A Villejuif, les gauches rassemblées veulent «arrêter de faire les clowns»
Réunis ce week-end sous le patronage de Génération·s, à Villejuif, une dizaine de représentants de la gauche ont appelé au rassemblement en vue de la prochaine présidentielle.
Fini l’incantation, place aux actes, ont-ils seriné.
Sans toutefois entériner d’action commune.
Neuf représentants de la gauche et des écologistes qui parlent d’union sur une estrade. Ces derniers mois, la photo de famille (décomposée) a déjà été vue maintes fois : sous le chapiteau du cirque Romanès en juin, à La Charité-sur-Loire en juillet, à Toulouse en août, à la Fête de l’Huma en septembre…
Ce dimanche 29 septembre, c’est cette fois à Villejuif, lors des « journées de rentrée » de Génération·s, que ceux qui se ressemblent se sont rassemblés.
Sous les hauts plafonds d’une salle d’événementiel, le mouvement de Benoît Hamon a réussi, le temps d’un week-end, son ambition ratée des européennes : devenir un carrefour pour une gauche atomisée.
Fini les petites phrases assassines et les regards en chiens de faïence.
La séquence de la présidentielle et des législatives, où les gauches étaient parties concurrentes, et plus encore celle des élections européennes où les six formations en lice se sont retrouvées, pour la moitié d’entre elles, sans aucun député européen, ont laissé des traces.
En cette rentrée, la gauche et les écologistes semblaient s’être rendus à l’évidence : s’il n’est pas sûr que l’union fasse la force, au moins sait-on désormais que la désunion conduit aux raclées électorales.
Dans la salle, il y avait de l’espoir, et sept cents militants de Génération·s (selon les organisateurs) qui avaient fait le déplacement dans le Val-de-Marne.
L’eurodéputée insoumise Manon Aubry, venue faire un débat ce dimanche matin, est elle aussi restée dans le public pour le gros morceau politique du week-end.
Une grande plénière au titre aussi lucide que provocateur : « 2022 : a-t-on déjà perdu ? »
Sur la scène, à la gauche d’Edwy Plenel, directeur de Mediapart qui avait accepté d’animer le débat , on trouvait dans l’ordre : Clémentine Autain (La France insoumise), Olivier Besancenot (NPA), Marie-Noëlle Lienemann (Gauche républicaine et socialiste), Guillaume Balas (Génération·s), Corinne Narassiguin (PS), Ian Brossat (PCF), Virginie Rozière (Radicaux), Raphaël Glucksmann (Place publique) et Marie Toussaint (Europe Écologie-Les Verts).
Un joli plateau où manquaient les deux frères ennemis de la présidentielle de 2017 : Benoît Hamon – qui a fait un petit tour surprise en haut de jogging et barbe de trois jours la veille –, et Jean-Luc Mélenchon, dont l’ombre planait tout de même sur les échanges…
À la tribune, Olivier Besancenot et Clémentine Autain ont fait décoller l’applaudimètre. Raphaël Glucksmann et Corinne Narassiguin ont été accueillis par quelques huées d’un public qui s’est fait morigéner par le gentil organisateur, Guillaume Balas : « J’ai honte de ces sifflets. Qui sommes-nous pour juger ? »
Puis la discussion a commencé, plutôt vivante, plutôt franche.
Comme si l’absence de « présidentiable » permettait que la parole se libère.
On a évoqué Jaurès, la Ve République, les « gilets jaunes », les marches climat.
On s’est horrifié de la retransmission, en direct sur LCI, du meeting de l’extrême droite, ce week-end.
On s’est inquiété de la montée des « démocraties autoritaires » dans le monde.
On s’est interrogé, enfin, sur la perspective d’écrire, ensemble, un nouveau programme commun, ou, à défaut, de mettre sur la table quelques idées fortes – à commencer par les services publics.
Clémentine Autain, qui avait lancé l’idée d’un « big-bang » à gauche après l’échec des européennes, a appelé à arrêter de « ressasser » et à « abaisser les murs pour qu’on apprenne à faire ensemble », sur le climat, les retraites ou l’immigration.
Olivier Besancenot a ironisé : « On va bientôt avoir plus de candidats pour 2022 que de militants dans nos rangs. Oui, on va perdre 2022 tant qu’on ne va penser qu’à 2022. »
Corinne Narassiguin, du PS, a reconnu que « la course de petits chevaux [de la présidentielle], c’est ce qui nous a conduits à notre perte ».
Marie-Noëlle Lienemann a repris le vocabulaire mélenchoniste d’un « nouveau Front populaire », proposant l’organisation d’« une grande université militante populaire » pour commencer la « reconquête idéologique ».
Le communiste Ian Brossat a appelé à dépasser les « incantations » au rassemblement en trois travaux pratiques : la riposte commune à la politique du gouvernement, l’élaboration d’un programme partagé, et le rassemblement électoral aux prochaines municipales.
Virginie Rozière a intimé au respect mutuel entre les formations.
Raphaël Glucksmann a averti : « Il faut qu’on arrête de faire les clowns ; on est dans une situation tragique. »
L’eurodéputée EELV Marie Toussaint a été la plus prudente sur l’avenir, préférant revenir à Greta Thunberg et aux fractures à gauche sur la question du productivisme, que de se mettre en porte à faux avec la ligne « autonomiste » qui a plutôt réussi à son parti aux dernières élections européennes.
Alors que le PS a ressorti de sa manche Bernard Cazeneuve, que La France insoumise n’a pas encore abandonné l’hypothèse « Mélenchon 2022 », et que les Verts ne renieraient pas une candidature de Yannick Jadot, tout le monde s’est accordé sur « l’introuvable » homme ou femme providentiel(le).
Devant les militants ragaillardis, Guillaume Balas a conclu en assurant envisager avec sérieux toutes les propositions faites ce dimanche, notamment celle de l’université populaire.
Mais où, quand, comment ?
Tout le monde est reparti de son côté, sans rien graver dans le marbre.
« On est entrés dans la phase de l’archipel », glissait Dominique Bertinotti, l’ancienne ministre de la famille du gouvernement Ayrault devenue porte-parole de Génération·s.
Mais avant la possibilité d’une seule île, il y a encore beaucoup d'eau en travers du chemin.