• Union européenne. Sans changer son fusil d’épaule, la BCE sort l’artillerie lourde

    Vendredi, 5 Juin, 2020

    Union européenne.

    Sans changer son fusil d’épaule, l

    a BCE sort l’artillerie lourde

     

    Le grand argentier européen allonge 600 milliards d’euros de plus que prévu. Ce qui porte son programme de rachat de dette des États et des multinationales à 1 350 milliards au total. Mais il laisse aux marchés leur prépondérance absolue.

     

    L’ombre de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe plane sur le siège de la Banque centrale européenne (BCE) de Francfort. Après que, début mai, dans une décision choc, le tribunal suprême allemand a réclamé de la Bundesbank, la banque centrale allemande, qu’elle fournisse des documents sur le caractère « approprié » des mesures de rachat d’obligations décidées par la BCE, Christine Lagarde, la présidente de l’institution monétaire de la zone euro, a dû le répéter une dizaine de fois, jeudi après-midi, à l’issue d’un conseil des gouverneurs particulièrement attendu : selon elle, sa réponse à la crise économique provoquée par la pandémie du Covid-19 est « proportionnée », elle s’avère « efficace », elle est « débattue, discutée et approuvée » par le Conseil des gouverneurs, elle a été « validée » par sa juridiction de référence et elle a un « excellent rapport coûts-bénéfices ». Pour Lagarde, le jugement de Karlsruhe ne concerne donc que l’Allemagne, et elle dit avoir bon espoir de voir une solution émerger : il faudra, insiste-t-elle, que cette solution respecte « l’indépendance » de la BCE, la « primauté » de la loi de l’Union européenne et de la Cour européenne de justice.

     

    Tout en adressant ces pieds de nez aux juges constitutionnels allemands, bien imprégnés des conceptions les plus opposées à l’idée même de solidarité au sein de l’Europe, la BCE gonfle encore les montants de ces interventions dites « non conventionnelles », dans la novlangue de Francfort, pour venir en aide aux États les plus durement touchés par le nouveau coronavirus. Elle le fait, sans chercher à se donner un rôle nouveau autrement plus décisif qui passerait par des prêts directs aux États membres pour le financement des services publics et des biens communs : le grand argentier européen reste englué dans son monétarisme, où les marchés financiers font virevolter la matraque pour sanctionner les pays désireux de sortir du carcan… Au total, ce sont désormais 1 350 milliards d’euros que la BCE met sur la table pour son programme de rachat de bons du Trésor des pays de la zone euro et des multinationales privées : en injectant 600 milliards d’euros de plus, elle double quasiment le montant initial fixé dès la mi-mars. Dans le même geste, elle repousse d’ores et déjà la fin du dispositif à juin 2021, initialement fixée à la fin de cette année.

     

    En deux mois, la BCE a déjà déversé plus de 235 milliards d’euros

     

    Ces nouvelles mesures exceptionnelles, Christine Lagarde les justifie par l’ampleur de la récession en cours. Décrivant la « chute brutale de l’activité économique du fait de la pandémie et des mesures prises pour la contenir », la patronne de la BCE s’attend à une baisse de 8,7 % du PIB de la zone euro en 2020, avant un rebond de 5,2 % en 2021 et de 3,3 % en 2022. Mais, selon la Française, ces projections plus optimistes s’accompagnent d’une « incertitude exceptionnelle » : il est plus probable, avertit-elle, de basculer vers un scénario encore plus sombre, plutôt que d’être positivement surpris.

     

    En deux mois, dans le détail de ce programme d’achats d’urgence lié à la pandémie (PEPP), la BCE a déjà déversé plus de 235 milliards d’euros, dont une bonne part (186 milliards) a servi à acheter des titres de dette publique des États. En théorie, l’institution financière, qui détient déjà près de 20 % des dettes des États européens, peut choisir de cibler ses aides sur les pays les plus en difficulté, mais, à l’exception du cas de l’Italie qui bénéficie d’une intervention pour 37,3 milliards d’euros, ça n’est pas forcément patent jusqu’ici : avec 46,8 milliards d’euros, l’Allemagne se taille la part du lion, devant la France (23,6 milliards), l’Espagne (22,4 milliards) et les Pays-Bas (10,4 milliards). Parmi ses autres champs d’intervention, le rachat des titres de dette des multinationales pose tout autant de questions : sur les deux derniers mois, la BCE a financé directement de très grandes entreprises comme LVMH, Total, Sanofi et de nombreuses autres (lire notre édition du 14 mai) pour un montant total de 11 milliards d’euros. Tout cela se fait sous prétexte d’injecter des liquidités dans l’économie globale et de faire baisser les taux d’intérêt, mais, là encore, ce sont les capitalisations boursières des multinationales et les marchés financiers en général qui risquent de sortir renforcés…

     

    Thomas Lemahieu
     
     
    Lagarde fait la sourde oreille

    Avant la réunion des gouverneurs, 45 ONG européennes avaient ensemble réclamé que la BCE cesse ses rachats d’obligations de multinationales liées aux énergies fossiles. Selon Greenpeace, ces achats lui auraient déjà apporté 7,6 milliards d’euros depuis mars. « Cette position n’est plus tenable, nous savons désormais que la BCE n’est pas neutre mais finance le dérèglement climatique », dénonce Paul Schreiber (Reclaim Finance).


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