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Ensemble Finistère ! Mouvement pour une alternative de gauche, écologiste et solidaire - Front de Gauche

24 Oct

Viols de Mazan : comment le procès peut renverser les mentalités ?

Publié par Ensemble29

Viols de Mazan :
comment le procès peut renverser les mentalités ?

 

Au-delà de l’écho médiatique, l’affaire des viols de Mazan fait-elle progresser la conscience collective ?

Le procès infuse dans la société, s’immisce dans les discussions, entraîne tribunes et débats.

Pour beaucoup, c’est un moment féministe qui s’impose, une révolution culturelle à amorcer pour repenser les rapports femmes-hommes hors de toute domination.

 

 
Gisèle Pelicot et ses avocats ont pris la décision historique de refuser le huis clos.
 
 

Envoyée spéciale à Avignon (Vaucluse).

« On la disait brisée, c’est une combattante, Gisèle »,

« Huis clos = cachez ces viols qu’on ne veut pas voir »…

Sur les murs d’Avignon, on y colle et on y décolle des messages de soutien, des apostrophes, des accusations.

 

On pourrait presque y suivre de l’extérieur ce procès majeur, sensationnel, commencé le 2 septembre à la cour criminelle départementale du Vaucluse. Pendant quatre mois, 51 hommes y sont jugés pour viols aggravés sur la personne de Gisèle Pelicot, l’épouse de celui qui l’a sédaté, violé à son insu, et a offert son corps à des inconnus recrutés sur Internet pendant dix ans.

Dès l’ouverture du procès, la plaignante a tenu à lever le huis clos, comme le préconisent de nombreuses avocates féministes, dans la droite ligne de Gisèle Halimi. En 1978 à Aix-en-Provence, l’avocate de la cause des femmes avait transformé en procès du viol une affaire considérée au départ comme un « attentat à la pudeur ». Après avoir obtenu le renvoi en cour d’assises, Gisèle Halimi avait milité contre le huis clos, permettant au public et à la presse d’investir le tribunal. Les auteurs seront condamnés et la loi évoluera dès 1980, actant que le viol est un crime. Sa définition est élargie et précisée ; le huis clos devient une prérogative de la victime.

 

La masculinité au cœur du procès

Dans l’affaire des viols de Mazan, les parties civiles ont dû se battre dans un deuxième temps pour que les preuves – les vidéos et photographies des viols –, soient à leur tour diffusées à toutes et tous. Un mois après l’ouverture des audiences, la publicité totale était enfin acquise à l’issue d’un débat animé au sein du prétoire. Cette affaire d’envergure exceptionnelle peut-elle se transformer en un procès du patriarcat ? Débouchera-t-elle sur une nouvelle définition légale du viol, intégrant ou non le principe de consentement ?

Les féministes l’appellent de leurs vœux et se mobilisent depuis début septembre pour faire résonner leur bataille bien au-delà des remparts de la cité des Papes. Au palais de justice d’Avignon, chaque jour, Gisèle Pelicot est applaudie, soutenue par une salle qui ne désemplit pas. Saluée, elle reçoit parfois des bouquets de fleurs, du courrier.

« Venir ici n’est pas du voyeurisme, insiste Édith, 62 ans. Ça met au jour le continuum de violences subies par les femmes. Je suis sûre que ça peut déclencher des choses chez celles qui ont subi cela, peut-être iront-elles porter plainte ensuite. » Venue assister à une journée d’audience, une Parisienne de 28 ans partage ce sentiment : « On ne réalise pas à quel point le consentement n’est pas acquis. Il y a du travail à faire dans les écoles, au collège. »

 

Pour la majorité de ces femmes, la masculinité est au cœur du procès.

Il faut revoir les rapports d’autorité et de domination qui régissent les relations entre hommes et femmes. Au panier, le modèle hégémonique de virilité qui entraîne violence et maltraitance. Éveillé ou endormi, le corps des femmes n’est jamais à disposition. Les mentalités doivent être bousculées, renversées, pour sortir du piège de la masculinité toxique et de la culture du viol.

Dans son livre « Affaires de femmes, une vie à plaider pour elles » (L’Iconoclaste), l’avocate Anne Bouillon appelle à « poursuivre notre révolution culturelle de l’égalité, celle du respect de l’altérité et de l’autonomie du corps des femmes ». Chaque samedi à Paris, le collectif #NousToutes fait retentir une sirène nationale en soutien à Gisèle Pelicot et pour « dénoncer un viol ou tentative de viol toutes les deux minutes trente en France ».

 

« Ce procès devrait faire bouger les lois »

Mais le chamboulement n’est pas encore acquis. On pourrait presque observer l’opposition de deux générations dans la perception des enjeux de ce procès. Depuis le commencement des audiences, une dizaine d’habitués se pressent, peu ou prou, chaque matin pour accéder à la salle réservée au public. Les débats sont retransmis en direct sur un écran géant au cadre fixe. Les accusés n’apparaissent jamais dans le champ. La plaignante se devine parfois au loin. Les experts ou témoins invités à la barre sont observés de dos.

Et pourtant, cette pièce est toujours bondée, le public écœuré se relayant quand les vidéos des violences sont diffusées. Un groupe de personnes anonymes s’est constitué au fil des semaines, se tenant au courant de l’évolution de la procédure. Des individus ou des couples, comme cette quarantenaire qui tient à jour un classeur, avec une fiche par accusé.

 

« Nous venons souvent, nous discutons de l’affaire mais nous ne sommes pas toujours d’accord », analyse cette retraitée qui se lève quotidiennement aux aurores pour venir. « Je pense que ce procès devrait faire bouger les lois, mais je ne suis pas d’accord avec ces associations féministes qui font beaucoup de bruit mais n’assistent pas aux audiences. » Plutôt qu’un problème systémique, elle ne retient que des cas extrêmes, isolés.

« Ces femmes féministes ont un regard méprisant au niveau des hommes, trouve Ludovic, 51 ans. Nous ne sommes pas tous à mettre dans le même sac. » Cet ouvrier d’usine s’organise chaque jour pour suivre le matin ou l’après-midi, en fonction de ses horaires postés. Il vient pour « comprendre le passage à l’acte » : « Avoir vécu un passé traumatisant n’excuse rien. Quand il y a viol, il y a viol. Même lors d’un jeu érotique, il faut qu’il y ait un échange. » Le soir, il relate l’audience à sa femme qui jamais ne l’accompagne. « Elle-même, par son passé, a vécu quelque chose adolescente. Elle sait de quoi elle parle, mais ça ne me regarde pas. » Ludovic assure ne pas venir pour comprendre ce qui peut traverser sa femme, mais il ne rate aucune audience.

L’affaire s’invite même dans les procès en cours

Plus largement, l’affaire Pelicot a infusé dans la société. La première semaine des débats, le sujet s’invitait dans toutes les soirées. « C’était l’affaire Dreyfus dans les dîners », ironise cet homme de 60 ans, homosexuel, qui reste convaincu des « besoins » particuliers des hommes en matière sexuelle et de leur instinct de propriété…

Alix, elle, vient de se désabonner à 32 ans de sa plateforme de rencontres et n’est plus prête à rencontrer quelqu’un. Ingrid en discute régulièrement avec des inconnus comme avec ce chauffeur de taxi. La quinqua a réussi à le convaincre que les 50 coaccusés, en majorité dans le déni, n’étaient pas sous le joug d’un seul homme, Dominique Pelicot, le « mari manipulateur », mais bien responsables de leurs actes.

« Même après lui avoir dit qu’on entendait Gisèle Pelicot ronfler sur les vidéos, il a mis du temps à l’admettre. J’ai dû l’inclure dans l’histoire, le mettre dans la même position, lui dire qu’un homme bien ne faisait pas ça. » Convaincre, militer pour le changement des mentalités, beaucoup se lancent dans la bataille. L’affaire s’invite même dans les procès en cours : l’avocate de Nicolas Bedos y fait référence, une affaire de soumission chimique au sein d’un couple à Toulouse y renvoie automatiquement, les articles évoquant des prévenus pompiers accusés d’agressions sexuelles sur une mineure y font référence…

« C’est un nouveau mouvement #MeToo »

« C’est un nouveau mouvement #MeToo qui peut changer la société française, contre le sexisme qui est présent partout. Ce cas précis est cruel mais il raconte quelque chose de beaucoup plus large sur la masculinité », déchiffre Daniel Steinvorth. Ce journaliste suisse du quotidien « NZZ » n’est pas le seul à l’avoir pressenti. La presse internationale n’a pas manqué le rendez-vous d’Avignon : les États-Uniens du « New York Times », les Espagnols d’« El Mundo », les Britanniques du « Daily Mail », les Allemands, les Belges…

La couverture médiatique est elle-même singulière pour ce genre d’affaires : très féminine, avec une plume investie, positionnée d’un point de vue féministe. Les concepts évoqués sont même rarement remis en question comme la culture du viol ou le consentement. « D’une certaine façon, ce cas qui est absolument monstrueux, terrible et épouvantable, est aussi un moment béni pour la pensée féministe, conclut l’écrivaine québécoise Martine Delvaux. C’est pour ça que Gisèle Pelicot y va tous les jours et se présente à ces femmes qui viennent lui donner leur appui. Je pense que Gisèle Pelicot est très consciente de ce qui se passe en ce moment. C’est un moment féministe et elle y participe. »

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