabeh d’avoir distribué pendant le confinement des masques et des kits pour les enfants avec son association « à des fins de propagande et de promotion personnelle ». Mi-août, le Conseil d’État confirme cette décision mais en infirme une autre : l’inéligibilité d’Ali Rabeh, décidée au printemps par les magistrats de Versailles.

    Le maire est déchu, la ville est gérée pendant plus d’un mois par la préfecture, une nouvelle élection est convoquée. Elle prend la forme d’une revanche, avec ce que cela implique de ressentiment. « La droite locale nous avait habitués à des campagnes sales mais là, c’est exacerbé, dénonce Ali Rabeh, qui y voit la main de Jean-Michel Fourgous. J’incarne la France qu’il déteste. Trappes est une des dernières citadelles de gauche qui lui résiste et il veut absolument la faire tomber. »

    Au marché, à la gare, dans les quartiers pavillonnaires comme au pied des grands ensembles : la campagne est partout, avec ses affiches et ses tracts. Sur les réseaux sociaux, c’est pire. Chaque camp a ses groupes (« Ici c’est Trappes », « Rassemblement pour Trappes »…), mais il arrive que les supporters se croisent au hasard d’un post ; là, les attaques personnelles et les quolibets fusent. La campagne devient un référendum : pour ou contre Ali Rabeh ?

    Au rayon des arguments « contre », il est rarement question de voirie, d’éducation ou de propreté. C’est la personnalité du maire qui est au centre des débats. Ses opposants dénoncent sa « brutalité ». En porte-à-porte, la méthode est simple : « Bonjour, on vient pour les élections. Vous êtes content de ce qu’il se passe ? » Et les attaques, frontales : « Il fait souffrir des êtres humains. » 

    À l’appui, un article au vitriol de Valeurs actuelles dans lequel l’hebdomadaire d’extrême droite suggère qu’Ali Rabeh aurait giflé sa première adjointe, terrorisé des centaines de fonctionnaires municipaux et initié une purge au sein des services territoriaux. Le tout pour favoriser les Marocains, les musulmans (Valeurs actuelles décrit des prières collectives de fonctionnaires) et les habitants de Poissy, sa ville d’origine. Sacré programme.

    L’intéressé, lui, préfère en sourire. « Ali Rabeh est un démon, un voleur, un tricheur, il maltraite les femmes et il augmente les loyers », énumère-t-il. Par-delà les excès, reste une réalité : en un an, quatre élus et quinze cadres ont quitté le navire. Pour un certain nombre en dénonçant la méthode du maire, que son opposant accuse de « brutalité ». « C'est une escroquerie intellectuelle, se défend Ali Rabeh. Évidemment, il y a eu quelques départs dans l'administration comme à chaque alternance politique mais mes opposants ont passé leur campagne à allumer des incendies imaginaires. »

     

     

    Attablé dans un restaurant de l’artère principale de la ville, l’ancien chef de cabinet de Benoît Hamon consent toutefois à une légère introspection. « Je n’ai pas fait assez attention à mon cercle proche, confie-t-il. C’est mon regret. Quand la mer s’est déchaînée, certains ont craqué. La décision de justice a été une douche froide pour moi et un ouragan dans la ville. Là, ç’a été la ruée de tous ceux qui voulaient se venger. »

    Sur son style, en revanche, Ali Rabeh assume. « Je suis obsédé par le fait d’être à la hauteur des attentes des gens, raconte-t-il. Tout ça me rend un peu impatient, je dis souvent aux directeurs que l’importance de l’enjeu doit nous réveiller la nuit. J’ai exigé de mes services qu’ils charbonnent. En un été, on a fait partir des centaines de gamins en vacances, instauré la semaine de quatre jours, mis en place l’heure d’étude pour tous… »

     

    Avec un revers humain de la médaille. « C’est vrai que ç’a déplu à certains, reconnaît-il. Je suis juste et exigeant, parfois un peu rentre-dedans. Mais j’assume mon tempérament parce que je crois sincèrement que Trappes a besoin d’accélérer et de se moderniser. Certains cadres pensaient être intouchables pour les 50 prochaines années. Ce n’est pas ma vision de l’action publique. Je n’ai pas été élu pour ça ! »

    Dans ses tracts, Ali Rabeh ne se prive pas de quelques tacles à ses concurrents et leurs « sales méthodes » mais détaille son bilan et son projet. Création d’une Cité éducative, amélioration des conditions de vie des locataires, rénovation du stade de football de la ville (« On l’attendait depuis tellement longtemps », sourit Ilhame Atillah, vice-présidente du club), le droit à « l’excellence » pour les écoliers de Trappes…

    L’élu veut croire que cela suffira à convaincre des Trappistes forcément un peu troublés par le tintamarre actuel. Beaucoup d’entre eux lui savent gré d’être monté au front pour défendre l’image de leur ville au printemps. Son rêve : une victoire dès le premier tour, ce dimanche. « Mais la droite a toujours eu un socle ici, explique-t-il. Et puis, il y a la clientèle, des “grands frères” de tel ou tel quartier à qui on a fait des promesses. C’est plutôt ça que je crains. »

    Le spectre de l’abstention participe à l’indécision généralisée. « Beaucoup de gens sont déçus de voir deux listes se déchirer et n’iront pas voter, raconte une responsable associative. Forcément, ce qu’on a vu pendant la campagne ne donne pas très envie de s’intéresser à la politique. À tous les coins de rue, il y avait des gens avec des tracts de Nasrou qui expliquaient en criant que Rabeh était le diable. »

    Universitaire reconnu et trappiste de longue date, Rachid Benzine dénonce des « critiques infondées » contre Ali Rabeh, qui fait « un sacré travail ». « En plein débat sur la loi séparatisme, Trappes a été l'incarnation du mal et son maire avec, regrette l'islamologue, chercheur associé au Fonds Paul Ricoeur. Dans les médias, les Trappistes ne sont plus sujets mais compléments d'objets directs ou indirects. On parle d'eux, pour eux, contre eux mais on leur donne rarement la parole. Ils se sont sentis dépossédés de leur ville. »

    Un agent municipal, délégué syndical, n’a pas beaucoup de doutes sur la réélection d’Ali Rabeh mais craint surtout pour la suite : « Tout ça va forcément laisser des traces. On n’avait jamais connu une élection aussi tendue à Trappes. Les attaques contre lui ont été violentes. » Une gêne qui se ressent jusque dans les rangs de la droite. « Je ne partage pas la posture de diabolisation d’Ali Rabeh, souffle Pierre Bédier, influent président (LR) du conseil départemental des Yvelines, pourtant soutien d’Othman Nasrou. Je trouve dangereux ce que certains ont raconté à son sujet. Ce n’est pas ça, la démocratie. »

     

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    Yvelines. Le maire de Trappes réélu

     

    Après avoir vu son élection aux municipales de 2020 annulée, dimanche, Ali Rabeh a retrouvé son poste avec 58,4 % des voix.

     

    « Réélection dès le premier tour, face à une droite zemmourisée et clientéliste. Quelle fierté ! » s’est félicité Ali Rabeh (Génération.s) le 10 octobre.

    Le maire invalidé de Trappes (Yvelines), élu en 2020 mais dont l’élection avait été annulée par le Conseil d’État, a emporté la municipale partielle dès le premier tour, avec 58,4 % des voix.

    Il devance son rival de droite Othman Nasrou (34,9 %), Luc Miserey (5,2 % – encarté PCF, il n’avait pas l’investiture du parti, qui soutient Ali Rabeh), et Patrick Planque (LO, 1,5 %).

    L’abstention reste forte (58,5 %), mais plus faible qu’en 2020 (65,9 %).

     

    L’élection d’Ali Rabeh s’était alors jouée à 161 voix près, avant d’être annulée par la justice. Elle lui reprochait d’avoir fait campagne de manière déguisée en distribuant, en pleine pandémie, 15 000 masques accompagnés pour certains de sa photographie, en se servant de son association Cœurs de Trappes. Des dépenses absentes de ses comptes de campagne.

     

    La victoire de cet ancien directeur de cabinet de Benoît Hamon met en échec la curieuse alliance nouée par son rival Othman Nasrou. Le candidat Libres !, soutenu par Valérie Pécresse, s’est associé au sein d’un « contrat d’union républicaine » avec l’ex-maire PS, Guy Malandain, et Mustapha Larbaoui, figure du club de foot local.

    La campagne s’est tenue dans un contexte tendu, Trappes étant devenue un enjeu de débat national début 2021, après que la droite et l’extrême droite ont accusé la ville d’être tombée entre les mains des islamistes.

    Si l’islam radical est un vrai problème pour Trappes (entre 2014 et 2016, 67 jeunes Trappistes sont partis faire le djihad sous la bannière de Daech), la séquence médiatique a été instrumentalisée et a conduit, en février, à la mise sous protection policière d’Ali Rabeh, qui avait fini par subir des menaces de mort.


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