• États-Unis. Le Trumpisme met un genou à terre

    Vendredi, 5 Juin, 2020
     

    États-Unis. Le Trumpisme met un genou à terre

    La volonté du président américain de mobiliser l’armée contre les manifestants a reçu le veto de son propre secrétaire à la Défense, tandis que Barack Obama a livré une charge inédite contre le locataire de la Maison-Blanche.

     

    « C ’est ce que font les autocrates. C’est ce qui arrive dans des pays, juste avant l’effondrement. » L’analyse d’un ancien expert de la CIA, interrogé par le Washington Post, dans son édition de mercredi, ne portait pas sur une « république bananière » ou un régime despotique, mais sur l’état de son propre pays : les États-Unis. Effondrement ? Le mot est sans doute trop fort. Mais le pouvoir de Donald Trump est clairement chancelant. En 24 heures, il a été défié par son secrétaire à la Défense et été identifié comme une menace pour le pays par son prédécesseur. Situation sans précédent. La tension s’est nouée autour de la menace brandie par Trump de la possibilité d’invoquer une loi de 1807 afin d’envoyer l’armée « dominer » les manifestations.

    « Les conséquences de trois années sans adultes aux commandes »

    Mark Esper, actuel secrétaire à la Défense, donc numéro 3 de l’administration Trump, a mis son veto : « Je ne suis pas favorable à décréter l’état d’insurrection. » Quelques heures plus tard, c’est son prédécesseur à ce poste, Jim Mattis, qui a tiré une salve. Il avait démissionné de son poste en 2018 après la décision présidentielle de retirer unilatéralement les troupes américaines de Syrie. Cet ancien général issu du corps des marines est une figure respectée parmi les milieux conservateurs. Ce qu’il écrit dans une tribune publiée par le magazine The Atlantic ne peut qu’ébranler la présidence Trump. « De mon vivant, Donald Trump est le premier président qui n’essaie pas de rassembler les Américains, qui ne fait même pas semblant d’essayer. Au lieu de cela, il tente de nous diviser. Nous payons les conséquences de trois années sans adultes aux commandes. » Et encore : « Quand j’ai rejoint l’armée, il y a cinquante ans, j’ai prêté serment de soutenir et défendre la Constitution. Jamais je n’ai imaginé que des soldats qui prêtent le même serment puissent recevoir l’ordre, quelles que soient les circonstances, de violer les droits constitutionnels de leurs concitoyens – et encore moins pour permettre au commandant en chef d’aller poser pour une photo, de manière s augrenue, avec les chefs militaires à ses côtés. » Jamais, depuis 2016, une dénonciation aussi puissante et argumentée de la pratique du pouvoir par le milliardaire n’avait émergé de son propre « camp ».

    Ces deux prises de position, totalement inédites, vont-elles effriter le « bloc » républicain, resté soudé autour de Trump depuis 2016 ? Les sondages publiés par CBS et Morning Consult – un tiers des personnes interrogées sont d’accord avec la gestion de la crise déclenchée par le meurtre de George Floyd – semblent indiquer une érosion notable de son socle électoral, déjà minoritaire en 2016. Il faudra observer dans les jours qui viennent si la panique gagne l’establishment républicain, totalement aligné sur Trump depuis trois ans. Une primaire qui s’est déroulée mardi dernier dans l’Iowa peut indiquer le sens du vent au sein du GOP (Grand Old Party, surnom du Parti républicain) : le député sortant, Steve King, relais des thèses suprémacistes, a été battu par un républicain « modéré ». La sortie surréaliste de Donald Trump pour une opération de communication photographiée, Bible en main, face à une église à Washington sonne comme une tentative désespérée de souder l’électorat évangélique blanc.

    Un nixonien qui s’enfonce dans les sables mouvants de l’irréalité

    2020 n’est manifestement pas 1968 même si Donald Trump a ressorti le vieux manuel nixonien. Sur Twitter, le président américain en a appelé à la « loi et à l’ordre » ainsi qu’à la « majorité silencieuse », deux mantras de Richard Nixon il y a cinquante-deux ans. Cette année-là, des émeutes avaient éclaté dans de nombreuses villes américaines après l’assassinat de Martin Luther King tandis que la contestation contre la guerre du Vietnam se répandait sur les campus. L’ancien vice-président de Dwight Eisenhower, battu sur le fil par Kennedy en 1960, avait alors outrageusement joué la carte sécuritaire sur fond d’insinuations raciales. Trois ans après le vote des lois sur les droits civiques, le Parti républicain optait pour la « stratégie sudiste » d’exploitation des peurs et ressentiments des Blancs. Coup gagnant pour Nixon dans un contexte pourtant particulier où le président sortant, Lyndon Johnson, avait dû renoncer à se représenter.

    La rhétorique sécuritaire de Donald Trump s’appuie sur les débordements et émeutes en marge des manifestations. Or, les rassemblements, bien que défiant les couvre-feux dans nombre de villes, sont désormais totalement pacifiques. Sans « désordres », les appels à « l’ordre » s’enfoncent dans les sables mouvants de l’irréalité. Barack Obama a saisi ce tournant. Le premier président noir de l’histoire du pays est intervenu pour la troisième fois en quelques semaines, appelant le pays « à saisir ce moment » pour imposer des changements. Il faudra compter sur lui jusqu’en novembre, en soutien à un Joe Biden, seule alternative électorale, malgré ses multiples gaffes et déclarations souvent peu inspirées, pour ceux qui veulent faire de Trump le président d’un seul mandat.

    Christophe Deroubaix
     
     
    La polémique enfle autour d’un autre meurtre de la police

    Un autre meurtre présumé de policiers racistes commence à défrayer la chronique en même temps que s’amplifie le mouvement contre l’injustice et le racisme. Le 13 mars dernier, à Louisville (Kentucky), une jeune femme de 26 ans tombait sous le feu de la police à son domicile en pleine nuit. Breonna Taylor, qui travaillait dans une unité médicale de premiers secours, a été victime d’une escouade de policiers à la recherche d’un dealer. Comme ils se sont introduits sans se signaler à son domicile, son ami a cru à un cambriolage et a sorti son arme. Les policiers ont répliqué en lâchant sans sommation une rafale, tuant Breonna de huit balles. Aucune trace de drogue, aucune complicité avec de quelconques trafiquants « n’a pu être établie », relève Ben Crump, l’avocat de la famille et membre d’une organisation de défense des droits humains.


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