• Pandémie Vaccins anti-Covid-19, la quête du Graal

    Vendredi, 31 Juillet, 2020

    Pandémie Vaccins anti-Covid-19,

    la quête du Graal

     

    Des scientifiques mobilisés, des milliards mis sur la table…

    La recherche d’une parade contre le virus fait l’objet d’une course effrénée.

    Mais rien ne dit qu’elle profitera à tous.

     

    C’est une course qui se mène à coups de milliards, et dans laquelle, dit-on, « chaque minute compte ».

     

    La mise au point d’un vaccin contre le Covid-19 fait l’objet d’une mobilisation inédite de la communauté scientifique et de l’industrie pharmaceutique, tendues vers un objectif commun, parfois non dénué d’intérêts mercantiles : fournir à la planète un moyen de se protéger contre la pandémie due au Sars-CoV-2, ce coronavirus face auquel aucun traitement efficace ne se dresse aujourd’hui.

     

    L’enjeu est de taille : le Covid-19 a déjà tué plus de 660 000 personnes dans le monde et en a infecté 16 millions.

    Facteur inquiétant, il poursuit sa progression meurtrière, malgré l’été. «La saison ne semble pas avoir de répercussion sur la transmission du virus », a constaté cette semaine Margaret Harris, porte-parole de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

     

    « Les virus respiratoires sont historiquement saisonniers mais celui-ci se comporte de façon différente. »

    Une raison supplémentaire d’avoir le regard fixé vers les laboratoires de recherche, lancés dans une véritable quête du Graal.

    Quand celle-ci pourrait-elle aboutir ?

    Quelles sont les équipes les plus avancées ?

    Et surtout : saura-t-on dépasser les égoïsmes nationaux pour faire de ce ou ces vaccins des biens publics mondiaux ?

    Décryptage.

     

     

    1 Où en est la recherche pour se protéger du virus ?

     

    Depuis début juillet, elle est entrée dans une phase active, avec le lancement de plusieurs essais cliniques sur l’homme à travers le monde.

    Dans son dernier point sur le sujet, l’OMS a recensé 25 « candidats vaccins » ayant atteint ce stade, contre seulement 11 à la mi-juin, en plus des 139 autres projets en phase « préclinique ».

    « C’est une bonne nouvelle, mais il faut se garder de tout triomphalisme, tempère le chercheur au CNRS Étienne Decroly, spécialiste des virus émergents.

    D’abord, avant les vaccins, il ne faut pas abandonner tout espoir dans la recherche de traitements : plusieurs stratégies sont prometteuses, notamment celles qui tentent de limiter la “tempête immunitaire” créée par le Sars-Cov-2.

    Traitements et vaccins sont complémentaires car de toute façon on ne vaccinera pas tout le monde. »

     

    Le virologue rappelle aussi que seuls les essais de phase 3, pendant lesquels les vaccins sont testés à grande échelle sur l’homme, donnent des réponses solides sur l’intérêt d’un produit et ses effets secondaires.

    « Avant, en phase 1 et 2, on se contente de démontrer que le vaccin n’est pas toxique et qu’il aboutit à la production d’anticorps.

    Mais ces anticorps sont-ils vraiment protecteurs, et pendant combien de temps, on ne le sait pas. »

     

    Pour l’heure, la plupart des essais lancés en sont encore à ces phases 1 et 2.

    Seuls quatre « candidats vaccins » ont atteint la phase 3 : dernière en date, la biotech américaine Moderna a annoncé, lundi, commencer ses tests sur 30 000 volontaires aux États-Unis.

    La moitié recevront une dose de 100 microgrammes, les autres un placebo.

    Pour l’occasion, la firme a obtenu du gouvernement américain un doublement de son investissement dans le projet, porté à près d’un milliard de dollars.

     

    Outre Moderna, deux projets chinois ont aussi démarré des essais à grande échelle :

    celui du laboratoire Sinopharm, qui veut tester son vaccin aux Émirats arabes unis sur 15 000 volontaires,

    et celui du laboratoire Sinovac, qui va injecter son produit à 9 000 professionnels de santé au Brésil, en partenariat avec l’institut de recherche local Butantan.

     

    C’est aussi dans ce pays, ainsi qu’en Afrique du Sud et au Royaume-Uni, que le laboratoire européen AstraZeneca (né de la fusion du suédois Astra et du britannique Zeneca) a démarré une vaste expérimentation, fin juin, en partenariat avec l’université d’Oxford.

    Mais impossible de dire pour l’heure qui coupera la ligne en premier.

     

    2 Un vaccin ou plusieurs vaccins ?

     

    « Il va falloir des vaccins pour le monde entier, l’Europe, l’Asie, l’Afrique, l’Amérique… Et un seul industriel ne pourra pas y arriver.

    Il en faudra quatre, cinq, peut-être six, pour trouver d’abord, produire ensuite, et distribuer enfin » les bons vaccins,

    prévenait Olivier Bogillot, le président de Sanofi France, fin juin, dans le Journal de Saône-et-Loire, en annonçant un investissement de 600 millions d’euros dans la réalisation de deux sites consacrés à l’élaboration de vaccins, l’un à Neuville-sur-Saône, l’autre près de Lyon.

     

    « Plus il y a de candidats vaccins, et surtout plus il y a de types de candidats vaccins, plus on a de chances d’aboutir à quelque chose », confirme Daniel Floret, le vice-président de la commission technique des vaccinations, rattachée à la Haute Autorité de santé (HAS).

    « En clair, c’est une bonne chose de ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier et de courir plusieurs lièvres à la fois, car on ne connaît pas ceux qui finiront la course », image le chercheur Étienne Decroly.

     

    Si presque tous les projets de vaccins ont choisi de viser la protéine Spike, sorte de porte d’entrée du virus dans les cellules, les stratégies pour susciter une réponse immunitaire diffèrent.

    La technique classique consiste à utiliser une version « inactivée » du virus original.

    C’est celle choisie par les labos chinois qui sont déjà en phase 3 de leurs essais.

    Elle pourrait nécessiter plusieurs injections pour être efficace et recèlerait « un risque théorique plus important que les autres de voir apparaître un phénomène d’aggravation de la maladie », selon la présidente du comité Vaccin Covid-19 et chercheuse à l’Inserm, Marie-Paule Kieny, citée par l’Express.

     

    Autre technique : les vaccins « à vecteur viral », qui prennent comme support un autre virus, transformé pour inviter l’organisme à combattre le Covid-19.

    Le labo AstraZeneca a fait ce choix, via un adénovirus de chimpanzé, tout comme l’américain Johnson & Johnson (J&J), déjà à l’origine d’un vaccin contre Ebola.

    D’autres projets se veulent encore plus innovants, en misant sur la génétique.

    Le vaccin dans ce cas utiliserait l’ADN ou l’ARN (acide ribonucléique) pour indiquer à nos cellules comment se protéger du Covid, en produisant les anticorps nécessaires.

    C’est le pari tenté par la société Moderna ou par le duo Pfizer-BioNTech.

     

    3 Quand pourraient débuter les vaccinations ?

     

    En mars dernier, Donald Trump avait affirmé que ce serait chose faite d’ici « trois à quatre mois ».

    Le président américain avait été immédiatement recadré par l’immunologiste Anthony Fauci, de la cellule de crise de la Maison-Blanche sur le coronavirus.

    « Comme je vous l’ai dit, Monsieur le président, il faudra un an à un an et demi » pour disposer d’un vaccin, avait corrigé l’expert.

     

    En temps normal, il faut même compter une dizaine d’années pour mettre au point ce type de produit de santé.

    Mais, compte tenu de la mobilisation planétaire en vigueur et des milliards investis, la fourchette évoquée par le Dr Fauci paraît raisonnable.

     

    En Inde, pourtant, on n’a pas attendu les résultats des tests en cours pour parier sur l’un des produits actuellement en phase 3, celui des chercheurs de l’université d’Oxford et du labo AstraZeneca.

    Dès le début du mois de juin, le Serum Institute of India, qui fabrique déjà près d’un vaccin sur deux dans le monde, a commencé à produire le nouveau remède.

    La firme espère pouvoir sortir de ses usines 50 millions de doses chaque mois, dès septembre.

     

    Un lancement précipité ?

    Pas pour l’administration américaine, qui veut aller « au-delà de la vitesse de la lumière » (« Warp Speed »), du nom de l’opération qu’elle a mise en place pour accélérer le développement d’un vaccin.

    Au moins 6,3 milliards de dollars ont été engagés depuis mars pour financer divers projets concurrents (J&J, Pfizer, AstraZeneca, Moderna et Novavax).

    Dont 1,6 milliard pour cette dernière société, qui n’a encore jamais commercialisé le moindre vaccin et sur le site de laquelle Donald Trump s’est rendu lundi dernier.

    « Nous serons victorieux sur le virus en déchaînant le génie scientifique américain », a-t-il professé, le visage masqué (pour une fois).

    Sauf que vouloir aller plus vite que la science « peut poser problème » en termes de sécurité, reconnaît Daniel Floret, qui cite par exemple le risque d’ « exacerbation de la maladie » par le vaccin.

    « On l’a déjà vu sur des singes lors de tentatives de développement de vaccins contre le Mers-CoV et le Sars. Il faudra donc s’assurer que ce risque est écarté ici », explique-t-il.

     

    Problème : l’élection présidentielle de novembre aux États-Unis pourrait inciter le candidat Trump à crier victoire trop tôt.

    « Il y a fort à parier que, avec ou sans résultats, un vaccin soit enregistré » avant cette date, en se basant sur les seuls effets constatés chez le singe, craint la chercheuse Marie-Paule Kieny, interrogée par le Figaro.

    Or, comme l’Agence européenne des médicaments (EMA) a tendance à suivre les décisions de son homologue américaine, la puissante FDA, « il se pourrait que l’Europe également autorise un vaccin pour lequel nous n’aurons pas de preuve d’efficacité. J’espère que nous saurons être plus prudents que cela ».

    Pour l’heure, l’agence européenne l’est : « Cela pourrait prendre au moins jusqu’au début 2021 pour qu’un vaccin contre le Covid-19 soit prêt », a-t-elle estimé.

     

    4 Un vaccin au plus offrant ? Le risque du chacun pour soi

     

    En allongeant les milliards, Donald Trump s’est surtout assuré d’être prioritaire dans la livraison des premières doses pour la population américaine.

    500 millions ont ainsi déjà été « réservées » dans ce but.

    « Mais nous en aurons probablement beaucoup pour le reste du monde », a-t-il ajouté lundi, magnanime.

    Mi-mai, Paul Hudson, le directeur général du groupe Sanofi, une entreprise française, avait déclenché une polémique en affirmant que son laboratoire servirait « en premier » les États-Unis s’il trouvait un vaccin, car ce pays « avait investi pour essayer de protéger (sa) population ».

    « Il est nécessaire que ce vaccin soit un bien public mondial, extrait des lois du marché », avait immédiatement répliqué l’Élysée.

    Une vision affirmée début juin par le secrétaire général de Nations unies, Antonio Guterres.

    « Un vaccin, à lui seul, ne suffit pas. Nous avons besoin d’une solidarité mondiale pour garantir que tous les peuples, partout dans le monde, y aient accès », avait souligné l’ex-premier ministre portugais.

     

    Or on en est loin.

    Chaque jour ou presque, un nouvel accord est rendu public entre tel labo et tel État, pour la « sécurisation » des livraisons des futurs vaccins.

    Mercredi, Sanofi et GSK ont ainsi annoncé avoir réservé 60 millions de doses de leur sérum, même pas encore en phase d’essai clinique, à destination du Royaume-Uni, portant à 250 millions le nombre d’injections préemptées par ce pays, tous candidats vaccins confondus.

     

    Même si elle n’a pas communiqué sur le sujet, la France n’est pas en reste et négocie elle aussi ce type de réservations, mais en partenariat avec d’autres pays européens (Allemagne, Pays-Bas, Italie), rassemblés dans l’Alliance inclusive pour le vaccin (AIV).

    « C’est le règne du chacun pour soi, il n’y a pratiquement aucune concertation internationale, regrette Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament.

    Des milliards d’argent public sont déversés sur les labos, sans contrepartie pour faire de leurs éventuelles découvertes des biens mondiaux accessibles à tous.

    Résultat : ce seront les pays les moins riches qui seront servis en dernier. »

     

    Pour tenter de rassurer les sceptiques, deux labos (J&J et AstraZeneca) ont annoncé qu’ils allaient vendre leur vaccin « à prix coûtant », au moins pour la première année.

    Un « effort » que trois autres labos américains ne feront pas, comme ils l’ont affirmé devant le Congrès, le 21 juillet.

    « C’est une période extraordinaire et notre prix le reflétera », a même assuré, sans prendre de gants, le directeur commercial de Pfizer, John Young.

     

    5 Quelle stratégie vaccinale en France ?

     

    Elle vient de se préciser cette semaine, avec la publication de deux avis,

    celui cosigné par le Conseil scientifique, le Care (Comité analyse, recherche et expertise) et le comité Vaccin Covid-19,

    et celui publié mardi par la Haute Autorité de santé (HAS).

     

    Dans le premier, les experts réclament « une évaluation rigoureuse » des vaccins avant toute « utilisation à grande échelle », privilégient l’idée d’une « vaccination organisée » plutôt qu’ « obligatoire », et demandent que les citoyens soient associés aux démarches, pour éviter l’échec de la vaccination antigrippale de 2009.

    Les deux avis se rejoignent pour considérer

    comme prioritaires les travailleurs en première ligne (6,8 millions de personnes), et en particulier les personnels soignants (1,8 million),

    devant un deuxième groupe : les personnes à risque, du fait de leur âge ou de leur état de santé (23 millions).

     

    « Mais tout dépendra de l’état de la pandémie au moment où les vaccins seront disponibles, rappelle Étienne Decroly.

    Si elle est très active, on pourra prendre un risque plus élevé dans l’utilisation des vaccins.

    Si ce n’est pas le cas, on pourra être plus prudents. »

     

    Alexandre Fache

     

     

    Un tiers des Français refuseraient de se faire vacciner

    Et si le ou les vaccins étaient boudés par les Français ?

    D’après un sondage mené par l’institut YouGov pour le HuffPost, 32 % des personnes interrogées (du 23 au 24 juillet derniers) affirment qu’ils n’accepteraient pas de se faire vacciner si un sérum contre le Covid était disponible.

    Une « hésitation vaccinale » qui inquiète les scientifiques.

    « Le développement des vaccins n’est qu’une partie de la solution. Une acceptation large de ces vaccins est également nécessaire », ont estimé des experts américains, dans un rapport publié début juillet.

    « Dans un contexte de défiance et en présence d’enjeux industriels, la vaccination se prête aux controverses publiques, voire au conspirationnisme », regrette aussi le Conseil scientifique, qui réclame une communication « transparente » sur le sujet, ainsi qu’une « démarche participative, associant des citoyens », pour limiter le plus possible cette défiance.

    « La communication doit être réalisée en amont de la campagne (de vaccination – NDLR), être différenciée selon les publics cibles, et évoquer une forme de “contrat social” appelant à la responsabilité de chacun », recommandent les experts.


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