« Ah, ça fait longtemps ! Comment vas-tu ? » On claque une bise et on se dirige, un peu à contrecœur, sous le chapiteau plein à craquer. Les petits éventails rouge et jaune mis à disposition sont bien peu de chose pour combattre la chaleur étouffante. Le « big-bang » promis par les députées Clémentine Autain et Elsa Faucillon a lieu ce dimanche 30 juin, au cirque Romanès. Un endroit très symbolique : le dernier cirque rom de France a élu domicile dans le chic XVIe arrondissement parisien, non sans une lutte sans fin contre les habitants du quartier…
À l’initiative de cette journée, deux jeunes quadragénaires. Clémentine Autain et Elsa Faucillon, élues de circonscriptions populaires en région parisienne, ont rongé leur frein pendant des mois. Le score désastreux de La France insoumise (6,3 %) et du PCF (2,5 %) aux élections européennes a sonné comme un top départ.
Les deux ont un autre point commun : être un pied dedans, un pied dehors de leurs partis respectifs. Clémentine Autain, députée de La France insoumise venue d’Ensemble! (la plus petite formation du Front de gauche à l’époque), critique depuis longtemps, et sur tous les tons, la ligne populiste et le style agressif de Jean-Luc Mélenchon. Elsa Faucillon, députée communiste, s’est de son côté inscrite en faux par rapport à un PCF recroquevillé sur lui-même. En janvier, elles avaient jeté les bases de leur « big-bang » en créant une newsletter commune, intitulée « Le Fil ».
Un fil qu’elles essaient désormais de tirer pour renouer le lien entre des gauches morcelées, voire adversaires, qui se sont lancées à six (de Lutte ouvrière au PS) dans la bataille des européennes. Une reconstitution de gauche dissoute, en quelque sorte. « Il ne s’agit pas de faire des listes de plus, mais des listes de moins », martèle, sur la piste du cirque Romanès, Clémentine Autain. Puis, dans une référence presque explicite à Jean-Luc Mélenchon : « Si on passe notre temps à s’insulter les uns les autres, c’est l’avenir qu’on insulte […]. Il n’y a pas de caporalisation possible. »
Dans l’assistance, sur la scène ou à la buvette, on croise tout le petit monde de la gauche « de gauche ». Intellectuels, militants associatifs et responsables politiques. Côté intellos : les économistes Thomas Piketty et Julia Cagé, l’essayiste Gaël Brustier, mais aussi l’historien Dominique Vidal, le philosophe Étienne Balibar, les directeurs de Regards et de Politis… Côté syndicalistes : Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT a, une fois n’est pas coutume, répondu présent. Côté associatifs : des représentants du Comité pour Adama Traoré ou des marches pour le climat, des membres d’Attac comme Pierre Khalfa ou Aurélie Trouvé. Côté gilets jaunes : un manifestant des ronds-points s’est glissé dans la salle, et Geneviève Legay a adressé un message vidéo.
Les responsables politiques ont eux aussi fait le déplacement. Vus au cirque Romanès : les communistes unitaires – le député Stéphane Peu ou l’ex-eurodéputée Marie-Pierre Vieu – et, plus étonnant, un communiste dit « identitaire » – Igor Zamichiei. Mais aussi quelques représentants d’Europe Écologie-Les Verts – l’élu de Paris Jérôme Gleizes ou la sénatrice, égérie des gilets jaunes, Esther Benbassa –, des camarades de Benoît Hamon – l’ex-ministre de François Hollande Dominique Bertinotti, et Guillaume Balas. Sans oublier Olivier Besancenot, du NPA, qui depuis un an hurle dans le désert pour appeler au réveil de la gauche face à Macron et Le Pen.
À part Sergio Coronado, l’ex-Vert passé chez Mélenchon, qui est venu passer une tête, ne manquent à l’appel que les Insoumis – même si Clémentine Autain affirme qu’elle est plus soutenue que l’on pourrait le croire dans les rangs militants.
Quant au PS, il n’était pas spécialement convié. Pas de quoi pour autant effaroucher Olivier Faure, le premier secrétaire du parti, qui répond à Mediapart par texto : s’il trouve le « big-bang » du jour un peu trop « gauche radicale » à son goût, il le considère néanmoins comme une « étape » du rassemblement qu’il espère lui aussi.
Laurent Baumel, ancien député socialiste frondeur sous le mandat de Manuel Valls, s’est quant à lui déplacé dans le XVIe sans demander une quelconque autorisation : « Je partage à 100 % la vision de Clémentine Autain sur son approche non hégémonique, tolérante et humble, son idée de ne pas séparer les accords d’appareil et la société civile, s’emballe-t-il. Je sais bien que pour l’instant encore, beaucoup de personnes sont un peu crispées vis-à-vis du PS, mais le temps va passer, la décontraction viendra. L’idée que Jean-Luc Mélenchon est la seule alternative à gauche est derrière nous. »
Le cirque Romanès, ou le repaire de la gauche antimélenchoniste ? « Antimélenchonienne plutôt, parce que c’est pas ses idées qu’on n’aime pas, c’est le personnage », pointe un participant sarcastique. Beaucoup, à la porte Maillot, se remémorent avec émoi les petites phrases, les coups de menton, les textos outranciers de celui qu’ils ont côtoyé, voire aimé, un temps. Certains s’inquiètent des conséquences de l’échec de La France insoumise : que deviendront tous ces militants qui avaient retrouvé l’espoir grâce à elle ?
Quoi qu’il en soit, tout le monde ici pressent dans son for intérieur que l’effondrement de La France insoumise aux élections européennes ouvre une brèche pour autre chose. Pour « une gauche antilibérale non populiste », précise Guillaume Balas.
Jean-Luc Mélenchon a beau railler ce qu’il appelle avec condescendance « la petite gôche (sic) », celle de l’entre-soi et des « bobos », lesquels ne seraient, selon lui, pas suffisamment en prise avec « le peuple » qu’il s’est donné pour mission de représenter et de défendre : il n’empêche, on a du mal à saisir ce qui, dans le fond, distingue la démarche du « big-bang » de la « fédération populaire » que le député de Marseille appelait de ses vœux dans une interview donnée à Libération au mois d’avril. Un assemblage de partis et de citoyens, sur une ligne écolo et sociale, prenant pied dans les mouvements sociaux et les mobilisations de terrain.
Ni plus ni moins que ce que préconise aujourd’hui Clémentine Autain : « Ce qu’on propose, ce n’est pas un rassemblement d’organisations, mais de gens. On sait bien que l’union des partis, ça ne peut plus le faire. Mais ce n’est pas parce que les collectifs antilibéraux [créés dans la foulée du référendum contre le Traité constitutionnel européen, en 2005 – ndlr] n’ont pas fonctionné que ça ne peut plus marcher aujourd’hui. »
Même topo d’Elsa Faucillon. Après un mot pour le Jean-Luc Mélenchon de 2017 qui « a su donner de la force à notre mouvement », la députée communiste jure qu’elle ne « propose pas de refaire l’union de la gauche à la papa », mais qu’elle veut « construire un catalyseur, un centre d’initiative pour fédérer les colères et les espoirs ». Les élections municipales, qui impliquent des listes communes à gauche pour remporter des villes, annoncent, de plus, une période favorable.
Avec cet énième appel au rassemblement, la mayonnaise prendra-t-elle ? Pour les participants à la journée, il n’y a pas d’autre solution que de mettre tous les ingrédients dans le même récipient. Le député communiste Stéphane Peu file la métaphore biblique : « Il y a 14 étapes dans le chemin de croix. Aujourd’hui, c’est la première. Mais si on veut s’éviter le duel entre Macron et Le Pen, et puisque aucune candidature ne s’impose pour 2022, quel autre choix a-t-on ? Il faut faire grandir l’aspiration au rassemblement, et forcer les partis à l’écouter. Gloire à ceux qui essaient ! »
D’ici là, des initiatives pour donner une suite au « big-bang » et aux 5 000 signatures de l’appel fondateur sont lancées : création d’une plateforme en septembre, réunion des « big-bang » locaux les 7 et 8 décembre, et entretemps, organisation de quatre moments thématiques sur la démocratie, le travail, l’antiracisme et l’écologie à Limoges, Cahors, Nantes et Montpellier dès la rentrée. « Après le big-bang, il y a de la matière et de la lumière », lance Elsa Faucillon. C’est en tout cas là que tout est censé commencer.