• Pierre Zarka - Les mouvements peuvent-ils remplacer les partis politiques ?

    Pierre Zarka

    Les mouvements peuvent-ils remplacer

    les partis politiques ?

     

    Rappel des faits. L’élection présidentielle française a été marquée par l’apparition de mouvements s’inscrivant dans un rejet du système. Que faut-il penser de ce phénomène enregistré dans d’autres pays en Europe et dans le monde ?

     

     

    Dans de nombreux pays en Europe (Podemos et Izquierda Unida en Espagne, Syriza en Grèce, Bloco de Esquerda au Portugal, 5 étoiles en Italie, etc.), des mouvements ont émergé dans la vie politique. Qu’exprime, selon vous, cette donne nouvelle ?

    Pierre Zarka

    Depuis près de quarante ans, le système représentatif produit partout déception et sentiment de trahison.

    Son rejet intrinsèquement lié au rejet des solutions capitalistes débouche sur deux réactions diamétralement opposées : soit on ne croit plus en la démocratie qui paraît avoir failli et on cherche le leader fort en gueule (le FN ou Macron à sa manière), soit on est en quête de démarches permettant aux citoyens de devenir collectivement les personnages politiques principaux, sans rien abandonner de son indépendance.

    Quand Marx dit que ce sont les masses qui font l’Histoire, il ne dit pas que ce sont les partis qui la font.

    Or nous héritons d’une conception dans laquelle, malgré des déclarations d’intention contraires, les partis se substituent au rôle du peuple.

    « Prendre le pouvoir pour le redonner au peuple » (ensuite ?) ou « traduction politique des mouvements sociaux » sont des vocables qui disent une hiérarchie entre partis et citoyens.

    Partis vécus comme des professeurs qui expliquent ce sur quoi s’aligner.

    De fait, c’est demander aux gens une uniformité dans laquelle ils ne peuvent pas se reconnaître.

     

     

    En France, les mouvements tels En marche ! ou la France insoumise ont bousculé l’élection présidentielle. Crise de la représentation politique, remise en question du clivage gauche-droite, recomposition politique : que se passe-t-il ?

    Pierre Zarka

    La présidentielle révèle l’effondrement de ce qui paraît partie prenante du système institutionnel traditionnel.

    Dire que l’on est « hors système » est devenu un sésame.

    C’est un processus entamé depuis plusieurs années qui atteint désormais un effet de seuil.

    Le vote Mélenchon procède de cette évolution.

    Mais on ne peut faire les choses à moitié : l’autoproclamation de sa candidature et le caractère autocentré de sa campagne, qui ne découlait pas des mouvements antérieurs, ont pu le priver d’une part des plus exigeants.

    Cela a maintenu la dissociation du social et du politique et a créé un écart idéologique entre le plus profond porté par les luttes, même si ce n’est pas toujours explicite, et ce qu’a porté la campagne. 

    Ces luttes ont souvent dénoncé la nocivité des actionnaires, par ailleurs le nombre de coopératives grandit, et la campagne n’a pas fait de l’appropriation collective des leviers de l’économie un enjeu du moment.

    Or, ce qui distingue un processus d’appropriation de la politique tient au fait de ne pas édulcorer comment se débarrasser du capitalisme et à une conception du combat qui permette au peuple de devenir pouvoir instituant.

    On peut donc glisser de la contestation des rapports de domination au populisme.

     

     

    A contrario, on voit comment au Royaume-Uni, en Belgique, au Portugal et même en Allemagne les formations politiques traditionnelles structurent toujours fortement la politique. Les partis politiques sont-ils vraiment condamnés par cette évolution ?

    Pierre Zarka

    Si l’on veut que les « simples gens » s’approprient la politique, faut-il continuer à distinguer les fonctions d’un parti de celles d’un mouvement ?

    À chaque fois que le PCF s’est réclamé de « la primauté au mouvement populaire », le cadre institutionnel l’a fait agir sur le mode « le parti d’abord ».

    Pour Marx (trop oublié), le grand apport de la Commune a été de montrer qu’il ne servait à rien au prolétariat de prendre le pouvoir d’État tel quel mais qu’il devait lui-même se transformer en pouvoir.

    La matrice originelle des partis empêche les individus de devenir les principaux acteurs politiques.

    Le rassemblement vu à travers elle ne s’envisage que par des alliances d’appareils et on retombe sur les rapports délégataires.

    Une révolution, fût-elle démocratique ou citoyenne, ne peut se contenir dans un assemblage de partis.

    Je ne rêve pas de la spontanéité mais réunir les gens pour leur expliquer ce que l’on a déjà concocté, c’est reproduire les rapports délégataires.

    Le centre de gravité de l’émancipation n’est pas d’abord dans les institutions mais dans la capacité du mouvement populaire à se considérer lui-même comme source de pouvoir.

    Il s’agit de favoriser cette transformation par des propositions, initiatives et controverses.

    Si cela implique bien sûr de proposer un horizon aux contours émancipateurs clairs, son contenu, la manière d’avancer vers lui ne peuvent résulter que d’une élaboration populaire au sein de mouvements amples, tumultueux.

    La lutte la plus immédiate devient elle-même porteuse d’un tel travail collectif.

    19 Mai 2017

    (Extraits d'un entretien croisé)

    L'Humanité >>>>>


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