• Le boycott, ou l’abstention par le versant politique

    Fil ouvert le 18 janvier 2022

    Le boycott, ou l’abstention par le versant politique

     

    Boycotter l’élection présidentielle pour imposer l’idée d’un processus constituant : l’idée resurgit à l’occasion du scrutin d’avril 2022.

    Des militantes et militants politiques à gauche veulent faire des abstentionnistes une force politique.

    Mathilde Goanec

    17 janvier 2022 Médiapart

     

    Cette fois-ci, basta, ce sera le boycott.

    Plus de 120 militantes et militants politiques, syndicalistes, « gilets jaunes » ou artistes lancent un appel à ne pas voter pour la présidentielle française, afin de contester la « nature perverse » de cette élection.

     

    Gravitant autour du collectif Aplutsoc (Arguments pour la lutte sociale) et de la publication « Cerises – La coopérative », cette initiative encore embryonnaire n’est pas sans enseignements.

    Pourquoi est-ce que des militantes et militants aguerris veulent en finir avec l’élection reine, après avoir pour nombre d’entre elles et eux accompagné la plupart des grandes aventures partisanes de gauche ces dernières décennies ?

     

    « La présidentielle hypertrophie la personnalité du ou de la candidate, reléguant dans son ombre toutes les autres forces, y compris celles qui ont contribué à sa présence, explique le manifeste pour le boycott.

    Pour que les législatives deviennent l’expression des exigences de la société, qu’elles ne soient pas le troisième tour de la présidentielle, il faut se dégager de ce système. »

     

    Et cela par un « boycott constituant », précise l’écrivain et cinéaste Gérard Mordillat, qui fut un compagnon de route historique du Parti communiste. 

    Une constituante est une assemblée temporaire, composée idéalement de citoyennes et de citoyens divers chargés de réécrire tout ou partie de la Constitution, notamment sur la manière d’organiser les pouvoirs.

     

     

    L’idée n’est donc pas de « sauter par-dessus » la présidentielle (ce qui trotte dans la tête d’un certain nombre de candidates et candidats à gauche, inquiets de la faiblesse de leur score potentiel), mais de « la prendre à bras-le-corps », complète Vincent Présumey, professeur d’histoire et syndicaliste à la FSU (Fédération syndicale unitaire), afin de donner à l’abstention, par nature individuelle, une force collective et politique.

    « Le boycott est le contraire de l’abstention, c’est un mouvement actif », précise Gérard Mordillat.

     

    Trois mois avant une présidentielle dominée par le camp conservateur, c’est du déjà-vu, et périlleux :

    rien en France n’empêche un·e président·e de présider ou tout autre élu·e – même très mal – d’entrer en fonction.

    « Quand on voit ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie, on peut se dire que le pouvoir se moque de la légitimité d’une élection », concède Jean-Blaise Lazare, un citoyen engagé dans l’appel au boycott.

     

    En effet, le 12 décembre 2021, lors du troisième référendum d’autodétermination, organisé en Nouvelle-Calédonie malgré l’appel du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) à la non-participation, le « non » l’a emporté avec 96,49 % des suffrages exprimés, mais surtout avec une abstention en très forte hausse (56,1 %).

    « Mais s’il y a plus de 50 % d’abstention à une élection, et surtout à une élection présidentielle, ce ne sont pas juste des gens qui sont partis à la pêche, mais des gens qui veulent que le système change », conclut Jean-Blaise Lazare.

     

    Le risque de morceler les électorats et de favoriser l’extrême droite par une abstention massive est pareillement balayé.

    Ses figures de proue (aujourd’hui Éric Zemmour ou Marine Le Pen, hier son père Jean-Marie) se nourrissent au contraire de la désillusion politique, explique les signataires, « après les renoncements de la gauche plurielle » par exemple ou au cours du quinquennat Hollande.

     

    Gérard Mordillat voit d’ailleurs dans ces préventions une bien étrange « curiosité » au regard du bilan d’Emmanuel Macron.

    « Sur les migrations, le rapport aux syndicats, les libertés publiques, l’extrême-droite ne risque pas d’arriver au pouvoir, elle est au pouvoir.

    Donc il faut absolument disqualifier cette manière de penser qui qui est mortifère », considère abruptement l’écrivain.

     

     

    L’initiative de boycott de la présidentielle tente aussi de résoudre une vieille équation posée à la gauche, celle de continuer à faire vivre, au-delà de l’élection d’une femme ou d’un homme providentiel, les mouvements sociaux et syndicaux pour peser sur l’action d’un·e président·e monarchisé·e par l’usage de la Ve République.

    Faisant le constat de l’impuissance de plus en plus manifeste des citoyennes et citoyens mobilisés à obtenir des victoires malgré la multiplication des fronts et des colères, l’appel au boycott veut lier, dans un même mouvement, « le social, le sociétal, l’écologique et la dimension institutionnelle », remarque Pierre Zarka, ancien directeur de L’Humanité

     

    Il signe en creux une forme de désaveu du seul candidat à proposer, depuis sa première candidature en 2012, une constituante.

    Jean-Luc Mélenchon en fait encore cette année le premier chapitre de son programme présidentiel, qui débute ainsi.

    « Les institutions de la VRépublique sont devenues dangereuses.

    Elles organisent un pouvoir solitaire. [...]

    La confiance est rompue entre le peuple et ses institutions représentatives.

    Nous avons le pouvoir de refonder nos institutions communes.

    Nous proposons que les Français se dotent d’une nouvelle Constitution rédigée par une Assemblée constituante. »

     

    Jean-Luc Mélenchon assure, concrètement et s’il accède au pouvoir, vouloir « convoquer un référendum pour engager le processus constituant et décider des modalités de composition de l’Assemblée constituante : mode de scrutin, parité, tirage au sort et incompatibilités ; et des modalités de délibération : comités constituants et participation citoyenne ».

     

    Catherine Destom Bottin, membre d’Attac, confirme avoir « plein de copains proches de La France insoumise » très dubitatifs à l’idée d’un boycott, alors que leur candidat clame et avec constance son envie de VIRépublique.

    « Dans la démarche de Mélenchon, l’avenir de la nation tient dans ce que le roi, qui préside, porte l’ambition constituante. Or nous pensons que c’est d’abord une intervention populaire », considère Catherine Destom Bottin.

     

    Comités locaux

    Elle cite l’exemple du Chili, où une convention populaire, née sous la pression de manifestations monstres en 2019, planche sur une nouvelle Constitution qui devrait être présentée cet été.

    « À gauche, on s’est réjouis de l’élection de Gabriel Boric.

    Mais s’il avait été élu avant l’initiative de constituante, l’aurait-il seulement menée ? », interroge Catherine Destom Bottin.

     

    Une position qui rejoint celle défendue, dans nos colonnes, par l’historien chilien Gabriel Salazar, peu après l’élection de Gabriel Boric le 19 décembre 2021.

    « C’est la dernière élection en accord avec la Constitution de 1980, qu’on est en train de changer !

    Quelle légitimité a donc ce président élu selon une Constitution que nous sommes en train de défaire ?

    Le grand problème politique, de moralité civique, est de savoir si le gouvernement actuel peut arriver à son terme ou pas, alors qu’un processus constituant est en cours.

    Dans le passé, quand un processus constituant s’ouvrait, le gouvernement était renversé. »

     

    Les signataires, dont certain·es ne se connaissaient pas il y a trois mois, appellent désormais à constituer des comités locaux et une structuration nationale, et se réuniront le 22 janvier pour acter d’une stratégie « offensive », vers les électeurs et électrices, mais également vers les candidat·es.

    Avec, aux dernières élections régionales, un taux d’abstention proche de 70 %, il existe sans contexte un vivier de boycotts potentiels.

     

    « Mais nous ne nous considérons pas comme propriétaires de ce mouvement, met en garde Pierre Zarka.

    Il ne s’agit pas d’une rencontre des appareils, mais que chacun, et notamment les jeunes, puisse traiter cela à sa manière.

    Je souhaite que nous soyons majoritaires.

    Si nous ne le sommes pas, au moins nous ouvrons une brèche dans ce qui paraissait impossible, ce mur politique qu’est l’élection présidentielle. » 

     

    Mathilde Goanec

     

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    BOYCOTTONS L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE !

     

    Après 5 années terribles de démantèlements de conquis sociaux, de désastres écologiques, de combats populaires remettant en cause le système économique et politique et toutes les formes de domination : Gilets jaunes, mouvement de défense des retraites, grèves pour les salaires, grève générale dans les Antilles et territoires dits d’ « outre-mer » ... les forces politiques officielles abordent la présidentielle comme si l’élection du Président de la République au suffrage universel allait de soi. Qu’une personne puisse incarner à elle seule l’institution suprême de la République ne peut être qualifié de démocratique.

    La Présidentielle hypertrophie la personnalité du ou de la candidate reléguant dans son ombre toutes les autres forces y compris celles qui ont contribué à sa présence. D’ailleurs on dit bien de ces forces qu’elles « sont derrière » la candidature. Ce qui explique pour une large part l’échec de candidature unitaire à la gauche de la gauche : personne ne voulant être relégué dans l’oubli.

    Pour que les législatives deviennent l’expression des exigences de la société, qu’elles ne soient pas le troisième tour de la présidentielle, il faut se dégager de ce système.

    Si l’abstention est un acte individuel trop souvent confondu avec le silence et la passivité, le boycott dûment motivé est un acte collectif puissamment politique.

    L’objectif est de favoriser l’émergence d’un mouvement populaire avec celles et ceux qui sont en quête de pouvoir se faire entendre. Il ne s’agit plus de désigner le meilleur (ou le moins pire) en vue d’obtenir le moindre mal mais de considérer que les mouvements populaires doivent déboucher sur une mise en cause du régime actuel et sur la construction de la démocratie.

    C’est un boycott constituant que nous voulons.

    Le boycott combat le caractère antidémocratique des institutions, affaiblit les idées d'extrême droite qui promeuvent le culte du chef. Il permet de prendre conscience de notre force collective qui peut ainsi déboucher sur l'exigence d'une vraie démocratie.

    Boycotter la présidentielle portera un coup au régime de la 5eme République, sera une victoire contre toutes politiques autoritaires et anti-sociales. Créons ainsi des espaces citoyens, des comités, des assemblées populaires... où toutes et tous se réapproprient la politique et se fédèrent. Ouvrons ainsi, par une campagne de terrain, une nouvelle dynamique populaire qui donne une plus grande efficacité et des perspectives aux luttes sociales.

    Nous n’avons qu’une 5eme République à perdre et un monde à gagner.

     

     
     

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