• Bruce Springsteen : le pamphlet incompris de Born in the USA

    Mercredi, 22 Juillet, 2020

    On connaît la chanson, pas les paroles (7/14). 

    Bruce Springsteen :

    le pamphlet incompris de Born in the USA

     

    Interprété à tort comme un hymne patriotique, le titre le plus célèbre du Boss raconte pourtant les vies brisées des prolétaires partis faire le Vietnam.

     

    Donald Trump adore mettre en doute la nationalité américaine de ses adversaires.

    Principal promoteur des fake news autour des origines de Barack Obama, le magnat s’est trouvé, en janvier 2016 alors en pleine campagne pour la primaire républicaine, une nouvelle tête de Turc : Ted Cruz, son principal rival.

    Le sénateur texan a le malheur d’être né de l’autre côté de la frontière, au Canada.

    Alors, pour le « troller », le futur 45 e président des États-Unis choisit de lancer Born in the USA, titre iconique de Bruce Springsteen, à chaque entrée de meeting, histoire de bien rappeler que lui est un patriote, un vrai.

     

    Un des plus grands malentendus du rock’n’roll

     

    Se faisant, le populiste milliardaire s’inscrit dans la droite lignée de Ronald Reagan et Walter Mondale en 1984 ou de George Bush père en 1992…

    Autant de candidats au bureau ovale qui ont voulu récupérer l’hymne rock du « Boss » pour en faire un outil de propagande électorale, sans comprendre un traître mot au sens de la chanson.

     

     

    Car Born in the USA, c’est l’histoire d’un des plus grands malentendus du rock’n’roll.

    Si on ne se tient qu’au refrain, époumoné par Springsteen de sa voix grave et gutturale, il est aisé de n’y voir qu’une exaltation bas du front du simple fait d’être né en Amérique.

    Pourtant, l’enfant du New Jersey y raconte l’impossible réinsertion d’un prolétaire né dans une « dead man’s town » (un trou paumé), à qui la nation a mis « un fusil dans les mains » pour aller «  tuer l’homme jaune » dans un «  pays étranger ».

    À son retour aux États-Unis, le narrateur-chanteur n’a « nulle part où fuir, nulle part où aller » et finit « dans les ombres de la Refinery », en référence à un pénitencier du New Jersey.

     

    La portée mélancolique du morceau révélée entre deux riffs

    C’est bien des fantômes du Vietnam dont s’empare Bruce Springsteen.

    Réformé à la suite d’un accident de moto, le rockeur a échappé à cette boucherie qui tuera 58 000 « boys » de 1955 à 1975, et entre 3 millions et 4 millions de Vietnamiens, pertes civiles comprises.

    Bart Haynes, ami de Springsteen et batteur de son premier groupe (The Castiles), tombera au front en 1967.

     

    « J’avais un frère à Khe Sanh, on se battait contre les Viêt-cong, ils y sont encore, lui n’est plus », s’égosille le chanteur au quatrième couplet, révélant entre deux riffs de guitare la portée mélancolique du morceau.

    Un écho direct au siège de Khe Sanh, en 1968, épisode emblématique des traumas de la guerre.

    Au prix de 15 000 pertes, de quatre mois d’éprouvants combats, les GI l’avaient emporté, mais cette victoire se révéla n’avoir aucune importance stratégique.

     

    Une chanson née dans la mauvaise décennie

    À l’origine, Born in the USA, écrit en 1981, portait le titre davantage explicite de « Vietnam ».

    Il était pensé comme une ballade et devait accompagner un film éponyme de Paul Schrader, dans lequel Springsteen était supposé occuper le premier rôle, mais qui restera inachevé.

    Le tube ne sort dans la version que l’on connaît qu’en 1984, le rock en plus, sous l’impulsion du producteur Jon Landau.

     

    La musicalité et la puissance du refrain ont sans doute entretenu la confusion, en créant un décalage avec des paroles pessimistes.

    Pour Bruce Springsteen, l’homme des classes populaires, des petites villes déclassées, « reçoit son premier coup dès lors qu’il touche le sol » et finit « plus battu qu’un chien » par la vie.

    Et ce, même s’ « il est né aux USA ». Comprendre : la nation dont on fait l’éloge n’est pas fichue de protéger ses fils. Pire, elle les envoie à la mort.

     

    Peut-être aussi que la chanson n’est pas née dans la bonne décennie.

    Les grands titres rock contre la guerre du Vietnam (Fortunate Son, de Creedence Clearwater Revival, War Pigs, de Black Sabbath…) appartiennent davantage à la fin des sixties, aux années Woodstock.

    En 1984, l’Amérique est sur les rails de la « révolution conservatrice » de Ronald Reagan, élu la même année. Chuck Norris et ses ersatz sont les héros d’une nation tout en muscles et en virilité, capable de prendre au premier degré Born in the USA et d’ignorer ses couplets.

     

    Bruce Springsteen souffrira longtemps de ce malentendu.

    Jusqu’à parfois abandonner complètement cette version en concert, pour lui préférer un blues qui sied mieux au ton de la chanson.

    Et épuré de ce maudit refrain.


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