• Les sondages influencent-ils les électeurs ?

    Les déterminants du vote sont multiples. Les enquêtes d’opinion semblent agir sur une partie des électeurs qui, tels des stratèges, cherchent à peser le plus possible sur l’issue du scrutin.

    Publié le Mardi 29 Mars 2022
     
     

    Les sondages influencent la partie la plus politisée des électeurs, mais également la stratégie développée par les acteurs politiques.

     

    Daniel Gaxie,

    professeur émérite à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne

     

    Plus importante à l’occasion de l’élection présidentielle, l’influence des sondages s’exerce sur certains électeurs, la stratégie des acteurs politiques et la couverture médiatique. Tous n’y sont pas tous attentifs. Plus les individus s’intéressent à la vie politique, plus ils sont susceptibles de leur accorder de l’attention. Or, l’intérêt pour la poli­tique est inégal. Il obéit à certaines déterminations, dont la principale est le niveau d’éducation ou, plus précisément, le volume de capital culturel. Tendanciellement, les sondages pèsent donc plutôt sur le choix des membres des catégories supérieures.

    Les études d’opinion n’incitent pas forcément à voter. Ceux qui n’y sont pas disposés ne vont pas le faire parce qu’ils vont prendre connaissance des résultats des enquêtes.

    On ignore la proportion des électeurs qui les prennent en compte. Ceux qui se décident sur la base des sondages, tels qu’ils les interprètent, ne se décident d’ailleurs pas sur ce seul fondement. Les sondages les aident à arbitrer entre différentes options relativement circonscrites. Un électeur orienté à gauche peut être amené à choisir entre plusieurs candidats de gauche en tenant compte des informations sur les intentions de vote à sa disposition. De la même manière, un électeur de droite choisira entre plusieurs candidatures de droite. Un électeur de gauche décidera de voter contre un candidat d’extrême droite en fonction du risque qu’il anticipe sur la foi des informations dont il dispose. Depuis 2002 avec l’absence surprise de Lionel Jospin et la présence de Jean-Marie Le Pen lors du second tour, beaucoup d’électeurs de gauche sont attentifs à ce que cela ne se reproduise pas.

    « Ils aident à arbitrer entre des options relativement circonscrites. » 

    Les sondages, dont seule une minorité est rendue publique, influencent également les stratégies de certains acteurs politiques. Des hommes ou des femmes politiques décident de se présenter ou de ne pas se présenter sur la foi de leurs indications, telles qu’ils les interprètent. Certains d’entre eux décident d’apporter leur soutien à tel ou tel candidat sur cette base et aussi en fonction d’autres considérations. Des stratégies politiques peuvent ainsi se définir très tôt dans la campagne, c’est-à-dire à un moment où les indications des enquêtes électorales sont peu fiables. Cela montre en pratique que, dans les milieux politiques, il y a une croyance bien établie dans la validité des enquêtes d’opinion.

    Les sondages électoraux sont aussi au cœur de la couverture médiatique. Télés, radios et presse écrite se regroupent pour acheter des études qui deviennent la matière première du commentaire électoral. Cela incite à rendre compte de la campagne dans le registre particulier de la « course de chevaux ». La campagne électorale est décrite un peu à la manière dont un commentateur décrit une course hippique. Cela ne contribue pas à relever la confiance en l’élection et dans la politique. Ce registre contribue à marginaliser le débat sur les enjeux et les projets. Il renforce aussi la personnalisation de la compétition dans la logique d’une sorte de série télévisée.

     

    Les études d’opinion montrent que les électeurs considèrent que les sondages ont un impact sur leur choix sans le déterminer complètement.

     

    Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop

    Le folklore des campagnes présidentielles impose de manière quasi immuable sur l’agenda politico-médiatique un momentum de délégitimation des sondages : ceux-ci influenceraient le choix des électeurs et constitueraient une sorte de pollution du choix démocratique des citoyens. En premier lieu, cette question a été tranchée depuis longtemps par la science politique américaine. Celle-ci, à travers de nombreux travaux, n’a jamais été en mesure de déterminer la prégnance de deux effets des enquêtes d’intention de vote sur le résultat des élections.

    Ainsi, ni l’effet « bandwagon » ou locomotive des sondages – c’est-à-dire pousser les électeurs à voter pour le favori des enquêtes d’opinion – ni l’effet « underdog », ou outsider – à savoir inciter les électeurs à voter pour des candidats décrochés dans ces mêmes sondages –, n’ont pu être jugés déterminants dans la construction des comportements électoraux.

    « Leur importance est croissante à travers l’émergence le rolling (enquête quotidienne). » 

    Pour autant, cet argument ne doit pas esquiver la question de l’impact des enquêtes d’opinion sur les électeurs. Leur importance croissante durant les campagnes électorales, notamment à travers l’émergence des rolling (enquêtes quotidiennes), influencerait-elle si fortement le choix des électeurs qu’elle en viendrait à le fausser ? Une enquête Ifop pour le Syntec menée lors de la campagne présidentielle de 2012 avait révélé que les trois quarts des personnes interrogées considéraient que les sondages d’intention de vote influençaient le choix des Français, mais dans le même temps seuls 13 % estimaient que ces enquêtes influaient leur propre choix électoral.

    Ce hiatus spectaculaire sur le mode « l’influence, ce n’est pas moi, c’est les autres » ne doit pas occulter le fait que plus d’un électeur sur dix admettait être influencé par les sondages pour voter.

    Les résultats électoraux très serrés passés (défaite de Lionel Jospin en 2002 à 180 000 voix près, voire celles de François Fillon ou Jean-Luc Mélenchon en 2017) pourraient alors légitimer cette critique sur des sondages à l’influence démesurée sur l’électorat.

    Toutefois, cet argument recèle une faiblesse, car il équivaut à focaliser, voire à réduire exclusivement l’influence du choix des électeurs aux seuls sondages pendant les campagnes électorales.

    Cela ne tient pas la route : quid par exemple du poids des débats télévisés (troisième élément de la décision des électeurs en 2017 dans le sondage jour du vote Ifop-Fiducial), des discussions familiales ou amicales, de l’examen des professions de foi, des réseaux sociaux, sans parler bien sûr des processus individuels ou collectifs de formation des opinions… dans la construction des choix électoraux ?

    Dans la société d’influences plurielles au sein de laquelle l’électeur évolue, la resorbtio ad sondagium du choix des citoyens constitue un argument largement opposable ?

    À lire Sondages : Précautions avant usage, de Daniel Gaxie (Fondation Gabriel-Péri, 2020).


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  • Grand entretien  

    Edgar Morin signe "Réveillons-nous !" :

    "J'aimerais bien vivre encore

    le temps de voir comment

    se dessine l'histoire humaine"

     

    C'est un des plus grands penseurs français.

    Un sociologue qui, à 100 ans passés, continue de prendre la plume avec un regard toujours vif sur le monde d'aujourd'hui.

    Il publie un nouveau livre, "Réveillons-nous !" 

     

    France Info >>>>>


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  • Pas de démocratie

    sans droits des peuples

    à disposer d’eux-mêmes

     

    Dans son discours du 21 février, Vladimir Poutine niait l’existence-même d’un État et d’un peuple ukrainiens qui n’auraient été qu’une « invention » de la révolution russe de 1917.

    Trois jours plus tard, les actes suivent les paroles et l’armée russe commence une invasion de l’Ukraine pour la « démilitariser » et la « dénazifier ».

    C’est une guerre qui a commencé, et l’agresseur en ce 24 février 2022 est bien la Russie de Poutine.

     

    La guerre a confirmé pour les uns, révélé à d’autres, renforcé en tous cas, l’existence d’une solidarité nationale et surtout provoqué une auto-organisation populaire – tout autant spontanée qu’encouragée par les institutions – combinant initiatives citoyennes et actions administrative, gouvernementale, militaire.

     

    A l’initiative des travailleur·uses, la reconversion de la production de nombreuses entreprises pour soutenir l’effort de guerre a été organisée.

    Une usine de métallurgie fabrique maintenant des barrages anti-chars. « On a eu juste besoin d’une journée, l’ingénieur nous a dessiné le prototype et on l’a mis en production » explique un ouvrier.

    Le directeur de l’entreprise ajoute

    « Nous avons arrêté notre production habituelle pour nous consacrer à la fabrication de ces structures métalliques qui serviront de barrages pour arrêter les chars des occupants.

    Depuis le début de l’invasion, on est mobilisés pour fabriquer tout ça.

    Mais nous sommes vite arrivés à court de matière première.

    Heureusement des bénévoles nous ont apporté plus de métal et on a pu élargir la production de ces barrages.

    On a un groupe sur l’application Telegram qui réunit une quinzaine d’usines de la région. Certaines fabriquent des herses également. »

     

    À Lviv des femmes et des enfants se sont organisé pour fabriquer des filets de camouflage pour l’armée. 

    Une brasserie qui dispose d’un stock de bouteilles s’est reconvertie en usine de fabrication de cocktails molotov. 

    Une bibliothèque s’est reconvertie en manufacture de filets de camouflage.

    Les exemples sont nombreux de reconversion d’entreprises de reconversion à des fins militaires.

    Le directeur français d’une entreprise textile française en Ukraine raconte que le week-end les ouvriers et les ouvrières utilisent les machines et le matériel de l’usine pour fabriquer des filets de camouflages. Avec son consentement.

     

    Municipalités, administrations locales, groupes d’habitants organisent ensemble la vie quotidienne, le ravitaillement, les soins, les évacuations.

    C’est en coopération que l’armée régulière et les collectifs d’autodéfense de volontaires agissent.

    C’est l’amalgame qui nous évoque celui des soldats de l’an II défendant la République à Valmy contre les monarchies et empires européens en 1792.

     


    En tant que partisans de l’autogestion, nous sommes défenseurs du droit des peuples de disposer d’eux-mêmes, et c’est aux Ukrainiens – et non à la Russie ni à tous autres Etats ou puissances – de décider à leur place de leur présent et de leur avenir.

    Le retrait des troupes russes de l’Etat souverain d’Ukraine constitue une revendication démocratique élémentaire.

    Le soutien à la résistance du peuple ukrainien d’une part, comme d’autre part à celles et ceux qui en Russie même s’opposent à la guerre en sont le moyen.

    Source >>>>> Association Autogestion


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  • Auto-détermination du peuple ukrainien

    Léon Trotsky 

    Pour une Ukraine des travailleurs,

    unie, libre et indépendante !

    Dans cet article écrit en 1939, Léon Trotsky donne une réponse socialiste à l’oppression du peuple ukrainien. « Pas le moindre compromis avec l'impérialisme, qu’il soit fasciste ou démocratique ! Pas la moindre concession aux nationalistes ukrainiens, qu'ils soient réactionnaires-cléricaux ou pacifistes-libéraux ! [...] Indépendance totale du parti prolétarien en tant qu’avant-garde des travailleurs ! »

    Nathaniel Flakin

    Samedi 5 mars 2022 - Révolution Permanente >>>>>

     
     

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  • Quand l'immigration envahit le débat public
     

    ‌Dans le numéro Droits et Libertés de janvier 2022, François Héran , universitaire, fait le point sur les discours autour de l’immigration, les programmes de la droite et de l’extrême droite et rappelle quelques données de base……
     
    François Héran, professeur au Collège de France*, est directeur de l’Institut Convergences Migrations (ICM) dont l’objectif est de fédérer des efforts de recherche sur les migrations en sciences sociales, humaines et de la vie
    S ’il est une sphère où l’immigration est envahissante en France, c’est celle du débat public, polarisé par l’élection présidentielle de 2022. Les surenchères d’Eric Zemmour à l’encontre de Marine Le Pen ont élargi l’audience de l’extrême droite. Les enquêtes d’opinion publique ont joué leur rôle de relais en nous apprenant qu’en décembre 2021 les deux candidats se partageaient un bon tiers des électeurs potentiels. L’extrême droite a ensuite déteint sur la « droite de gouvernement ».
    Le contraste est saisissant avec ce que l’on sait de l’ampleur réelle de l’immigration, en France. Les organismes internationaux –Eurostat, OCDE, Division de la population des Nations unies–recueillent des données comparatives largement ignorées. Si l’on considère la part des immigrés dans la population, la France, avec une proportion de 13%, se situe au quinzième rang des pays européens et au vingtième des pays occidentaux....
     
     
    HL196-Parole-aux-partenaires-Quand-limmigration...-envahit-le-debat-public.pdf (ldh-france.org)

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  • Derrière le « féminisme » d’extrême droite

     

    Magali Della Sudda a enquêté sur ces militantes qui s’autoproclament défenseuses de la cause des femmes pour mieux vanter la « race blanche » et stigmatiser les étrangers.

    Publié le Jeudi 17 Février 2022
     

    Magali Della Sudda

    Chercheuse au CNRS

     

    Dans son ouvrage les Nouvelles Femmes de droite (Hors d’atteinte, 2022), Magali Della Sudda décrit l’émergence d’un militantisme d’extrême droite se revendiquant, à des degrés variés, féministe.

    À travers des groupes nationalistes, identitaires, catholiques conservateurs, elles tentent d’imposer leur idéologie raciste et antiféministe dans le débat public.

     

    Comment en êtes-vous venue à plonger dans l’antiféminisme d’extrême droite ?

    J’ai commencé cette enquête en 2012 lors des grandes mobilisations contre la loi Taubira et les politiques d’égalité de genre du gouvernement Ayrault.

    Ce moment était un tournant extraordinaire au sens où, pour la première fois depuis longtemps, les droites et les catholiques réactionnaires vont sortir de l’ombre.

    On voit sur les réseaux sociaux comme dans la presse conservatrice des femmes, diplômées, jeunes, qui prennent la parole pour cibler les féministes et ainsi se poser comme les véritables défenseuses des femmes.

    À la différence des conservatrices américaines, principalement des mères de famille chrétiennes vivant dans des banlieues pavillonnaires, ces Françaises sont plutôt urbaines, éduquées et jeunes.

    Par exemple, les Antigones assument l’héritage égalitaire des féminismes du XIXe siècle et de la première partie du XXe.

    Créé en 2013 à Paris, ce groupe de femmes revendique l’égalité salariale, l’accès aux études, mais elles sont farouchement opposées à l’idée que l’État se mêle des questions sexuelles.

    D’où leur opposition au droit à l’avortement.

     

    Quels sont les points communs entre ces groupes ?

    Il faut avoir à l’esprit que ce ne sont pas des groupes homogènes.

    Il existe cependant des traits d’union : le refus de voir en les féministes les représentantes légitimes de la cause des femmes.

    Donc elles rejettent en bloc des organisations comme Osez le féminisme ! ou les Femen, contre qui elles mènent une véritable bataille culturelle.

    Elles plaident également en faveur d’un féminisme occidentaliste blanc conçu comme un marqueur de la civilisation européenne menacée par l’islam et l’immigration.

    Enfin, elles accordent une place importante à la nature, qui renvoie à leurs yeux à une prétendue race biologique.

    C’est le cas pour les Caryatides, proches de l’Action française, ou pour Solveig Mineo, fondatrice du « féminisme occidentaliste », qui s’est fait connaître lors de l’affaire Mila.

    À l’époque, elle avait pris sa défense en disant que l’adolescente était victime des politiques d’immigration et de la complaisance des féministes à l’égard des migrants, qu’elle accuse d’être les « vrais coupables » des violences sexuelles.

     

    Dans leur matrice idéologique, la religion occupe une place importante. Quel est son rôle ?

    La religion occupe une place centrale dans la socialisation de la plupart des militantes, dans la manière dont elles endossent certaines valeurs.

    Même si toutes ne sont pas chrétiennes, comme les Antigones, elles voient dans le christianisme un patrimoine à protéger, à défendre.

    D’autres sont explicitement croyantes et se situent dans un catholicisme traditionaliste.

    Cela peut expliquer leur opposition au droit à l’interruption volontaire de grossesse.

    C’est le cas aussi pour Marianne Durano, une figure du mouvement des Veilleurs opposée à la loi Taubira ouvrant le droit au mariage homosexuel, ou Eugénie Bastié, journaliste au Figaro.

     

    Y a-t-il des passerelles entre ces groupes et les partis d’extrême droite ?

    Les Caryatides représentent la section féminine de l’Œuvre française, puis du Parti nationaliste français.

    Au Rassemblement national, Agnès Marion, fondatrice du Cercle fraternité, a rejoint la campagne d’Éric Zemmour.

    C’était une figure importante du FN, puis du RN à Lyon, où elle faisait le lien entre les identitaires et les milieux catholiques traditionalistes.

    Dans un autre registre, Marion Maréchal et Alice Cordier, présidente du collectif Némésis, ont participé à une émission sur la chaîne TV Libertés, créée en 2014 par un ancien cadre du RN.

    Chez les Antigones, il y avait des militantes du Renouveau français passées par Dextra, une scission de l’Action française, ou Europe jeunesse, proche de la nouvelle droite.

    Le collectif Némésis prend soin de se démarquer de toute récupération partisane.

    Les prises de position se font à titre individuel.

    Il n’empêche qu’Alice Cordier, la porte-parole, soutient la candidature d’Éric Zemmour.

    Les Caryatides par contre, qui ont une activité limitée aujourd’hui, relèvent d’une tradition du nationalisme français avec une tonalité antisémite.

    Donc Zemmour n’est pas leur candidat, c’est impossible à leurs yeux.

     

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  • Benjamin Lemoine :

    « La dette est un revolver sur la tempe des populations »

     

    DÉFICITS Dans son dernier livre, la Démocratie disciplinée par la dette (la Découverte), le sociologue Benjamin Lemoine décortique les motivations et l’idéologie de ceux qui « vivent » de nos déficits… Et qui rêvent déjà de nouvelles politiques d’austérité.

    Lundi 14 Février 2022
     
     

    Benjamin Lemoine Chargé de recherche au CNRS

     

    Vous vous intéressez à ceux qui vivent de la dette, c’est-à-dire ceux qui la détiennent, la placent et la font circuler. Pour les caractériser, vous utilisez l’expression de « bondholding class » (détenteurs d’obligations du Trésor) : de quoi s’agit-il ?

    J’emprunte ce terme à l’économiste Henry Carter Adams (1851-1921), qui a été l’un des tout premiers à tenter de cartographier les détenteurs de dette aux États-Unis. Dresser une telle cartographie aujourd’hui est complexe, en raison de l’opacité qui entoure l’identité de nos créanciers. En 2016, le député (PCF) Nicolas Sansu avait tenté de lever un coin du voile, lors d’une mission d’audit, au cours de laquelle il avait entendu des représentants du Trésor (1). Parmi les arguments qu’on lui avait opposés figurait celui de la compétitivité : dévoiler l’identité précise des créanciers de l’État, alors que les autres pays ne le font pas, risquerait de nuire à l’attractivité de la dette française.

    Cela dit, il est malgré tout possible de se faire une idée de ce qu’est la « bondholding class » aujourd’hui. Les structures de la dette souveraine ont changé, et la détention en direct de ces titres par une petite classe de rentiers est devenue minoritaire. Si les ménages et particuliers français détiennent une partie de la dette, c’est à travers l’intermédiation des investisseurs institutionnels (compagnies d’assurances, fonds obligataires…) à qui ils confient leur épargne. Ce qui est sûr, c’est que cette épargne est extrêmement inégalitaire. Aux États-Unis, la moitié de la dette publique est détenue par les 1 % des ménages les plus riches. En France, 72,5 % des détenteurs d’actifs financiers se situent dans les 20 % les plus aisés de la population.

    Aux États-Unis, écrivez-vous, cette « bondholding class » est « surpolitisée »…

    Je m’appuie sur les travaux du chercheur Sandy Brian Hager, qui a mené une enquête auprès des élites américaines et qui montre des attentes politiques homogènes parmi les plus fortunés, au premier rang desquelles la stabilité politique et institutionnelle alignée sur l’équilibre budgétaire, pour assurer le service de la dette et la protection contre l’inflation. De ce besoin de stabilité monétaire découle une certaine vision de la macroéconomie, marquée par la primauté de la compétitivité salariale. Or, cette dernière dépend de la capacité de mobilisation des travailleurs, dont la force collective est liée au contexte macroéconomique : un taux de chômage élevé, par exemple, limite les marges de manœuvre des salariés pour réclamer des hausses de rémunération.

    Peut-on dire que la « bondholding class » aurait « intérêt » à ce que le taux de chômage ne baisse pas trop ?

    C’est parfois formulé ouvertement. Je m’intéresse dans mes enquêtes aux « road shows », ces opérations marketing au cours desquelles les hauts fonctionnaires de Bercy font la promotion de la dette française, aux côtés des banques spécialistes en valeurs du Trésor (2). J’ai découvert une présentation faite par la banque JP Morgan dans ce cadre, où elle « vend » aux investisseurs l’existence d’un taux de chômage élevé en France comme un gage de compétitivité et de pression à la baisse sur les salaires…

    Est-ce par ce type de mécanismes que la « bondholding class » se sert de la dette pour asseoir son pouvoir ?

    En partie, oui. Que « vend-on » aux investisseurs au cours de ces réunions ? La promesse de réformes structurelles, la garantie que les revendications salariales de plein-emploi et de rémunérations à la hausse ne seront pas entendues par les pouvoirs publics. Ce sont des contreparties discrètes exigées lors de la vente de la dette, mais qui pèsent aussi sur la valeur de celle-ci dans les scènes du commerce secondaire : quand elle est échangée de main en main. Ainsi, les détenteurs et gestionnaires d’obligations ont d’autres moyens d’influer sur les décisions des gouvernements, notamment par la vente massive de leurs titres. On a vu en mars 2020 la fébrilité des marchés : de nombreux gestionnaires d’actifs ont revendu massivement leurs bons du Trésor américains. Pendant dix jours, un vent de panique a soufflé sur la dette gouvernementale.

    Cependant, la conjoncture actuelle a desserré l’étau de la dette : en rachetant massivement des obligations souveraines depuis le début de la crise du Covid, la Banque centrale européenne (BCE) a permis aux États d’emprunter à des taux très bas.

    Avec le « quoi qu’il en coûte », on en est venu à se dire que la BCE jouait désormais un rôle d’assurance du financement des États et de leurs politiques sociales. Mais, pour les responsables de ces institutions, c’était une « vue de l’esprit ». Il ne faut pas croire que la culture de la BCE aurait muté : elle ne conçoit toujours pas son action en dehors des mécanismes financiers, qui bornent son horizon pratique et intellectuel. Par ailleurs, je rappelle dans le livre que ses communiqués publics ont souvent préconisé de façon insistante la flexibilisation du marché du travail et la modération salariale : Jean-Claude Trichet, ancien président de la BCE, expliquait que « le secteur public devrait être un modèle en termes de fixation des salaires et ne devrait pas contribuer à une forte croissance globale des coûts salariaux ».

    Dans votre livre, vous expliquez que la période actuelle n’est, pour les hauts fonctionnaires et les banquiers, qu’une « parenthèse » qu’ils ont hâte de refermer…

    J’ai entendu un haut fonctionnaire français et ancien responsable politique spécialisé dans les finances publiques déclarer en petit comité qu’en ce moment « tout va trop bien » et qu’on ne peut plus faire de « pédagogie sur la dette », c’est-à-dire préparer l’opinion à des économies budgétaires, parce que les taux sont au plus bas. Pour beaucoup, cet univers de taux négatifs ne doit pas durer. Il faudra réduire notre stock de dette (2 834,3 milliards d’euros fin 2021 – NDLR). Dès décembre 2020, le Cercle Turgot (think tank dans lequel siège notamment Jean-Claude Trichet – NDLR) publiait la Dette, potion magique ou poison mortel ? Jacques de Larosière, président du conseil stratégique de l’Agence France Trésor, y écrivait : « La banque centrale ne pourra pas TOUJOURS TOUT acheter. Et la qualité de la signature d’un État est un élément de confiance essentiel qu’il faut préserver à tout prix pour l’avenir du pays. » Le message de crédibilité auprès des investisseurs passe par la reconstruction d’un récit sur la dette et son remboursement. Cette dernière remplit une fonction politique pour les libéraux, c’est une sorte de revolver sur la tempe des populations, qui permet de justifier des réformes visant à réduire le périmètre de l’État. La réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron, au nom de la lutte contre des déficits, s’inscrit dans ce cadre.

     

    (1) Rattachée au ministère de l’Économie, la direction générale du Trésor est chargée de placer la dette française sur les marchés. (2) Banques chargées d’accompagner l’État lors des émissions de dette publique.
     

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  • Arte

    Documentaire

    8 février 2022

    " Le Drame Ouïghour "

    A visionner ici >>>>>


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  • Karambolage (Arte) : L'internationale

    de 2'10 à 9'45

    Arte Vidéo >>>>> environ 11 minutes 20 secondes...

     

    Wikipédia >>>>>


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  • Exterminez toutes ces brutes

    de Raoul Peck

     

    (Vidéo 4 épisodes)

    Arte >>>>>

    Dans une puissante méditation en images, Raoul Peck montre comment, du génocide des Indiens d'Amérique à la Shoah, l'impérialisme, le colonialisme et le suprémacisme blanc constituent un impensé toujours agissant dans l'histoire de l'Occident.

    "Civilisation, colonisation, extermination" : trois mots qui, selon Raoul Peck, "résument toute l'histoire de l'humanité". Celui-ci revient sur l’origine coloniale des États-Unis d’Amérique pour montrer comment la notion inventée de race s'est institutionnalisée, puis incarnée dans la volonté nazie d'exterminer les Juifs d'Europe. Le même esprit prédateur et meurtrier a présidé au pillage de ce que l'on nommera un temps "tiers-monde".

    Déshumanisation
    Avec ce voyage non chronologique dans le temps, raconté par sa propre voix, à laquelle il mêle celles des trois auteurs amis qui l'ont inspiré (l'Américaine Roxanne Dunbar-Ortiz, le Suédois Sven Lindqvist et Michel-Rolph Trouillot, haïtien comme lui), Raoul Peck revisite de manière radicale l’histoire de l'Occident à l'aune du suprémacisme blanc. Tissant avec une grande liberté de bouleversantes archives photo et vidéo avec ses propres images familiales, des extraits de sa filmographie mais aussi des séquences de fiction (incarnées notamment par l’acteur américain Josh Hartnett) ou encore d'animation, il fait apparaître un fil rouge occulté de prédation, de massacre et de racisme dont il analyse la récurrence, l'opposant aux valeurs humanistes et démocratiques dont l'Europe et les États-Unis se réclament. "Exterminez toutes ces brutes", phrase prononcée par un personnage du récit de Joseph Conrad Au cœur des ténèbres, et que Sven Lindqvist a choisie comme titre d'un essai, résume selon Raoul Peck ce qui relie dans un même mouvement historique l'esclavage, le génocide des Indiens d'Amérique, le colonialisme et la Shoah : déshumaniser l'autre pour le déposséder et l'anéantir. De l'Europe à l’Amérique, de l'Asie à l’Afrique, du XVIe siècle aux tribuns xénophobes de notre présent, il déconstruit ainsi la fabrication et les silences d'une histoire écrite par les vainqueurs pour confronter chacun de nous aux impensés de sa propre vision du passé.

    Réalisation :

    • Raoul Peck

    Pays :

    • France

    • Etats-Unis

    Année :

    • 2021


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