Il ne rend pas la justice, mais a tout l’air d’un sage.

Assis sous son arbre, dans le jardin d’un café au cœur de Paris, Louis IX tourne son écran d’ordinateur, et lance en guise de bienvenue : « Elle est plutôt propre, l’application de l’Humanité  ! »

Car Exodus Privacy, l’association dont il est l’actuel président, s’affaire à traquer les traceurs publicitaires et les privilèges que s’octroient certains programmes dans nos smartphones. Comme ses collègues, il tient à être appelé par son pseudo. Le sien vient de Saint-Louis, dont la biographie de l’historien Jacques Le Goff est un véritable coup de cœur.

« Cela demande beaucoup de moyens techniques »

Les applications scrutées sont celles disponibles gratuitement sur Android. « Apple a plus d’avocats que de développeurs, donc on ne s’y est pas frottés », justifie-t-il. Les yeux sur l’application du journal, Louis tique tout de même sur le fait qu’elle se permette d’écrire dans la mémoire du téléphone.

Mais comme elle propose de télécharger la liseuse du journal pour pouvoir lire sans être connecté à Internet, le voilà rassuré : « Cela me semble plutôt légitime, j’ai déjà vu à l’inverse des applications de lampe torche demander à avoir accès à mon carnet d’adresses ou à ma géolocalisation ! »

Sur son écran d’ordinateur est affichée la plateforme d’Exodus Privacy. C’est la vitrine de l’association, et elle est accessible à tous : on y entre le nom d’une application, et l’ensemble des pisteurs publicitaires qui y sont cachés apparaissent.

Lorsque le programme s’octroie des accès potentiellement dangereux, ils sont indiqués d’un point d’exclamation rouge. « On passe des soirées à mettre à jour cette base de données de traceurs. On regarde aussi parfois le trafic sortant de certaines applications : voir quelles données elles envoient, à quelle fréquence… Cela demande beaucoup de moyens techniques, mais c’est de cette manière que nous avons vu que l’application Météo France, par exemple, demandait notre géolocalisation chaque minute », assure Louis.

Difficile d’imaginer

que le traceur se cache dans une application météo

L’appli d’un service public serait ainsi problématique ? Le président de l’association pianote Météo France dans la plateforme et débusque pas moins de 11 pisteurs publicitaires : les géants Facebook, Amazon, Google, mais aussi le français Criteo. « Face à la baisse des subsides de l’État, ils avaient sûrement besoin de moyens, soupire l’informaticien. Et puis, parfois, les développeurs doivent travailler tellement vite et avec si peu de moyens qu’ils utilisent des blocs de codes déjà prêts, dans lesquels se cachent des pisteurs. »

Ces petits espions collectent un maximum d’informations, qui sont ensuite assemblées par des data brokers, des genres de grossistes en données. Ceux-ci dressent des profils le plus précis possible des utilisateurs, qu’ils revendent à des annonceurs selon leurs besoins. Facebook dispose ainsi de profils d’utilisateurs qui n’ont jamais créé de compte sur ses réseaux sociaux.

La valeur des informations grappillées dépend du moment. « Par exemple, juste après les confinements, les profils de consommateurs qui n’avaient pas peur de sortir et de voyager se vendaient cher », illustre Louis. Difficile a priori d’imaginer que le traceur, qui permet à une marque de vous envoyer une offre publicitaire par SMS lorsque vous passez à côté d’une de ses boutiques, se cache dans une application météo ou de suivi de grossesse.

« La vie scolaire d’une génération numériquement consignée par une entreprise privée »

C’est pour cela qu’Exodus Privacy organise des ateliers de sensibilisation pour qui veut. Louis en anime en milieu scolaire. « Une collégienne m’a interpellé un jour : “Ok, ils savent tout de nous, mais qu’est-ce qu’ils peuvent faire contre nous, les Américains ?”  Alors, je lui ai répondu que, quand elle va aux toilettes, elle ferme la porte, même si tout le monde sait ce qu’elle y fait. C’est une question d’intimité. »

Pour Louis, Exodus défend véritablement une liberté fondamentale. « Quand on sait qu’on est surveillés, on change nos comportements », assure-t-il. Pour rendre cela concret, il a proposé aux collégiens d’examiner l’application Pronote, utilisée dans plus de 9 000 établissements français, sur la plateforme de l’association. Elle se permet de les géolocaliser, de lire le calendrier, de prendre des photos…