Quelques remarques sur le texte d'orientation stratégique soumis à l'assemblée représentative de LFI.
Quelques remarques
sur le texte d'orientation stratégique
soumis à l'assemblée représentative de LFI.
Par un Camarade d'Ensemble !
26 novembre 2024
Le « texte d’orientation stratégique » soumis à la discussion de l’assemblée représentative de LFI de décembre prochain donne du grain à moudre à la discussion. Mais s’il comporte de nombreux fils à tirer ouvrant ici ou là des possibilités d’avancées unitaires, sa tonalité d’ensemble est plutôt celle d’une fermeture, comme si du fait de sa position assurément dominante à gauche, cette organisation entendait y adopter une attitude dominatrice.
Avant même de regarder de près ce qu’elle propose, on peut noter comment cette orientation stratégique est surplombée par ce qu’elle ne propose pas, et en un sens exclut : la construction, la consolidation, le développement en dynamique majoritaire du nouveau Front populaire. Ce dernier y est conçu comme une simple alliance électorale, au mieux une NUPES bis, plus ou moins destinée à subir le même sort. La création dans de nombreuses villes et départements de comités ou d’assemblées du Front populaire est totalement en dehors des préoccupations exprimées par ce texte. Elle n’appartient pas à « l’orientation stratégique » qu’il définit. C’est sans doute ainsi à la lumière de ce qu’il ne dit pas que l’on comprendra le mieux la portée de ce qu’il dit.
Il ne s’agit pas ici d’en faire ici une analyse complète ou détaillée. On pourrait bien sûr discuter certains points de l’analyse générale de la situation ou de ce qui a contribué à la faire naître qui y est proposée. Cela est naturel et même sain, d’autant que, s’agissant d’un document interne, il pointe de façon parfaitement compréhensible ce qui concerne surtout LFI, sa place dans le paysage et le rôle qu’elle entend y jouer : on ne saurait le lui reprocher, même si cela a pour effet de laisser dans l’ombre les autres éléments qui la déterminent, et en particulier l’état des luttes idéologiques, sociales et politiques que le rôle majeur de LFI dans la conjoncture n’empêche nullement d’exister en dehors d’elle. Mais d’une façon générale, cette analyse n’est discutable qu’en ce sens qu’elle pourrait permettre une véritable discussion. Ce n’est simplement pas le lieu pour la mener, pointant ici de larges points d’accords, là des nuances, là d’éventuelles divergences elles-mêmes susceptibles d’être débattues, réduites, voire aplanies.
On peut quand même remarquer un tropisme significatif : même si cela est à l’occasion compensé ou infléchi par des remarques marginales ou des formules incidentes, l’ensemble accorde aux questions de la politique institutionnelle, au rôle des élu-e-s (que ce soit à l’intérieur des instances dans lesquelles ils et elles exercent leurs mandats qu’en dehors de ces instances) le rôle essentiel, comme si ces élu-e-s avaient vocation à représenter le mouvement, à s’y identifier, à en constituer la chair même.
Après de premiers éléments d’analyse de la situation, s’ouvre un chapitre intitulé « La France insoumise et le nouveau Front populaire comme alternative ». Ce titre mérite que l’on s’y arrête. S’il faut noter que le Front populaire y est bien inclus dans ce qui est défini comme alternative, c’est l’une de ses composantes qui en est la première expression. L’alternative, en somme, c’est « LFI (et le Front populaire) », plutôt que « le Front populaire dont LFI est un élément déterminant ». Ce titre significatif donne la tonalité du chapitre dans son ensemble : le nouveau Front populaire n’y est mentionné que pour dire que LFI en a été le « fer de lance » et que ses militant-e-s ont été les plus mobilisé-e-s pour en « garantir les victoires ». Chacune de ces deux appréciations mériterait discussion, mais ce qui est clair, c’est que la place du nouveau Front populaire lui-même dans la conjoncture apparaît amplement minoré, d’autant que rien n’est dit du choix de nombreuses organisations (politiques, certes, mais aussi associatives ou syndicales) de lui apporter leur concours, ni de leur place dans la bataille électorale de juin et juillet dernier – ou de celles à venir.
Le bref chapitre « Se tenir prêt à gouverner » est également significatif de cette orientation. Le diable est dans les détails et l’un de ces détails est dans ce titre lui-même : l’absence d’accord du mot « prêt ». Non pas se tenir « prêts », pluriel qui pointerait un rassemblement, une démarche collective, et pas plus se tenir « prête », qui pointerait la France insoumise. « Prêt ». Quant aux rapports entre LFI et le nouveau Front populaire, un autre détail, dans le corps du texte, en dit également long : « la France insoumise réaffirme sa volonté de constituer un gouvernement du Nouveau Front Populaire », plutôt que par exemple « la France insoumise réaffirme sa volonté que le Nouveau Front Populaire constitue un gouvernement ». On ne saurait dire plus clairement que le nouveau Front populaire est conçu de manière instrumentale, et non comme une dynamique politique et sociale, ou même comme une alliance susceptible de prendre des décisions collectives.
Mais il convient ceci étant dit de noter un point extrêmement positif dans ce chapitre : LFI y affirme : « Nous soutenons pour cela la candidature de Lucie Castets pour la fonction de Première ministre et nous regrettons vivement les changements de discours à ce sujet d’autres composantes du Nouveau Front Populaire. Soyons clair·es : il n’existe pas pour nous d’alternative à sa candidature. » On peut regretter que certaines forces du nouveau Front populaire ne soient pas aussi claires sur ce point.
Le chapitre suivant ne reproduit pas dans son titre le choix orthographique du précédent. Il s’intitule « Se tenir prêt-e-s à une présidentielle anticipée » : cela semble désigner les militant-e-s de LFI. Comme on le sait, l’éventualité – et pour tout dire le souhait – qu’une présidentielle anticipée se tienne a brève échéance est inscrite depuis de longs mois dans la stratégie de LFI, et on peut penser que c’est la raison principale de sa campagne pour la destitution du président de la République. Il s’agit pour Jean-Luc Mélenchon de rejouer les matches de 2017 et de 2022, avec l’idée que cette fois, il franchirait la barre du premier tour et serait vainqueur au second.
Quoi qu’il en soit, le texte note : « Compte tenu des délais très contraints pour tenir l’élection, il ne saurait être question de perdre du temps au moment de faire campagne et il faudra assumer le choc politique frontal de notre époque face à l’extrême droite ». Il en vient ensuite, après avoir écarté l’idée d’une « primaire » à cette décision :
« En cas de présidentielle anticipée, notre mouvement assumera sa responsabilité devant l’urgence en désignant une candidature issue de ses rangs. [...] Elle ouvrirait les discussions avec ses partenaires pour aboutir, si possible, à une candidature unique du Nouveau Front Populaire sur la base d’un programme de rupture hors duquel un tel accord n’est pas envisageable. »
La discussion envisagée avec ses partenaires n’arrive donc que dans un second temps : le premier est consacré à la désignation d’une candidature, suivant une procédure interne que le texte explicite, et dont le résultat ne devrait surprendre personne : Jean-Luc Mélenchon a déjà déclaré par ailleurs à des journalistes qu’il s’y préparait. En outre, la simple validation de cette candidature par les partenaires – qui semblent ici être limités aux quatre organisations signataires de l’accord fondateur du nouveau Front populaire – est elle-même soumise à celle d’un « programme » dont LFI se réserve de juger de ce qui en ferait un programme « de rupture ». Ce programme est certes présenté comme étant celui sur lequel les partis de la NUPES s’étaient mis d’accord en 2022, simplement enrichi depuis par LFI seule. Mais comme on le sait, lors du lancement du nouveau Front populaire, c’est un « programme » plus restreint qui avait été adopté – et en réalité, plus que de programmes, ce dont on parle ici est plutôt une feuille de route, comme un contrat de mandature, et ne reprend la totalité des propositions d’aucune force, propositions qu’en toute hypothèse seules les luttes sociales peuvent amener à la réalité. Au demeurant, cette polarisation sur un programme plus ou moins fétichisé est souvent un moyen de faire obstacle aux dynamiques unitaires.
Le chapitre suivant concerne l’éventualité d’élections législatives anticipées. Le texte les envisage a priori sous l’angle de la campagne de LFI : « dès juillet 2025, nous devons pouvoir présenter des candidat·es prêt·es à mener campagne pour gagner une majorité à l’Assemblée nationale. » L’objectif de gagner une majorité est ainsi conçu à travers les seules candidatures LFI. Il est envisagé un genre de gel du partage des circonscriptions réalisé lors du dernier scrutin, et la désignation de candidat-e-s dans ces circonscriptions (à l’exception de celles des sortant-e-s dont on comprend qu’ils et elles seraient automatiquement reconduit-e-s), mais aussi la désignation de candidat-e-s potentiel-le-s dans les autres circonscriptions : il s’agit donc de se préparer à l’hypothèse d’une rupture du Front populaire, sans rien dire de ce qu’il faudrait faire pour éviter cette rupture : sont évoquées à l’appui de cette hypothèse les préoccupantes déclarations de Fabien Roussel relatives au maintien de l’alliance lors de prochaines élections législatives. Là encore, toute idée de discussion en amont avec les « partenaires », et a fortiori avec les dizaines d’organisations parties prenantes d’une manière ou d’une autre du nouveau Front populaire est écartée. Dans la mesure où les accords de juin ont pu être négociés en quelques jours à peine, il y aurait pourtant le temps de renforcer l’union d’ici là, et de trancher le cas échéant les questions litigieuses – d’autant qu’on a vu, lors de l’élection partielle de Grenoble, comment le diktat de LFI a empêché que se réalise l’opportunité d’une candidature de Lucie Castets : cette circonscription ayant été « attribuée » à LFI, il était exigé qu’en cas d’élection, Lucie Castets siège dans le groupe parlementaire de cette organisation. Cette demande d’allégeance est bien dans la logique de la conception de l’union qui parcourt le texte ici commenté.
Le chapitre suivant, le plus long, traite ainsi que le suivant de la question des élections municipales qui se dérouleront en 2026 : «ce rendez-vous doit marquer une nouvelle étape du développement de notre mouvement. » Pour expliquer l’état d’esprit dans lequel LFI entend se lancer dans cette bataille, il est précisé : « La mobilisation populaire nous a placés en tête dans un grand nombre de communes. » La référence est celle des résultats des élections européennes, ce qui a sa logique, puisqu’il s’agit du dernier scrutin dans lequel les partis de gauche se présentaient séparément. On pourrait ironiser sur l’idée que le scrutin est présenté comme « la mobilisation populaire » : cela donne une idée à tout le moins restreinte de la signification donnée à cette expression.
C’est quoi qu’il en soit « sur ces bases » (celles des résultat des élections européennes) que LFI se donne « l’objectif de conquérir des mairies et des présidences d’exécutifs locaux ». On comprend bien qu’il faille un critère pour fixer cet objectif, mais chacun sait que d’une part, l’influence politique d’une organisation ou d’un courant ne peut se résumer à son influence électorale, que cette dernière peut varier, non seulement dans le temps mais aussi avec la nature du scrutin, dont les enjeux peuvent être fort différents, de même que leur personnalisation, que la prise en compte du taux d’abstention (sur lequel le texte insiste par ailleurs à juste titre) introduit un biais, que les mécanismes électoraux, avec le jeu du « vote utile », en introduisent un autre, et que l’on ne compte plus les cas où les élections municipales donnent localement des résultats spécifiques, distincts voire éloignés des résultats aux élections nationales, et a fortiori européennes. La manière dont les consciences évoluent, parfois très vite, à l’occasion des mouvements de luttes populaires est par ailleurs court-circuitée. Le critère choisi, en somme, souffre de bien des défauts – mais il est sans doute difficile de définir un critère qui n’en ait pas. En toute hypothèse, là encore, rien ne peut remplacer les analyses locales et surtout les discussions locales entre partenaires, mettant en évidence les singularités de chaque situation. La position de principe adoptée est résumée par le mot d’ordre : « Nous appelons largement les insoumis·es à se porter candidat·es aux élections municipales afin de permettre une présence dans un maximum de communes. » Ce mot d’ordre est complété par l’affirmation : « Pour atteindre ces objectifs, nous invitons les insoumis·es à réunir les conditions permettant de constituer des listes insoumises dans le plus grand nombre possible de communes. » L’orientation est donc très claire, il s’agit de monter des « listes insoumises » et non de s’inscrire dans des dynamiques unitaires en associant les partenaires à la construction de listes aux municipales : les GA de LFI ne sont pas invités « à réunir les conditions permettant de constituer des listes unitaires dans le plus grand nombre possible de communes. » Au contraire.
Il cependant est à noter que cette orientation n’est pas pour autant conçue comme devant être mise en œuvre en vase clos. Le contraire est même expressément préconisé : cette mise en œuvre doit se faire « en s’appuyant sur et en encourageant des collectifs et luttes locales, dans les quartiers populaires, la jeunesse, comme partout où les secteurs populaires se mobilisent pour défendre leurs revendications sociales, écologistes, démocratiques. » C’est là une orientation qui semble parfaitement juste, mais qui est hélas envisagée sans pointer la nécessité, dans ces mêmes luttes populaires, de faire grandir l’exigence d’unité, de construire à la base le nouveau Front populaire plutôt que d’y voir un moyen de renforcer l’une de ses composantes.
Cela dit, l’impératif unitaire est manifeste lorsqu’il s’agit de gagner. Le texte de LFI ne l’écarte pas. Il précise au contraire : « Nous proposerons un accord national à nos partenaires du Nouveau Front Populaire. » Les modalités, les formes et conditions de cette proposition ne sont toutefois pas autrement précisées, pas plus que la manière dont il est possible de la faire aboutir. Mais tout un développement est consacré à l’hypothèse, manifestement privilégiée, où elle n’aboutirait précisément pas : « Dans le cas où celui-ci n’aboutirait pas, nous travaillerons là où c’est possible à des accords locaux ou départementaux avec une ou plusieurs composantes du NFP. Dans certaines communes, cela pourra conduire à la constitution de listes communes dès le premier tour avec une ou plusieurs composantes du Nouveau Front Populaire. » Une annexe donne une idée des exigences qui seraient alors mises en avant pour faire échouer les perspectives unitaires. Dès lors, la dénonciation de ceux qui « s’inscrivent dans la lignée de la démarche de rupture avec le NFP » résonne de façon presque ironique. Il est certain que des tentations existent au sein d’organisations du Front populaire de s’en éloigner, mais ce n’est pas en en prenant acte et en s’y résignant que l’on y fera face ; c’est en poursuivant activement et de bonne foi le combat pour l’union : une union de forces par définition différentes, poursuivant légitimement leurs propres objectifs, mais qui n’en est pas moins nécessaire, et ne peut pas passer par l’alignement des unes sur les autres, fussent-elles en situation dominante, que ce soit nationalement ou localement.