• « Quand la société civile tente de passer un message, il faut que cela soit repris et porté politiquement »

    Dimanche, 7 Juin, 2020

    Laurent Mucchielli :

    « Quand la société civile tente de passer un message,

    il faut que cela soit repris et porté politiquement »

    Le sociologue spécialiste des questions de sécurité estime que le mur du déni sur le racisme et les violences parmi la police s’est fissuré.

    Il détaille les perspectives que le succès de ce soulèvement laisse entrevoir.

     

    Même si l’ampleur du mouvement contre les violences policières est inédite en France, cette mobilisation s’ancre dans un terrain rendu propice notamment par le mouvement des gilets jaunes, considére Laurent Mucchielli, spécialiste des politiques de sécurité.

    L’ampleur du mouvement contre les violences policières en France, en écho à la mort de George Floyd, vous a-t-elle surpris ?

    Laurent Mucchielli. Oui, agréablement. Je pense que ce moment de mobilisations massives dans le monde entier correspond à un concours de circonstances. Le poids des images de l’agonie de George Floyd a pesé car il ne s’agit pas là d’une mort par balle, rapide et distanciée. On voit réellement un policier tuer à mains nues quelqu’un qui lui dit qu’il est en train de mourir. C’est encore plus choquant. En France, depuis quelques semaines, les organisations antiracistes étaient très mobilisées, notamment à cause de l’accumulation de tensions durant le confinement. Cette période a été l’occasion d’exagérer et de révéler ce qui existait déjà auparavant, en particulier le « deux poids deux mesures » en ce qui concerne l’application des lois en fonction qu’on habite les quartiers populaires ou les endroits huppés. Ce contexte a favorisé la mobilisation de même que le développement, durant la crise sanitaire, de pratiques comme la surveillance des populations par des drones, qui traduisent l’autoritarisme de l’État, incarné par cette police, dont les citoyens contestent les dérives aujourd’hui. Par ailleurs, on sort à peine d’une année et demie de manifestations de gilets jaunes au cours desquelles les populations des centres-villes et même les journalistes ont pu faire l’expérience très concrète de la violence policière, jusqu’alors réservée aux banlieues.

    Quel a été le rôle des réseaux sociaux dans le succès de ces manifestations ?

    Laurent Mucchielli. Il a été fondamental. Des images d’exactions policières y circulent et constituent des éléments de preuve, avec toutes les réserves contextuelles qu’il faut toujours apporter aux images. Il ne faut pas la sacraliser, mais la vidéo est un outil de transparence et de contrôle démocratique. Le fait de pouvoir filmer la police protège les citoyens, c’est tellement vrai que des syndicats de policiers et des hommes politiques comme Éric Ciotti tentent de le faire interdire.

    Quelles seraient les conditions pour que cette mobilisation soit pérenne ?

    Laurent Mucchielli. Quand la société civile tente de passer un message dans l’espace public, pour que cela porte, il faut que cela soit repris et porté politiquement. Or, hormis quelques élus locaux, pour l’instant, il ne me semble pas avoir vu beaucoup de représentants des partis d’opposition dans ces manifestations, c’est d’ailleurs la différence avec ce qui se passe aux États-Unis. Au-delà, ce qui est fondamental, c’est d’élargir la base : que ce ne soit plus les personnes directement concernées qui se mobilisent. Il semble que c’est le cas, notamment chez les jeunes générations, et je pense que le fait que les rassemblements se tiennent dans les centres-villes y contribue. Je vois un espoir devant cette jeunesse qui a le désir de changer la société.

    Que pourrait changer ce mouvement en France ?

    Laurent Mucchielli. Depuis des années, il y a un tabou sur la question du racisme et des violences policières en France, avec des mécanismes de déni très forts : jusqu’à présent, dès que l’on abordait le sujet de la violence ou du racisme dans la police, on avait tout de suite un concert unanime de tous les syndicats de police et représentants du pouvoir politique pour crier au scandale et trouver inadmissible de mettre en cause « la police française républicaine ». Aujourd’hui, ce mur du déni vient de se fissurer. C’est une bonne chose. Cela peut inciter les victimes à porter plainte, les médias à relayer les affaires et donc mettre la pression sur tous ceux qui rechigneraient encore à admettre la réalité de ces violences visant majoritairement des personnes racisées. Cela ne peut que faciliter le traitement des plaintes, l’opiniâtreté de l’IGPN et ensuite celle des magistrats. C’est bien, aussi, si cela permet d’ouvrir un débat, mais il ne faudrait pas non plus transformer les policiers en boucs émissaires de tous les problèmes de la société. Il faut bien sûr juger les individus qui commettent des exactions, mais aussi comprendre le processus : pourquoi un policier s’est-il senti autorisé à agir ainsi ? L’attitude de ses collègues constitue-t-elle un encouragement ou une barrière pour empêcher un policier raciste de passer à l’acte ? Sera-t-il protégé par sa hiérarchie, par les syndicats ? Toutes ces questions doivent être posées si on veut enrayer le phénomène. Il faut sortir du simplisme pour analyser les causes de cette violence structurelle et l’enrayer.


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