L’idée n’est donc pas de « sauter par-dessus » la présidentielle (ce qui trotte dans la tête d’un certain nombre de candidates et candidats à gauche, inquiets de la faiblesse de leur score potentiel), mais de « la prendre à bras-le-corps », complète Vincent Présumey, professeur d’histoire et syndicaliste à la FSU (Fédération syndicale unitaire), afin de donner à l’abstention, par nature individuelle, une force collective et politique.
« Le boycott est le contraire de l’abstention, c’est un mouvement actif », précise Gérard Mordillat.
Trois mois avant une présidentielle dominée par le camp conservateur, c’est du déjà-vu, et périlleux :
rien en France n’empêche un·e président·e de présider ou tout autre élu·e – même très mal – d’entrer en fonction.
« Quand on voit ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie, on peut se dire que le pouvoir se moque de la légitimité d’une élection », concède Jean-Blaise Lazare, un citoyen engagé dans l’appel au boycott.
En effet, le 12 décembre 2021, lors du troisième référendum d’autodétermination, organisé en Nouvelle-Calédonie malgré l’appel du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) à la non-participation, le « non » l’a emporté avec 96,49 % des suffrages exprimés, mais surtout avec une abstention en très forte hausse (56,1 %).
« Mais s’il y a plus de 50 % d’abstention à une élection, et surtout à une élection présidentielle, ce ne sont pas juste des gens qui sont partis à la pêche, mais des gens qui veulent que le système change », conclut Jean-Blaise Lazare.
Le risque de morceler les électorats et de favoriser l’extrême droite par une abstention massive est pareillement balayé.
Ses figures de proue (aujourd’hui Éric Zemmour ou Marine Le Pen, hier son père Jean-Marie) se nourrissent au contraire de la désillusion politique, explique les signataires, « après les renoncements de la gauche plurielle » par exemple ou au cours du quinquennat Hollande.
Gérard Mordillat voit d’ailleurs dans ces préventions une bien étrange « curiosité » au regard du bilan d’Emmanuel Macron.
« Sur les migrations, le rapport aux syndicats, les libertés publiques, l’extrême-droite ne risque pas d’arriver au pouvoir, elle est au pouvoir.
Donc il faut absolument disqualifier cette manière de penser qui qui est mortifère », considère abruptement l’écrivain.
L’initiative de boycott de la présidentielle tente aussi de résoudre une vieille équation posée à la gauche, celle de continuer à faire vivre, au-delà de l’élection d’une femme ou d’un homme providentiel, les mouvements sociaux et syndicaux pour peser sur l’action d’un·e président·e monarchisé·e par l’usage de la Ve République.
Faisant le constat de l’impuissance de plus en plus manifeste des citoyennes et citoyens mobilisés à obtenir des victoires malgré la multiplication des fronts et des colères, l’appel au boycott veut lier, dans un même mouvement, « le social, le sociétal, l’écologique et la dimension institutionnelle », remarque Pierre Zarka, ancien directeur de L’Humanité.
Il signe en creux une forme de désaveu du seul candidat à proposer, depuis sa première candidature en 2012, une constituante.
Jean-Luc Mélenchon en fait encore cette année le premier chapitre de son programme présidentiel, qui débute ainsi.
« Les institutions de la Ve République sont devenues dangereuses.
Elles organisent un pouvoir solitaire. [...]
La confiance est rompue entre le peuple et ses institutions représentatives.
Nous avons le pouvoir de refonder nos institutions communes.
Nous proposons que les Français se dotent d’une nouvelle Constitution rédigée par une Assemblée constituante. »
Jean-Luc Mélenchon assure, concrètement et s’il accède au pouvoir, vouloir « convoquer un référendum pour engager le processus constituant et décider des modalités de composition de l’Assemblée constituante : mode de scrutin, parité, tirage au sort et incompatibilités ; et des modalités de délibération : comités constituants et participation citoyenne ».
Catherine Destom Bottin, membre d’Attac, confirme avoir « plein de copains proches de La France insoumise » très dubitatifs à l’idée d’un boycott, alors que leur candidat clame et avec constance son envie de VIe République.
« Dans la démarche de Mélenchon, l’avenir de la nation tient dans ce que le roi, qui préside, porte l’ambition constituante. Or nous pensons que c’est d’abord une intervention populaire », considère Catherine Destom Bottin.
Comités locaux
Elle cite l’exemple du Chili, où une convention populaire, née sous la pression de manifestations monstres en 2019, planche sur une nouvelle Constitution qui devrait être présentée cet été.
« À gauche, on s’est réjouis de l’élection de Gabriel Boric.
Mais s’il avait été élu avant l’initiative de constituante, l’aurait-il seulement menée ? », interroge Catherine Destom Bottin.
Une position qui rejoint celle défendue, dans nos colonnes, par l’historien chilien Gabriel Salazar, peu après l’élection de Gabriel Boric le 19 décembre 2021.
« C’est la dernière élection en accord avec la Constitution de 1980, qu’on est en train de changer !
Quelle légitimité a donc ce président élu selon une Constitution que nous sommes en train de défaire ?
Le grand problème politique, de moralité civique, est de savoir si le gouvernement actuel peut arriver à son terme ou pas, alors qu’un processus constituant est en cours.
Dans le passé, quand un processus constituant s’ouvrait, le gouvernement était renversé. »
Les signataires, dont certain·es ne se connaissaient pas il y a trois mois, appellent désormais à constituer des comités locaux et une structuration nationale, et se réuniront le 22 janvier pour acter d’une stratégie « offensive », vers les électeurs et électrices, mais également vers les candidat·es.
Avec, aux dernières élections régionales, un taux d’abstention proche de 70 %, il existe sans contexte un vivier de boycotts potentiels.
« Mais nous ne nous considérons pas comme propriétaires de ce mouvement, met en garde Pierre Zarka.
Il ne s’agit pas d’une rencontre des appareils, mais que chacun, et notamment les jeunes, puisse traiter cela à sa manière.
Je souhaite que nous soyons majoritaires.
Si nous ne le sommes pas, au moins nous ouvrons une brèche dans ce qui paraissait impossible, ce mur politique qu’est l’élection présidentielle. »