• 13 Novembre, un procès et un verdict exemplaires

    Attentats du 13 Novembre 2015

    13 Novembre, un procès et un verdict exemplaires

     

    Publié le Jeudi 30 Juin 2022 Kareen Janselme  - L'Humanité >>>>> 

     

    JUSTICE La cour d’assises spéciale a suivi l’essentiel des réquisitions du parquet. Salah Abdeslam a été condamné à la perpétuité incompressible. Un verdict salué par la plupart des parties civiles.


     
     

    « L e verdict est complexe. La réclusion criminelle à perpétuité avec une peine de sûreté­ incompressible dont a écopé Salah Abdeslam est une peine contre laquelle je suis, pour qui que ce soit. Mais elle est inscrite dans la loi et j’ai un grand respect pour les décisions de la cour. Je suis heureux de n’avoir pas à prendre cette décision à sa place. »

    Digne, nuancé,­ Georges Salines a accueilli l’énoncé du verdict du procès historique des attentats du 13 Novembre avec mesure, mais aussi satisfaction.

    Pour le père de Lola, assassinée au Bataclan, et fondateur de l’association de victimes 13onze15, les dix mois de procès, « éprouvants émotionnellement », prennent fin.

    Enfin.

     

    Mercredi soir, la cour d’assises de Paris spécialement constituée a condamné le seul survivant des commandos meurtriers de cette nuit-là à la perpétuité incompressible, la peine la plus lourde prévue par le Code pénal.

    Jusqu’ici, elle n’avait jamais sanctionné un acte terroriste.

     

    Après deux jours et demi de délibération, les cinq magistrats professionnels ont suivi les réquisitions du ministère public, qui avait estimé Salah Abdeslam coauteur des attaques du Stade de France à Saint-Denis, du Bataclan, et des terrasses de l’Est parisien.

     

    Les juges ont statué que les différents lieux des attentats ne constituaient qu’une seule scène de crime ; ils ont reconnu le terroriste français coupable de « meurtres, tentatives de meurtres, séquestration sans libération volontaire avant le 7e  jour et tentatives de meurtres sur personnes dépositaires de l’autorité publique, le tout en bande organisée, en relation avec une entreprise terroriste ».

    Contrairement aux arguments avancés par l’accusé, qui avait affirmé avoir renoncé à activer son gilet d’explosifs, les magistrats ont estimé que celui-ci « n’était pas fonctionnel » et n’ont pas été convaincus par «ses déclarations évolutives » sur ce point, prononcées tout au long de l’audience.

    Bras croisés, le regard noir, Salah Abdeslam est resté impassible.

    Ses avocats n’ont pas tenu à s’exprimer.

     

    « Finissons ce procès comme il s’est déroulé »

    Plus généralement, la cour d’assises spéciale s’est inscrite dans les pas des représentants du Parquet national antiterroriste, en reconnaissant la culpabilité des 19 coaccusés de Salah Abdeslam.

     

    Un seul, Farid Kharkhach, n’a pas été condamné pour association de malfaiteurs terroristes.

    La cour a prononcé contre lui une peine de deux ans d’emprisonnement ferme, pour « association de malfaiteurs en vue de commettre une escroquerie ».

    Après six ans de détention préventive, l’intermédiaire qui avait fourni de faux papiers au commando devait sortir libre.

    Mais la préfecture des Hauts-de-Seine en a décidé autrement, en le plaçant directement en centre de rétention.

    Ce jeudi, le président de l’association de victimes Life for Paris se joignait à son avocate Fanny Vial et aux autres avocats de la défense pour demander sa libération.

    « Finissons ce procès comme il s’est déroulé, avec justice et humanité. Placer en rétention, à sa sortie de prison, un homme qui a purgé plus que sa peine, c’est faire fausse route », estimait Arthur Dénouveaux, rescapé du Bataclan.

     

    Mohamed Abrini, « l’homme au chapeau » des attaques de Bruxelles en 2016, qui avait renoncé au dernier moment à participer aux attentats parisiens, est aussi condamné à perpétuité avec une période de sûreté de vingt-deux ans.

    Le Suédois Osama Krayem, le Tunisien Sofien Ayari et le Belgo-Marocain Mohamed Bakkali ont également été reconnus complices, mais condamnés à trente ans de réclusion, assortis d’une sûreté des deux tiers.

    Quant au Pakistanais Muhammad Usman et à l’Algérien Adel Haddadi, dont les parcours avaient été stoppés à la frontière en raison de papiers défectueux, ils écopent de dix-huit ans de réclusion.

     

    Mais si les réquisitions ont été globalement suivies sur les condamnations lourdes, la cour d’assises spéciale a été plus clémente pour les « petites mains »,

    comme ces amis d’enfance de Salah Abdeslam venus le chercher en voiture pour le ramener en Belgique et lui trouver une planque.

    Les trois accusés, qui comparaissaient libres, ont été condamnés à des peines d’emprisonnement assorties du sursis.

    Ils ne retourneront pas en prison.

    « Dans certains cas, les peines ont été plus légères, moins violentes, notamment pour ceux qui comparaissaient libres », se réjouissait Lynda, une victime, dans la salle des pas perdus du palais de justice.

    Certaines des parties civiles avaient pris l’habitude de parler à ces hommes, créant un lien inattendu tout au long de ce procès hors normes.

    « Je suis allé les voir juste avant le jugement, raconte Cédric, survivant du Bataclan. J’espérais que la cour ne soit pas trop dure avec eux. Quand on discute, on s’aperçoit qu’on n’est pas si différents. Il s’est créé une bulle autour du procès, on se croise avec les avocats, les victimes qu’on ne connaissait pas, et certains accusés. »

     

    « Les peines ont été appliquées avec discernement  »

    Si de nombreux avocats attendent avec impatience de lire les 120 pages du verdict et ses motivations, la plupart estiment l’énoncé rigoureux.

    « Le verdict a été rendu au nom du peuple français, il est essentiel de le dire. Les peines ont été individualisées, de façon échelonnée et non balancées à l’emporte-pièce, et toutes les personnes de nationalité étrangère interdites définitivement de territoire français », s’est félicitée maître Catherine Szwarc, avocate de parties civiles.

     

    « La cour d’assises a pris le temps fondamental d’expliquer le pourquoi de ces condamnations,

    estimait maître Jean Reinhart, avocat de l’association 13onze15.

    Les peines ont été appliquées avec discernement, avec rigueur, après un long raisonnement. »

     

    Mais beaucoup de questions restent en suspens pour José Munoz, le père de Victor, tué au bistrot la Belle Équipe.

    Qui étaient les commanditaires de ces attentats ?

    Pourquoi ces cibles ont-elles été choisies ?

    Y avait-il d’autres attentats en préparation ?

     

    Malgré ce bémol, la majorité des victimes venues en masse ce dernier soir de procès semblaient soulagées, respectées par ce verdict.

    « Je remercie l’institution judiciaire d’avoir montré qu’elle fonctionnait, a conclu Bilal Mokono, blessé dans les attaques du Stade de France et qui se déplace désormais en fauteuil roulant.

    Maintenant, il est important d’élargir nos coopérations à l’international pour éradiquer les personnes fanatiques. »

     

    En fin de soirée, sur les marches du palais de justice, l’air était moins lourd.

    Certains rechignaient même à se quitter.

    Comme une fin de soirée dont on appréhende les suites.

    Malgré un verdict accepté par beaucoup, les lendemains ne seront pas sereins.

    Il reste dix jours aux accusés pour décider s’ils font appel ou non.

    Et tout autant au parquet.

     

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    Ce procès a honoré la justice française


     
    Stéphane Toutlouyan

    55 ans, ex-otage du Bataclan

     

    Avant ce verdict, j’étais très serein, contrairement à beaucoup de parties civiles avec qui j’avais échangé.

    Serein parce que j’ai trouvé que le procès s’est déroulé dans de très bonnes conditions.

    Toutes les parties ont pu s’exprimer, participer à la recherche de la vérité.­

    C’était digne, la justice française a montré qu’elle était au niveau.

    J’étais content aussi de retrouver la communauté des victimes, qui se concrétisait chaque jour dans la salle du palais de justice.

    Certaines ne faisaient pas que se soutenir entre elles, mais ont pu aussi converser, au fil des audiences, avec les accusés qui comparaissaient libres.

     

    Sur le verdict lui-même, j’ai l’impression qu’il est plutôt juste.

    Les avocats de Salah Abdeslam étaient dans leur rôle en contestant à l’avance la peine de perpétuité incompressible, qualifiée de « peine de mort lente », pour leur client qui n’avait, en effet, « tué personne » lui-même.

    Mais sa responsabilité est immense.

    Tuer, il en avait l’intention.

    Et ce n’est pas par humanité qu’il n’a pas déclenché sa ceinture, mais parce qu’elle ne fonctionnait pas.

    Pour les autres accusés, il y a eu une réelle individualisation des peines, c’est positif.

    Et surtout, ce n’était pas mon job de prendre ces décisions, mais celui des juges de la cour d’assises.

    Ils l’ont bien fait.

     

    Au final, le procès a été à la hauteur de nos attentes.

    Les parties civiles ont pu s’exprimer largement.

    Cela a pu favoriser la prise de conscience de certains accusés, même si je n’ai aucun moyen de vérifier la sincérité­ de leurs déclarations.

    Bien sûr, on n’a pas eu les réponses à toutes nos questions :

    Abdeslam devait-il se faire sauter et où ?

    Y avait-il un quatrième commando prévu ?

    La prise d’otages finale dans le Bataclan était-elle préméditée ?

    Ces points-là restent flous, mais ce n’est pas grave.

    La défense a eu la place qu’elle méritait, l’audience était bien organisée, le président a été salué pour son travail.

    Ce n’était pas une parodie de justice, uniquement là pour satisfaire un désir de vengeance.

    Étant donné l’enjeu, la pression, les blessures immenses créées par ces attentats, ce n’était pas forcément gagné.

    Ce fut un beau procès, qui a honoré la justice française.

     

    Maintenant, c’est l’après.

    Ça ne m’angoisse pas du tout.

    C’est le retour à la vie normale.

    Comme d’autres, j’avais plutôt envie que ça se termine pour tourner la page.

    Mais je comprends que, pour certains, cela puisse créer un vide, et qu’ils aient envie de prolonger, d’une manière ou d’une autre, cette communion qu’on a vue à l’audience.

    S’il y a un procès en appel, ce sera une suite logique de ce processus.

    On s’y est préparés, on sait que ça peut arriver.

    Quelle attitude aura alors Salah Abdeslam à cette occasion ?

    Voudra-t-il en dire plus, ou se refermera-t-il, faute d’avoir été entendu en première instance ?

    Il y a encore pas mal d’inconnues.


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