• Derrière la démission de Christophe Girard, des repas avec Matzneff payés par la Ville

    Derrière la démission de Christophe Girard,

    des repas avec Matzneff payés par la Ville

     
    27 juillet 2020 Par Marine Turchi
    Médiapart

     

    L’adjoint à la maire de Paris chargé de la culture n’a pas seulement démissionné à cause de la manifestation des militantes féministes.

    Selon nos informations, les services municipaux ont découvert, les 22 et 23 juillet, trois notes de frais de repas entre l’élu et l’écrivain Gabriel Matzneff, réglés par la Ville. Anne Hidalgo en a informé le parquet de Paris.

     

    Contrairement à ce qu’ont mis en avant Christophe Girard et la mairie de Paris, l’adjoint à la culture n’a pas démissionné seulement à cause de la manifestation, jeudi 23 juillet, de militantes féministes et d’élu·e·s écologistes.

    Selon nos informations, les services de la Ville de Paris ont découvert, mercredi puis jeudi dernier, trois notes de frais de repas entre l’élu et l’écrivain Gabriel Matzneff, réglés par la Ville. 

     

    L’une datée du 12 février 2019, portant sur un déjeuner au restaurant Le Taxi jaune, pour un montant de 85 euros, que Christophe Girard a fait défrayer en tant qu’adjoint à la culture de la Ville de Paris.

    Les deux autres remontent à 2016 (un dîner) et 2017 (un déjeuner), lorsqu’il était maire du IVe arrondissement de Paris.

     

    Selon nos informations, Anne Hidalgo a transmis la première de ces notes au parquet de Paris, via son conseiller juridique.

    Cet élément a été versé à l’enquête préliminaire en cours pour « viols commis sur mineurs » visant Gabriel Matzneff.

    Christophe Girard avait été entendu comme témoin dans cette procédure, en mars. 

    L’élu a en effet côtoyé l’écrivain dès les années 1980, lorsqu’il était le proche collaborateur du couturier Yves Saint Laurent. 

    C’est par son entremise que les factures de l’hôtel de Gabriel Matzneff avaient été réglées à l’époque par la société Yves-Saint-Laurent.

     


     

    Le premier repas, celui de 2019, a été justifié par Christophe Girard auprès des services de la Ville comme un déjeuner dans le cadre de la journée écriture-manuscrit, organisée par la Ville trois mois plus tard, le 15 mai 2019.

    Les deux autres ont été réglés sur son enveloppe de frais de représentation, pour laquelle l’élu bénéficie d’une plus grande autonomie, mais qui fait l’objet d’une déclaration annuelle à la mairie centrale.

     

    Selon nos informations, la maire de Paris a eu connaissance de la première note de frais mercredi soir 22 juillet, après qu’un agent du bureau de l’appui aux élus – chargé de rembourser les frais – a pris l’initiative de faire une recherche, à la suite de la résurgence médiatique de l’affaire Matzneff et des demandes de démission de Christophe Girard par le groupe écologiste au conseil de Paris.

    L’exécutif de la mairie n’avait en effet opéré aucune vérification ou enquête administrative.

     

    Cette note de frais a été transmise au cabinet d’Anne Hidalgo.

    Puis le directeur de cabinet de la maire, Frédéric Lenica, et le premier adjoint, Emmanuel Grégoire, ont demandé aux services administratifs de la mairie d’effectuer une vérification plus large.

     

    Il n’a pas été demandé explicitement à Christophe Girard de démissionner.

    Mais jeudi, en début d’après-midi, Frédéric Lenica puis Emmanuel Grégoire se sont tour à tour entretenus avec l’élu, en lui expliquant qu’il mettait l’exécutif dans une situation intenable, selon nos informations. 

    « Je les ai vus dans mon bureau pour leur lire le communiqué écrit par moi-même, mon conjoint, mes fils aînés et mon avocate », assure de son côté Christophe Girard.

     

    Puis deux autres notes de frais ont été découvertes, jeudi en fin d’après-midi – celles datées de 2016 et 2017.

    Vers 18 heures, l’élu a annoncé sa démission à l’Agence France-Presse.

     

    Joint lundi par Mediapart, le cabinet d’Anne Hidalgo a reconnu avoir découvert, mercredi dernier, une note de frais.

    « Seule celle-ci a été portée à notre connaissance », nous indique-t-il. 

    Il précise qu’Anne Hidalgo « n’avait absolument pas eu connaissance de ce déjeuner en 2019 » et qu’il n’y a, dans le processus de validation des frais, « aucune validation politique du cabinet de la maire », qu’il s’agit d’« un processus purement administratif ».

     

    « Quand la maire prend connaissance de cette note de frais, elle prend la décision d’en informer Christophe Girard et d’en informer le parquet, poursuit son cabinet. 

    Parce qu’on sait que l’affaire est sensible et qu’on ne veut absolument pas qu’on puisse nous reprocher quoi que ce soit. 

    La maire a considéré que cette nouvelle pièce n’était pas incriminante, puisqu’on savait que Christophe Girard avait eu de toute façon des liens, qu’il avait été entendu par la justice et qu’il n’est visé par aucune plainte, rien du tout.

    Elle le transmet dans un souci de transparence et de coopération. Et elle réitère évidemment son soutien à Christophe Girard. »

     

    Anne Hidalgo condamne-t-elle ces déjeuners, payés par la Ville ?

    « Si le déjeuner avait eu lieu en février 2020, c’est-à-dire après la sortie du livre de Vanessa Springora, la maire l’aurait très très fortement condamné et regretté, elle aurait dit à Christophe Girard qu’il ne fallait pas y aller et que c’était une très mauvaise idée.

    En revanche, en février 2019, cette histoire n’était pas de notoriété publique comme en 2020, pas sûr qu’elle savait qui était Gabriel Matzneff »,

    nous répond son cabinet, évacuant le fait que les écrits de Matzneff, explicites, avaient été médiatisés dès les années 1980-1990.

     

    Alors qu’elle avait connaissance du problème des notes de frais le 23 juillet, Anne Hidalgo n’a évoqué que la manifestation féministe dans ses réactions.

     

    Le lendemain, dans un communiqué, elle a dénoncé le « déversement de haine et de violence inacceptable » à l’encontre de son adjoint et annoncé des poursuites à l’encontre des « propos indignes » et des « banderoles infamantes » de la manifestation.

    Elle a aussi condamné l’attitude des deux élues écologistes présentes à ce rassemblement, Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-Leleu, « qui ont incité et soutenu ces comportements », selon elle.

    Pas un mot, en revanche, sur les notes de frais.

     

    Joint lundi, le premier adjoint, Emmanuel Grégoire, explique à Mediapart que la découverte, « de faits nouveaux – des notes de frais de déjeuners et dîner – [leur] a semblé être un élément à transmettre à la justice, non pas au titre de l’article 40 du code pénal [qui impose à « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire » de dénoncer tout crime ou délit dont il aurait connaissance – ndlr]mais au titre de l’information judiciaire en cours, comme un élément qu’il n’était pas entendable de dissimuler à la justice ». 

    « Nous avons partagé cela avec Christophe Girard, qui du coup en a tiré les conséquences : une démission, pour se protéger lui et assurer sa défense, et pour nous protéger nous collectivement, parce qu’évidemment, c’est un élément de plus dans un contexte déjà éruptif. »

     

    De son côté, Christophe Girard, sans démentir les faits, se montre évasif. 

    Il fait valoir à Mediapart qu’il était « normal et courant qu’[il] invite dans le cadre de [ses] fonctions à la culture artistes et écrivains, et que ces rendez-vous étaient inscrits à [son] agenda professionnel, avec noms des participants ».

    Il reconnaît avoir « déjeuné ou dîné », « de mémoire, entre 2001 et 2018, quatre ou cinq fois avec Matzneff », sans préciser si ces repas étaient pris en charge par la Ville.

     

    « J’ai demandé au directeur de cabinet de la maire de Paris de faire faire les recherches comptables sur une période aussi longue. Cela prendra du temps, sachant qu’entre 2001 et mars 2020, j’ai déjeuné et dîné avec des centaines de personnalités françaises étrangères », ajoute-t-il.

     

    S’agissant des trois notes de frais, il indique qu’il n’a « pas de traces personnelles à [sa] disposition »

    « Vous avez connaissance de ces notes que je n’ai pas revues. Ce déjeuner et ce dîner doivent apparaître dans mon agenda de maire du IVe de 2012 à 2017. L’objet et le nom des invités figurent certainement. Si vous pouviez me les indiquer. »

     

    Selon un proche d’Anne Hidalgo qui a requis l’anonymat, la découverte de ces notes de frais a « incontestablement pesé dans la décision personnelle qu’a prise Christophe Girard »

    « Cela nous a vraiment perturbés, explique-t-il à Mediapart. C’est une forme de rupture de confiance dans la ligne de défense qu’il avait adoptée vis-à-vis de nous. 

    1) Le personnage [Gabriel Matzneff – ndlr] était sulfureux et peu pouvaient prétendre l’ignorer, surtout un fin lettré comme Christophe.

    2) Il nous avait plutôt tenu la ligne qu’il l’avait rencontré fortuitement, à des occasions X ou Y.

    Quand on déjeune avec quelqu’un en tête-à-tête, cela ne me paraît pas relever du fortuit.

    Donc cela nous a au moins embarrassés, et c’est un euphémisme.

    On s’est sentis dans l’obligation immédiate de ne pas garder cela. »

     

    Pour ce proche de la maire de Paris, l’ex-adjoint à la culture « s’enferme ».

    « Il a pris une très mauvaise ligne de défense depuis le départ. Il a manifestement cherché à nous cacher toute trace d’une relation en réalité plus établie qu’il ne l’avouait lui-même.

    Il est tellement meurtri et blessé par ces accusations qu’il en est parfois maladroit dans sa défense », analyse-t-il.

     

     

    Pour lui, les deux éléments – les notes de frais et la manifestation devant l’Hôtel de Ville – se sont « télescopés » et ont été autant de « pressions » pesant sur Christophe Girard, conduisant à « une accélération ».

    « Mais on le soutient, y compris parce qu’on trouve qu’il fait l’objet d’accusations excessives : il n’est pas pédophile, contrairement à ce qu’on lit sur les pancartes ignobles de la manifestation, avec des raccourcis et des amalgames », poursuit-il, en écho à la pancarte « Mairie de Paris : bienvenue à Pédoland », dans la manifestation du 23 juillet.

     

    De son côté, le cabinet d’Anne Hidalgo renvoie vers Christophe Girard, « qui a proposé et donné sa démission à la maire de Paris ».

    « Peut-être qu’il s’est dit qu’avec cette nouvelle information, cela allait avoir un impact médiatique et que donc il valait mieux se retirer, mais la maire lui a en tout cas toujours affiché son soutien. » 

     

    L’intéressé affirme à Mediapart que sa décision de démissionner a été « mûrie » et qu’il l’a « prise en famille le soir de l’élection de la maire et de ses adjoints, sachant pertinemment pour bien avoir suivi le mouvement “cancel culture” que le harcèlement ne s’arrêterait pas.

    Que ce climat fragiliserait la majorité et qu’il [s’était] engagé en politique pour agir en humaniste et social-démocrate, pas en gibier traqué ».

     

    La veille de sa démission, pourtant, à l’antenne d’Europe 1, Christophe Girard tenait un autre discours : il annonçait qu’il allait « être à l’offensive, car il se passe à [s]on sens quelque chose de très grave, ce mouvement “cancel culture”, qui vient des États-Unis ».

    Il dénonçait une « justice des réseaux sociaux ».


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