En deux années de présidence, Emmanuel Macron aura au moins réussi une chose : enregistrer le pire nombre de morts et de blessés lors d'opérations de maintien de l'ordre depuis 1968, en encourageant la répression brutale des mouvements sociaux, en faisant usage de la force sans modération aucune, au point d'apparaître comme un faible monarque républicain, quasiment aux mains de la police et de la gendarmerie.
Le premier ministre Édouard Philippe, le ministre de l'intérieur Christophe Castaner et son secrétaire d’État Laurent Nuñez sont également comptables de ce sombre bilan.
Après la mort à Marseille de Zineb Redouane, gravement blessée au visage par une grenade lacrymogène alors qu'elle fermait ses volets, le 1er décembre, celle de Steve Maia Caniço, dont le corps vient d'être repêché à Nantes, porte à deux le nombre de victimes d'opérations de maintien de l'ordre dangereuses et excessives, en quelques mois à peine.
Le nombre de personnes mutilées, éborgnées ou gravement blessées à l'occasion du mouvement des gilets jaunes montre que cette époque de professionnalisme et de retenue (si elle a vraiment existé) est bien révolue.
315 blessures à la tête, 24 personnes éborgnées, 5 mains arrachées : tel est le bilan des violences policières d’État minutieusement recensées par notre confrère David Dufresne pour Mediapart, pendant six mois de contestation dans la rue des gilets jaunes.
Autoritaire et cynique, ce pouvoir politique n'hésite pas non plus à proférer des mensonges, voulant faire croire contre l'évidence que la police n'est pour rien dans la mort de Steve Maia Caniço à Nantes, que Geneviève Legay n'avait pas été au contact des policiers à Nice quand elle a été grièvement blessée à la tête, ou que des manifestants auraient voulu saccager la Pitié-Salpêtrière à Paris. Fake news.
Ce pouvoir n'a jamais de compassion ou de mots dignes pour les victimes des violences policières qu'il encourage. Il réserve ses prises de parole aux forces de l'ordre, aux députés qui tremblent pour leur permanence, et aux acteurs économiques. Pire, il décore également les policiers mis en cause lors des violences.
Certains ont été tués pendant leur arrestation, comme Adama Traoré en 2016, ou Ali Ziri en 2009, sans aucune sanction.
Cela ne peut plus être caché ni toléré.
Même si tous les policiers ne franchissent pas la ligne jaune, et que leurs conditions de travail sont extrêmement difficiles, un commandement trop lâche et un pouvoir politique qui les « couvre » systématiquement ont pour conséquence de lâcher la bride aux éléments les plus violents. Policiers et gendarmes étant, par ailleurs, dans l'ensemble plus proches de l'extrême droite que le reste de la population.
La stratégie de la tension qui est à l’œuvre depuis plusieurs mois n'est pas l'apanage du seul gouvernement Philippe.
Manuel Valls et Bernard Cazeneuve l'avaient initiée en leur temps, pendant les manifestations contre la loi sur le travail, et même lors du défilé du 1er Mai.
La politique du pire est la même : plutôt que de traiter un problème social, économique ou politique, on joue le pourrissement de la contestation, on dénonce les casseurs, et on annonce de nouvelles lois répressives, avec la bénédiction de grands médias complaisants et de chaînes d'info avides d'images spectaculaires.
Pendant ce temps, d'autres pays comme l'Allemagne gèrent les mouvements de protestation avec doigté, en évitant le contact entre manifestants et policiers, et en cherchant la désescalade plutôt que de recourir massivement aux grenades lacrymogènes, grenades de désencerclement et autres lanceurs de balles de défense.
Nicolas Sarkozy a démantelé la police de proximité, supprimé des postes de policiers et de gendarmes, tout en lançant une politique du chiffre calamiteuse.
Quant à Jacques Chirac, il reste le président de la mort absurde des jeunes Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois, puis des émeutes des quartiers pauvres.
François Mitterrand a, en période de cohabitation, vécu la mort de Malik Oussekine, en 1986, frappé à terre par des voltigeurs… que le pouvoir macronien vient de remettre en service contre les gilets jaunes.
Quant à Valéry Giscard d’Estaing, il doit répondre moralement de la mort de Vital Michalon, tué par une grenade offensive, en 1977 à Creys-Malville.
Le pic de violences ayant été atteint pendant les émeutes de mai et juin 1968, sous Charles de Gaulle, qui avaient fait sept morts.
Or aujourd'hui, ce sont des gendarmes qui enquêtent sur les gendarmes, et des policiers sur les policiers.
Sans surprise, les rapports de l'IGGN et de l'IGPN dédouanent presque systématiquement les éléments violents des forces de l'ordre, donnant au pouvoir l'illusion de protéger l'institution, alors que le fossé se creuse dangereusement entre la population et sa police censée la protéger.
De la même façon, les procureurs nommés par l'exécutif ne se risquent que très modérément à poursuivre les forces de l'ordre, avec lesquelles ils travaillent quotidiennement.
Pour faire carrière au parquet, il ne faut pas non plus causer de soucis au gouvernement ou au président tout-puissant.
Même un rapport solide de l'IGPN ne donnera pas forcément lieu à des poursuites pénales contre un policier, et encore moins souvent à une condamnation.
Les politiques publiques restent centrées sur la répression, avec un arsenal de lois durci depuis trois décennies.
Côté justice, l'essentiel des moyens de l’État va aux prisons, toujours plus pleines, alors qu'on manque cruellement de magistrats, de greffiers, de conseillers de probation et d'insertion et d'enquêteurs sociaux. Prévention et réinsertion sont les parents pauvres de la chaîne judiciaire.
Les gilets jaunes ont fait l'expérience de cette implacable machine à punir : garde à vue, nuit au dépôt et comparution immédiate. Si les condamnations ont souvent été mesurées, le contraste n'en reste pas moins saisissant avec l'absence de poursuites et de sanctions contre les policiers violents.
Au bout du compte, ce pouvoir qui se voulait moderne est l'un des plus autoritaires de la Ve République.
Même un Jacques Toubon passerait pour l'un des derniers défenseurs des libertés à se faire entendre, c'est dire à quel point la situation est inquiétante.