• L’union reste un combat...

    L’union reste un combat...

     

    par jacques casamarta (Corse)
    jeudi 17 décembre 2015

    Le résultat des élections régionales en France et territoriales en Corse est révélateur d’une réalité que nous percevions, mais que nous n’osions voir se traduire avec cette ampleur. C’est au moment où le FDG est menacé de disparaitre comme force politique, que le FN réalise avec l’abstention, au plan national, les scores que l’on connait. Si au deuxième tour des élections, il n’obtient aucune présidence de région, ce fait majeur ne doit pas masquer l’ampleur de la crise politique, l’ampleur du vote pour ce parti.

    Le FN est devenu en effet avec l'abstention, le premier parti de France... Mais cette situation était prévisible depuis longtemps et l’analyse des causes, comme des responsabilités doivent être clairement identifiées dans toute leur diversité. 

    L'espoir à horreur du vide et nous vivons dans un vide sidérant, destructeur des valeurs de solidarité, d'amitié, de fraternité... Ce n'est que le résultat certainement logique, d'une forme de désespérance qui touche aujourd'hui une France et de très nombreux citoyens... C'est aussi le résultat d'une démission politique, d'une crise du lien social, de l’individualisme, de l’indifférence, d'une citoyenneté paradoxale, d'une laïcité en recul, mais aussi d'absence d'objectivité médiatique... 

    Un message brouillé. 

    Pour beaucoup, La république n'est plus la république... Le message est brouillé. 

    Comment dans ce contexte de crises multiples, d’attentats en France et dans le monde, d'un système capitaliste destructeur, du règne sans partage de l’argent, de droits bafoués et malmenés, de reculs incessants, de mal vie pour beaucoup et d'absences de perspectives progressistes, d'une gauche de transformation sociale atomisée, comment s'étonner que le FN puisse dans un tel climat réaliser de tels scores... Ils ne traduisent que l'abîme profond, le décalage qui s'est installé depuis longtemps déjà entre le politique et la société.

    Ce n'est pas le FN qui progresse, c'est l’incapacité collective à penser un autre avenir. 

    C’est pour tout cela et d’autres considérations plus locales, liées au clientélisme et au clanisme qu’il faut combattre en Corse, que le mouvement Manca Alternativa[i]/Ensemble, avait proposé de travailler à l’élaboration d’une liste, dont la signification première, aurait permis de faire la clarté dans un rassemblement anti austérité et sans complaisance aucune avec ceux qui soutiennent et développent sur place, les politiques gouvernementales d’austérité qui mécontentent.

    Ce rassemblement a failli se concrétiser en Corse par le dépôt d’une liste de rassemblement[ii], émanation de la société civile et intitulée VIA, (Vouloir, Imaginer, Agir) avec des militants associatifs, syndicalistes, coopératifs. Les mouvements politiques, Manca Alternativa/Ensemble, Europe Ecologie les Verts et Nouvelle Donne en corse en étaient les artisans. Ils avaient compris et bien perçu les messages politiques, le décalage, pour ne pas dire le fossé qui se construit tous les jours et depuis des années entre le politique et les citoyens.

    la gauche du 21ème siècle, ne sera pas celle du 20ème.

    Dans cette situation les responsabilités en sont multiples et il faudra bien pour la gauche de transformation sociale après le résultat de ces élections, faire une analyse tout à la foislucide, ouverte, sans "langue de bois", critique et constructive, car la gauche du 21ème siècle, ne sera pas celle du 20ème

    En premier lieu, le monde est aujourd'hui unipolaire, depuis l'effondrement du bloc de l'Est dans les années 80, qui s'est avéré incapable, de réconcilier socialisme et liberté et surtout qui a échoué dans son entreprise d'émancipation humaine

    Cette réalité des rapports de force a durablement et profondément marqué nos sociétés, la perspective historique. Nous vivons encore aujourd’hui sous le poids de ces échecs et des difficultés à donner du sens politique autour d’un projet d’émancipation.

    Le libéralisme n'est aujourd'hui concurrencé par rien d'autre. Tout au plus des protestations et si, comme en Grèce[iii] elles deviennent trop turbulentes, elles sont « matées » pour imposer des règles libérales, capitalistes, qui insidieusement installent dans l'opinion l'incompréhension, le rejet, la désespérance ou la colère... 

    Ce qui reste suffisamment éloquent de cet engrenage, sont les propos clairement énoncés par Jean Claude Junker le Président de l'assemblée européenne « les choix démocratiques ne peuvent remettre en cause les traités européens ». Tout un symbole, quand on connait le poids des traités européens dans notre vie quotidienne et dans la privatisation et le démantèlement des services publics.

    C'est ainsi que l'extrême droite avec son discours populiste, et toujours le même, apparaît en France et en Europe en rupture avec le système. Ils récupèrent ainsi l'illusion, les fruits de cette situation sans même avoir besoin de présence militante sur le terrain... Certains médias s'en chargent. Le FN apparaît comme une sorte de label et le patronat s'en réjouit.

    Je ne parlerai pas ici des responsabilités de la droite et des derniers propos de Sarkozy sur l'immigration qui ne pouvaient que crédibiliser, renforcer la haine et le vote FN. 

    Je ne parlerai pas non plus de la difficulté des mobilisations syndicales et du corporatisme, du taux de syndicalisation qui baisse d’année en année, malgré les attaques de plus en plus fortes et précises contre le monde du travail.

    Le parti socialiste dans la recomposition centriste.

    Non, je parlerai de la gauche et à commencer par celle qui continue à se présenter abusivement à « Gauche », et qui depuis très longtemps a trahi l'espoir, en rejoignant les thèses du libéralisme. Le Parti Socialiste et son gouvernement dirigent au « centre » ils ont une écrasante responsabilité dans ce qui arrive, dans les reculs de civilisation, dans cette désespérance, déliquescence de la société, mais aussi dans le décalage avec l’électorat populaire de gauche et donc les résultats des élections, de toutes les élections depuis la présidentielle de 2012. Sa politique sociale-libérale désespère et pousse par incompréhension, ignorance ou colère au vote FN, au repli. Voilà une réalité qui travaille et bouleverse l’électorat populaire, et qui peut conduire à une sorte de suicide politique.

    Les appels du PS à faire barrage à l'extrême droite après cette nouvelle et grave déroute électorale au 1er tour des élections, ne sont en fin de compte qu’un désaveu de sa politique tout en favorisant un peu plus, incompréhensions et amalgames. Ils sonnent creux, car la responsabilité de ce parti dans le désastre politique est largement engagée. 

    Ce n'est pas la seule raison de l'expansion du FN, mais, lorsque le parti socialiste en glissant vers le centre a rejoint peu à peu les thèses du libéralisme, alors les vannes se sont ouvertes et la progression du FN a commencé à s'enraciner méthodiquement et à chaque élection, dans tous les milieux depuis les années 90, au point d'en devenir aujourd'hui un réel danger contre lequel il nous faudra s'opposer. A plusieurs moments de notre histoire il a fallu que des hommes, des femmes, s'engagent et combattent pour éviter de voir sombrer dans la barbarie des sociétés. 

    le FDG ne survivra pas, en tout cas pas en l'état, à cette crise majeure. 

    Cela m'amène à parler de la gauche dite « de transformation sociale ». Il y a fort à parier que le FDG ne survivra pas, en tout cas pas en l'état, à cette crise majeure et c’est valable aussi pour la Corse dont le rassemblement de ces composantes s’est avéré impossible. 

    C’est Pierre Kalfa[iv] militant d’Attac, qui insiste sur l’idée que cela nous renvoie à un mal plus profond. « L’incapacité du FDG à avoir une posture politique lui permettant d’être en phase avec les attentes de l’électorat de gauche. Car il ne suffit pas de critiquer la politique gouvernementale, encore faut-il être porteur d’espoir, montrer qu’une autre voie est concrètement possible, qu’une société plus juste et plus égalitaire est non seulement nécessaire mais réalisable ». Et c'est surtout la, que le problème demeure et le bas blesse.

    Les mouvements qui composent le FDG, n’ont pas ou n’ont plus la crédibilité nécessaire et les électeurs le perçoive comme ayant les deux pieds dans la même chaussure.... La position « à la carte » du Parti Communiste sur l’ensemble du territoire et y compris en Corse traduit cette situation, ce décalage, les ambiguïtés politiques, les erreurs stratégiques et politiques que les résultats des élections municipales[v] à Ajaccio et Bastia et dans la foulée les départementales avaient déjà soulevées et démontrées, posant par la même inconsciemment, pour les électeurs, la question de la confiance, la question de la perspective.

    L’échec ne vient pas de nulle part, mais plutôt d’une absence de clarté politique, de crédibilité et surtout d’audace à défricher des voies nouvelles à gauche, contre l’austérité, le clan et toute forme de clientélisme. C’est ainsi que le FDG dans ses principales composantes en Corse n’a pas trouvé lors des derniers scrutins, (municipales, départementales et territoriales), le chemin du rassemblement. Il en paye aujourd’hui les conséquences. 

    Impasse politique et clarté nécessaire.

    Que dire de l’appel lancé par Cécile Duflot[vi] à la construction d’une coalition des forces de gauche « écologistes et communistes » avec François Hollande, si ce n’est que cette proposition en l’état actuel de la politique du Parti socialiste sonnerait encore plus le glas d’une capitulation libérale, perçue par les citoyens comme politicienne et dont l’objectif serait destiné à constituer un bloc politique en vue des prochaines élections présidentielles. Il est plutôt préférable de revendiquer et agir pour une autre politique, plus sociale et plus humaine. 

    Depuis des années déjà, l’inquiétude se manifeste sur la gravité et l’impasse politique dans laquelle se trouve la « gauche de transformation sociale ». Durant la campagne des élections départementales de mars dernier à Ajaccio, un camarade avait employé la formule suivante et sur laquelle il nous faut réfléchir« il vaut mieux perdre avec ses idées que gagner avec les idées des autres »... 

    Il est en effet impossible sur le terrain d'assumer une critique nécessaire et juste de la politique du parti au pouvoir dans la campagne du premier tour et de créer les conditions d'un rassemblement purement électoral avec celui-ci au second tour... Car c'est bien de cela dont il s'agit. Il y a ce niveau, une contorsion impossible, difficile à faire accepter et qui place cette gauche de transformation sociale dans une situation infernale, favorisant du même coup un désintérêt des électeurs à son égard. C’est le message que donne le résultat des élections, car se rassembler nécessite le rapport de force, mais aussi le cas échéant la rédaction d’une charte clarifiant les enjeux du rassemblement. En Corse, comme dans beaucoup de régions le rassemblement contre la droite, n’a pas été perçu par les électeurs comme crédible, suffisamment clair et porteur d’un changement.

    C’est sur la liste nationaliste rassemblée, conduite par Gille Siméoni[vii] que s’est reporté le ras le bol et la recherche de changement par les citoyens. Le vote pour « Per A Corsica » dépasse de loin l’électorat nationaliste traditionnel, ce qu’ils reconnaissent eux-mêmes. Dans le contexte et la situation politique de l’Ile, elle est apparue aux yeux des électeurs comme la plus cohérente et celle qui pouvait le mieux combattre le vieux système claniste, clientéliste et qui pouvait représenter une perspective. C’est aussi celle qui a mobilisé le plus la jeunesse.

    A elle aujourd’hui de démontrer aux les électeurs que ce vote n’était pas une impasse comme les autres. Mais cela ne pourra se faire, sans une remise en cause du système libéral en France et en Europe, car c’est bien là en grande partie, le nœud de tous nos problèmes. 

    Disqualifier le bloc de droites et le bloc du centre

    Pierre Cours Salies[viii] avec d’autres militants dans un texte collectif et publié dans le cadre du débat du mouvement Ensemble, invite « à rendre visible une alternative qui réponde et disqualifie à la fois le bloc des droites et le bloc du centre en train de se dessiner ». C’est en effet un véritable enjeu qu’il convient de traiter et clarifier y compris en terme d’alliances. C’est même aujourd’hui la clef de voute de toute reconstruction, refondation d’une véritable politique de gauche de transformation sociale. Il y a urgence.

    Il est en effet aussi difficile, pour ne pas dire impossible de prendre le mouvement populaire à rebrousse-poil, c’est la nouvelle expérience que vient de faire le FDG à son détriment. C’est ainsi qu’en corse, Manca Alternativa/Ensemble, mouvement qui rejette toute forme de sectarisme et d'opportunisme, avait posé durant la préparation de la campagne électorale les questions politiques de perspective et de crédibilité en termes de rupture avec le gouvernement Vals/Macron, leur politique libérale,... Il est évident que cette position qui invite à clarifier sur le terrain avec les soutiens locaux n’est pas facile à tenir, car elle remet en cause des pratiques et surtout une culture politique du vote républicain et qui a marqué l’histoire au 20ème siècle.

    L’union reste un combat, la clarté un objectif

    Mais la situation n’est plus la même, la gauche du 20ème siècle n’est plus la gauche du 21ème, les rapports de force ne donnent nulle part un FDG en perspective d’œuvrer concrètement à l’émancipation humaine et le parti socialiste qui dirige au centre, tire à chaque fois profit de la faiblesse dans laquelle se trouve la gauche de transformation sociale dans un positionnement perçu par les citoyens comme ambigu. C'est pourquoi il faut reconstruire cette gauche en empruntant le chemin de la clarté, de la dénonciation du système libéral, des droites et du centre et de travailler au rassemblement avec les forces de la société civile. C’est ce rassemblement qui à terme peut être porteur d’avenir. 

    Pierre Zarka[ix], ancien directeur du journal l’Humanité et militant du mouvement Ensemble donne des pistes sur lesquelles il faut réfléchir et travailler « cette période montre, ,… qu’Ensemble n’a pas … l’indépendance et l'originalité nécessaires par rapport au PC ou au PG. De ce fait, les exploités et dominés qui sont de plus en plus sceptiques quant à l’apport du politique, ne peuvent que nous assimiler aux forces en crise et inefficaces et n’ont rien à se mettre sous la dent…hormis la démagogie lepéniste. Il n’y a donc aucune raison pour ne pas nous enliser comme les autres dans la crise de la politique. L’absence d’approfondissement de notre part d’une autre stratégie, disons pour aller vite, autogestionnaire, nous a rattrapés ».

    Il y a donc urgence, et le mot n’est pas trop faible à ouvrir un vaste débat au sein de la gauche sur ces questions fondamentales, favoriser la pensée critique, prendre le temps de la réflexion et de l'analyse dans le respect des opinions et des différences, car le monde bouge à la vitesse grand V et les résultats des élections montrent que nous n'avons que peu de temps pour changer.

    Nous avons besoin d’espoirs.

                  

    [i] Manca Alternativa en Corse est affilié au Mouvement Ensemble, 3ème composante du Front de gauche dont Clémentine Autain en est l’une des porte-paroles.

    [ii] VIA a été une tentative de constitution de liste citoyenne après l’annonce du sondage sur les élections territoriales en Corse et qui révélait qu’à peine un peu plus d’un électeur sur deux annonçait se déplacer pour voter alors que 12 listes étaient déjà en présence, (5 dites de gauche, 3 de droite, 1 extrême droite et 3 listes nationalistes) VIA aurait dû être la 13ème. Emanation de la société civile elle regroupait les 3 composantes politiques, Manca Alternativa/Ensemble, EELV, ND et des militants associatifs, syndicalistes et coopératifs. Il s’agissait d’une réaction à la crise de la représentation politique que révélait le sondage, mais aussi à la rupture intervenue avec le Parti Communiste au début du mois d’octobre.

    [iii] Agoravox, voir article Jacques Casamarta « Grèce et maintenant ». Une analyse sur l’intransigeance européenne à l’égard des citoyens et du gouvernement Grecs.

    [iv] Pierre Khalfa est co-président de la fondation Copernic, responsable à Attac, militant d’Ensemble

    [v] Les élections municipales de 2013 auront vu la gauche battue dans les deux chefs-lieux de département de la région Corse. Simon Renucci à Ajaccio et Jean Zuccarelli à Bastia battus respectivement par Laurent Marcangelli UMP et Gilles Simeoni, nationaliste. Le mécontentement des électeurs vis-à-vis de la politique nationale et les divisions ont pesé dans ce résultat.

    [vi] Cécile Duflot co-présidente du groupe écologiste à l’assemblée nationale, députée de Paris. Article journal Le Monde 15 décembre 2015.

    [vii] La participation pour le 2ème tour a été de 67,03%, en nette amélioration par rapport au 1er . La liste Gilles Siméoni nationaliste a recueilli 35,34% des suffrages et 24 élus avec la prime majoritaire de 9 élus. La liste Paul Giacobbi le président sortant (Gauche) 28,49% et 12 élus. La liste José Rossi d’Union de la droite a recueilli 27,07% et 11 élus. La liste Christophe Canioni Front National 9,09% et 4 élus en diminution par rapport au &er tour.  

    [viii] Pierre Cours Salies professeur de philosophie, docteur d’état en sciences politique, ancien membre de la Ligue Communiste Révolutionnaire, militant au sein du Mouvement Ensemble

    [ix] Pierre Zarka ancien député, ancien directeur du journal l’Humanité, il a quitté le PCF en 2010, il milite au sein de l’association des communistes Unitaire, membre du mouvement Ensemble.


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