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Ensemble Finistère ! Mouvement pour une alternative de gauche, écologiste et solidaire - Front de Gauche

04 Jul

Législatives 2024 : à Carhaix, la fermeture des urgences catalyse les colères

Publié par Ensemble29

Législatives 2024 :
à Carhaix,
la fermeture des urgences catalyse les colères

 

Alors que le RN a opéré une percée inédite en Bretagne Centre, les bons résultats obtenus par la députée sortante NFP vont de pair avec l’urgence de maintenir les services publics dans la zone.

Carhaix-Plouguer (Finistère), Rostrenen (Côtes-d’Armor), envoyée spéciale.

La catapulte en bois, emblème de la résistance pour l’hôpital public, pourrait bien devenir celui de la lutte contre l’extrême droite. Alors que les urgences du centre hospitalier de Carhaix (Finistère) sont régulées 24 heures sur 24 heures via le 15 depuis plusieurs mois, par manque de médecins, l’engin, symbole de la bataille victorieuse pour la maternité en 2008, a repris du service dans les cortèges.

Cette mobilisation pour exiger la réouverture totale du service a été percutée par le score du Rassemblement national (RN) aux européennes, 30,05 %, puis 32,12 % au premier tour des législatives, inédit dans cette ville ancrée à gauche.

Arrivée en tête, dimanche, dans la 6e circonscription du Finistère, avec 37,88 % des voix, la députée sortante pour le Nouveau Front populaire (NFP), Mélanie Thomin, a recueilli pas moins de 41,92 % des suffrages à Carhaix. Si le candidat d’Ensemble s’est désisté à son profit, elle ne crie pas victoire trop vite. « Il y a eu un choc électoral. Ce qui m’inquiète, c’est que je fais face à Patrick Le Fur, un candidat RN sans visage, qui n’a pas fait campagne sur le terrain. Il y a une forme de tromperie pour l’électorat qui ne verra pas ses intérêts défendus à l’Assemblée nationale. »

« Je ne suis pas raciste, j’aime bien manger au kebab »

Depuis le 10 juin, la socialiste multiplie les apéros citoyens à la rencontre des habitants du centre ouest de la Bretagne avec ses soutiens communistes, régionalistes, écologistes, FI… « Ce qui a conduit les gens à voter RN, c’est un sentiment d’abandon, notamment face à la casse des services publics, analyse-t-elle. Nous avons, certes, réussi à sauver plusieurs classes en école primaire. Mais un médecin généraliste est sur le départ à Carhaix. Nous aurions besoin de plus de gendarmerie de proximité. Il faut pouvoir vivre en ruralité et que les services de l’État arrêtent de prendre l’argument de la baisse démographique pour les supprimer. »

Élue face à Richard Ferrand en 2022, poids lourd déchu de la Macronie, la quadragénaire qui ferraille pour la sauvegarde de l’hôpital, point névralgique des luttes dans la commune de 8 000 âmes et bien au-delà, note que cette revendication est devenue « incontournable sur les tracts de tous les partis politiques. Même s’il faut rappeler que, lors de l’examen du projet de loi transpartisan sur les déserts médicaux, le RN avait voté contre la régulation de l’installation des médecins »…

Comme le souligne Ismaël Dupont, secrétaire de la section PCF du Finistère : « Seule une majorité NFP permettrait enfin de réinventer le financement de l’hôpital public. » Savourant un demi de bière en terrasse d’un café, Denis, 63 ans, ne partage pas cette vision.

S’il est, « comme tout le monde », « préoccupé » par la difficulté d’accès aux soins, cela ne l’a pas empêché de glisser dans l’urne, « plutôt deux fois qu’une », un bulletin pour le parti de Marine Le Pen. Qu’importe si l’ex-FN a prévu de sabrer dans les dépenses, donc de réduire la présence des services publics ? « Ce n’est pas pareil, tranche-t-il. Je vote pour eux à cause de l’insécurité et de l’immigration, surtout des Roumains. Il y a eu des agressions du côté de la gare. Mais je ne suis pas raciste, j’aime bien manger au kebab », explique ce retraité de l’agroalimentaire qui penchait à gauche auparavant.

Si un protocole signé en octobre 2023, notamment par la direction du CHRU Brest-Carhaix, s’engageait à rouvrir complètement les urgences, rien n’a bougé malgré les mobilisations des élus, des syndicats, des associations. Les histoires alarmistes se succèdent.

« Un monsieur qui ne sentait plus sa main a appelé le 15, on lui a dit d’aller à Quimper (à 1 heure de voiture). Un collègue a pu l’amener. On a ensuite appris qu’il avait fait un AVC », raconte Annie Le Guen, coprésidente du comité de défense. Sa tente, installée face à l’accueil du CH, est devenue le réceptacle de toutes les inquiétudes. « On sait que des usagers ne se font plus soigner. De peur d’être ballottés, ils restent chez eux. Comme on paie des impôts, on aimerait bien avoir les mêmes droits que tout le monde ! »

Plus qu’un seul service de proximité

Pour les 80 000 habitants de cette zone rurale aux confins du Finistère, des Côtes-d’Armor et du Morbihan, répartis sur 78 communes, il n’y a pas d’autre alternative. Le moindre service d’urgences est à au moins une heure de route. Pouvoir se soigner est donc une question de survie. « Nous n’avons pas de médecins spécialistes ici, sauf quelques-uns à l’hôpital. Nous avons demandé aux candidats aux législatives s’ils comptaient respecter le protocole signé. Le candidat du RN nous a répondu à côté de la plaque en disant qu’il fallait avant tout développer l’attractivité du territoire pour les entreprises. Le retour le plus satisfaisant a été celui de Mélanie Thomin », constate-t-elle.

Dans le cœur de Carhaix, où sont disséminées des statues des Bretons illustres, comme Louison Bobet, trône encore un bureau de poste de plein exercice. « Mais nous n’avons pas réussi à empêcher le départ du Trésor public, il ne reste plus qu’un service de proximité sur place, » pointe le médiatique maire régionaliste divers gauche, Christian Troadec, précisant que « 40 % de la population ont plus de 65 ans ».

Un panneau « Karaez Rezistañs » (Carhaix résistance en breton en référence à l’hôpital – NDLR) est accroché à un balcon fleuri de la mairie. « Vu notre situation géographique, nous avons obligation d’être dans la défense de notre identité bretonne solidaire, pointe l’édile qui soutient la candidate NFP. Nous avons plus de 250 associations dans la ville. Pour moi, le niveau de vote RN est un bras d’honneur à la classe politique parisienne. Les gens souffrent que leurs problèmes soient niés. »

Depuis le temps de la cité gallo-romaine, alors baptisée Vorgium, combattre est dans l’ADN armoricain. Dans cette contrée, le mouvement des gilets jaunes avait rencontré un certain écho et, avant lui, celui des bonnets rouges, mouvement protéiforme de révolte.

En perpétuelle bataille pour sauver les services publics

En 2014, la fermeture de l’usine de saumon fumé, Marine Harvest (450 emplois) ou encore celle des abattoirs Gad (889 postes supprimés), quelques mois plus tôt, qualifiés « d’illettrés » par Emmanuel Macron alors ministre de l’Économie, avaient laissé de profondes cicatrices.

Alors que les salaires sont parmi les plus bas de Bretagne, la précarité n’a cessé de grimper. « Mille personnes sont venues nous voir en 2023, c’est énorme ! souligne Claudine Laporte, responsable du Secours populaire français. Certaines ont en moyenne un euro par jour pour vivre. Contrairement à ce que je peux entendre, ce ne sont pas des étrangers. »

À vingt minutes en voiture, dans le département voisin des Côtes-d’Armor, l’édile de Rostrenen (Côtes-d’Armor), Guillaume Robic, a l’impression de batailler en permanence pour garder les services publics dans sa commune de plus de 3 000 habitants. « Pourtant, 150 personnes s’installent chaque année… Nous avons réussi à faire venir trois généralistes, qui sont déjà débordés. Nous pâtissons du ralentissement de l’activité à l’hôpital de Carhaix, alors qu’on se réjouissait qu’ils aient augmenté, notamment, le nombre de fauteuils de dentistes. »

« Comment peut-on être aussi nul ? La société était en rémission depuis le Covid. Les gens ont besoin de se sentir en sûreté. »

Sur cette terre où la mobilisation contre la réforme des retraites avait été forte, la politique macroniste est jugée incompréhensible : « Comment peut-on être aussi nul ? La société était en rémission depuis le Covid. Les gens ont besoin de se sentir en sûreté. Là, ils ont peur de tomber malades, faute de soignants. On a vu certains concitoyens basculer, observe-t-il. En ce qui me concerne, j’ai l’impression de faire campagne toute l’année contre le RN. Répondre aux attentes, c’est ça qui nous permet de « décrocher « leurs électeurs. Nous devrions laisser aux territoires la capacité de décider pour ne pas entretenir ce sentiment de dépossession. »

En mai juin, la dizaine de gardes à vue qui s’est abattue sur les défenseurs de l’hôpital – blouses blanches, syndicalistes et associatifs –, pour séquestration et violence en réunion, a achevé de plomber le climat. Cette criminalisation de la lutte à la suite de l’occupation de l’ARS à Quimper, le 14 septembre 2023, a suscité l’émoi. « Je suis détruite psychologiquement, résume Stéphanie, aide-soignante mise en garde à vue le 14 mai. Ça fait vingt-cinq ans que je travaille dans cet établissement. Je veux le protéger. On passe notre vie à se sacrifier : pourquoi nous ? »

À chaque convocation au commissariat, se tiennent des manifestations de soutien. « Avant même cet épisode, j’ai failli tout arrêter, confie Françoise, aide-soignante et élue CGT. Mais je vais me battre. Car, tant que les urgences seront régulées, l’activité continuera de diminuer dangereusement dans tous les services. » Dans cette période tendue, d’autres lignes rouges ont été franchies. La semaine dernière, des clous ont été déposés devant l’union locale CGT.

« Certains se sentent un peu trop libérés », euphémise Bernard Bloyet, animateur du syndicat, en faisant écouter un message sur le répondeur où un homme éructe : « On crache sur les communistes ! » ou encore « Bande de chiens ! » « Ça fait deux ou trois ans qu’il y a une recrudescence de ce type d’actes, déplore-t-il. Face à l’extrême droite, il faut informer sans relâche la population. »

 

Dans la dernière ligne droite des législatives, les forces progressives quadrillent donc le terrain. « On voit que la gauche gagne quand elle est active et unie, comme c’est le cas autour du centre hospitalier. Il n’y a pas 30 % de fascistes ici. La colère est juste mal dirigée », assure Matthieu Guillemot, copropriétaire du restaurant Les Bonnets rouges et porte-parole du comité de vigilance de l’hôpital, à fond dans la campagne.

 

En mars 2023, 10 000 personnes avaient manifesté contre les menaces pesant sur la maternité. L’élan n’est jamais retombé. « Cela fait un an qu’on nous prend aussi pour des jambons concernant les urgences. C’est un combat intime qu’on mène avec nos tripes. L’importance de l’intérêt commun est trop forte », s’émeut celui qui vit dans sa cité d’irréductibles Gaulois depuis quarante-huit ans. Avant de rappeler : « Niveau immigration, il y a surtout des Anglais, qui nous permettent de remplir nos classes. Ici, c’est une terre d’accueil. Bolloré devrait être » débretonnisé « à cause de ses idées. On ne se laissera pas retourner comme des crêpes. »

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