• Nantes: un rapport de police soulève la responsabilité de la préfecture et de la mairie

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    Nantes: un rapport de police

    soulève la responsabilité de la préfecture et de la mairie

     

     

    Un compte rendu d’opérations de police du 22 juin 2017 rapporte les dangers encourus par les jeunes célébrant, à Nantes, la fête de la musique le long des berges de la Loire, quai Wilson. Là même où deux ans plus tard, Steve Maia Caniço a disparu, des policiers avaient en 2017 refusé d’employer la force pour évacuer les lieux, deux jeunes étant tombés dans la Loire. Au regard des dangers encourus, « un repli tactique » sans usage de la force avait alors été décidé. 

     

    Le 21 juin 2019, à Nantes, quai Wilson, aux alentours de 4 h 30 du matin, des policiers ont utilisé des gaz lacrymogènes, des lanceurs de balles de défense contre des jeunes, pour leur faire éteindre la musique. Au cours de cette nuit, quatorze personnes sont tombées dans la Loire et depuis cette intervention de police, Steve Maia Caniço, 24 ans, est porté disparu.

    La préfecture était pourtant parfaitement informée des risques. A l'occasion de la fête de la musique 2017, dans une configuration similaire, quai Wilson, les forces de l'ordre avaient décidé « un repli tactique », se mettant à distance des jeunes, sans faire usage de la force. Deux personnes étant tombées dans la Loire. C'est ce que montre un rapport de police daté du 22 juin 2017, et transmis à la préfecture, dont Mediapart a pris connaissance. 

     


     

     

    Deux jours après la disparition de Steve Maia Caniço, le préfet de Loire-Atlantique Claude d’Harcourt, en charge avec la mairie de l’organisation des festivités, a pourtant tenu à rappeler sur les ondes de France Bleu que les organisateurs avaient été prévenus que la musique devait s’arrêter. « La musique a été rallumée », ce qui justifie, selon le préfet, l’intervention des forces de l’ordre avant de rajouter : « Face à des gens qui avaient beaucoup bu et qui avaient sans doute pris de la drogue, il est difficile d’intervenir de façon rationnelle. » 

    Après la disparition d’un jeune homme de 24 ans, par ces propos, le représentant de l’État légitime ainsi une opération de police sur un lieu non sécurisé avec de surcroît un usage de la force disproportionné face à une population fragilisée. 

    Serait-ce une façon de dissimuler sa propre responsabilité ? Parce que la préfecture, comme la mairie, était parfaitement informée des risques encourus par ces jeunes en cas d’intervention policière. Elle savait que sur ce lieu non sécurisé le risque de chute dans la Loire existait. Depuis au moins deux ans, ce danger était connu et avait été signalé par des policiers dans un rapport daté du 22 juin 2017 et transmis à la préfecture ainsi qu’à la Direction centrale de la sécurité publique.  

    Ce document que Mediapart a pu consulter est le compte rendu des opérations de police lors de la fête de la musique du 21 juin 2017. Y sont précisés non seulement « l’objet : service d’ordre – manifestation festive sur la voie publique – fête de la musique 2017 », les « organisateurs : ville de Nantes [et] préfecture », mais également le nombre d’effectifs de police et leur affectation. 

    On peut y lire, qu’entre 21 h, lorsque le dispositif de sécurisation est mis en place, et jusqu’à 3 h, plusieurs interpellations sont faites dans le centre-ville. Ensuite, le descriptif des opérations se déplace près des berges de la Loire.  

    À 3 h 38, les policiers précisent que les sapeurs-pompiers ont récupéré « deux personnes tombées en Loire » dont le « pronostic vital [est] non engagé ». À 4 h 25, les policiers interviennent « pour faire stopper la musique quai Wilson. », le lieu même où deux ans plus tard, ils agissent avec violence, prétextant des jets de projectiles. 

    Là, en 2017, les policiers relatent que des « individus refusent d’obtempérer », qu’un « fonctionnaire de police est blessé au niveau du crâne » et que les forces de l’ordre sont la cible de « jets de projectiles ». Malgré ces heurts, les forces de l’ordre n’interviennent pas et décident, à 4 h 50, d’un « repli tactique ». Compte tenu des risques que représente cette zone le long des berges non sécurisées, les policiers restent à distance. Et à 5 h, « la foule se disperse lentement »

     


     

    Contactés par Mediapart, plusieurs policiers ayant travaillé à Nantes connaissaient l’existence de ce rapport de 2017. L’un d’entre eux précise que « chaque fête n’est pas strictement comparable. Mais il est évident que les dispositifs le sont et surtout les comptes rendus d’opération permettent de faire remonter des dangers ou des risques ». 

     

    Le même policier constate que « les problèmes sur le quai Wilson étaient déjà connus depuis 2017. Et malgré cela, on a de nouveau ordonné une intervention sur un lieu qui n’avait toujours pas été sécurisé. Les jeunes pouvaient tomber à l’eau, mais on y est allé et on a joué avec le feu. Ce drame aurait pu être évité. Et les responsabilités côté police, préfecture et mairie doivent être assumées ».

    Un autre agent qui a participé à des opérations dans le cadre des fêtes de la musique précise que les années précédentes, il « n’était pas question de rétablissement de l’ordre, mais de sécurisation ».

    « Notre but est de protéger les jeunes, pas de les mettre en danger, explique-t-il. D’ailleurs, il y a cinq ans de cela, lorsque j’étais sur le dispositif, comme nous savions que les berges n’étaient pas protégées et qu’ils étaient en état d’ébriété, nous attendions qu’ils s’épuisent d’eux-mêmes. Et vers 6, 7 heures du matin, ils arrêtaient. Ils ne dérangeaient personne puisqu’il n’y a pas d’habitation autour. Cette année, il ne fallait pas intervenir ou alors il fallait leur trouver un autre lieu de fête. » 

    Il s’interroge sur l’évolution des pratiques policières. « Ce rapport montre également des changements dans l’usage de la force. C’est le même commissaire qui en 2017, décide de rester à distance et qui deux ans plus tard, emploie massivement les gaz lacrymogènes. Il a perdu le sens de l’appréciation, de la nuance, mais il faut remettre cela aussi dans un contexte plus général de durcissement des opérations de police. La hiérarchie n’y est évidemment pas étrangère et les pressions peuvent être fortes. »

    Le préfet de Loire-Atlantique n’a pas souhaité répondre à nos questions, se réfugiant, étonnamment, derrière l’enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Or il ne peut ignorer que le corps préfectoral ne dépend pas de l’IGPN, mais de l’Inspection générale de l’administration (IGA), seule compétente pour contrôler son action, et qui n’a pas été saisie à ce jour. 

    « Les autorités, que ce soit la préfecture ou la mairie, se renvoient la balle »

    Après la disparition de Steve, le 24 juin, le ministre de l’intérieur a demandé une enquête administrative à l’IGPN dont les conclusions seront rendues publiques la semaine du 29 juillet. 

    Difficile de ne pas retenir la disproportion de l’usage de la force. D’autant qu’un rapport, du 22 juin 2019, retranscrit ce qu’a constaté une unité de CRS arrivée « en appui », à 4 h 45, après l’intervention des policiers. « Eu égard à la configuration des lieux et à l’absence de garde-corps sur le quai », les CRS expliquent avoir refusé « l’utilisation de tous moyens lacrymogènes pour éviter des mouvements de panique et les possibles chutes dans le fleuve voisin. Il était 4 h 50. D’ailleurs, le canal sécurité publique annonçait déjà la récupération de nombreux individus tombés dans le fleuve et récupérés par un service nautique ».

    Ils précisent également avoir calmé certains jeunes paniqués par les heurts précédents en leur signalant qu’il n’y aurait pas de « violence » de la part des CRS. Ce faisant, « la tension est retombée et s’est progressivement figée ».   

    Christophe Castaner n’a pas saisi l’Inspection générale de l’administration afin qu’un contrôle soit fait sur la préfecture et ses manquements en matière de sécurité. Pourtant, en tant que représentant de l’État, le préfet a « la charge de l’ordre public et de la sécurité des populations », comme le précise le décret du 29 avril 2004. 

    En déplacement dans l’Essonne, le 25 juillet, le ministre déclarait : « Il est normal que nous soyons sur le sujet à la fois exemplaires et transparents. » Une transparence qui s’arrête aux portes de la préfecture. 

    Contacté par Mediapart, le cabinet du ministre de l’intérieur a refusé de répondre à nos questions concernant l’absence de saisie de l’IGA malgré la responsabilité manifeste du préfet.

     


     

     

    Du côté de la maire de Nantes Johanna Rolland, l’argumentation est laborieuse. La mairie, via le service de communication, tient tout d’abord à préciser que le terrain quai Wilson dépend de l’État. Dans un second temps, elle précise que « compte tenu des expériences des années précédentes, nous avons sécurisé les lieux ». Sans apporter plus de précisions sur les « expériences des années précédentes », la mairie explique avoir mis à disposition « deux agents afin de faire le lien avec les secours, ainsi qu’un canot de secours en Loire ».

    La légèreté du dispositif nous amène à signaler qu’aucun garde-corps n’avait été mis en place. Pas de commentaire de la part de la mairie qui, dans un ultime courriel, se défausse : « L’organisation d’un événement de l’ampleur de la fête de la musique donne lieu systématiquement à des réunions de coordination entre les différents services concernés sous l’égide de la préfecture. » Sur le déroulement et l’objet de ces réunions, la mairie reste, là encore, sibylline.

    Le 3 juillet, plus d’une semaine après la disparition de Steve Maia Caniço, le préfet a reçu les responsables des associations Freeform et Media’son, spécialisées dans l’accompagnement et l’organisation d’évènements de musique électronique.  

    Samuel Raymond, coordinateur de Freeform, en est sorti atterré. « La préfecture considère que la soirée était illégale, car elle n’avait pas été déclarée. Or cela fait vingt ans que les collectifs participent à la fête de la musique. C’est absurde, voire indécent, de tenir de tels propos aujourd’hui », explique-t-il. 

    Souvent convié aux groupes de travail interministériels sur le sujet, Samuel Raymond rappelle que « la préfecture aurait dû soit s’assurer que les lieux étaient sécurisés soit interdire le rassemblement ou le déplacer dans un autre lieu si elle considérait qu’il ne faisait pas partie de la fête de la musique ».

    « Les autorités que ce soit la préfecture ou la mairie se renvoient la balle, mais elles ont chacune une part de responsabilité dans le manque de sécurité du dispositif et dans les ordres d’intervention qui n’auraient pas dû être ainsi donnés », conclut-il. 

    Suite à la réunion en préfecture, Freeform a publié le communiqué suivant : « Nous avons voulu rencontrer le préfet pour comprendre ce qui s’est passé. (…) Nous voulions le rencontrer, car nous croyons qu’il est important que les pouvoirs publics aient une parole de vérité. (…) Les réponses que nous avons obtenues ce matin ne sont pas suffisantes. (…) nous allons nous tourner vers le ministre de l’intérieur Monsieur Castaner mais aussi les ministres de jeunesse et de la culture pour savoir quelles suites ils comptent donner à cette affaire et quelles mesures ils proposent pour qu’un tel drame ne se reproduise plus. »

    Victor Lacroix, président de l’association Media’son, ne décolère pas. « La préfecture n’a eu aucun mot de compassion. Et de façon insensée, nous a affirmé ne pas être au courant du rassemblement quai Wilson. Or, cela fait des années qu’il a lieu et ce rapport de 2017 prouve bien que la préfecture en est parfaitement informée. Sa responsabilité doit être engagée et la Coordination nationale des sons [association regroupant des collectifs d’organisateurs de free parties – ndlr], s’apprête à demander à ce que l’Inspection générale de l’administration mène une enquête sur la préfecture. » 

    Plusieurs participants nous ont précisé que toutes les années précédentes, les soirées s’étaient déroulées, selon la même organisation, au même endroit, « avec des interventions de la police venue faire cesser la musique, mais sans heurts notables et absolument rien de comparable avec ce qui est advenu cette année ».

     

     
    Pour Cécile de Oliveira, l’avocate de la famille de Steve Maia Caniço, ce rapport « est évidemment important puisqu’il donne la vision d’une autre manière d’agir dans le cadre non pas de maintien de l’ordre, mais de sécurisation puisque c’est bien de cela dont il est question ». 

     

    Plusieurs enquêtes sont en cours parmi lesquelles une instruction ouverte pour recherches des causes de la disparition. À la suite de la plainte collective de 89 participants pour « mise en danger de la vie d’autrui et violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique », une enquête préliminaire a été ouverte et confiée à l’IGPN.

    L’avocate des plaignants, Marianne Rostan, estime que ce rapport « démontre là encore qu’aucune intervention de police n’aurait dû être ordonnée. Rien ne justifie l’utilisation de telles armes. Les propos du préfet sont difficilement entendables. Et ceux du président Emmanuel Macron sont atterrants. Il a fallu attendre trois semaines pour qu’il s’exprime sans avoir un seul mot pour la famille de Steve Maia Caniço. » 


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